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De l’utilité de la compréhension des concepts d’anthropocène numérique et de moments historique décisif : le siècle de la surveillance diffuse

Introduction générale

Paragraphe 2: De l’utilité de la compréhension des concepts d’anthropocène numérique et de moments historique décisif : le siècle de la surveillance diffuse

13. Le siècle de la surveillance diffuse doit être analysé comme un moment historique décisif (B). La surveillance se fonde sur une philosophie nouvelle: la collecte de toujours plus d’informations et de données personnelles (ou non) sur les individus (A). L’enjeu du siècle de la surveillance réside dans la protection de la vie privée et des données personnelles.

CONSTANT Benjamin, De la liberté des anciens comparées à celle des modernes, Discours prononcé à l’Athénée

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r o y a l d e P a r i s , 1 8 1 9 , E n l i g n e : h t t p : / / e t i e n n e . c h o u a r d . f r e e . f r / E u r o p e / D o c u m e n t s _ c o n f e r e n c e s / Constant_Benjamin_Liberte_anciens_modernes_1819.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

A. La philosophie de la surveillance diffuse

14. La collecte de toujours plus d'informations et de données sur les individus pourrait parfaitement illustrer la nouvelle philosophie de l'ère du numérique. Dans chaque secteur de notre vie, les technologies de l'information et de la communication se sont immiscées. De la protection de l'ordre public des États par l'installation de caméra de surveillance, à l'utilisation de plus en plus massive d'Internet, en passant par la domotique, les objets connectés, le cloud computing , et les 39

Smart City, les technologies sont partout et sont présentées comme essentielles à notre vie.

15. Dans un univers d'interconnexion et de croisement des données, l'individu s'est, progressivement, mis à nu au bénéfice de différents acteurs dont les rôles dans l'acquisition des données semblent se rejoindre. Entre la sécurisation de la société et l'aspect économique des données personnelles, la vie privée, ou plutôt la conquête de la vie privée des individus devient un véritable enjeu dans lequel se sont lancées les multinationales du net, les États, et l’individu totalement conquis par les bienfaits des technologies. De nouvelles avancées technologiques et de nouveaux intérêts dans le mode de traitement des données sont apparues : Big Data , Data 40

La définition de la notion de cloud computing a été permise grâce à une consultation publique lancée par la

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Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés française ouverte entre octobre et décembre 2011. Selon les conclusions de cette consultation publique, la CNIL a déclaré que: « l'expression « informatique en nuage » ou « Cloud

computing » désigne le déport vers « le nuage Internet » de données et d'applications qui auparavant étaient situées sur les serveurs et ordinateurs des sociétés, des organisations ou des particuliers. Le modèle économique associé s'apparente à la location de ressources informatiques avec une facturation en fonction de la consommation » (définition

disponible sur le site de la CNIL à l'adresse suivante: http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/cloud-computing-les-conseils-de-la-cnil-pour-les-entreprises-qui-utilisent-ces-nouveaux-services/ (dernière consultation: 5 mars 2018)). A la lecture de la synthèse des réponses à la consultation publique sur le Cloud et des recommandations pour les entreprises qui envisagent de souscrire à de tels services, l'analyse de la CNIL se précise. Il peut se définir comme un mécanisme de sous-traitance informatique, comportant en particulier : un service rendu au client sur base de ressources et d'équipements dont le client peut ignorer la localisation précise ; et un service fourni et facturé à la demande, capable de s'adapter immédiatement à l'évolution des besoins du client. Voir en ce sens: http://www.cnil.fr/ f i l e a d m i n / i m a g e s / l a _ c n i l / a c t u a l i t e / Synthese_des_reponses_a_la_consultation_publique_sur_le_Cloud_et_analyse_de_la_CNIL.pdf et concernant les recommandations pour les entreprises qui envisagent de souscrire à des services de Cloud computing: http:// w w w . c n i l . f r / f i l e a d m i n / i m a g e s / l a _ c n i l / a c t u a l i t e / Recommandations_pour_les_entreprises_qui_envisagent_de_souscrire_a_des_services_de_Cloud.pdf (dernière consultation de ces deux sites: 5 mars 2018)

