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A la banalisation de la surveillance diffuse

Dans le document La surveillance diffuse : entre Droit et Norme (Page 115-134)

Introduction générale

Paragraphe 2: A la banalisation de la surveillance diffuse

127. Dans cette « société monde347 » que l’information a participé à créer, la surveillance s’est diffusée. Plus qu’une potentielle société de surveillance348, nombre d’auteurs ont alerté l’opinion publique dès les années 2000, et plus particulièrement en 2007, sur la « grande surveillance349 » ou encore sur la « globalisation de la surveillance350 ». Si ces expressions permettent de traduire une conception de société, la réalité d’une société de surveillance en tant que conception sociale doit être mise en doute. Cette conception est la traduction d’un imaginaire aux conséquences certes palpables, mais en aucune façon une vision sociale ayant fait l’objet d’un consensus.

128. La surveillance s’est diffusée par l’existence de la société de l’information qui a érigé en principe la liberté de circulation des informations et la vision marchande de ces dernières. Elle ne peut, pour autant, être un projet de société, telle que l’ont été la société de l’information et la société de la connaissance. Il est nécessaire de garder ces éléments en tête pour comprendre le refus d’utiliser le concept de société de surveillance, ainsi que pour bien comprendre la banalisation à l’oeuvre actuellement de la surveillance diffuse. Si l’idée même de la surveillance s’est banalisée, c’est d’abord et avant tout par l’enchevêtrement des dispositifs technologiques qui s’inscrivent dans des ambitions économiques et politiques différentes, et répondent, par là même, à des usages variés (A). De ce constat découle une nouvelle analyse: si la surveillance diffuse s’appuie sur une multiplicité de dispositifs socio-techniques, il semble alors qu’il faille s’intéresser aux formes de surveillance chères aux analyses sociologiques produites ces dernières années. Cette étude révèlera l’insuffisance de ces analyses à produire une représentation claire et objective de la surveillance

On emprunte cette conception à Norbert Wiener. Ce dernier écrit: « De nos jours avec l’avion, la radio, la parole de

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nos gouvernants s’étend jusqu’aux confins du globe et un grand nombre de raisons qui s’opposaient autrefois à la constitution d’un Etat mondial n’ont plus de valeur. On peut même affirmer que les problèmes de communications modernes qui nous obligent à régler juridiquement les revendications internationales des différents réseaux aériens et systèmes de radiodiffusion, rendent inévitable l’Etat mondial ». WIENER Norbert, Cybernétique et société : L’usage humain des êtres humains, Collection Points Sciences, Points, 2014, p. 232

On notera ici que le 85ème congrès de la ligue des droits de l’Homme de 2009 est consacré à la « société de

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surveillance ». Ligue des Droits de l’Homme, Résolution adoptée lors du 85ème congrès de la LDH - Société de surveillance, vie privée et libertés, En ligne: http://www.ldh-france.org/IMG/pdf/Resolution_Societe_de_surveillance_-_85eme_congres__def_.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018). Il est également nécessaire d’évoquer la 27 ème rapport d’activités de la CNIL de 2006 qui lance dès ses premières pages une « alerte à la société de surveillance »: CNIL, 27ème Rapport d’activités, 2006, La documentation française, En ligne: http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ var/storage/rapports-publics/074000422.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

VADROT Claude-Marie, La Grande Surveillance - Caméras, ADN, portables, Internet…, Collection L’Histoire

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immédiate, Editions du Seuil, 2007

MATTELART Armand, La globalisation de la surveillance - Aux origines de l’ordre sécuritaire, Editions la

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diffuse. Cette dernière semble aujourd’hui revêtir une forme double: une surveillance banale, du quotidien, et une surveillance imposée (B).

A. La surveillance diffuse : un enchevêtrement de dispositifs socio-techniques présents dans l’espace privé et public conduisant à une banalisation de la surveillance

129. Au-delà de la liberté de circulation de l’information, la société de l’information a permis de développer au niveau mondial des infrastructures, ainsi qu’un usage de dispositifs technologiques sans précédent. Ces deux éléments sont à la base même de l’élaboration et de la diffusion de la surveillance. Cette dernière fonctionne essentiellement sur les infrastructures créées par la société de l’information, et les innovations issues des premières technologies envisagées dans ce cadre (1). De cette pluralité technologique, l’usage technologique s’est banalisé, et a permis, à son tour, de banaliser l’idée même de la surveillance en tant qu’activité, moyen de parvenir à un but, finalité contre certains risques et menaces (2).

