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En étudiant et explorant ces lieux par la danse, je me suis demandée s’il ne serait pas intéressant d’observer, si ce que l’on y fait, peut se faire, dans d’autres espaces. Les laboratoires étant faits, pour que ce soit, le plus adéquat possible, pour les productions gestuelles des danseurs, on peut se questionner sur une autre proposition. Il peut alors s’avérer utile de sortir le geste de ce « cocon ». Cette pudeur de la pratique pourrait se transformer, si on l’a fait en dehors de son cadre de prédilection. Pour certain danseur, le studio ou le théâtre sont des lieux trop neutres et trop identiques dans lesquels, ils ne se sentent pas à l’aise pour créer. Même si on a pu voir la multitude de configuration possible, des espaces de danse, on peut supposer qu’il est aussi intéressant de s’en priver. Les autres espaces choisis peuvent permettre aux danseurs et aux spectateurs de « toucher le corps « civique », celui qui s’inscrit dans un contexte sociétal. »1 En sortant du studio, on va interroger notre pratique, en fonction du lieu dans laquelle elle

se fait. L’environnement va alors approuver ou non le processus mis en place pendant le temps de création. À l’intérieure de la boîte noire, la relation avec le public est très faible, de part les lumières aveuglant le danseur et la distance physique avec le public. En extérieur, au contraire, le danseur voit les spectateurs. Son rapport avec eux est plus sincère et direct. Le public, étant libre de partir à tout moment, peut prendre le temps de trouver son point de vue sur la représentation. Le dehors, au contraire d’une salle de spectacle, laisse un moyen de s’échapper du cadre et de la perspective. Il y a également une certaine respiration de l’espace. On est loin du petit studio étriqué et neutre qui peut en gêner certain.

Mais le lieu de représentation n’est pas simplement un décor permettant de mieux voir la danse. Pour le spectateur, la présence du danseur va stimuler son champ perceptif du lieu. Pour le danseur, la présence du spectateur et du lieu va générer un geste. On parle alors d’une pratique « in situ » qui est aussi appelé « chorégraphie située » par Julie Perrin. Le mot « in situ » désigne une œuvre qui va transformer son lieu d’accueil, grâce à son outil visuel, tout en étant transformée, par ce même lieu. Dans une conférence, au LU2, une

danseuse nous a démontré comment le geste dansé était ressenti, en fonction de l’espace, dans lequel il était représenté. Elle nous a exposé le même mouvement dans les gradins, sur la scène, puis dans la grande entrée de la salle. Le geste était perçu différemment dans les trois lieux. Dans les gradins, le mouvement s’identifiait plus à l’humain. Il devenait presque représentatif du quotidien. La proximité de la danseuse avec nous produisait une sorte de malaise et un sentiment d’agression. Sur la scène, le geste semblait plus beau. L’abstraction, qui transparaissait du mouvement, s’avérait plus confortable. On était rassurés. La danse prédominait sur le reste, en faisant oublier l’espace. Dans l’entrée, ayant une grande hauteur sous plafond, le mouvement mettait en valeur le décor et les textures environnantes. Le geste faisait partie d’un tableau plus général. Il paraissait presque plus lent. La danseuse nous exposa à la suite des trois expérimentations, son propre ressenti par rapport à l’espace. Dans un premier temps, elle était assez effrayée du fait qu’elle commençait son geste au milieu (1) PICHAUD Laurent. « Faire “voir du lieu” avec la danse ». Repères, cahier de danse. 2006

(2) Conversation. 22 novembre 2018 au LU

Les pratiques somatiques, boite noire de l’histoire de la danse ?

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de tout le monde, comme une « espèce de malade ». Mais, au fur et à mesure de la danse, le contrôle de la situation transforma la prise de risque, en pouvoir. Sur scène, elle ressentit un certain confort, de par son habitude à ce genre de distance avec le public. Dans l’entrée, le rapport à l’espace était très riche et la sonorité lui parla beaucoup. La danse s’était donc aidée de l’espace, dans lequel, elle s’était produite. Le contexte de présentation, nous a fait la percevoir différemment. L’un a donc informé l’autre.

En « sortant » la danse, on a également la possibilité de toucher un nouveau public. Surgissant aux endroits les plus inattendus, elle peut inclure n’importe quel passant. En jouant avec eux, il y a également une ambiguïté qui peut se créer car on se demande, qui fait réellement partie du spectacle. En ne passant pas par des théâtres, le danseur s’offre, également, d’autres possibilités d’être vue. Cette expérimentation, provoquant le regard, peut-être une façon plus rapide d’accéder à la diffusion. Elise Lerat expliquait, par exemple, que sa pièce avec une machine à laver, diffusée dans des galeries d’art,*(pièce) lui avait permis de trouver des financements, pour une production. Si on n’a pas de moyen financier, cela peut être une bonne alternative : les professionnels peuvent assister à la représentation et peuvent décider d’apporter leur soutien à l’artiste.

