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(2) Loic Touzé, marche lente pendant la «Conférence-Action»

« TOI, TU DANSES OÙ ? ET AVEC QUI ? » Proposée par le Centre Chorégraphique National de Nantes et La Papeterie (1) Capture d’écran et photo montage de l’expérimentation au 2A avec mon partenaire de salsa

(3) Photos de l’expérimetation de nuit

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le contexte de la « conférence-action » « TOI, TU DANSES OÙ ? ET AVEC QUI ?» 1, Loïc

Touzé a proposé au groupe, d’aller d’un point A à un point B, en marchant le plus lentement possible. Ainsi, on a pu plus aisément, distinguer les bruits nous entourant, ressentir l’espace et être concentré sur le simple mouvement de la marche. C’était un moment à soi, fait en collectivité. L’organisme nous a donné des couvertures et des parapluies, au commencement de l’expérience. Pendant la marche, une pluie torrentielle est arrivée et m’a permis de me mettre, encore plus, dans ma bulle. Protégée par ce petit chapiteau transparent, je voyais, écoutais et percevais la densité de la pluie. Passées les deux premières minutes, elle n’était plus qu’un nouvel élément de l’environnement, dans lequel je me sentais extrêmement vivante. La marche lente et la pluie ont été ressenties, comme une pause, dans le temps. On peut se dire, que le danseur in situ, pourrait avoir une structure pratique, le protégeant des intempéries, qu’il pourrait enlever et remettre à sa guise. En plus du temps, il y a la lumière changeante de la journée qui peut influer sur la danse. Lors de mes précédentes interventions, j’ai pu être aveuglée par le soleil, ou en manquer, pour certains exercices, devant se servir des ombres. A DañsFabrik2, beaucoup me disaient vouloir de la lumière naturelle dans les studios, pour

pouvoir se rendre compte du temps qu’il faisait à l’extérieur. Dans la rue, le problème ne se pose qu’à la tombée de la nuit. Pratiquant des danses de couple, je vais souvent à des soirées nocturnes où un éclairage artificiel est obligatoire. Pour ce nouveau protocole, j’ai tenté d’être moi-même, source de lumière, pour éclairer dans le noir. J’ai aussi pris en compte, par la suite, qu’un espace mobile devrait pouvoir proposer de l’électricité et des systèmes, pouvant maintenir des projecteurs en hauteur. Pour ma dernière expérimentation, je me suis dit qu’il fallait que je vienne dessiner mon espace de danse de 10m par 10m pour le confronter à la ville. J’ai alors transposé le studio de danse à l’extérieur, pour expérimenter son impact, sur l’espace et sur les personnes, le fréquentant.

Pour le choix de ces lieux, j’ai dans un premier temps repéré tous les espaces de pratique de la danse à Nantes et j’ai tracé un périmètre d’un kilomètre autour (je n’ai pas pris en compte la danse dans les bars et les boites de nuit). Ainsi, en contournant ces lieux, j’ai pu choisir des espaces, éloignés de toute danse en studio. J’ai ainsi fait ressortir les rails à l’ouest de l’Ile de Nantes, prochesdes camps de roms. On retrouve également un parc d’enfants, proche de l’arrêt Clos Toreau du busway , au milieu des barres d’habitation. Et enfin, on a un terrain entre l’écluse, le pont de Tibilissi, et le stade Marcel Saupin. Tous ces lieux sont loin de toute forme de résidence d’artistes. En allant installer mon studio sur place, j’ai pu jauger les réactions d’un public non averti. Comme Anna Halprin lors de ces nombreux travaux, j’efface les barrières entre scène et public, j’invite chacun à prendre part à l’évènement, sortant la danse du studio pour l’emmener dans la rue. Grâce à son livre, Mouvement de vie3, j’ai

pu reprendre quelques-uns de ses exercices, pour les reproduire et les expérimenter, à ma façon. Ainsi, l’apprentissage où elle faisait se déshabiller ses élèves devant un public, a été transformé, en un exercice consistant à enlever ses vêtements lentement, en gardant le regard fixe sur quelque chose puis se rhabiller dans un même rythme. J’ai également réutilisé la fonte,

0uverture - Chapitre 3

(1) «Conférence-Action» On danse où aujourd’hui ? 25 mai 2018, sous la grue jaune

