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Le mythe de Narcisse au service de la culture de la surveillance diffuse

Dans le document La surveillance diffuse : entre Droit et Norme (Page 178-192)

Introduction générale

Paragraphe 2: Le mythe de Narcisse au service de la culture de la surveillance diffuse

205. Dans la description de cet imbroglio des intérêts étatiques, institutionnels, politiques et ceux des leaders économiques du numérique, l'individu doit trouver sa place, tantôt dans son rôle de consommateur, que dans celui de citoyen. Afin de questionner le rôle de l’individu dans ces différentes fonctions, deux éléments importants devront être mis en avant: d’une part, la montée en puissance d’une « économie de l’attention594 » (B) qui conduit l’individu a toujours plus de consommation technologique; d’autre part, le rôle du citoyen numérique. L’activation du mythe de Narcisse permettra de comprendre l’individu, dans cette nouvelle économie, comme une cible en quête d’attention (A).

A. L’individu narcissique: un individu dépersonnifié par les objectifs marchands…

206. L’individu narcissique, est d’abord et avant tout une cible économique dans un marché en perpétuelle évolution (1). La culture de la surveillance qui engendre peur et besoin de sécurité fait de l’individu contemporain un nouveau Narcisse en quête d’attention et de réassurance (2).

1. L’individu narcissique: une cible dans un marché économique…

207. La parution en 2015 du rapport de l’Union Internationale des Télécommunications595 tend à enserrer l’individu dans un rôle d’acteur passif dans le marché économique: une cible du marché. Intitulé « mesurer la société de l’information », ce rapport exhorte les pays membres à tenir compte « de l’immense potentiel que renferment les technologies de l’information et de la communication et invite les pays à accroître sensiblement l’accès596 » à ces dernières. Et d’ajouter que ces mesures contribueront « de manière significative à la mise en oeuvre de tous les objectifs de développement durable597 ».

208. Le rapport de l’Union Internationale des Télécommunications s’inscrit dans le cadre du

Nous empruntons ce concept à Jean-Gabriel Ganascia.

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Union Internationale des Télécommunications, Rapport mesurer la société de l’information 2015 - Résumé

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analytique, 2015, UIT, Genève, Suisse, En ligne: https://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/publications/

misr2015/MISR2015-ES-F.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018) Ibid. p. iii

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Ibid.

programme de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030. Adopté le 25 septembre 2015, ce programme vise à « transformer notre monde598 » et fait la part belle aux technologies de l’information et de la communication. On peut ainsi lire que nous vivons un « moment où les possibilités sont immenses. Des progrès considérables ont été accomplis et de nombreux problèmes de développement sont en passe d’être surmontés. En l’espace d’une génération, des centaines de millions de gens sont sortis de l’extrême pauvreté. L’accès à l’éducation a été nettement amélioré, pour les garçons comme pour les filles. L’expansion de l’informatique et des communications et l’interdépendance mondiale des activités ont le potentiel d’accélérer les progrès de l’humanité, de réduire la fracture numérique et de donner naissance à des sociétés du savoir, sans parler de l’innovation scientifique et technologique dans des domaines aussi différents que la médecine et l’énergie599 ». Afin de remplir cet objectif, l’Union Internationale des Télécommunications va même plus loin en créant un indice de développement des technologies de l’information et de la communication, et ce, dans le but de mesurer les progrès des pays membres en termes d’accès à ces technologies.

209. Au-delà de cet indice de développement, deux points sont à soulever dans ce rapport. L’un est prospectif; et démontre que cet indice de développement doit être amélioré afin de permettre à l’internet des objets, considéré comme un nouvel eldorado libertaire et économique, de connaître sa pleine progression. Le Directeur du Bureau de développement des télécommunications de l’Union Internationale des télécommunications, Brahima Sanou, insiste sur l’accélération de la progression de l’internet des objets permise par le développement rapide des infrastructures et des dispositifs des technologies de l’information et de la communication. Il démontre également les bénéfices offerts par cette nouvelle possibilité technique en écrivant que « l’Internet des objets devrait avoir une incidence significative sur presque tous les secteurs d’activité socio-économiques, notamment l’éducation, la santé, l’agriculture, les transports et l’industrie manufacturière. L’essentiel de la valeur produite par l’Internet des objets procède de la génération, du traitement et de l’analyse de nouvelles données. Le présent rapport montre comment l’Internet des objets et l’analyse des mégadonnées peuvent aider à relever certains défis majeurs du développement, comme ceux que posent les mégapoles, le changement climatique, la sécurité alimentaire et la gestion des

