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IV. Analyse des résultats expérimentaux et discussion

IV.1. Cinétiques de propagation des fissures à partir des imperfections de surface

IV.2.2 Utilisation du paramètre J

Le paramètre J (ΔJ en conditions cycliques) apparaît régulièrement dans la littérature en tant qu’outil permettant de décrire la propagation des fissures dans un cadre élasto-plastique. Bien que les fondements de ce paramètre soient encore sujets à controverse, notamment la transposition de l’intégrale J à un contexte de sollicitations cycliques, de nombreuses études ont

Δεt/2 = 0,6%

Δεt/2 = 0,3%

153 cependant prouvé son efficacité pour réconcilier des données expérimentales provenant de conditions diverses et notamment dans des cadres de plasticité non confinée en pointe de fissure (Chen et al., 1997; Dowling, 1976). Dans cette partie, la pertinence d’une application du paramètre J aux résultats issus du suivi de potentiel est évaluée. L’approche proposée ici est basée sur des calculs numériques réalisés à l’aide du code de calcul Cast3m, à partir du modèle décrit dans le chapitre II. Le calcul de J dans Cast3m s’appuie sur l’évaluation du taux de restitution d’énergie G à l’aide de la méthode θ.

IV.2.2.1 Évolution de J le long du front de fissure

Différentes formes et profondeurs de fissures, variant de 0,75 à 2,3 mm, sont représentées pour chaque niveau de déformation (figure IV.9). La forme des fissures modélisées est toujours semi-elliptique et est basée sur l’évolution expérimentale de la forme du front de fissure présentée au chapitre III. L’intervalle de profondeur considéré dans les calculs (de 0,75 à 2,3 mm) a été défini en tenant compte des limitations inhérentes au maillage actuel qui ne permet pas de modéliser des fissures n’étant pas sorties des entailles. Cet intervalle de profondeur permet néanmoins de couvrir une part importante de la propagation notamment dans le régime établi.

Notons par ailleurs que les calculs présentés ici ont été réalisés avec une entaille initiale de 110 µm de profondeur. D’autre part, la profondeur de fissure est considérée à partir du bord de l’éprouvette et est indiquée sur le coté des graphes sous la notation a.

Figure IV.9 – Représentation schématique des 5 fissures modélisées numériquement pour le calcul de J

L’évolution de J le long du front de fissure est présentée sur la figure IV.10 pour les différents niveaux de déformation étudiés. Les données présentées sur cette figure ont fait l’objet d’un lissage préalable afin de pallier les oscillations résultant de l’utilisation d’éléments quadratique. De plus, du fait des effets de bord, les valeurs de J récupérées aux nœuds des éléments situés en surface ont été supprimées.

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Figure IV.10 – Évolution de J le long du front de fissure pour les trois niveaux de déformation étudiés : a) Δεt/2 = 0,2% ; b) Δεt/2 = 0,3 ; c) % et Δεt/2 = 0,6%

L’évolution de J sur la figure IV.10 est représentée depuis le bord jusqu’au centre de l’éprouvette, seule la moitié du front de fissure est ainsi représentée. Quel que soit le niveau de déformation considéré, la valeur de J augmente avec la profondeur de fissure. On note également qu’à profondeurs de fissures égales, les valeurs de J sont plus élevées pour les niveaux de déformation les plus élevés (figure IV.11). D’autre part, l’évolution de J sur le front varie avec la profondeur de fissure considérée. D’une manière générale, la valeur de J tend à augmenter lorsque l’on se déplace de l’extérieur vers l’intérieur de l’éprouvette. Cependant, à partir d’une certaine profondeur, que l’on peut estimer ici entre 1,5 et 2 mm, la valeur de J reste quasiment constante sur tout le front de fissure.

a) Δεt/2 = 0,2% b) Δεt/2 = 0,3%

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Figure IV.11 – Évolution de J le long du front de fissure à 1,5 mm de profondeur pour les trois niveaux de déformation étudiés : a) Δεt/2 = 0,2% ; b) Δεt/2 = 0,3 ; c) % et Δεt/2 = 0,6%

