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Des mythes littéraires qui entourent le phénomène de surveillance

Introduction générale

Paragraphe 1: Des mythes littéraires qui entourent le phénomène de surveillance

24. L’un des points de départ de cette analyse concernant la nécessité de réactiver les mythes littéraires, les oeuvres de science-fiction qui entourent le concept de surveillance a été la lecture attentive d’un livre écrit par Neil Postman, intitulé « se distraire à en mourir ». Alors qu’il 68

réactive « l’avertissement de Huxley » et le compare aux prophéties d’Orwell (A), l’auteur 69

cherche à démontrer la difficulté de s’opposer à une tyrannie douce, à la lente édification d’un meilleur des mondes devenu réalité. La surveillance diffuse ne peut être comprise sans ce détour nécessaire. Ceux qui élèvent la voix actuellement pour démontrer ce problème sont catégorisés comme des paranoïaques, des fous, se situant dans le sillage des théoriciens du complot . Or, par 70

bien des aspects, la surveillance diffuse met en cause les fondements du Droit, de la démocratie, d’une vie en société libre. De là, un autre mythe littéraire semble devoir être activé: celui de l’oeuvre de Kafka, et de sa démonstration permanente de la disparition progressive du Droit (B).

A. Les « prophéties » de Georges Orwell et de Aldous Huxley : « 1984 » Versus « Le meilleur des mondes »

25. La prise en compte de ces deux ouvrages de science-fiction dans le cadre de l’analyse de la surveillance ne relève pas d’un passage obligé. En effet, dans le cadre de cette analyse, la surveillance diffuse ne doit pas être envisagée comme une simple activation de la figure d’un « Big Brother ». Il faut au contraire se détacher à tout prix de cette image fausse, puisque ne traduisant 71

pas la réalité de la société contemporaine. Bien que cette figure d’un Big Brother omniscient ne soit

POSTMAN Neil, Se distraire à en mourir, Traduit de l’américain par Thérèsa de Chérisey, Préface de Michel Rocard,

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Editions Fayard, Collection Pluriel, 2010.

Ibid. p. 231 - 242. Pour une compréhension rapide de cet avertissement, voir l’excellente illustration de ce dernier en

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bande dessinée réalisée par Stuart Mc Millan et traduit par Jessica Aubin, en mai 2009, MC MILLAN Stuart; Se

distraire à en mourir - BD: Aldous Huxley & George Orwell par Neil Postman, traduction Jessica Aubin, Mai 2009, En

ligne: http://partage-le.com/2016/08/se-distraire-a-en-mourir-bd-huxley-orwell-par-neil-postman/ (dernière consultation: 5 mars 2018)

Postman écrit d’ailleurs à ce propos que: « ceux qui évoquent ce problème doivent élever la voix au risque de paraître

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hystériques et de se voir accuser d’empoisonner le monde », Ibid. p. 232. Un autre ouvrage paru récemment opère la

même conclusion: « c’est un sentiment diffus, presque imperceptible, et que nous sommes de plus en plus nombreux à

partager. Comme ce petit caillou dans la chaussure, qui ne blesse pas mais dont la présence se rappelle sans cesse à nous, et que les Romains appelaient « scrupule ». Un sentiment qu’on évite de partager pour n’être pas aussitôt rangé dans la catégorie des complotantes ou des paranoïaques. Le sentiment que, par bien des aspects, nous ne sommes plus tout à fait dans ce qu’on peut appeler un régime démocratique » in. POLONY Natacha &Le Comité Orwell, Bienvenue dans le PIRE DES MONDES - Le triomphe du soft totalitarisme, Editions Plon, Paris, 2016, p. 8.

ORWELL George, 1984, Traduit de l’anglais par Amélie Audiberti, Folio, Gallimard, 2003,

pas représentatif de la réalité, l’ouvrage d’Orwell et celui de Huxley traduisent d’un lien palpable entre le droit et la littérature. Ainsi que le rappelle François Ost, « tout se passe comme si, parmi toute la gamme des scénarios qu’imagine la fiction, la société sélectionnait une intrigue type qu’elle normalisait ensuite sous forme de règle impérative assortie de sanctions ». De l’adage 72