ONU, Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015, 70/1. Transformer notre monde, le

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Programme de développement durable à l’horizon 2030, A/ RES/ 70/ 1, Soixante-dixième session, Ponts 15 et 116 de l’ordre du jour, Distribution générale le 21 octobre 2015, En ligne: http://www.ipu.org/splz-f/unga16/2030-f.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

Ibid. p. 5-6

ressources600 ». Le second point questionne l’individu et sa place concernant la société de l’information et de la communication, voire ce « système technicien ». En effet, le rapport indique, dès sa première partie, « le suivi des objectifs et des cibles à l’échelle mondiale en matière de technologies de l’information et de la communication601 ». Les buts répertoriés dans ce rapport correspondent à ce que la Conférence de plénipotentiaires de l’UIT avait adopté en 2014 dans le cadre du Programme Connect 2020602.

210. La croissance603, l’inclusion604, la durabilité605, l’innovation et les partenariats606 sont les quatre grands buts stratégiques que l’UIT s’était fixé en 2014 afin de « stimuler la croissance et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication, et à encourager le développement socio-économique à moyen et à long terme 607». A chacun de ces buts correspondent des cibles. En ce qui concerne l’inclusion et la croissance, l’UIT transforme les « ménages, la population des pays moins avancés, des pays en développement, rurale, urbaine, à l’échelle mondiale, les hommes, les femmes, les personnes handicapées, les internautes608 » en « cibles » c’est-à-dire en individu dépersonnifié, en objectif à atteindre en tant que futur consommateur dans un marché économique sans cesse renouvelé.

2. … en quête d’attention

211. L’image du philistin cultivé numérisé évolue vers celle d’un Narcisse 2.0: un philistin cultivé numérisé narcissique. Dans cette nouvelle description de l’individu, il ne s’agit plus, pour

Union Internationale des Télécommunications, Rapport mesurer la société de l’information 2015 - Op. Cit., p. iv.

600

Ibid. p. 1.

601

Voir: UIT, Document d’information sur l’UIT - Connect 2020: définir un programme d’action mondial pour le

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secteur des TIC, Conférence de plénipotentiaires de l’UIT, 2014, Busan, Corée, En ligne: https://www.itu.int/en/

plenipotentiary/2014/newsroom/Documents/backgrounders/pp14-backgrounder-connect-2020-fr.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

Pour l’UIT, la croissance correspond au fait de « permettre et d’encourager l’accès aux technologies de

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l’information et de la communication et leur utilisation accrue ». Ibid.

Selon l’UIT, l’inclusion correspond au fait de « réduire la fracture numérique et de mettre le large bande à la portée

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de tous ». Ibid

Qui correspond, pour l’UIT, au fait de « gérer les problèmes résultant du développement des technologies de

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l’information et de la communication ».Ibid.

L’UIT précise qu’il s’agira de « jouer un rôle de premier plan dans l’évolution de l’environnement technologique, de

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mieux contribuer à cette évolution et s’y adapter ». Ibid.

Ibid. p. 1

607

Union Internationale des Télécommunications, Rapport Mesurer la société de l’information 2015- Op. Cit., p. 3

lui, seulement d’accéder à la connaissance, à l’information et à la culture, mais bien plutôt d’être vu et reconnu dans cette « économie de l’attention609 ». L’individu, participant ainsi à la diffusion de la surveillance, développe des comportements relevant quasiment de la pathologie - individualisme, égoïsme, comportements égotiques, exhibitionnisme, voyeurisme, narcissisme - afin de s’insérer dans cette économie de l’attention. Cette dernière guidée par le nombre de « likes » ou de « retweet », devient la nouvelle mesure de l’échelle sociale.