L’évolution de J constatée ici en fonction de la profondeur de fissure est par ailleurs cohérente avec l’évolution de la forme du front déterminée expérimentalement au cours de la propagation. Ainsi, pour les profondeurs les plus faibles (0,75 et 1 mm), les valeurs de J sont plus élevées au centre de la fissure, ce qui est cohérent avec l’augmentation du rapport a/b à ces profondeurs (propagation plus rapide au centre, la fissure tend vers une forme circulaire). Pour les profondeurs plus importantes, au-delà de 2 mm, la valeur de J est quasiment constante sur le front ce qui est également consistant avec l’évolution du front à ces profondeurs, qui se maintient autour d’un rapport a/b ≈ 0,8. Pour les plus grandes profondeurs, les fluctuations qui demeurent sur les courbes d’évolution de J dans l’épaisseur sont sans doute liées à l’hypothèse faite de considérer des fronts semi-elliptiques, ce qui ne correspond pas forcément exactement aux formes réellement obtenues.

IV.2.2.2 Exploitation des vitesses de propagation au centre des fissures à l’aide de J obtenu numériquement

Afin de pouvoir comparer les résultats obtenus à l’aide de cette nouvelle approche avec les lois de propagation définies dans le code RSE-M (Règles de Surveillance en Exploitation des Matériels mécaniques des îlots nucléaires REP), et les notations associées, le paramètre J est utilisé au travers de ΔKeff par l’intermédiaire de la formule IV.3, applicable dans un contexte de déformations planes (centre de la fissure).

∆𝐾𝑒𝑓𝑓 = √(𝐽 × 𝐸′) × 2 (IV.3)

J est la valeur maximale au centre du front de fissure et E’ est défini selon la formule IV.4 en déformations planes :

𝐸= 𝐸

(1−𝜈2) (IV.4)

Le paramètre ΔKeff ainsi défini ne doit pas être confondu avec son homonyme couramment utilisé dans la littérature pour caractériser les effets de fermeture de fissure dans le calcul du facteur d’intensité des contraintes. En s’appuyant sur l’intégrale J, ΔKeff permet de tenir compte du caractère élasto-plastique contrairement à l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes ΔK classique qui est défini dans le cadre élastique linéaire. La multiplication par un facteur deux (formule IV.3) permet de prendre en considération la totalité du chargement, en effet, en se basant sur la courbe cyclique réduite pour le calcul de J on considère seulement la moitié du

156 chargement (Δεt/2). La symétrie du chargement en traction-compression autorise ce mode de calcul, toutefois, ce dernier suppose que la part de sollicitation en compression participe de manière effective à la propagation et à la même hauteur. D’autre part, les potentiels effets de fermeture de fissure ne sont pas directement considérés dans ce calcul. Afin de les prendre en compte, la codification préconise l’application d’un facteur f(R), évalué pour un rapport de charge R = -1 selon la formule IV.5. Le facteur f(R) est appliqué directement sur ∆𝐾𝑒𝑓𝑓. 𝑓(𝑅) = 1

(1−𝑅)𝜆≈ 0,84 (IV.5) Avec 𝜆 défini à 0,25 par la codification.

Les valeurs de J (au centre des fissures) précédemment obtenues ont ensuite été utilisées pour évaluer le ΔKeff correspondant, puis ce dernier a systématiquement été associé à la vitesse de propagation expérimentale liée à la profondeur de fissure et au niveau de déformation considéré pour le calcul de J. Les résultats obtenus sont retranscrits sur la figure IV.12.

Figure IV.12 – Évolution de la vitesse de propagation exprimée en fonction du paramètre ΔKeff (pour une entaille initiale de 110 µm) et comparée à la loi moyenne issue du code RSE-M

L’analyse de la figure IV.12 montre que l’évolution du paramètre ΔKeff, et par conséquent de J, obtenue pour différentes conditions de sollicitations et pour des profondeurs et formes de fissures distinctes, suit une même tendance assimilable à une loi de type puissance. Le paramètre ΔKeff, évalué numériquement, semble alors permettre de correctement décrire l’état de déformation en pointe de fissure. L’influence du niveau de déformation est en effet rationnalisée dans l’intervalle des profondeurs considérées. L’exploitation des vitesses de propagation en fonction de l’évolution de J établie sur la figure IV.12 est par ailleurs cohérente avec la loi de propagation moyenne des aciers inoxydables sous air extraite du RSE-M.