« ex facto ius oritur », on passerait progressivement à l’adage « ex fabula ius oritur » . Cette 73 74

hypothèse se vérifie pleinement avec le concept de surveillance, sa normalisation , sa 75

banalisation . 76

26. L’introduction de l’ouvrage de Neil Postman précité s’inscrit dans la vérification de cette hypothèse. L’auteur écrit ainsi: « Orwell craignait ceux qui interdisaient les livres. Huxley redoutait qu’il n’y ait même plus besoin d’interdire les livres car plus personne n’aurait envie d’en lire. Orwell craignait ceux qui nous priveraient de l’information. Huxley redoutait qu’on ne nous en abreuve au point que nous en soyons réduis à la passivité et à l’égoïsme. Orwell craignait qu’on ne nous cache la vérité. Huxley redoutait que la vérité ne soit noyée dans un océan d’insignifiantes. Orwell craignait que notre culture ne soit prisonnière. Huxley redoutait que notre culture ne devienne triviale, seulement préoccupait de fadaises. Car, comme le faisait remarquer Huxley dans Brave New World Revisited, les défenseurs des libertés et de la raison, qui sont toujours en alerte pour s’opposer à la tyrannie, « ne tiennent pas compte de cet appétit quasi insatiable de l’homme pour les distractions ». Dans 1984, ajoutait Huxley, le contrôle des gens s’exerce en leur infligeant des punitions; dans Le Meilleur des Mondes, il s’exerce en leur infligeant du plaisir. En bref, Orwell craignait que ce que nous haïssons ne nous détruise; Huxley redoutait que cette destruction ne nous vienne plutôt de ce que nous aimons. Le thème de cet ouvrage repose sur l’idée que Huxley avait vu plus juste qu’Orwell ». Ce retour à la fiction permet à l’auteur, dans le cadre de son 77

analyse, de critiquer avec vigueur nos sociétés modernes « désenchantées », entièrement tournées 78

vers le divertissement, la consommation d’information, de culture, voire plus globalement de

OST François, Raconter la loi - Aux sources de l’imaginaire juridique, Odile Jacob, 2004, p. 30

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Ibid. (le droit tire son origine du fait)

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Ibid. (c’est du récit que sort le droit)

74

Voir en ce sens Infra Partie 1, Titre 1.

75

Voir en ce sens Infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Paragraphe 2.

76

POSTMAN Neil, Op. Cit., p. 14

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Nous empruntons ce terme à Max Weber, qui, dans le cadre d’une critique de la modernité, déclarait que cette

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dernière conduisait au désenchantement du monde. (Voir en ce sens infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, Paragraphe 1).

distraction . 79

27. Ce premier point d’analyse, dans la réactivation de ces deux fictions, permet de comprendre qu’il est fondamental de placer l’individu au centre de l’analyse de la surveillance diffuse. Ainsi que le rappelait Aldous Huxley dans la préface de son ouvrage, le meilleur des mondes, « le thème du Meilleur des mondes n’est pas le progrès de la science en tant que tel; c'est le progrès de la science en tant qu’il affecte les individus humains ». La vision anthropologique de la surveillance permet, 80

d’une part, d’analyser l’individu comme participant pleinement, de manière consciente ou non, à la diffusion de cette dernière . Ainsi que le démontre fort justement Postman, nous sommes entrés 81

dans une civilisation qui correspond à la vision décrite par Huxley: un meilleur des mondes dominé par la Science, la technique, les technologies de l’information et de la communication; plus globalement un monde dominé par la croyance dans le Progrès scientifique et technologique. Le citoyen, les individus transformés en consommateur d’informations, de culture, de divertissement tendent alors à consommer toujours plus de technologies de l’information et de la communication.

28. Deux idées clés sont à la source de nos sociétés modernes et expliquent la diffusion de la surveillance. L’économie du numérique, qui a permis à la surveillance diffuse de naître, est fondée sur une logique d’offres permanentes, sans cesse renouvelées, et de création de nouvelles demandes, de nouveaux besoins . Placé dans une position de consommateur, l’individu doit consommer 82

toujours plus de technologies. Ainsi, quand un individu accepte un nouveau dispositif socio-technique - caméra, smartphone, puce RFID, carte de fidélité - , ou un nouvel usage de ces

Ces éléments font l’objet d’un vaste questionnement concernant la relation de l’individu avec son milieu social

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technicisé. Nous démontrerons que l’individu s’est adapté à la diffusion de la surveillance en l’embrassant pleinement. Passant d’un homo-numericus fasciné par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’individu devient progressivement un citoyen-consommateur de surveillance, ou pour reprendre les termes d’Hannah Arendt, un philistin cultivé, numérisé, et narcissique. (Voir infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, Paragraphe 2.

