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Utilisation de modèles de soi, d'alter ego et du monde

(...) Une représentation d'alter ego semble mise en jeu dans les comportements suivants (Cheney D.L. et Seyfarth R.M., 1990, How Monkeys see the world, University of Chicago Press ; Ristau, 1991, Cognitive Ethology, Hillsdale, Erlbaum) :

- Variation des signaux de communication émis par un membre d'un groupe selon l'audience, c'est-à-dire selon que d'autres membres du groupe sont présents ou non, et dans le premier cas selon la qualité de ces membres.

- Comportement de tromperie : lorsqu'un combat avec un congénère tourne à son désavantage, un singe peut pousser un faux cri d'alarme, par exemple le cri qui signale un léopard, ce qui fait fuir son adversaire.

Remarque : procédé utilisé par les humains dans la vie de tous les jours, comme détourner l'attention ou changer de sujet du conversation lorsque le sujet se sent en posture inconfortable.

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(...) C'est (...) sous forme de cartes de l'espace environnant que des modèles de monde semblent exister chez l'animal. Il est (...) établi que de nombreuses espèces ont des territoires bien délimités et de grande dimension et sont capables d'effectuer à l'intérieur et à l'extérieur de ces territoires des parcours complexes et longs vers un objectif déterminé. (...) Il est toujours possible d'expliquer ces parcours par des apprentissages associant des séries de repères particuliers avec des séries de segments de comportement locomoteur. Mais cette explication est peu vraisemblable dans le cas de très longs parcours, des migrations de plusieurs milliers de kilomètres. Certaines de celles-ci semblent guidées par le soleil ou les étoiles du ciel nocturne mais non pas comme de simples réflexes conditionnés car l'animal tient compte du déplacement apparent de ces repères au cours du trajet.

L'insuffisance des schémas S-R est encore plus nette dans le cas de "retour au gîte" à partir d'un endroit inconnu, sans que l'animal ait pu au cours du trajet "aller" apprendre l'usage de repères.

(...) La capacité de "retour au gîte" du pigeon voyageur est bien établie ; elle suggère que le lieu inconnu d'où l'animal relâché est localisé selon un modèle de monde qui permettrait à l'animal de

"faire le point". L'insuffisance de stricts schémas S-R apparaît encore dans des situations beaucoup plus simples et mieux contrôlées. Placés dans un labyrinthe où ils ont appris certains trajets, des rats sont capables d'utiliser dès qu'ils en ont la possibilité, sans apprentissage supplémentaire, des raccourcis vers le même but, comme s'ils utilisaient une représentation d'ensemble, une carte du labyrinthe.

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(...) Pour beaucoup d'éthologistes (voir en particulier Ristau, 1991), ces faits démontrent l'existence d'une intentionnalité chez l'animal.

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(...) L'observation courante d'un carnivore qui attend pendant de longues durées la "sortie" de sa proie montre qu'il est au moins capable du stade 4. Chats et chiens sont également capables de poursuivre leur proie de cachette en cachette, attendant la "sortie" à la dernière cachette et non à une cachette précédente (stade 5) ; ils sont peut-être même capables d'anticiper la sortie, après un déplacement "invisible" de la proie en un point éloigné de l'entrée (stade 6).

(...) Ces faits ne prouvent pas bien entendu une identité complète entre conscience humaine et conscience animale. (...) Mais cette difficulté ne signifie pas une impossibilité radicale. A la différence des conceptions dualistes, les conceptions matérialistes de la conscience ne sont pas par tout ou rien. Comme n'importe quel autre aspect du fonctionnement des organismes, la conscience est susceptible de degrés, de formes différentes selon l'histoire naturelle de l'espèce. Certaines espèces semblent utiliser des modèles très précis, très puissants de l'espace environnant, alors qu'elles ne semblent pas disposer de représentations de soi ou d'alter ego ; c'est l'inverse chez d'autres espèces et il y a beaucoup de degrés intermédiaires entre ces deux extrêmes. Il me sera toujours plus facile de me représenter l'univers d'un chimpanzé que celui d'une chauve-souris. (...) La neuro-éthologie montre et montrera de mieux en mieux en quoi il est semblable et en quoi il est différent de l'univers d'autres espèces.

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(...) La thèse très populaire selon laquelle le langage est une propriété exclusive de l'homme rencontre les difficultés classiques du dualisme : le langage comme "faculté" à part manifeste-t-il une réalité surnaturelle ?