212. Ces constats sont également perceptibles à la lecture de deux rapports d’information rendus, l’un au Sénat610, l’autre à l’Assemblée Nationale611, à quelques années d’intervalle entre 2009 et 2011. Ces deux rapports doivent nécessairement être analysés de manière concomitante. Ces derniers sont liés tout d’abord dans leur prise en compte de la modification du comportement de l’individu liée à la technicisation de son milieu. Alors que le premier de ces rapports évoque les moyens de « faire du citoyen un « homo numericus » libre et éclairé, protecteur de ses données612 », le second s’adresse « au citoyen numérique en lui permettant d’user de sa raison et de sa liberté613 » en vue de « faire de l’univers numérique un lieu d’épanouissement des droits des individus614 ».Ces deux rapports possèdent également la même trame interrogative quant à la difficulté de protéger la vie privée dans un monde où la vie sociale et privée ont tendance à se confondre. Ainsi, ces deux rapports identifient des facteurs de remises en cause de la protection de la vie privée et des données personnelles que l’on pourrait classer comme suit: la construction d’une « économie de l’attention » qui se caractérise par « une tendance croissante à « l’exposition de soi »615 » sur les réseaux sociaux et à travers le « Web 2.0 », la construction d’un paradoxe entre

GANASCIA Jean-Gabriel, Voir et pouvoir: qui nous surveille ?, Editions Le pommier, Collection Les essais, 2009,

609

p. 201

DETRAIGNE Yves, ESCOFFIER Anne-Marie, Rapport d’information n° 441 fait au nom de la commission des Lois

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constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale par le groupe de travail relatif au respect de la vie privée à l’heure des mémoires numériques, Op. Cit.

BLOCHE Patrick, VERCHERE Patrice, Rapport d’information n° 3560 déposé en application de l’article 145 du

611

Règlement par la mission d’information commune sur les droits de l’individu dans la révolution numérique, Assemblée

nationale, 13 ème législature, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juin 2011, En ligne: http:// www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i3560.pdf (dernière consultation: 5 mars 2018)

DETRAIGNE Yves, ESCOFFIER ANNE-Marie, Op. Cit., p. 67 et suivants

612

BLOCHE Patrick, VERCHERE Patrice, Op. Cit., p. 17

613

Ibid.

614

Les deux rapports évoquent cette tendance. Voir: DETRAIGNE Yves, ESCOFFIER ANNE-Marie, Op. Cit., p. 31 et

615

d’un côté une « protection616 » de soi, « une demande accrue de sécurité617 » et de l’autre, la vie privée, et des « facilités offertes par les nouvelles technologies618 » de plus en plus « invasives619 ». Et le rapport de 2009 d’ajouter: « la vie privée tend à se déverser dans la vie publique, dès lors qu’un individu diffuse au public des informations relatives à sa vie privée. Les raisons sont multiples: banalisation de l’usage des techniques, stratégies de projection de soi, arbitrage en faveur d’une vie sociale riche (la « course aux amis » sur les réseaux sociaux), nouveau rapport à la pudeur, décloisonnement des cercles relationnels, sensibilisation insuffisante aux risques d’une exposition de soi et des autres sur Internet, etc620 ».

213. Bien qu’il soit louable de soulever dans ces deux rapports la question de la vie privée, ces derniers interrogent beaucoup plus la fonction de l’individu et son positionnement face aux nouvelles technologies. Qu’il soit salarié, administré, consommateur ou plus globalement citoyen, ces deux rapports montrent de manière subtile, la soumission latente de l’individu aux nouvelles technologies, et donc, à ceux qui disposent du pouvoir sur cette soumission621. Bien qu’essentielles à la bonne compréhension du phénomène de diffusion de la surveillance, ces pistes de réflexions proposées dans le cadre de ces rapports ne sont que des informations. A leur lecture, on comprend à quel point ces pistes n’engagent pas le citoyen. Ces deux rapports se contentent essentiellement d’appliquer l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » par un rappel du droit au respect de la vie privée, ainsi que du droit à la protection des données personnelles. Pour la doctrine, ces rapports, et les concepts de citoyen numérique, d’homme numérique ont fait de l’individu « un citoyen digitalisé et numérisé conscientisé622 ». Ainsi, le Professeur Guglielmi rappelle que « l’exercice de la citoyenneté n’a pas pour seul horizon la loi à laquelle il devrait obéir ; il ne se limite pas au dépôt d’un bulletin dans une urne ; il ne se borne pas au vote, à l’élection ; il n’est pas non plus strictement enserré par les circuits de « participation » aux affaires publiques, voire encore à la vie culturelle d’un espace pré-délimité ; il est aussi activité et fonction de « vigilance » pour la défense

