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Gènes et comportement

(Article de Thierry SOUCCAR, in Dossier de Sciences et Avenir n° 576 de février 1995)

"En 1990, un groupe de chercheurs conduits par Kenneth BLUM, du Health Science, Center (université du Texas, San Antonio) et Ernest NOBLE, de l'école de médecine de l'université de Californie (UCLA), annonçaient (...) avoir découvert un marqueur génétique de l'alcoolisme, en l'occurrence l'allèle A1 du gène qui code l'un des récepteurs (D2) de la dopamine.

La dopamine, un neurotransmetteur qui module les sensations de plaisir dans une région du cerveau, figure au centre des théories sur les phénomènes de dépendance (L'alcool, les amphétamines, la cocaïne augmente de manière importante les taux de dopamine dans la région concernée et pourraient donc être utilisés en compensation d'un système dopaminergique défectueux.).

En comparant des échantillons d'ADN prélevés dans le cerveau de 35 alcooliques à ceux d'un nombre égal de non alcooliques, Blum et Noble avaient relevé la présence de l'allèle A1 chez 69 % des membres du premier groupe, contre 20 % seulement chez ceux du second groupe.

En 1991, David Comings, un généticien du City of Hope Medical Center (Duarte, Californie), publiait les résultats d'une étude qui sonnait comme un confirmation (...) des travaux de Blum et Noble. L'équipe de Comings rapportait que la mutation D2A1 était deux fois plus fréquente tant chez les alcooliques que chez les autistes, les hyperactifs avec déficit d'attention, les victimes de stress post-traumatique et les patients atteints du syndrome de Tourette !

(...) Les études d'adoption montrent que les enfants nés de parents alcooliques, qui grandissent dans un milieu non alcoolique son plus fréquemment touchés que les enfants nés de parents non alcooliques. Chez les jumeaux monozygotes, on observe une concordance dans 55 à 75 % des cas, alors qu'elle n'est que de 20 à 30 % chez les hétérozygotes.

Pour élucider la question, les instituts nationaux de la santé ont mis en place, il y a cinq ans, un programme massif de recherches, dont la direction a été confiée au neurobiologiste Henri BEGLEITER, de l'université d'Etat de New-York. "L'époque des maladies attribuées à un gène unique touche à sa fin", dit Begleiter, qui estime que les troubles du comportement sont probablement d'ordre polygénique.

Si la course au gène unique s'est déjà révélée pleine d'embûches, la tâche qui consiste à isoler plusieurs gènes pourrait bien apparaître insurmontable.

(...) Begleiter ne nie pas l'influence de l'environnement : "Je ne m'attends pas à ce qu'un gène ou plusieurs gènes expliquent à eux seuls la dépendance de l'alcool."

(...) Une sérotonine en chute libre ou un taux excessif de noradrénaline ont été associés à un comportement violent, tant chez l'animal que chez l'homme.

(...) En 1992, Markus Kruesi, de l'université de l'Illinois (Chicago) a clairement établi un lien entre des taux faibles de sérotonine et un comportement asocial chez des enfants.

(...) En dépit d'une réputation sulfureuse, généticiens et biologistes du comportement ne désarment pas. Il se pourrait cette fois qu'ils aient en partie gain de cause.

En 1993, René Hen, de l'Inserm de Strasbourg, a annoncé que son équipe avait neutralisé chez des souris le gène qui code l'un des récepteurs à la sérotonine, et que les animaux ainsi traités affichaient un comportement violent. La même année, une équipe américano-néerlandaise a mis en évidence une mutation sur le gène responsable de l'activité de la monoamine oxydase A (MAOA).

Cette enzyme a pour rôle de mettre un terme à l'activité des neurotransmetteurs dopamine, noradrénaline et sérotonine, une fois qu'ils ont activé leurs récepteurs propres. Dans sa forme mutante, le gène serait inactif et la personne manquerait de MAOA, ce qui aurait pour conséquence d'amplifier le message neuronal et de conduire à un comportement agressif.

