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Avant de parler de l’architecture des différents lieux étudiés, il est intéressant d’y apprendre ce qu’on y fait réellement. Le studio est alors le lieu principal des activités de recherche chorégraphique. Cette dernière partage par ailleurs son espace avec l’enseignement. Il existe aujourd’hui encore, un petit clivage entre la recherche faite en studio par les praticiens et celle traitait dans les livres. Aux yeux de ces praticiens, la recherche théorique est menée par des théoriciens, ayant trop peu fréquentés l’espace du studio. Cette différentiation entre pratique (créateur, interprète, pédagogue) et théorie (chercheurs, journaliste, critique, institutionnel, programmateur) est en train de disparaître, grâce à l’apparition de la culture chorégraphique, dans le parcours d’apprentissage des danseurs. On peut en revanche prendre en compte que le studio n’est pas réellement utilisé, pour tous les travaux préliminaires, précédents la création d’une chorégraphie ou d’un cours de danse. Lors de la visite du nouveau Studio Théâtre, j’ai, par exemple, pu jeter un œil dans un des bureaux, ayant été prêté à un chorégraphe. J’y ai ainsi découvert avec émerveillement des murs tapissés de dessins manuscrits, décrivant chaque tableau du futur spectacle. Le chorégraphe était alors resté une semaine dans un petit local, de à peine 8m2, où on lui avait mis à disposition un bureau, un matelas posé à même le sol et

une large fenêtre, laissant entrer la lumière du jour. La recherche documentaire, les entretiens divers, les notes de terrain ou plus largement toute les constructions d’idées sont réalisés, dans de nombreux espaces, autres que le studio, et que l’on peut parfois retrouver, dans l’offre des laboratoires en général. La recherche pratique tend vers la découverte des multiples potentialités du corps en mouvement. Elle a donc besoin de ce grand espace vide qu’est le studio. Trisha Brown parle alors du corps comme « une mystère concret » qu’elle taquine chaque jour1. Le chercheur dans un studio va « fouiner, fouiller, observer, tester, explorer,

approfondir, sonder, exercer des analyses souvent très aiguisées, tester des combinaisons de gestes, des mouvements ». Par sa danse, il produira « des regards, des touchers, des sons, des images, des dessins et des mots »2. Dominique Dupuy3 parle d’« un laboratoire d’expérience

sensible ». Une recherche est une interrogation continue allant du développement personnel à une découverte d’un geste, d’un mouvement pouvant alors générer des choses esthétiques, sociétales ou culturelles. Le laboratoire de recherche peut être comparé au carnet de croquis d’un architecte. C’est un objet qui n’est pas sensé être montré au public mais qui peut dans le cas de la danse, y mener, et dans le cas de l’architecture, se transformer en construction. Chaque structure étudiée va proposer des moyens pour cette recherche. En plus d’une mise à disposition d’un certain espace, détaillé dans une prochaine partie, les structures vont donner du temps de résidence, et un suivi à la création. Dans tous les laboratoires, le temps de la recherche n’est pas illimité. Pour la plupart, il oscille entre une semaine et un mois pour des questions de fonctionnement. Il semblerait que la résidence reste un intermède court, permettant une forte concentration, pendant le temps donné et une prise de recul sur son

(1) Trisha Brown. « un mystère concret ». in Marcel Michel et Isabelle Ginot, La Dance au XXe siecle: Bordas, 1995 (3) Dominique Dupuy (1930) est un danseur et chorégraphe français de danse moderne et de danse contemporaine. (2) DEPRÉS Aurore et LE MOAL Philippe. Recherche en danse/danse en recherche. In : La recherche en art(s). édition mf : 2010. P.83-131

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travail au quotidien. Au Studio Théâtre, on est dans une configuration un peu différente. La compagnie résidente a alors 2 ans pour effectuer son travail de recherche. Allant au delà d’un travail personnel, elle se doit de construire un dialogue avec le quartier et les autres occupant du lieu. La tâche étant plus large, il est compréhensible que le temps donné y soit différent. Il est en revanche d’une à deux semaines, pour les autres compagnies invitées dans le lieu, pour des cartes blanches. Aux Abeilles, Laetitia Cordier se laisse le temps de mettre en place des règles concernant les résidences. Y ayant elle-même, résidé pendant un an pour un travail, elle comprendrait la volonté de chacun de rester plus longtemps. Le temps serait alors déterminé, par le processus de la recherche. Il est à noter la difficulté, pour certain artiste d’être confronté, à lui-même pendant ce laps de temps. Il se retrouve alors dans un espace et une temporalité particulière, dans une concentration exceptionnelle, de façon à entendre ce qui émerge chez lui. Cette connexion à soi peut être déroutante et angoissante, surtout chez les jeunes artistes. Pour chaque artiste, qu’il soit auteur ou danseur, il est toujours difficile d’entamer un processus créatif.