En voulant faire moi même l’expérience de l’in situ, j’ai décidé d’expérimenter deux espaces extérieurs, à l’aide d’exercices, faits en laboratoire. Pour ce faire, j’ai choisi deux sites opposés afin de jouer avec leurs contrastes. Je me suis dirigée vers la place Royale, qui est pour moi le point culminant du centre historique de la ville. La place est extrêmement empruntée, de jour, comme de nuit. Elle est très urbaine, et pas vraiment adaptée, pour la danse. Elle accueille souvent des projets artistiques, notamment pour le voyage à Nantes. Le public, qui la traverse, est très varié. La fontaine propose une sorte de gradin original, sur lequel, les personnes peuvent rester des heures. Mon deuxième site est le CRAPA, placé au bout de l’ile de Nantes. J’ai choisi ce parc car, en plus d’être le plus naturel de Nantes, il est à la limite entre le centre urbain et la nature sauvage. La faune et la flore y sont très variées. C’est un endroit facile d’accès où l’on peut s’évader, tout en gardant un lien évident à la ville. J’ai réalisé l’expérience en deux temps. Je me suis d’abord rendue sur place, en ayant la même approche visuelle qu’une étudiante en architecture, explorant un site. J’ai donc réalisé des relevés, fait des croquis et écrit ce que j’observais. Je n’avais, cependant, rien ressorti de particulier, mise à part l’observation du mouvement des personnes m’entourant. Puis j’y suis retournée une deuxième fois, afin d’expérimenter les lieux de manière corporelle. Je suis ainsi passée de l’architecte en exploration, à la danseuse en mouvement. Suite aux ateliers Présence de Loic Touzé, j’avais beaucoup d’exercices de danse contemporain, en tête. M’ayant beaucoup marquée, j’ai voulu les exporter à l’extérieur. Parallèlement à ça, j’ai découvert le manuel d’entrainement d’un danseur urbain1 que j’ai voulu réinterpréter à ma façon. J’ai également lu

plusieurs plans de cours de danse contemporaine, reprenant toujours le même schéma, par rapport au lieu. J’ai décidé d’utiliser, ces divers apports théoriques et pratiques pour écrire mon propre protocole d’expérimentation.

(1) DESPRAIRIES Julie. Manuel d’entraînement régulier du danseur urbain, 2013

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Mon protocole se présentait ainsi : I- L’espace propre : Exercice 1:

Rester debout dans l’espace, les yeux fermés, pendant 1 minute Exercice 2:

Se mettre sur la pointe des pieds ou se balancer d’avant en arrière en fermant les yeux.

Exercice 3:

Parcourir son corps avec sa main droite puis avec sa main gauche. Ne pas hésiter, à se mettre accroupie s’il le faut. Il faut explorer chaque partie du corps (tête, épaules, mains, pieds...)

Faire bouger toutes les articulations de son corps : en flexion, en extension, en rotation, en translation, en ouverture, en fermeture.

Exercice 4:

Marcher à son rythme, en prenant conscience de ses propres rythmes internes (ex: son rythme cardiaque, respiratoire) et de son propre mouvement (ex: allure de marche).

Varier la durée du mouvement et voir les contrastes (lent/vite) Exercice 5 :

Produire des éléments sonores avec son corps (voix, frappes avec différentes parties,...)

II- L’espace proche : Exercice 6:

Prendre conscience du sol qui est sous nos pieds. Le faire remonter par notre corps, jusqu’à notre tête. On peut marcher pour mieux le ressentir Exercice 7 :

Ecouter la musique du lieu, faire une improvisation corporelle, en associant cette musique au rythme gestuel : ça peut être une marche suivant le rythme extérieur, ou des gestes plus libres

Exercice 8 :

Prendre conscience de l’empreinte de son propre corps : s’étirer au maximum, prendre le plus de place possible

Exercice 9 :

Ressentir les notions de contraction et de relâchement, en faisant la marionnette. C’est-à-dire, en imitant les mouvements nous entourant. Exercice 10 :

Déformer les mouvements relevés sur le terrain ( ex : Marcher comme un astronaute ou un robot

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III- L’espace de déplacement : Exercice 11 :

Tracer son prénom dans l’espace avec une ou plusieurs parties du corps, avec l’écriture la plus large possible

Exercice 12 :

Tomber ou s’appuyer sur les objets présents Exercice 13 :

Se suspendre, se retenir avec les objets présents Exercice 14 :

Dessiner des courbes avec le corps, dans un mouvement très ample. Exercice 15 :

Se déplacer en courant ou marchant, jusqu’à ce qu’un obstacle nous touche puis changer de direction

Exercice 16 :

Faire une fonte et rester au sol pendant 1 minute Exercice 17 :

Sentir une présence, suivre la trace laissée par une personne, faire marcher son imagination

Exercice 18 :

Définir deux points bien distincts, et venir y tendre un fil imaginaire, afin d’appréhender les distances

Exercice 19 :

Effectuer des sauts avec un temps d’impulsion, de suspension, de réception variant selon la hauteur, la direction...

Exercice 20:

Ouvrir une porte imaginaire, et explorer l’espace imaginé derrière cette porte. Faire abstraction de ce qui nous entoure, pour nous projeter ailleurs

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