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Discussion sur l’évolution des vitesses de propagation

IV. Analyse des résultats expérimentaux et discussion

IV.1. Cinétiques de propagation des fissures à partir des imperfections de surface

IV.1.2 Discussion sur l’évolution des vitesses de propagation

IV.1.2.1 Effet d’entaille

Un effet d’entaille significatif, associé à une importante concentration de la déformation, peut être mis en avant pour expliquer les différences d’évolution des vitesses de propagation, constatées d’un essai à l’autre. La modélisation, à l’aide du code de calcul Cast3m, des imperfections surfaciques au sein d’éprouvettes cylindriques (cf. chapitre II), indique qu’une importante concentration de la déformation est générée au fond des entailles. La déformation peut ainsi être amplifiée jusqu’à un facteur 8 par rapport à la déformation nominale (dans le reste de l’éprouvette). Ce résultat est obtenu en récupérant la déformation au fond d’une entaille de 350 µm de profondeur lors de l’application d’un chargement monotone en traction équivalent à Δεt/2 = 0,2% (méthode quart de cycle évoquée au chapitre II). A noter que l’amplification est fortement dépendante de la profondeur d’imperfection initiale. En effet, plus cette dernière est grande, plus l’amplification est élevée. Le détail de ces résultats est présenté ultérieurement, dans la partie IV.3.1.2, concernant l’influence des imperfections sur l’amorçage.

Ce phénomène d’amplification de la déformation peut alors être mis en relation avec l’effet de la profondeur d’entaille sur les vitesses de fissuration en début de propagation, et semble cohérent avec le fait que ces dernières soient plus élevées pour les fortes profondeurs de défaut. Les taux de déformation élevés associés aux plus fortes profondeurs pourraient en effet être à l’origine d’une propagation plus rapide dans la zone d’influence de l’entaille. Néanmoins, l’analyse montre que cette zone d’influence est relativement restreinte et s’étend sur moins de 0,2 mm après le fond de l’entaille. D’autre part, les différences d’amplification de la déformation en fonction de la profondeur initiale de défaut ne sont vraiment significatives que sur les premières dizaines de micromètres après le fond de l’entaille (figure IV.3.a et IV.3.b, à noter que les échelles sont différentes sur ces deux figures).

Il faut cependant rappeler que, du fait de la prise en compte d’une courbe cyclique réduite, les calculs évoqués ici sont réalisés en appliquant seulement une demi-amplitude de déformation (Δεt/2). Par ailleurs, l’évolution du champ de déformation lors des premiers cycles et lors des premières phases de propagation n’est pas connue. Il n’est donc pas possible, en l’état, de statuer définitivement sur les déformations et contraintes générées par les entailles ainsi que sur leur impact sur le domaine de micro propagation. Une des perspectives pourrait être la modélisation de l’évolution de la déformation lors de la propagation d’une microfissure afin de pouvoir évaluer dans quelle mesure cette dernière peut être influencée par la concentration des déformations.

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Figure IV.3 – Exemples de concentration de la déformation plastique au sens de Von Mises dans le fond d’une imperfection – a) de 350 µm de profondeur ; b) de 100 µm de profondeur

Bien que l’effet d’entaille semble jouer un rôle important sur l’évolution des vitesses en début d’essai, les précédents résultats suggèrent que son influence est probablement limitée aux tous premiers stades de propagation. Dès lors, l’effet de concentration de contraintes, induit par les imperfections surfaciques, n’est potentiellement pas seul responsable des différences d’évolution de vitesses constatées d’un essai à l’autre dans le domaine de micro propagation. Par conséquent, d’autres phénomènes peuvent intervenir et entrer en compétition avec l’effet d’entaille. Ainsi, d’autres paramètres, comme la microstructure ou les effets de fermeture, prépondérants dans le domaine des fissures courtes, doivent être pris en compte.

IV.1.2.2 Effet fissure courte

La distinction d’une phase de micro propagation présentant une évolution des vitesses différente de celle observée pour les fissures longues a été mise en évidence dans le 304L par plusieurs auteurs (de Baglion, 2011 ; Ould Amer, 2014 ; Poulain, 2015). Ces études ont été menées sur des éprouvettes ne présentant pas d’imperfections de surface contrairement à la présente étude. Il existe donc un effet « fissure courte » indépendamment de la présence d’imperfections. Au cours de ses travaux menés sur un acier 304L sollicité sous air sans présence d’imperfections surfaciques, Ould Amer (Ould Amer, 2014) a par exemple mis en évidence la présence de plusieurs régimes au cours de la fissuration en fatigue. L’auteur distingue notamment trois domaines, deux pouvant être associés à la phase de micro propagation et un troisième assimilé à la propagation des fissures longues. Au cours des deux premiers stades de propagation l’auteur

b)

100 µm

350 µm

146 met en évidence une fluctuation importante de la vitesse de propagation. L’évolution particulière des fissures dans cette phase de micro propagation est alors attribuée à des effets microstructuraux. Les joints de grains ainsi que l’orientation de ces derniers sont désignés comme étant les principaux responsables des fluctuations de vitesses observées. Les joints de grains agissent en effet comme des barrières microstructurales pouvant provoquer des ralentissements importants. Une forte désorientation entre grains adjacents peut également conduire à une diminution de la vitesse de propagation. La coalescence des fissures est également évoquée comme un autre facteur pouvant influencer les cinétiques de fissuration. A partir d’une certaine profondeur de fissure, la propagation devient indépendante des paramètres précédemment évoqués, à l’image de la tendance observée au cours de cette étude.