Le Big Data n'a pas encore réellement de définition. La CNIL française évoque un concept « encore flou et difficile à

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synthétiser » (in. Les cahiers IP, Innovation et prospective n°1, Vie privée à l'Horizon 2020, Paroles d'expert, CNIL , Direction des Études, de l'Innovation et de la Prospective, 2012, p.18). Il pourrait néanmoins être analysé comme « un

ensemble de technologies et de méthodes consistant à analyser, à des fins généralement prédictives, le flot de données produites par les entreprises, les organisations, et les individus, mais aussi les objets s'ils sont connectés, dans des volumes et à une vitesse sans précédent ; (…), et qui engloberait les mails, SMS, photos, vidéos, commentaires ou changements de statuts sur les réseaux sociaux, sessions de connexion, relevés d'étiquettes ou de capteurs électroniques, signaux de géolocalisation, …, envoyés à foison chaque minute partout dans le monde ». (définition

envisagée par Delphine Cuny, auteur de l'article : Big Data is Big Business vraiment, in La tribune, le 3 avril 2013, En ligne: http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/20130403trib000757290/-big-data-is-big-business.-vraiment-.html (dernière consultation: 5 mars 2018)

Mining , Open Data sont autant de nouvelles notions qui attestent de l'intérêt grandissant de 41 42

différents protagonistes à l'égard de la Data, de la donnée, de l'information et des traces que les individus laissent parfois inconsciemment dans la société numérisée. La donnée personnelle et la vie privée deviennent un véritable enjeu de la civilisation de la surveillance diffuse, et sont comparées à un « nouvel or noir » : la donnée personnelle, la vie privée, les données publiques, 43

les données liées aux objets connectées sont devenues, comme le pétrole, une ressource naturelle susceptible de transformation, mais également et surtout susceptible d'exploitation. Cette ressource est même qualifiée de ferment d'une nouvelle révolution industrielle . Pour autant, cette métaphore 44

est dangereuse. Les données ne sont pas produites par la nature. « Elles s'articulent d'une manière ou d'une autre au réel, dont elles sont la trace, le symbole ou l'empreinte. Un réel qui peut parfois même être le fort intérieur de l'individu, inaliénable et incessible... Elles sont parfois extraites (comme le pétrole), mais le plus souvent produites et échangées librement par les individus. Ce ne sont pas des ressources rares. Non seulement elles ne s'usent pas quand on les utilise, mais elles prennent sans doute même de la valeur ». Dans une société où finalement tout peut faire l'objet 45

d'une numérisation, et où la surveillance insidieuse des activités de l'individu se diffuse de plus en plus, l'exploitation des données devient pour les acteurs publics et privés, qui se cachent derrière cette métaphore, un véritable enjeu de pouvoir, économique, stratégique et politique.

16. L’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme énonce que

« toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa

Le Data Mining peut se définir comme étant de l'exploration de données, du forage de données, de la prospection de

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données ou encore de l'extraction de connaissance à partir de données.

Données numériques ouvertes qui peuvent être d'origine publique ou privée, mise à la disposition du plus grand

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nombre selon une méthodologie spécifique. Le mouvement de l'Open Data est lié à des considérations philosophiques et idéologiques selon lequel l'intérêt public exige l'accès et/ou la publication de données gratuitement.

De nombreux articles de presse ont récemment été publiés avec cette comparaison entre les données et le pétrole…

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Déjà dans son article précité, Delphine Cuny employait cette métaphore. On pourra également cité : un article de Perry Rotella, paru dans le magazine Forbes, le 4 février 2012 : Is Data the new oil ?, ou encore un dossier paru sur le site de l'inria intitulé Data, le nouvel or noir ?, avec un article de Stéphane Grumbach et Stéphane Frénot intitulé les données,

plus importantes que le pétrole, En ligne: http://www.inriality.fr/communication/data/donnees/data-le-nouvel-or/

(dernière consultation 5 mars 2018)

Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et

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au Comité des régions du 2 juillet 2014, Vers une économie de la donnée prospère, Com (2014), 442 final, p. 2. En ligne: http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2014/FR/1-2014-442-FR-F1-1.Pdf (dernière consultation: 5 mars 2018). On pourra également citer l'avis du Comité économique et social européen sur la communication au Parlement

européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions – Vers une économie de la donnée prospère, Com (2014), 4442 final, 2915/C 242/11, paru au JOCE le 23 juillet 2015, C 242/61, En ligne: http://

eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.C_.2015.242.01.0061.01.FRA&toc=OJ:C:2015:242:TOC (dernière consultation: 5 mars 2018)

VERDIER Henri, Non les données ne sont pas du pétrole, blog en ligne, article disponible à l'adresse suivante : http://

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correspondance ». La Convention est considérée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme « comme un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelle ». Cette 46

interprétation dynamique et évolutive s'applique à l'article 8. De sorte que le champ de protection de cet article couvre, à l'heure actuelle, des domaines extrêmement variés, ce qui a contribué à en diluer la signification au point que le droit à la vie privée et familiale (par exemple) a pu être qualifiée de « concept gigogne »: droit à l'intimité, droit à la vie privée sociale, protection des 47

opinions, droit de vivre dans un environnement sain, droit à la santé, droit des membres des minorités à un mode de vie traditionnel, droit à connaître ses origines, liberté de vie sexuelle, droit au changement d'identité sexuelle, en passant par l'informatique et les données personnelle. Le droit au respect de la vie privée est ainsi un droit dynamique qui tente de prendre en compte l'évolution des conditions de vie actuelles, liée à l'informatisation de la société, et aux défis posés par la modernité technologique. Un exemple de cette dynamique apparaîtra dans la tentative de prise en compte des défis posés par la surveillance dans la proposition de règlement général de protection des données , puis dans sa version définitive . 48 49

17. La notion de vie privée est au cœur de la surveillance diffuse. Elle représente également l’enjeu de la nouvelle réglementation européenne. Il apparaît légitime de questionner le sens de la vie privée aujourd’hui, alors même que les intérêts des acteurs de la surveillance de la vie privée des individus convergent. Les instruments légaux de protection de la vie privée qui existent et ceux que l'on élabore sont-ils réellement efficaces face au phénomène de surveillance diffuse ? Ces questionnements, objets d'une interrogation plus vaste, pourraient se résumer ainsi : la surveillance diffuse, liée à l'utilisation de toujours plus de technologies et la collecte de toujours plus de données, est-elle réellement prise en compte dans l'évolution de la notion juridique de vie privée ? Et si tel est

Voir par exemple l'arrêt de la Cour Européenne des droits de l'Homme n° 5856/72, 25 avril 1978, Tyrer contre

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Royaume-uni, par. 31, ou encore l'arrêt de la Cour Européenne des droits de l'Homme n° 15318/89, 23 mars 1995, Loizidou contre Turquie, par. 71

SUDRE Frédéric, « Rapport introductif : la « construction » par le juge européen du droit au respect de la vie

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familiale », SUDRE Frédéric (dir.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des

droits de l'Homme : actes du colloque des 22 et 23 mars 2002 organisé par l'Institut de droit européen des droits de l'Homme (UMR-CNRS 5415), Faculté de droit de l'Université Montpellier I, Bruylant : Nemesis, Bruxelles, 2005, p. 27

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2012 relatif à la protection des

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personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

COM (2012) 11 final, Non publiée au JOCE. En ligne: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/? uri=CELEX:52012PC0011&from=FR (dernière consultation: 5 mars 2018)

Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, Règlement relatif à la protection

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des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), JOUE L 119 du 4 Mai

2016, P;1 - 88, En ligne: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R0679&from=FR (dernière consultation: 5 mars 2018)

le cas, l'est-elle pour la préserver, la limiter ou la circonvenir ? La volonté première de cette thèse est de montrer que la surveillance qui évolue de manière autonome, ne peut se résumer à une simple prise en compte de telle ou telle mise en place technologique, de tel ou tel cadre juridique pour telle ou telle utilisation technologique dans tel ou tel lieu. La surveillance est bien un phénomène, et en tant que tel, elle devrait relever d'un cadre juridique clair. Cadre juridique qui devra, au vu des possibilités offertes par la surveillance technicisée (violation possible de la vie privée, captation de toujours plus de données…), prendre en compte les caractéristiques de la surveillance diffuse. Pour le dire autrement, le fondement de tout cadre juridique de la surveillance doit intégrer réellement les droits de l'homme, le droit au respect de la vie privée.