Rappelons ici que les présents résultats ont été obtenus avec une entaille initiale de 110 µm de profondeur. Des calculs similaires ont été menés avec une imperfection initiale de 350 µm de profondeur et conduisent à des résultats comparables.

157 En intégrant le caractère élasto-plastique de la déformation, au travers de l’évaluation numérique de J, l’approche adoptée ici représente un enrichissement vis-à-vis des méthodes d’ingénierie classiques de calcul purement élastiques qui peuvent être employées dans l’industrie.

Une perspective intéressante serait d’évaluer le paramètre ΔKeff à des profondeurs de fissures plus faibles afin de vérifier si ce paramètre est également adapté aux faibles profondeurs. Toutefois, le modèle est à l’heure actuelle restreint à l’étude de fissures sortant complètement des imperfections, ce qui empêche l’étude du domaine de micro-propagation. Or, l’évaluation de la pertinence de J dans la phase de micro-propagation revêt un intérêt particulier puisque c’est dans cette phase que les vitesses sont les plus dépendantes aux effets d’entaille, de microstructure et de fermeture évoqués précédemment.

IV.2.2.3 Évolution de J au bord

Le calcul de la vitesse au bord est basé sur l’évolution de la forme de front de fissure déterminée expérimentalement qui permet d’évaluer, pour chaque profondeur de fissure connue au centre, les coordonnées de la position du front de fissure sur le bord. La longueur propagée entre deux points consécutifs sur le bord est ensuite calculée par des considérations géométriques permettant d’évaluer la longueur de l’arc entre ces deux points. La vitesse de propagation correspond finalement au rapport de cette longueur sur le nombre de cycles écoulés entre les deux points de propagation considérés. La procédure de calcul détaillée est proposée en annexe 5.

Les vitesses de propagation ainsi calculées sont représentées sur la figure IV.13.a en fonction des valeurs de ΔKeff qui leur sont associées. Le calcul est effectué dans le même intervalle de profondeur de fissures que précédemment, à savoir, de 0,75 à 2,3 mm et avec une imperfection de surface de 110 µm de profondeur. A noter que le calcul est effectué de la même manière que dans la partie IV.2.2.2 et est basé sur la formule IV.3 permettant de relier J à ΔKeff. Les effets de fermeture sont également pris en compte par l’application du facteur f(R). La seule différence réside dans le module E’ qui est évalué en contraintes planes et qui est égal à E ici.

Figure IV.13 – Évolution de la vitesse de propagation exprimée en fonction du paramètre ΔKeff – a) Au bord ; b) Comparaison avec l’évolution au centre

158 D’une manière générale, les vitesses de propagation au bord (figure IV.13.a), issues des différents niveaux de déformation, évoluent à l’intérieur d’une même bande de dispersion. Les résultats sont par ailleurs en assez bonne corrélation avec la loi moyenne extraite du code RSE-M. L’effet du niveau de déformation semble une nouvelle fois bien rationnalisé à l’aide du paramètre ΔKeff évalué numériquement, particulièrement pour les profondeurs de fissure les plus importantes. Une légère dispersion apparaît en revanche pour les profondeurs les plus faibles.

La comparaison des résultats obtenus au centre et aux bords des fissures, sur la figure IV.13.b, montre que les deux séries de données sont globalement proches même si des différences légèrement plus marquées apparaissent entre les points associées aux profondeurs de 0,75 et 1 mm (qui correspondent sur la figure aux deux points de plus faible valeur pour chaque niveau de déformation). Ces différences sont probablement liées à la méthode de calcul employée pour déterminer les vitesses aux bords. Cette méthode, qui est, pour rappel, basée sur la courbe expérimentale d’évolution du rapport a/b, est soumise à des incertitudes, particulièrement dans le domaine des faibles profondeurs.

Les résultats demeurent toutefois comparables avec ceux obtenus au centre, ce qui laisse entrevoir des perspectives intéressantes. En effet, si le paramètre ΔKeff s’avère pertinent pour représenter la force motrice de propagation de la fissure en tous points sur cette dernière, il serait alors possible de prédire les vitesses sur tout le front, et d’anticiper ainsi l’évolution de sa forme au cours de la propagation.