1. La pluralité technologique comme élément structurant de la surveillance

130. Bien que l’on connaisse des possibilités offertes par le marché économique du numérique et de sa pierre angulaire, l’information, entendue comme source de pouvoir, on comprend moins pourquoi et comment s’est agencée la prolifération technologique. A l’image d’une « synapse informationnelle351 », l’enjeu est ici de comprendre la zone de contact fonctionnelle entre secteur public et privé ayant permis d’aboutir à la surveillance diffuse. Evoquer la pluralité technologique ne revient alors pas à dresser une simple liste de l’ensemble des technologies nouvelles, ou non, mises en place dans notre société. La pluralité technologique servant la surveillance diffuse correspond bien plutôt à une forme de continuité. Ainsi que l’explique Eric Sadin, la situation actuelle correspond à un « entrecroisement récent de causes multiples (qui) produit une sorte de « bouillon de culture » composé d’ « ingrédients idéaux », favorables à la formation d’un continuum ininterrompu de dispositifs de surveillance352 ». La première continuité identifiée dans le cadre de cette analyse réside dans la poursuite des objectifs de la société de l’information et de la

Ainsi que le rappelle le rapport Théry, dès son introduction, « la révolution de l’an 2000 sera celle de l’information

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pour tous. Comparable en ampleur à celle des chemins de fer ou de l’électrification, elle sera plus profonde dans ses effets car les réseaux de télécommunications constituent désormais le système nerveux de nos sociétés ». In. THERY

Gérard, BONAFE Alain, Rapport au premier ministre - Les autoroutes de l’information, Collection des rapports officiels, La documentation française, Janvier 1994, p. 7

SADIN Eric, Surveillance Globale - enquête sur les nouvelles formes de contrôle, Flammarion, Climats, 2009, p. 18

communication. Cette dernière a permis à Internet de faire partie des usages quotidiens des individus pour accéder à la connaissance, aux échanges, et participer aux flux permanents d’informations. A la succession de ces événements s’est mêlée une prolifération technologique créant à son tour de nouveaux usages, de nouveaux flux.

131. La synapse informationnelle se cristallise essentiellement dans le thème des autoroutes de l’information, qui engendrera Internet. Dans les années 90, ce thème a suscité l’engouement sur la scène internationale, et spécialement dans les pays de l’OCDE. Ainsi, par exemple, Edouard Balladur écrivait en 1994: « de même que les technologies de l’informatique et des télécommunications ont, en leur temps, convergé pour produire ce qu’on a appelé la télématique, de même le monde des télécommunications et celui de l’audiovisuel sont-ils désormais appelés à s’interpénétrer. Le rôle des autoroutes de l’information sera ainsi de transporter simultanément voix, données et images jusqu’à l’utilisateur final353 ». Le concept d’autoroutes de l’information est officiellement élevé au rang de politiques publiques par Al-Gore, sénateur proche de Bill Clinton, puis vice-président des Etats Unis. Grâce à cette métaphore située dans la lignée des hommes politiques de la famille Gore354, Al-Gore (Junior) est parvenu à légitimer auprès du grand public l’intérêt pour les Etats-Unis de développer une infrastructure nationale dans le domaine de l’information et de la communication355. Cette légitimation progressive a d’abord été envisagée du fait de la loi356, puis réellement par la mise sur agenda politique des objectifs et actions à mener

Lettre de mission de Monsieur le Premier Ministre Edouard Balladur, à Monsieur Gérard Théry, du 28 février 1994,

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Paris, In. THERY Gérard, BONAFE Alain, Rapport au premier ministre - Les autoroutes de l’information, Collection des rapports officiels, La documentation française, Janvier 1994, p. 3

La thématique des autoroutes est un sujet cher à la famille Gore. Albert Gore Senior a joué un rôle important dans la

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création et la promulgation de la loi créant aux Etats-Unis le grand réseau autoroutier inter-états (Federal-Aid Highway Act de 1956, Public Law 627, 29 Juin 1956, En ligne: https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/STATUTE-70/pdf/STATUTE-70-Pg374.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)).