B. La surveillance diffuse:le nouvel ethos de la civilisation contemporaine

18. Pour la communauté internationnale, il faudrait prendre acte aujourd’hui d’une modification sociale. Nous serions passés d’une société qui prônait l’accès à la connaissance et à l’information à une société de surveillance . Si cette expression reflète un changement de paradigme, il faut s’en 50

détacher. L’expression « société de surveillance » ne permet pas de rendre compte de la réalité sociale, et de l’incorportation progressive de nouvelles technologies dans nos sociétés.

19. Dès l’introduction de son ouvrage consacré à la surveillance globale, Eric Sadin évoque un « moment historique décisif », puisque « notre période est caractérisée par une accélération sans 51

précédent de l’histoire de la technique, dont les effets sont particulièrement sensibles au prisme de quatre événements majeurs: 1/ extension ininterrompue du numérique; 2/ développement des réseaux de télécommunications; 3/ essor des nanotechnologies; 4/ recherches liées aux biotechnologies et aux manipulations génétiques ». Plus loin, l’auteur poursuit son analyse en 52

identifiant les éléments techniques et humains correspondants à ces événements, à ce « bouillon de culture »: « généralisation de l’interconnexion, de la géolocalisation, de la vidéosurveillance; constitution de bases de données; développement de la biométrie, de logiciels d’analyses

A titre d’exemple: le 85ème congrès de la ligue des droits de l’Homme de 2009 est consacré à la « société de

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surveillance ». Ligue des Droits de l’Homme, Résolution adoptée lors du 85ème congrès de la LDH - Société de surveillance, vie privée et libertés, En ligne: http://www.ldh-france.org/IMG/pdf/Resolution_Societe_de_surveillance_-_85eme_congres__def_.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018). Il est également nécessaire d’évoquer la 27 ème rapport d’activités de la CNIL de 2006 qui lance dès ses premières pages une « alerte à la société de surveillance »: CNIL, 27ème Rapport d’activités, 2006, La documentation française, En ligne: http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ var/storage/rapports-publics/074000422.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

SADIN Eric, Op. Cit. p. 7

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Ibid.

comportementales; miniaturisation des dispositifs; présence de plus en plus fréquente de capteurs et d’étiquettes radio (RFID); menace terroriste; agressivité marketing ». Ces éléments de lecture 53

du phénomène de surveillance doivent être mis en lumière.

20. Selon les géologues, nous sommes en effet entrés dans une nouvelle ère: celle de l’Anthropocène. Cette ère géologique correspond à l’époque durant laquelle l’action humaine sur l’environnement a été telle que son impact a été à la fois significatif et dramatique pour l’écosystème. Bien qu’il y ait actuellement encore des débats au plan international sur la détermination du début de cette nouvelle ère, les géologues semblent arriver à un consensus selon lequel l’Anthropocène a commencé au milieu du 20 ème siècle, c’est-à-dire lors d’une mutation de la révolution industrielle. Dans cette nouvelle ère, « l’homme est le facteur d’une dispersion sur tous les continents de certaines espèces animales et végétales, il en oriente l’évolution génétique, il est devenu le « top prédateur » sur terre et sur mer et les technologies qu’il a inventées marquent désormais la biosphère terrestre ». L’Anthropocène correspond donc à l’âge où le monde est saisi 54

dans son intégralité par le Progrès, la science et la technique. En ce sens, il s’inscrit parfaitement dans ce que Mireille Delmas-Marty envisage sous ce concept : « la force tellurique des humains » 55

devant nécessairement faire appel « aux forces imaginantes du droit ». En 1943, Bernard Charbonneau avait, quant à lui, qualifié ce phénomène de « Grande Mue » de l’humanité. Il 56

évoquait alors sa « conscience d’un grand changement ». Rappelant que « depuis deux siècles, le 57

destin tourne. Ce n’est pas la civilisation seule qui change de base, c’est la société, c’est l’être humain dans ce qu’il a de plus intérieur. Présente à toutes les révolutions du passé qui pourtant étaient loin d’engager l’essentiel comme la crise actuelle, la conscience humaine défaille

Ibid.