HUXLEY Aldous, Le meilleur des mondes, Cooltour, 25 avril 2015, p. 8

80

Voir Infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 2

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Le numérique augmente en effet la vitesse de réaction de son économie, offre et demande se produisent

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concurremment par et pour le numérique. Pour illustrer le propos, on notera les propos de Nicolas Curien et Eric Brousseau qui notaient en 2001 que: « l'économie propre au « système » Internet, en suscitant des relations et des

coordinations originales entre les agents économiques et les acteurs sociaux, agit comme un catalyseur de mutations dans la structure des marchés et celle des hiérarchies, synthétisant - comme dans un laboratoire - le modèle d'une future économie numérique en cours de gestation » in. BROUSSEAU Eric, CURIEN Nicolas, Introduction: Economie d’Internet, Economie du numérique, Revue économique, Numéros Hors-série 2001, Economie de l’Internet, pp. 7 - 36,

En ligne: http://www.persee.fr/docAsPDF/reco_0035-2764_2001_hos_52_1_410273.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

dispositifs - de la simple recherche sur Internet, au quantified self - , cela force d’autres personnes 83

à accepter ces mêmes usages. L’illustration de ce propos par l’usage exponentiel des réseaux sociaux, devenu effet de mode, il y a une dizaine d’année est assez frappant de réalité. L’exemple plus récent de l’installation de l’application Pokemon Go témoigne lui aussi de cet effet de mode cyclique que porte en son sein le progrès, la technique, les technologies de l’information et de la communication. De ces usages nouveaux, ou de cette nouvelle offre du marché du numérique, découlent une conséquence qui sert la surveillance diffuse. A partir du moment où ces nouveaux usages s’ancrent dans la société, et donc, à partir du moment où les usagers - consommateurs acceptent de dévoiler leurs données personnelles, leurs informations, alors le fait de ne pas dévoiler les siennes, de ne pas participer à cette mode devient sujet à critique, et est même considéré comme anormal. Il n’est pas rare d’entendre des propos empreints de critiques sur l’absence d’usage des réseaux sociaux, ou encore d’applications de remise en forme, de mesure de son activité sportive qui elles-mêmes engendrent offre de nouveaux capteurs, et demande de toujours plus d’informations techniques ou personnelles.

29. D’autre part, à travers son analyse, Postman décrit un individu totalement tourné vers la distraction, le divertissement. Il met en opposition Orwell et Huxley sur la notion de contrôle social organisé pour l’un autour de la punition; pour le second, autour du plaisir. N’est ce pas là la description de nos sociétés contemporaines? Le plaisir procuré par les usages technologiques, le confort, ou la sécurité qu’ils permettent, tendent à éluder la dangerosité potentielle de ces dispositifs en terme de libertés, de vie en société, de démocratie. Notons à titre d’illustration, l’absence de réactions, voire de révoltes réelles face à « la grande surveillance », « la globalisation de la 84

La CNIL française propose l'explication suivante pour tenter d'appréhender la notion du quantified self . « En

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Français, on a tendance à traduire quantified self par « auto-mesure de soi ». L’élaboration d’un « soi » commensurable car « chiffré », renvoie bien à l’obsession contemporaine pour une objectivité qui passe par la mise en nombres. Pourtant, la quantification et la mesure sont deux idées très différentes. Comme l’expliquait Alain Desrosières, quantifier consiste à « exprimer et faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était exprimé par des mots et non par des nombres » alors que « l’idée de mesure implique que quelque chose existe sous une forme déjà mesurable (...) comme la hauteur de la Tour Eiffel ». La « bonne santé », la « bonne humeur », ne sont pas des choses qui se laissent facilement « mesurer » indépendamment de conventions d’équivalences préalablement définies. Le phénomène du quantified self relève d’une démarche non pas de mesure mais de quantification continue, en temps réel, – contribuant à la production sociale de normes de comportements, de performance et de santé, éminemment évolutives... et permettant la visualisation et, éventuellement, la mise en comparaison de leurs progrès respectifs par les utilisateurs reliés directement à l’Internet à travers les capteurs qui les « quantifient ». in. CNIL,