Autrement appelé la National Information Infrastructure, qui deviendra deux ans plus tard (1994) la Global

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Information Infrastructure c’est-à-dire l’infrastructure mondiale de l’information.

C’est en effet au travers de la High Performance Computing Act de 1991 proposée par Al Gore que l’on trouve

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mention de la national information infrastructure au travers de l’exposé des motifs de la loi: « A 1991 report entitled

« Grand Challenges: High-Performance Computing and Communications » by the Office of Science and Technology Policy, outlining a research and development strategy for high-performance computing, provides a framework for a multiagency high-performance computing program. Such a program would provide American researchers and educators with the computer and information resources they need, and demonstrate how advanced computers, high-capacity and high- speed networks, and electronic data bases can improve the national information infrastructure for use by all Americans ». High-Performance Computing Act of 1991, 15 USC 5501, Public Law 102-194, 9 décembre

1991, En ligne: https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/STATUTE-105/pdf/STATUTE-105-Pg1594.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

pour construire cette infrastructure357. Dans le même temps, l’Europe publie son livre blanc concernant la croissance, la compétitivité et l’emploi358. Les enjeux exposés dans le cadre de ce livre blanc concernant les autoroutes de l’information sont clairs. Ces dernières, ou plus globalement les réseaux, sont considérés par l’Europe comme « les artères nourricières du grand marché359 » qui permettront d’injecter du « sang neuf360 » à la situation économique de l’Union européenne361.

132. A l’image des politiques américaines, l’Europe et les gouvernements nationaux362

développent des stratégies d’actions à mettre en place afin d’assurer la connexion du plus grand nombre. Le rôle de l’Etat semble alors s’éloigner de sa fonction de prescripteur, pour y préférer un rôle de préconisation. En effet, ces politiques des autoroutes de l’information sont assimilables à des principes dégagés par les Etats, fixant des buts à atteindre, et envisageant les principales entraves à l’édification de ce marché en devenir. L’exemple de la Commission européenne est particulièrement éclairant sur ce point. Dans le cadre du livre blanc précité, la Commission insiste sur la construction des autoroutes de l’information d’un point de vue économique, et influence les choix stratégiques à développer sur les questions de financements et de partenariats publics-privés, sur les enjeux de concurrence, de libéralisation du marché, d’effacement progressif du protectionnisme. Par le biais de la mise sur agenda politique des autoroutes de l’information, l’Etat devient un véritable relais

La High Performance Act de 1991 a pour objectif de préserver la position de leader des Etats-Unis dans le domaine

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des technologies de l’information et de la communication en établissant à l’origine un vaste réseau national à haut débit pour la recherche et l’éducation. Pour ce faire, un programme public national est mis en place afin d’établir les buts et les priorités de ce réseau.

Commission des Communautés Européennes, Livre Blanc Croissance, compétitivité, emploi - Les défis et les pistes

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pour entrer dans le XXI ème siècle, Bulletin des Communautés européennes, Supplément 6/93, Luxembourg: Office des

publications officielles des Communautés européennes, 1993, En ligne: http://bookshop.europa.eu/fr/croissance-comp- titivit-emploi-les-d-fis-et-les-pistes-pour-entrer-dans-le-xxie-si-cle.-livre-blanc-bulletin-des-communaut-s-europ-ennes-suppl-ment-6-93-pbCMNF93061/ (dernière consultation: 5 mars 2018)

Ibid. p. 77 - 78

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Ibid.