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(...) Ces difficultés sont évitées par des conceptions "monistes" comme celle de Lieberman : le langage humain peut être entièrement expliqué par la biologie comparée. Il s'est différencié sous l'action de facteurs évolutifs identiques à ceux qui sont à l'origine d'autres caractéristiques de l'espèce humaine ou des caractéristiques d'autres espèces : la respiration aérienne, le vol, etc.

Comme pour toutes les innovations de l'évolution, ses mécanismes de base, sa machinerie neuromusculaire, est identique à celle d'autres éléments du répertoire de l'espèce.

L'existence d'un langage animal est alors concevable. Des observations de terrain le suggèrent déjà. Par exemple les cris d'alarme de certains singes semblent avoir un référent déterminé : ils diffèrent selon le prédateur détecté et suscitent des réactions appropriées au type de prédateur.

(...) C'est en laboratoire qu'ont été faites les observations les plus précises. Il s'agit des tentatives pour apprendre un langage à des singes supérieurs.

(...) Les singes supérieurs sont capables d'apprendre à utiliser un nombre relativement élevé de signes gestuels, de même que des symboles, des jetons par exemple. Les spécialistes s'accordent encore sur le fait que deux ou trois de ces signes gestuels ou symboles peuvent être combinés pour former des sortes de phrases rudimentaires ayant incontestablement une relation avec le contexte, et semblant exprimer une demande : "porte ouvre", "plus pomme".

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(...) Les singes supérieurs ont des capacités d'utilisation efficace de signes et symboles bien plus grandes que les observations de terrain ne le laissaient supposer. (...) Cette capacité ne s'est révélée que lorsque l'on lui a trouvé un support matériel (signes du langage des sourds muets, jetons ou touches d'un clavier), plus approprié que les vocalisations. Cela signifie qu'un organisme peut avoir des capacités que son environnement naturel ne sollicite par à leur niveau le plus élevé.

5. Conscient et inconscient p88

(...) Beaucoup d'activités cognitives, même sophistiquées, sont réalisées à l'état inconscient (KIHLSTROM J.F., 1987, "The cognitive unconscious", Science, 237).

p89

(...) [La conscience] est (...) au moins potentiellement présente, sous des formes plus ou moins rudimentaires, chez un grand nombre d'organismes. Toutefois on ne trouve de manifestations de ses formes les plus caractéristiques que chez les organismes, essentiellement les mammifères, muni d'un système nerveux central très développé et corrélativement, ayant un monde sensori-moteur et social très complexe. Mais pourquoi la conscience n'est-elle pas chez ces espèces l'état permanent ? Probablement pour des raisons de coût énergétique. L'état de veille ou de sommeil paradoxal, condition nécessaire de l'état conscient, coûte cher en termes de métabolisme cérébral. De plus, l'organisme dans son ensemble à besoin de phases de récupération qui correspondent chez le mammifère à l'état de sommeil à ondes lentes, incompatibles avec la conscience.

Le fait que, même à l'état de veille, une grande partie du fonctionnement de l'organisme soit inconsciente peut s'expliquer aussi par un coût énergétique de la conscience particulièrement élevé.

p90

(...) Du point de vue biologique, une autre raison recommande un usage limité de la conscience : elle ralentit le comportement, augmente les chances d'erreurs dans l'exécution d'une habileté déjà bien maîtrisée.

(...) Le fonctionnement inconscient du cerveau serait (...) essentiellement de type parallèle, donc beaucoup plus rapide et ayant une capacité de traitement de l'information beaucoup plus grande.

Chapitre IV, Neurobiologie de la conscience p92

(...) L'imagerie médicale montre directement des équivalents neurobiologiques de représentations anticipées de mouvements ou la formation d'images mentales de certains objets ou lieux. Ces propriétés générales et ces faits permettent de définir l'équivalent neurobiologique d'une représentation : c'est un état R du système nerveux.

p93

(...) Une représentation ainsi définie n'est pas un simple épiphénomène, un simple reflet, c'est une réalité matérielle. Issue en partie de l'activité endogène du système nerveux, elle a une certaine autonomie à l'égard de son référent ; de plus en tant que réalité matérielle, elle a un pouvoir

"causal" au même titre qu'un stimulus.

p94

I. Neurobiologie de la conscience au niveau de l'organisation générale du cerveau 1. Un modèle du cerveau.

On peut représenter le cerveau comme l'association de trois système qui interagissent et ont des fonctions complémentaires ; la plupart des comportements les mettent en jeu simultanément.