Un suivi de la structure peut alors aider le résident, à atteindre son objectif de recherche. Il se manifeste de différentes manières selon les laboratoires. Certains demandent au danseur ou à la compagnie en résidences, de réaliser une ouverture publique. Cette dernière permet ainsi aux danseurs de prendre du recul, sur ce qu’ils ont produit au cours ou à la fin du temps imparti. Elle donne également un certain objectif à atteindre qui, par la contrainte, va pouvoir aider la productivité. D’autres structures n’imposent pas forcément de résultat particulier mais se mettent à disposition de l’artiste s’il a besoin de retour critique. Au sept cent quatre vingt trois, les ouvertures publiques, appelées « Les Temps de Regard sur la création » sont des rendez-vous hebdomadaires (les vendredis à 12h30) entre les compagnies accueillies et les spectateurs curieux. Ils sont alors imposés pour permettre au public, d’appréhender la réalité et la diversité de la création contemporaine, en dehors du cadre scénique. Des danseuses1

racontent qu’elles avaient été plutôt contentes que des personnes extérieures viennent voir leur création, en échange d’un retour constructif. Elles l’ont plus pris comme une chance que comme une contrainte. Pour Louise Doumerg, danseuse en service civique au 783 en janvier 2018, le retour sur la création est parfois un moment difficile. Elle raconte que c’est dur, pour certain danseur, de se retrouver face à un public qui n’a pas forcément d’avis à donner. Dans Les Fabriques, les ouvertures publiques sont appelées « Les jeudis de la Fabrique ». Ce sont alors des moments privilégiés permettant de rencontrer et de voir les artistes qui travaillent, répètent et finalisent leurs créations artistiques. Etant ouverte à de nombreuses formes d’art, on n’y retrouve pas forcément que de la danse. Au Centre Chorégraphique National de Nantes, il n’y a pas vraiment de temps défini, aux restitutions du processus de création. Ces dernières s’organisent souvent en fin de semaine et sont annoncées sur le site internet, comme la plupart des autres structures. Comme Les Fabriques, et à l’inverse du 783, la restitution ce fait plus dans un contexte de représentation car le lieu en offre les moyens (scène, estrade, et lumière parfois). Il permet alors au public de découvrir les œuvres en devenir. Accueillant six à huit compagnies émergentes par an, le CCNN propose en plus des résidences et des restitutions, des tutorats au regard artistique, ainsi que des conseils.

Partie II - Chapitre 3

(1) Entretien avec des danseuses de CIE DANA, en résidence au 783, octobre 2018

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Honolulu fait partie des lieux de résidence n’imposant pas de forme de représentation, aux artistes travaillant un projet de recherche ou de création. Loïc Touzé explique que la sélection des artistes se fait sur une affinité artistique. Il lui arrive donc souvent d’être sollicité, par son résident pour un avis ou des conseils. Bien que rien n’est imposé, quelques ouvertures publiques, sont parfois organisées à la demande de l’artiste. En plus de son accueil, Honolulu développe un projet de résidences croisées permettant, à un même artiste, d’être accueilli dans une autre structure en plus de la sienne. En faisant cela, le laboratoire essaye de pallier à l’écosystème, parfois précaire, pour la création chorégraphique. C’est aussi pour cette raison que le 783 n’accueille que des compagnies professionnelles. C’est important, pour eux, que les équipes qui viennent travailler dans leur lieu aient conscience qu’un travail de création artistique ne peut être détaché d’une conception économique. En venant, ils engagent l’argent de leur compagnie, et sont normalement rémunérés par elle. Les personnes qui dirigent et mènent le 783 ont expérimenté le quotidien des danseurs qui viennent travailler dans les studios. En connaissant la réalité des gens, ils savent à quel point on peut être perdu quand on est en création. Ils ont alors crée un lieu proposant plusieurs espaces communs, favorisant le lien social et l’entraide. Le lieu des Abeilles a, quant à lui, accueilli plusieurs résidences d’artistes ne tournant pas toutes, autour de la danse. Les résidences s’inscrivent souvent dans des événements plus larges de la ville. On peut par exemple parler de la dernière Digital- week en septembre 2018 qui a accueilli dans la « Salle des Machines », une danse de Joseph Léger, réinterprétant le geste ancien des métiers du chantier naval, retranscrite en direct, par le pinceau dansant de la calligraphe Ya Yu Lai. La salle n’a été alors que le lieu de diffusion du spectacle. Au contraire, la danseuse chorégraphe Emmanuelle Huynh y a fait une petite résidence d’une semaine dont le résultat des travaux a été exposé ensuite, dans un lieu plus reconnu culturellement dans la ville. La structure est alors trop récente pour y attribuer un fonctionnement permanent. On y voit les prémices d’un laboratoire du geste n’ayant pas encore trouvé de forme définitive, à l’inverse des autres lieux étudiés.

On observe un dynamisme réel en matière de recherche chorégraphique dans toute la région. Les institutions poussent l’émergence de solutions dans la coproduction de projet. Le paysage chorégraphique nantais montre l’envie de la ville de travailler la démarche participative et le dialogue citoyen, à l’endroit des professionnels, sur le champ culturel. Le changement de direction du Centre Chorégraphique National a alors été l’occasion de regarder plus précisément le monde de la danse par son diagnostic. Un nouveau cahier des charges a été rédigé afin d’en faire un lieu fédérateur et structurant du secteur chorégraphique local et régional. Des ponts se sont ainsi créés avec les différentes structures nantaises. On peut citer par exemple des passerelles entre le CCNN et l’opéra ainsi qu’avec le 783 ou Honolulu. De ces partenariats, naissent un meilleur soutien aux artistes et une certaine circulation. Ce qui est à l’œuvre à l’échelle de la ville l’est également à l’échelle du Grand Ouest. On a des liens qui se font avec le CNDC d’Angers ou avec le CCN de Rennes. Saint Nazaire bénéficie elle aussi d’une collaboration avec le CCNN dans une logique de non concurrence ou de coréalisation de projets. Il y a réellement l’ambition de créer un pôle fort de danse, dans tous le Grand Ouest qui peut être partagé, entres différentes villes. Les acteurs y sont engagés dans un processus

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