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La Commission européenne dégage quatre éléments fondamentaux, conditions préalables à la réalisation en Europe

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d’une politique des autoroutes de l’information. Cette dernière doit prendre en compte « l’état des finances de la

Communauté » et ne doit pas entraîner de « besoins nouveaux en matière de financement public ». Pour ce faire, la

Commission propose d’élaborer « de nouvelles formes de partenariat entre financement privé et financement public, sur

la base d’une « ingénierie » financière englobant toutes les sources et formes de financement ». La Commission

envisage également deux problématiques essentielles, sortes d’entraves à la construction de ces autoroutes dans le marché unique: « l’absence de marchés ouverts et concurrentiels interdits, à différents degrés, de valoriser au mieux les

réseaux existants et de les compléter dans l’intérêt des consommateurs et des opérateurs; les lenteurs inhérentes aux procédures de préparation, de planification, d’autorisation, et d’évaluation entravent considérablement la réalisation de projets importants ». Ibid.

A la suite de la publication de ce livre blanc, les gouvernements nationaux, tels que la France, l’Angleterre et

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l’Allemagne, ont tous pris la mesure des autoroutes de l’information à travers des rapports et des plans d’actions à élaborer pour assurer l’effectivité de cette thématique.

d’influence, assurant une fonction d’impulsion, de mobilisation (débat social), de coordination, et permettant à la fois de développer l’offre et la demande en la matière. Par la préconisation de l’assouplissement des cadres réglementaires dans le domaine des autoroutes de l’information et par la volonté d’une libéralisation du marché, l’Etat retrouve une partie de son rôle de prescripteur dans sa mission de règlementation et de régulation des infrastructures et des services de la future société de l’information. Relais d’influence, l’Etat l’est également par son soutien financier aux activités de recherche et développement363 en pleine expansion à la fin des années 90, début des années 2000.

133. Si la surveillance diffuse a pu se propager c’est donc essentiellement du fait d’une convergence d’interêts des leaders du numérique (secteur privé) et du secteur public en termes de reconnaissance des besoins et des évolutions techniques et technologiques, et par imitation politique entre pays en vue de la construction des autoroutes de l’information364. Volonté d’harmonisation des régulations, réglementations et objectifs communs internationaux., émulation entre secteur privé et secteur public, participation des citoyens365, déréglementation des télécommunications366 et

Voir: MACHLUP Fritz, The Production and distribution of knowledge in the United States, Princeton University

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Press, 1962; et du même auteur: Knowledge: Its Creation, Distribution and Economic Significance, Volume III, Princeton University Press 1984; Economie des connaissances et de l’information, p. 126 in. Réseaux, volume 11, n°58, 1993, l’information scientifique et technique, pp.109 - 129, En ligne: http://www.persee.fr/docAsPDF/ reso_0751-7971_1993_num_11_58_2308.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018); ORAT Marc-Uri, The Information

Economy: Definition and Measurement, 9 volumes, Government Printing Office, Washington D.C., 1977; CASTELLS

Manuel, La société en réseaux - l’ère de l’information, traduit de l’anglais par Philippe Delamare, Fayard, 1998. Manuel Castells écrit, par exemple, que lorsque la recherche « s’est formée en système, sur la base de conglomération

(…), son développement et ses applications, et finalement son contenu, ont été modelés de façon décisive par le contexte historique dans lequel elle s’est épanouie. D’ailleurs, dans les années 1980, le capitalisme (et plus précisément les grandes sociétés et les gouvernements du G-7) a entamé un important processus de restructuration économique et organisationnelle, au coeur duquel la nouvelle technologie de l’information a joué un rôle fondamental, rôle qui l’a façonnée elle-même de manière déterminante » (p 76-77).

Voir TARDE Gabriel, Les lois de l'imitation – Étude sociologique, 7ème édition, Paris, Librairie Félix Alcan, 1921

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Dès 1993, Al Gore présente l’agenda politique pour l’action sur l’infrastructure de l’information nationale, et exhorte

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citoyens et secteur privé à être acteurs des autoroutes de l’information:« Tous les Américains ont un intérêt à la

construction d’une infrastructure nationale de l’information avancée ». Information Infrastructure Task Force, The National Information Infrastructure: Agenda for Action, Department of Commerce, Washington DC., 15 Septembre

1993, p. 5, En ligne: http://files.eric.ed.gov/fulltext/ED364215.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

Après la publication du Livre vert de la Commission européenne sur le rôle des télécommunications dans la