BLOCHE Patrick, VERCHERE Patrice, Op. Cit., p. 124 et suivantes

616

DETRAIGNE Yves, ESCOFFIER ANNE-Marie, Op. Cit., p. 17 à 26

617

DETRAIGNE Yves, ESCOFFIER ANNE-Marie, Op. Cit., p26 à 31. Au titre de ces facilités, les deux rapports

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évoquent la géolocalisation , la biométrie, la vidéosurveillance, ou encore le ciblage publicitaire

BLOCHE Patrick, VERCHERE Patrice, Op. Cit., p. 139 à 148. Ce rapport évoque particulièrement l’invasion des

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puces RFID.

DETRAIGNE Yves, ESCOFFIER ANNE-Marie, Op. Cit., p.35

620

Le secteur privé et le secteur public

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Voir en ce sens: GUGLIELMI Gilles, « Homo numericus », un citoyen digitalisé et numérisé conscientisé, [en ligne]

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des libertés et des droits623 ». Et de conclure ainsi, « ce ne sont pas les considérations relatives au cadre juridique de la protection de la vie privée qui fondent les recommandations exposées pour « faire du citoyen un « homo numericus » libre et éclairé » mais plutôt un souci de (re)légitimation des utilisations faites par les pouvoirs publics, comme par les institutions privées, de ces nouvelles technologies pour étendre la surveillance et repérer les déviances ou les dissidences…624 ».

B. … Participant pleinement à l’économie de l’attention: de la malléabilité des individus à la plasticité sociale

214. Principalement réduit à une position de consommateur docile, l’individu ne questionne pas la légitimité et l’acceptabilité des technologies, de la surveillance diffuse. Ses possibilités de remise en question de la surveillance diffuse, en tant qu’acteur de sa propre liberté, sont totalement occultées par la consommation irréfléchie de technologies dans l’économie de l’attention. Ces éléments tendent à conforter la crédulité et la ductilité des individus (1). Plus globalement, l’individu, le consommateur est totalement aliéné par la consommation technologique (2).

1. Le mythe de Narcisse ou la ductilité des individus-consommateur de surveillance diffuse

215. On connaît les liens qu’entretient la surveillance diffuse avec les notions de sécurité, de peur, et plus encore de gouvernementalité par la peur. Le Professeur Guglielmi rappelait déjà dans son article de 2009, que « les turbulences de la notion de vie privée empêchent l’édification d’un cadrage juridique cohérent dès lors qu’un climat de suspicion généralisée se diffuse. La « peur » qui se répand ainsi suivant les méandres des discours sécuritaires paralyse, tétanise et assure les pouvoirs publics d’une résignation docile qui se comprendrait comme un consentement social aux méthodes de sécurité appliquées. Ainsi, sur le plan individuel, derrière toute réticence affirmée à l’égard de ces techniques d’identification, de repérage, de localisation, de surveillance, etc., se profilerait une sourde culpabilité625 ». Bien que d’un point de vue juridique « la sourde culpabilité » décrite par le Professeur Guglielmi soit exacte - par les méthodes de surveillance, on assiste effectivement à un renversement de la présomption d’innocence pour y préférer une présomption de culpabilité - il ne faut pas, comme nous avons pu le démontrer, réduire cette

Ibid. 623 Ibid. 624 Ibid. 625

« peur » ou cette demande de sécurité à de simples discours politiques.