Le premier système est fait des neurones qui codent avec la plus grande précision les données sensorielles et les programmes moteurs. Appelons "C" ce système. Sa délimitation anatomique est relativement simple : il comprend les structures sensorielles et motrices primaires ainsi que les

ensembles de neurones qui codent une information de niveau plus élevé : le cortex associatif, et côté efférent, le cortex prémoteur, l'aire motrice supplémentaire, le striatum, le cervelet.

Chez l'homme, les structures mises en jeu par les routines linguistiques font également partie de C. Ce système a une organisation modulaire, c'est-à-dire qu'il est divisé en sous-systèmes relativement indépendants entre eux et ayant des fonctions différentes, spécialisées : par exemple, traitement de l'information visuelle ou programmation de la motricité somatique. Il est même possible de distinguer, à l'intérieur des modules principaux, des sous-modules encore plus spécialisés. Ainsi chez le primate, on distingue actuellement une trentaine d'aires corticales traitant différents aspects de l'information visuelle.

(...) Le second système est fait de neurones dont l'activité n'a pas de relation précise avec les réceptions sensorielles et la motricité de l'organisme ; elle est, par contre, fortement corrélée avec l'état de vigilance et de motivation. Appelons ce système "A", pour activation. Les principales structures qui le composent sont la formation réticulée, le raphé, le locus ceruleus, certains noyaux du thalamus et de l'hypothalamus, le noyau basal du télencéphale, et le système limbique : cortex cingulaire, hippocampe, amygdala, septum, etc. Certaines de ces structures sont directement impliquées dans la régulation des cycles veille-sommeil et/ou la motivation.

Note : C, cortex ; A, activation ; S, supervision.

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(...) A la différence de l'organisation de C, celle de A n'est ni modulaire ni topographique : elle est intégrative. Ses neurones ne se répartissent pas en modules relativement indépendants et spécialisés : ils reçoivent des afférences provenant de sources très hétérogènes et se projettent de façon très divergente sur de nombreuses régions du cerveau (L'axone de beaucoup de neurones de A, ceux du raphé et du locus ceruleus en particulier, se divise en un grand nombre de collatérales ; par l'intermédiaire de celles-ci, un même neurones de A peut modifier simultanément l'état de beaucoup d'autres neurones.) De plus les différents sous-systèmes de A sont fortement interconnectés. Pour ces raisons, un neurone de A ne peut coder une information avec précision.

Par contre, il est particulièrement apte à sommer, intégrer l'activité de nombreuses afférences. De plus, grâce à ses projections divergentes, un neurone de A influence simultanément de nombreux autres neurones, soit internes à A, soit externes, par exemple les neurones sensoriels ou moteurs de C, ce qui augmente la synchronisation, la cohésion de l'activité de ceux-ci.

Le troisième systèmes est le plus difficile à définir et à délimiter. C'est néanmoins une composante essentielle de toute description du cerveau : le caractère organisé du comportement, son orientation vers un but doit avoir un support neurobiologique. La meilleure illustration du rôle de ce système est ce que l'on appelle l'"acte volontaire" chez l'homme. Il implique la représentation d'un but et des stratégies appropriées pour l'atteindre, l'évaluation des premiers résultats, la correction des erreurs. Le temps est une dimension importante de ce rôle, en particulier la représentation et l'organisation du futur. Appelons ce système "S" pour supervision. La principale indication sur sa délimitation est d'origine clinique : les effets des lésions frontales reflètent un déficit dans les fonctions de S ; par exemple, les patients "frontaux" se caractérisent par leur instabilité, leur difficulté à organiser leur action dans le temps. L'imagerie cérébrale chez l'homme normal, les données neurophysiologiques chez le singe confirment que le cortex frontal est une part essentielle de S.

p97

Ce schéma rapide soit être utilisé avec précaution. La délimitation anatomique des trois systèmes doit être affinée et nuancée. La structure anatomique est une division grossière du cerveau qui inclut des populations de neurones hétérogènes en termes de neuromédiateurs, connectivité, propriétés membranaires intrinsèques, etc. De plus la représentation anatomique a l'inconvénient d'imposer a priori des schémas localisationnistes, statiques. Les systèmes C, A et S ont des aspects dynamiques. Par exemple, l'activation relative de différentes régions cérébrales évolue en fonction de la progression d'un apprentissage (SEITZ R.G. & ROLAND P.E., 1992, "Learning of sequential

finger movements in man : A combinated kinematic and positron emission tomography (PET) study, Eur. J. Neurosci). Les trois systèmes se caractérisent aussi à un niveau plus fin par des propriétés neurophysiologiques et neurochimiques.

(...) 2. Délimitation des bases cérébrales de la conscience.