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construction européenne en 1987, deux directives complémentaires sont publiées le même jour, l’une relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunication, l’autre relative à l’établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en oeuvre de la fourniture d’un réseau ouvert de télécommunications. Directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de

télécommunication, Journal officiel n° L 192 du 24/07/1990 p. 0010 - 0016, En ligne:

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:31990L0388 (dernière consultation: 5 mars 2018) et Directive 90/387/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative à l'établissement du marché intérieur des services de télécommunication par la mise

en oeuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunications, Journal officiel n° L 192 du 24/07/1990 p. 0001 -

0009, http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31990L0387&from=FR (dernière consultation: 5 mars 2018). En application de ces textes, la France à travers loi du 29 décembre 1990 relative à la réglementation des télécommunications limitera le monopole de France Télécom. Loi n°90-1170 du 29 décembre 1990 sur la

réglementation des télécommunications, JORF n° 303 du 30 décembre 1990, p. 16439, En ligne: https://

www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000533747&categorieLien=id (dernière consultation: 5 mars 2018)

éclatement des monopoles367 dans ce domaine sont autant d’éléments préparatoires et structurants de la surveillance diffuse. Plus globalement, la surveillance s’est construite par un ajout permanent de (sur) couches et d’usages technologiques différents. Derrière le singulier du recours à l’expression de surveillance diffuse, derrière l’image préconçue d’un Big Brother totalitaire, d’une surveillance tentaculaire exercée dans un but précis par un acteur déterminé, il faut prendre la mesure de la pluralité de dispositifs socio-techniques et de leurs imbrications pour des finalités diverses. Les technologies mises en place dans les société contemporaines ne correspondent pas toutes à une finalité de surveillance. Et, si tel est le cas, ces technologies sont souvent sans recoupement apparent. Rappelons ici que la surveillance diffuse n’obéit à aucun dessein prédéfini. Elle est à la fois poursuite logique d’un projet de société, d’une révolution sociale; et est ensuite un concept permettant de rendre compte de l’ensemble des stratégies de développement et de déploiement technologique non coordonnées permettant la collecte, l’enregistrement et le traitement de nombreuses données personnelles ou non. Elle est aussi la conséquence ultime du paradigme technologique qui a permis aujourd’hui la mise en données du monde, l’explosion de l’économie de la Data, et plus insidieusement la réduction de l’individu à ses traces, ses données, ses informations.

2. La banalisation de la surveillance diffuse

134. L’usage de l’expression surveillance diffuse permet de retranscrire la banalisation de la surveillance. Un point sémantique concernant ce terme permet à la fois de confirmer les propos précédents, mais également d’attirer l’attention sur les évolutions possibles de ce phénomène.

135. L’un des premiers sens de cet adjectif, selon le Larousse, renvoie à quelque chose de courant, d’ordinaire, qui ne s’écarte pas du cours normal des choses, ou encore dans un sens péjoratif, ce terme s’entend de quelque chose ou de quelqu’un qui manque d’originalité. Cette définition première, en ce qu’elle désigne la poursuite du cours normal des choses, pointe l’idée de continuité. En cela, cette notion confirme le fait de voir en la surveillance et en sa diffusion une poursuite, un développement et une apogée de la société de l’information et de la connaissance. Cette continuité se constate alors tant dans la fabrication du concept, que dans l’activité même de

On citera également l’exemple, aux Etats-Unis, de la fin du monopole de l’entreprise américaine AT&T en 1984, et

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la signature par Bill Clinton en 1996 de la loi sur les télécommunications (Telecommunications Act of 1996, Intergovernmental relations, 47 USC 609 note, Public Law 104-104 - 8 février 1996, En ligne: https://www.gpo.gov/ fdsys/pkg/STATUTE-110/pdf/STATUTE-110-Pg56.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)).

surveillance: que cette dernière soit généralisée ou ciblée sur des populations à risque, des individus dangereux. Il faut ainsi noter que la surveillance des citoyens au nom de la sécurité, au nom de l’ordre public, a un passif ancien que ce soit dans les régimes dits autoritaires, ou dans les régimes dits démocratiques. A titre d’illustrations, le fichage des populations se développe sous Louis XIV,

Dans le document La surveillance diffuse : entre Droit et Norme (Page 115-134)