Cahiers IP n°02, Le corps, nouvel objet connecté – Du quantified self à la M-Santé : les nouveaux territoires de la mise

en données du monde, CNIL, Mai 2014, p. 4, En ligne: http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/La_CNIL/publications/

DEIP/CNIL_CAHIERS_IP2_WEB.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

VADROT Claude-Marie, La grande surveillance - Caméras, ADN, portables, Internet…, Collection L’Histoire

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surveillance », ou encore à l’avènement d’une « société de surveillance ». Pour exemple, on 85 86

aurait pu penser que les révélations d’Edward Snowden quant aux programmes de surveillance mis en place par des agences gouvernementales américaines auraient amené de vives réactions de la part des citoyens, des individus. Ce n’est pas le cas . Hormis quelques initiatives isolées , l’ampleur 87 88

des problématiques posées en terme de liberté, et ce qu’elles traduisent des sociétés contemporaines en terme de démocratie, d’Etat de Droit, est totalement éludé. Par l’omniprésence médiatique de la lutte contre le terrorisme, de la sécurité, les questionnements sous-jacents liés à la surveillance de masse organisée par les Etats-Unis en collectant d’innombrables données sur des citoyens ordinaires du monde entier sont mises au rebut. Pire encore, les gouvernements s’efforcent de détourner 89

l’attention des citoyens des vrais problématiques en attirant l’attention sur la trahison de ces lanceurs d’alerte.

30. Ces éléments, concernant la vision anthropologique de la surveillance diffuse, font des individus des « Little brother » candide. Du « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes 90

MATTELART Armand, La globalisation de la surveillance - Aux origines de l’ordre sécuritaire, Editions la

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découverte, 2007

Conférence Internationale des commissaires à la protection des données personnelles et à la vie privée, Communiqué

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de fermeture de la 28ème Conférence des 2 et 3 novembre 2006, Une société de surveillance?, Londres, Grande Bretagne, En ligne: https://secure.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Cooperation/ Conference_int/06-11-03_London_Communique_EN.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018), Ligue des Droits de l’Homme, Résolution adoptée lors du 85ème congrès de la LDH - Société de surveillance, vie privée et libertés, En ligne: http://www.ldh-france.org/IMG/pdf/Resolution_Societe_de_surveillance_-_85eme_congres__def_.pdf (dernière consultation 5 mars 2018), FOREST David, Abécédaire de la société de surveillance, Éditions Syllepse, 2009, Ligue des droits de l'Homme, Une société de surveillance ? L'état des droits de l'Homme en France, La découverte, édition 2009

Voir en ce sens: LYON David, Surveillance after Snowden, Polity Press, 2015. Voir également, infra Partie 1.

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On pense notamment au groupe de Hacker Anonymous, ou à la montée en puissance d’un parti politique: le parti

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pirate.

Peu de temps après les révélations de Snowden concernant les programmes (PRISM et Xkeyscore) de la NSA (juin

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2013), on apprend en juillet 2013 qu’il existerait un « prism à la française » organisé par la DGSE qui serait, selon l’un des dirigeants de la DGSE, non pas illégal, mais « a-legal ». La CNIL française s’est évertuée à prouver de l’illégalité d’un Prism à la française, attestant que « le régime juridique des interceptions de sécurité interdit la mise en œuvre par

les services de renseignement, d'une procédure telle que Prism. Chaque demande de réquisition de données ou d'interception est ciblée et ne peut pas être réalisée de manière massive, aussi quantitativement que temporellement. De telles pratiques ne seraient donc pas fondées légalement ». Voir en ce sens: FOLLOROU Jacques, JOHANNES Franck, Révélations sur le Big Brother français, Le Monde, 4 Juillet 2013, En ligne: http://www.lemonde.fr/societe/article/

2013/07/04/revelations-sur-le-big-brother-francais_3441973_3224.html (dernière consultation: 5 mars 2018), CLAIROUIN Olivier, Il y a un vrai Prise à la française, Le Monde, 4 Juillet 2013, En ligne: http://www.lemonde.fr/ societe/video/2013/07/04/il-y-a-un-vrai-prism-a-la-francaise_3441637_3224.html (dernière consultation: 5 mars 2018). Et concernant les révélations d’Edward Snowden et l’affaire Prism: SZADKOWSKI Michaël, LELOUP Damien,