216. L’individu a peur de tout, de l’insécurité au chômage, en passant pas la précarité, l’environnement, la santé, la nourriture … Pour chacune de ces peurs s’organise une sécurité correspondante: sécurité alimentaire, sécurité sanitaire, sécurité des médicaments, sécurité des flux bancaires, et progressivement, sécurité humaine. Ce cercle de peur et de sécurité conduit à une nouvelle consommation technologique. Car ainsi que le rappelait Valérie Peugeot en 2007, « loin de se réduire, nos peurs grandissent chaque jour un peu plus, mutent dans nos intimités, envahissent notre espace public. Elles suscitent deux types de réactions. Soit la sidération: tétanisé par ses peurs, l’individu-citoyen se replie sur sa sphère privée et se réfugie dans la consommation. Soit le rejet pur et simple: les uns niant les peurs des autres ou les dénonçant comme irrationnelles, sans voir qu’ils souffrent parfois d’un syndrome identique626 ». Cette société de consommateurs est alors placée dans l’incapacité de relativiser ses peurs diabolisées, de contrôler la demande en sécurité correspondante, ni même de réfléchir aux conséquences de la diffusion de la surveillance. Ainsi que le déclarait Hannah Arendt, à propos de la crise de la culture, « croire qu’une telle société deviendra plus « cultivée » avec le temps et le travail de l’éducation est, je crois, une erreur fatale. Le point est qu’une société de consommateurs n’est aucunement capable de savoir prendre en souci un monde et des choses qui appartiennent exclusivement à l’espace de l’apparition au monde, parce que son attitude centrale par rapport à tout objet, l’attitude de la consommation, implique la ruine de tout ce à quoi elle touche627 ».

217. Partagés entre la réaction - le repli sur soi - et l’action - l’exhibition - nos contemporains consomment toujours plus de technologies, et sont en quête de reconnaissance dans une « économie de l’attention » où il faut être visible. En cela, l’individu s’inscrit pleinement dans la description que Christopher Lasch envisage lorsqu’il évoquait en 2000 la montée en puissance de la culture du narcissisme. Il écrivait ainsi que « le nouveau Narcisse est hanté, non pas par la culpabilité mais par l'anxiété. Il ne cherche pas à imposer ses propres certitudes aux autres, il cherche un sens à la vie. Libéré des superstitions du passé, il en arrive à douter de la réalité de sa propre existence. Superficiellement détendu et tolérant, (…), il se trouve également privé de la sécurité que donne la loyauté du groupe et se sent en compétition avec tout le monde pour l'obtention des faveurs que dispense l’État paternaliste.(…). Avide, dans la mesure où ses appétits sont sans limites, il

DAKHLI Leyla, MARIS Bernard, SUE Roger, VIGARELLO Georges (sous la direction de), Op. Cit., p. 8.

626

ARENDT Hannah, La crise de la culture - Huit exercices de pensée politique, Op. Cit. p. 270

n'accumule pas les biens et la richesse à la manière de l'individu âpre au gain de l'économie politique du XIXème siècle, mais il exige une gratification immédiate, et vit dans un état de désir inquiet et perpétuellement inassouvi628 ».

2. La plasticité sociale engendrée par la surveillance diffuse ou l’aliénation des individus

218. La culture du narcissisme décrite par Christopher Lasch se présente à la fois comme la poursuite de la crise de la culture décrite par Arendt, mais également comme une conséquence de la gouvernementalité par la peur et de la modernisation du capitalisme « dont la fausse conscience libérale-libertaire a fini par devenir l’esprit du temps629 ». Ces éléments ne sont pas sans rappeler ce que Jacques Ellul évoquait comme conclusion à l’atomisation de la société630. Selon l’auteur, « cette atomisation confère à la société la plus grande plasticité possible. Et ceci est aussi, du point de vue positif, une condition décisive de la technique. (…). Tout cela n’est possible que lorsque l’homme n’est plus qu’un élément rigoureusement isolé; lorsqu’il n’y a littéralement plus de milieu, de famille, de groupe qui pourra résister à la pression du pouvoir économique, avec sa séduction et sa contrainte; lorsqu’il n’y a déjà presque plus de style de vie propre. (…). Voilà l’influence de la plasticité sociale. Sans elle, pas d’évolution technique possible. Dans cette société atomisée, en face de l’individu, il n’y a plus que l’Etat, qui est fatalement l’autorité suprême, et qui se change aussi bien en autorité toute puissante. Ceci nous donne une société parfaitement malléable et d’une ductilité remarquable au point de vue intellectuel comme au point de vue matériel. Le phénomène technique y a son milieu le plus favorable depuis le début de l’histoire humaine. Or en même temps, coïncidence historique (fortuite ou non, ceci nous dépasse), s’éveille ce que nous avons appelé l’intention technique claire. Dans toutes les autres civilisations, il y a eu un mouvement technique,

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