Le comportement des fissures courtes est par ailleurs souvent relié aux effets de fermeture de fissure (Suresh and Ritchie, 1984). Dans le cadre de la présente étude, du fait des niveaux de déformation élevés, la présence de fermeture induite par la plasticité est fortement suspectée. Toutefois, ce mécanisme de fermeture est généralement considéré comme moins marqué pour les fissures courtes contrairement aux longues pour lesquelles il joue un rôle significatif du fait d’un sillage plastique plus important. Des auteurs (Chong-Myong and Ji-Ho, 1994) ont par ailleurs montré que le niveau de fermeture de fissure augmente avec la longueur de fissure et qu’il dépend fortement de la longueur du sillage plastique (Vor, 2009). Ainsi, dans le domaine des fissures courtes, plus la fissure avance, plus le taux de fermeture augmente, ce qui entraine une baisse de la force motrice de propagation effective. Dès lors, les effets de fermeture de fissure, qui entrent probablement en compétition avec l’influence microstructurale, pourraient être à l’origine de la décroissance des vitesses observées pour les entailles les plus profondes. Ils n’expliquent toutefois pas l’évolution des vitesses associée aux plus petites imperfections qui ne montrent pas de décélérations prononcées.

IV.1.2.3 Evolution du seuil de régime de propagation établi

Outre les effets d’entaille et microstructuraux précédemment évoqués, la présence d’un domaine de micro propagation associé à des vitesses élevées et d’importantes fluctuations de ces dernières, peut éventuellement être relié à des considérations géométriques.

L’évolution du seuil d’apparition du « régime établi » des vitesses de propagation, estimé précédemment pour chaque niveau de déformation, est présentée sur la figure IV.5 en fonction de la profondeur d’imperfection initiale. En parallèle, ces données sont comparées à l’évolution de la profondeur à partir de laquelle la propagation s’effectue hors des entailles, comme illustré sur la figure IV.4. Cette dernière est basée sur une interpolation des données expérimentales d’évolution de la forme du front de fissure présentées au chapitre III. Sa procédure d’évaluation est détaillée en annexe 5.

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Figure IV.4 – Illustration schématique de la sortie d’une fissure hors d’une imperfection (deux profondeurs d’imperfection initiales représentées)

Pour rappel, la profondeur de fissure présentée en ordonnée sur la figure IV.5 est, à l’image des autres graphes présentés dans cette étude, considérée à partir de la surface de l’éprouvette et intègre donc l’imperfection de surface.

Figure IV.5 – Évolution du seuil de régime établi des vitesses de propagation en fonction de la profondeur d’imperfection initiale comparée à l’évolution de la profondeur correspondant à la sortie des fissures des

entailles

Comme évoqué précédemment, le seuil de propagation en « régime établi » augmente progressivement avec la profondeur de fissure et indépendamment du niveau de déformation. En dépit du nombre relativement restreint de points et des écarts pouvant exister entre les deux familles de données, l’analyse de la figure IV.5 laisse supposer un lien entre le décrochement de la fissure du défaut et le début du régime de propagation établi.

Comme cela a été montré au chapitre III, le front de fissure est généralement assimilable à des semi-ellipses mais seulement après s’être détaché du fond des imperfections. Le caractère irrégulier du front de fissure lors des premiers stades de propagation peut alors potentiellement influencer les cinétiques de propagation en modifiant localement la force motrice de propagation de fissure. Rappelons ici que les vitesses de propagation évaluées dans le cadre de

Profondeur limite de décrochement de la fissure Front de fissure Front de fissure Vue en coupe de l’éprouvette Vue en coupe de l’éprouvette

148 cette étude le sont en un point situé au centre des fronts de fissure. Ainsi, tant que le front de fissure ne possède pas une forme régulière, il est possible que la vitesse locale au centre du front soit affectée par des phénomènes locaux de coalescence. Une fois que le front de fissure est établi et qu’il a adopté la forme semi-elliptique évoquée précédemment, la vitesse de propagation n’est plus affectée par ces effets.

IV.1.2.4 Synthèse sur l’évolution des vitesses de propagation à partir d’imperfections de surface

En définitive, plusieurs facteurs semblent être à l’origine de la présence des deux domaines de propagation distincts observés au cours des essais de fatigue. Si l’effet d’entaille, associé à une importante amplification de la déformation semble jouer un rôle prépondérant dans l’évolution des vitesses au cours de la phase de micro propagation, d’autres paramètres doivent également être pris en considération. L’analyse de la littérature a notamment mis en avant l’influence de la microstructure sur ce matériau. Néanmoins, c’est la présence d’imperfection de surface qui semble fortement affecter la phase de micro propagation et pas seulement l’effet de concentration de contraintes induit par ces entailles. L’évolution de la fissure à partir de ces entailles, notamment sa forme, et plus spécifiquement le moment où la fissure se décroche de l’entaille pourrait également influencer les vitesses de propagation initiales. Un potentiel lien entre la sortie de la fissure du défaut et le seuil de changement de régime de propagation a été établi.

D’autre part, des effets de fermeture de fissure, induits par la plasticité, semblent entrer en concurrence avec les autres facteurs précédemment évoqués. Ces effets de fermeture, dont les proportions doivent varier d’une profondeur d’entaille à une autre, pourraient notamment expliquer les phénomènes de décroissance des vitesses initiales constatées pour les imperfections les plus profondes.

IV.1.3 Analyse comparative des cinétiques de propagation avec des mesures