Prism, Snowden, surveillance: 7 questions pour tout comprendre, Le Monde, 2 juillet 2013, En ligne: http://

www.lemonde.fr/technologies/article/2013/07/02/prism-snowden-surveillance-de-la-nsa-tout-comprendre-en-6-etapes_3437984_651865.html (dernière consultation: 5 mars 2018)

DOCTOROW Cory, Little Brother, Pocket Jeunesse, Janvier 2012, ou plus récemment, ENTHOVEN Raphaël, Little

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possibles » à l’édification d’un « meilleur des mondes », la fiction semble prendre le pas de la 91 92

réalité. Et déjà, des auteurs alertent sur l’avènement d’un « empire du moindre mal » et la 93

naissance du « Monstre doux » de Tocqueville , ou encore, souhaitent aux individus la 94 95

« Bienvenue dans le pire des mondes » qui consacre « le triomphe du soft totalitarisme ». Au 96 97

delà des titres de ces ouvrages, qui semblent relever de la fiction, ces auteurs, journalistes, philosophes ou sociologues contemporains, appellent à la conscience des individus, afin qu’ils échappent à « l’amour de leur servitude » organisée par quelques géants de la Silicon Valley. 98

B. Kafka, Little brother et la désinstitution progressive du Droit

31. Les prophéties d’Orwell et de Huxley, en ce qu’elles participent à une logique d’anticipation politique, doivent nécessairement être approfondies dans le sens où ces deux utopies dépeignent la disparition du Droit au profit de la constitution d’une dictature totalitaire pour l’un; dictature du bonheur et du plaisir pour le second. C’est en cela que ces utopies doivent être confrontées nécessairement à l’oeuvre de Kafka, et dépasser l’idée de la disparition du Droit, au profit de sa désinstitution par la norme.

32. Que ce soit dans 1984 ou dans Le Meilleur des mondes, l’asservissement des individus par

Voltaire, Candide, op. cit.

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Op. Cit.

92

MICHEA Jean-Claude, L’empire du moindre mal - Essai sur la civilisation libérale, Editions Flammarion, Collection

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Champs Essai, 2010

En ce sens voir: LAVENUE Jean-Jacques, « Gouvernance des données et naissance du « monstre doux » », in.

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BOUHADANA Irène, Gilles William (sous la direction de), Droit et gouvernance des données publiques et privées à

l’heure du numérique, Les Editions Imodev, Février 2015, pp. 33 - 55; mais également: SIMONE Raffaele, Le Monstre doux - L’Occident vire-t- il à droite ?, traduit par Katia Bienvenu, Collection Le Débat, Gallimard, 2010

DE TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique II, (3ème et 4ème parties), Collection

Garnier-95

Flammarion, Editions Flammarion, 1999, p. 146 et s. POLONY, Op. Cit.

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Ibid.

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La préface du Meilleur des Mondes de Aldous Huxley est frappante de réalisme et de bon sens. Ce dernier écrit: « Il

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n’y a, bien entendu, aucune raison pour que les totalitarismes nouveaux ressemblent aux anciens. Le gouvernement au moyen de triques et de pelotons d’exécution, de famines artificielles, d’emprisonnements et de déportations en masse, est non seulement inhumain (cela, personne ne s’en soucie fort de nos jours); il est - on peut le démontrer - inefficace: et, dans une ère de technologie avancée, l’inefficacité est le péché contre le Saint-Esprit. Un Etat totalitaire vraiment « efficient » serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et leur armée de directeurs auraient la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer - telle est la tâche assignée dans les Etats totalitaires d’aujourd’hui aux ministères de la propagande, aux rédacteurs en chef de journaux, et aux maîtres d’école ». in. HUXLEY Aldous, Le meilleur des mondes, Cooltour, 25 avril 2015, p. 12. Voir également: VION - DURY Philippe, La nouvelle servitude volontaire - Enquête sur le projet politique de la Silicon Valley, FYP Editions, 2016

une forme de dictature a été rendue possible par l’effacement progressif des libertés, de toutes références au passé, à l’histoire, ainsi que par la disparition totale du Droit. Ces sociétés