La question de l’espace public. Qu’est-ce qu’un lieu ? Comment l’appréhende-t-on ? Quelles valeurs a-t-il ?... TOUZÉ Loïc. Danseur et chorégraphe

(2) Entretien avec le Public de DansFabrik en mars 2018, sur la question du studio de danse (3) HALPRIN Anna. Mouvement de vie. Edition contredanse : Bruxelles, 2009

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apprise par Emmanuel Huynh, sur les différents sites, en exploitant bien, le point le plus haut du studio et celui le plus bas. Ainsi, j’ai pu me rendre compte de la hauteur du studio. De plus, j’ai épuisé les lieux en scandant les mots le définissant, qui est la réinterprétation d’un des exercices de l’atelier Présence. Et enfin, j’ai pris la mesure de la diagonale de chacun de mes studios (tous identiques en taille) par le déroulement d’un fil imaginaire, ayant beaucoup fonctionné dans mes anciennes expérimentations. Pour la mise en place du protocole, je l’ai d’abord essayé dans le parc d’enfant, puis sur l’écluse pour finir à l’est de l’ile de Nantes, sur les rails. Je vais alors vous racontez cette dernière expérience.

En arrivant sur le site, j’ai choisi d’être proche des camps de roms, tout en étant cachée, par une ancienne bâtisse. La carcasse d’une voiture dépecée, gisant devant, pouvait être incluse dans mon studio. Pendant que je l’installais, plusieurs femmes du camp sont venues à ma rencontre me demandant ce que je faisais. Elles m’ont proposé d’appeler les hommes, pour m’aider à porter les portes présentes sur place, afin d’en faire des délimitations. Elles m’ont également offert la possibilité d’installer mon studio, au sein même du camp. Sachant que je devais enlever des vêtements, j’ai refusé poliment, mais je leur ai proposé, en revanche de rester, pendant l’expérimentation. L’installation du studio, prenant du temps, elles sont parties, au fur et à mesure. Avec les nombreux déchets présents sur place, j’ai pu délimiter facilement mon studio, en ajoutant de plus à la bombe, un marquage jaune, au sol. Pendant que je peignais sur le sol, deux fillettes m’ont rejointe et m’ont demandé ce que je faisais. Comme j’avais terminé la construction, je leur ai proposé de danser avec moi, au sein du nouveau studio. Elles se sont alors inquiétées que les garçons ou le chef du camp les voient car leur culture demande une grande pudeur et réserve chez les femmes, à l’égard des hommes. Je les ai rassurées en leur disant que la bâtisse nous cachait d’eux. Etant encore un peu réticentes, j’ai commencé mes exercices sous leurs regards intrigués. C’est une fois que je me suis déshabillée puis rhabillée qu’elles sont venues me rejoindre. L’une d’elle a bien voulu danser avec moi, mais seulement si je me remettais en justaucorps car elle trouvait très drôle et sans doute gênant que je sois si peu vêtue, dans un tel endroit. Le fait que mon accoutrement et mes gestes dénotent, par rapport au lieu, a suffi par la convaincre de danser. Je me suis alors redéshabillée et on a dansé toutes les deux, pendant une dizaine de minutes. L’autre petite fille était dans l’enceinte du studio, mais seulement dans le rôle d’une observatrice /spectatrice. Au moment de scander les mots définissant le site, les deux enfants m’ont aidée à trouver de nouveaux mots. J’ai fait durer l’exercice et les ai incitées à chercher au plus profond d’elles-mêmes, des adjectifs définissant leur habitat. L’expérience a été extrêmement riche puisque j’ai pu me rendre réellement compte, ici, de l’importance de la matérialité du studio. Si j’avais dansé sur la totalité des rails, personne ne serait venu à ma rencontre. Ici, en construisant un espace, j’ai attisé la curiosité. Le fait d’être cachée, était également très bénéfique, pour ce genre de population où le regard de l’autre est encore plus important que d’ordinaire. Au milieu des hommes, on n’aurait sans doute pas eu le même échange… Voulant remettre l’espace, à l’état initial, les petites filles m’ont alors dit de le laisser comme ça, afin qu’elle puisse jouer dedans. La trace du passage de la danse est alors une nouvelle question à se poser mais qui restera pour l’instant en suspens.

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