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CHAUVEAU Loïc, Les géologues du monde entier sont à la recherche du clou d’or, Sciences et avenir, 1er

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Septembre 2016, En ligne: https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/geologie/les-geologues-du-monde-entier-sont-a-la-recherche-du-clou-d-or_104313 (dernière consultation: 5 mars 2018)

DELMAS-MARTY Mireille, Aux quatre vents du monde Op. Cit., p 15 et s.

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Charbonneau a écrit à plusieurs reprises à propos de ce qu’il qualifie de « Grande mue ». Nous retiendrons

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principalement cette citation: « En 1930 la nature était immuable, en 1960 il est non moins sûr qu’il n’y en a pas ; mais

dans les deux cas la plus grande aventure humaine de tous les temps ne met pas l’homme en cause, et il n’a pas à intervenir. La croissance technique et économique indéfinie est à la fois le fait et le dogme fondamental de notre temps, comme l’immutabilité d’un ordre à la fois naturel et divin fut celui de passé. La grande mue qui travaille les sociétés industrielles, et les autres à leur suite, est à la fois la réalité immédiate que nous pouvons appréhender dans le quotidien de notre vie et le moteur profond d’une Histoire que religions et idéologies s’époumonent à suivre ; chacun l’expérimente à chaque instant, et pourtant, par delà classes et frontières, elle met en jeu l’humanité », in.

CHARBONNEAU Bernard, Le système et le chaos – où va notre société ?, préface de Daniel Cérézuelle, Éditions

Sang de la terre – Medial, Collection La pensée écologique, 2012, 1973, p. 10.

CHARBONNEAU Bernard, Pan se meurt , « explication au lecteur », 1943; devenu Le Jardin de Babylone, Editions

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aujourd’hui devant l’immensité de l’effort. Les glorifiant sous le nom de progrès, ou les subissant sous le nom de fatalité, l’homme s’abandonne aux avatars du devenir. Il fait pire. Il prétend appeler sens ce qui n’est que l’accident d’une évolution, et il travaille de toutes ses forces à accélérer la vitesse du mouvement qui l’entraîne. Non seulement il dénie à la pensée le droit d’orienter ce qu’il appelle l’action, mais il rejette avec horreur tout examen de celle-ci par la connaissance. Il n’est que la chose du courant brutal qui l’entraîne ». Plus récemment, en 2015, Bernard Stiegler 58

affirmait que « l’ère de l’Anthropocène, c’est l’ère du capitalisme industriel au sein duquel le calcul prévaut sur tout autre critère de décision et où, devenant algorithmique et machinique, il se concrétise et se matérialise comme automatisme logique, et constitue ainsi précisément l’avénement du nihilisme comme société computationnelle devenant automatique, téléguidée et télécommandée ». 59

21. Par le recours à la notion d’Anthropocène, et par ces citations, on parvient à mieux comprendre le « moment historique décisif » dans lequel nous vivons actuellement. Pour reprendre les termes de Stiegler, l’ère dans laquelle nous vivons repose sur l’édification d’une société « automatique », aidée par le capitalisme. Dans cette conception, la surveillance ne peut alors que 60

devenir l’outil incontournable de « l’automatisme logique algorithmique », de l’ère du calcul, de la prévision et de la prévention. Plus globalement, la surveillance s’est construite par un ajout permanent de (sur) couches et d’usages technologiques différents engendrant la traçabilité des individus, et la normalisation de leurs comportements , et permettant ainsi une forme 61