A) Neurophysiologie des cycles veille-sommeil et de l'attention.

La conscience est le plus souvent associée à l'état de veille. Celui-ci dépend essentiellement du système A et à l'intérieur de ce système, des interactions entre certains noyaux thalamiques et hypothalamiques, le noyau basal du télencéphale, la formation réticulée pontique, le raphé et le locus céruleus. Ces interactions ne sont pas toutes complètement connues mais en simplifiant considérablement, on peut dire que la cause prochaine ou mieux l'équivalent le plus direct de l'état de veille est une augmentation de l'excitabilité des neurones du thalamus et du cortex qui se traduit par une augmentation de leurs réponses aux stimuli sensoriels. Mais au plan physiologique, l'état de veille n'est pas seulement une réactivité corticale accrue. Une analyse plus fine des données montre que cet état est associé à une augmentation du rapport signal/bruit des réponses des neurones corticaux à de stimuli sensoriels.

p98

(...) Plusieurs types de neuromédiateurs sont mis en jeu dans des interactions complexes entre ces différentes structures : le glutamate, libéré par les neurones de projection thalamiques et corticaux, l'acétylcholine, par ceux du noyau basal du télencéphale et de la formation réticulée pontique, la noradrénaline, la sérotonine, l'histamine respectivement par ceux du locus ceruleus, du raphé et de l'hypothalamus. Bien entendu, le GABA, neuromédiateur libéré surtout par des interneurones, est mis en jeu aussi, notamment dans la balance excitation-inhibition thalamo-corticale.

p100

(...) La neurobiologie de la veille et du sommeil (...) identifie une partie des bases neuro-anatomiques de la conscience et de ses mécanismes cellulaires et moléculaires, (...) montre que le rêve, qui survient le plus souvent en sommeil paradoxal, a des bases neurobiologiques en partie communes avec celle de la conscience de l'état de veille. Ce qui différencie les deux formes de conscience (...), c'est la relation avec l'environnement. Deux composantes de la conscience sont ainsi naturellement dissociées : une composante endogène, relativement indépendante du milieu et une composante dépendant des relations avec celui-ci. Seule la première est en action pendant le rêve ; les deux interagissent pendant la conscience de l'état de rêve.

Mais l'enseignement le plus important est l'illustration de la notion d'"état". Veille et sommeil sont des états du système nerveux, c'est-à-dire une certaine configuration d'activation de l'ensemble ou d'une grande partie du cerveau. C'est ce que montre globalement l'imagerie cérébrale ; à un niveau plus fin, c'est une certaine répartition des fréquences et des modes de décharge des neurones, des transmissions synaptiques excitatrices et inhibitrices, etc. Un état n'est pas une réalité fugitive.

Il dure des heures et de plus il se reproduit de jour en jour (les cycles veille-sommeil) pendant toute la vie de l'organisme. En d'autres termes, ce qu'illustrent de façon parfaitement objective les phénomènes de veille et de sommeil, c'est l'aptitude du système nerveux à prendre certaines configurations fonctionnelles globales de façon durable et reproductible. Même si certaines populations de neurones ou certains neuromédiateurs ont une importance particulière dans un état, celui-ci est avant tout une intégration, une interaction complexe entre de très nombreux éléments.

p101

(...) La conscience (...) est un "état" du cerveau.

(...) La neurobiologie de l'attention distingue actuellement trois systèmes (POSNER M.I. &

ROTHBART M.K., "Attentional mechanism and conscious experience, in MILNER A.D. &

RUGG M.D., 1992, The Neuropsychology of Consciousness, New York, Academic Press). Le premier, dit "postérieur" comprend le cortex pariétal, le pulvinar, le noyau réticulaire du thalamus.

Il intervient dans l'attention "spatiale" qui localise les stimuli dans l'espace et définit l'échelle des

grandeurs spatiales utiles. Le deuxième, "antérieur", met en jeu des régions frontales : la partie antérieure du cortex cingulaire, l'aire motrice supplémentaire. Il intervient dans la détection d'événements significatifs, typiquement d'événements qui chez l'homme peuvent donner lieu à un rapport verbal. Le troisième système enfin est impliqué dans la préparation et le maintien d'un état d'alerte pour le traitement de signaux particulièrement importants. Ce systèmes est en grande partie identique à celui qui détermine l'état de veille. Le locus céruleus et ses projections noradrénergiques ascendantes y joueraient un rôle particulièrement important mais aussi une région du cortex frontal droit chez l'homme.

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D) L'anatomopathologie de déficits spécialisés de perception et de mémoire (Milner et