(...) Markku LINNOILA, directeur du National Institute of Alcohol Abuse, a récemment annoncé une découverte qui, si elle était vérifiée, pourrait réconcilier les observations liées à l'environnement et le point de vue des généticiens. Linnoila pense avoir identifié une mutation génétique répandue, qui entraîne une baisse de la sécrétion de sérotonine. Le gène en cause code la tryptophane hydroxylase, une enzyme qui transforme l'acide aminé tryptophane (apporté par l'alimentation) en sérotonine. Linnoila a relevé cette mutation chez 40 % des membres d'un échantillon représentatif de la population suédoise, et chez tous les membres d'un groupe de personnes auteurs d'au moins deux tentatives de suicide.

(...) Alors que dopamine, noradrénaline et sérotonine sont clairement au centre des recherches sur l'agressivité, David COMINGS prend la mesure du chemin qui reste à parcourir : "Il existe au moine 30 gènes impliqués dans le métabolisme de ces neurotransmetteurs. Et l'environnement intervient probablement pour moitié. Si vous avez la double malchance d'hériter de gènes défectueux, et de grandir dans un contexte impropre, vous pouvez devenir un criminel."."

Biologie du comportement, in Sciences & Avenir n° 636, février 2000, pp. 60-63, par Thierry Souccar ;

Le modèle bio-comportemental de Cloninger

« (...) Aujourd’hui, le modèle de Cloninger est l’un des plus utilisés en psychiatrie, et certains tentent activement de lui trouver une base génétique. Cloninger a identifié sept traits de la personnalité. Trois d’entre eux seraient héréditaires : la recherche de la nouveauté (impulsivité et extravagance), l’évitement du mal (inhibition, timidité, fatigabilité) et la dépendance à la récompense (sociabilité). Chacun serait modulé par un neurotransmetteur principal, respectivement la dopamine, la sérotonine et la noradrénaline.

Recherche de la nouveauté chez l’acteur, dopamine et gènes

Il y a trois ans, une étude menée auprès de 50 personnes avait trouvé une association positive entre le taux de noradrénaline et la dépendance à la récompense. À peu près au même moment, une

équipe israélo-américaine conduite par Richard Ebstein (université Ben-Gourion, Beer-Sheva, Israël) apportait une confirmation spectaculaire à l’hypothèse de Cloninger en révélant que les personnes qui possèdent une forme particulière du gène qui code pour un récepteur de la dopamine (D4DR) manifestent une plus grande tendance à « rechercher la nouveauté ».

Depuis, une intense activité règne autour des gènes des neurotransmetteurs et de leurs récepteurs.

Dans un premier temps, plusieurs équipes n’ont pu reproduire les résultats d’Epstein. Et puis, il y a quelques mois, des chercheurs japonais, allemands et finlandais ont confirmé qu’une forme du gène D4DR est associée à la recherche de la nouveauté.

Ebstein : gène 5-HTT et sérotonine

Ebstein, lui, s’intéresse aux bébés. Il a déjà publié deux études qui tendent à montrer que les nouveau-nés porteurs de formes particulières des gènes D4DR et 5-HTT (qui code pour le transporteur de la sérotonine) manifestent des traits de personnalité et de tempérament à 2 semaines et à 2 mois en accord avec le modèle de Cloninger.

Biologie et violence p.62

(...) Interrogez les généticiens. Aucun ne prétend qu’il existerait un « gène du crime ». Mais beaucoup pensent que l’on pourrait trouver des marqueurs physiologiques pour certains traits associés à la criminalité. Le principal candidat à ce jour reste la sérotonine, un neurotransmetteur associé dans les études chez l’animal et chez l’homme à des comportements impulsifs et agressifs.

En 1998, Terrie Moffitt (Institut de psychiatrie, Londres) a analysé le taux sanguin de sérotonine de 781 hommes et femmes âgés de 21 ans. Des taux élevés étaient associés à un comportement marqué par la violence.

(...) Selon John Highley (Institut national sur l’alcoolisme, Poolesville, Maryland) qui se fonde sur les résultats d’études menées sur des primates non humains, les singes dont le taux de sérotonine dans le système nerveux central (SNC) est bas manifestent une agressivité incontrôlée et un goût immodéré pour l’alcool.

(...) La sérotonine est synthétisée dans le SNC à partir du tryptophane, un acide aminé apporté par les protéines de l’alimentation. Celui-ci subit d’abord une oxygénation orchestrée par une enzyme, la tryptophane hydroxylase (TPH) pour former le 5-hydroxytryptophane. Ce dernier est ensuite transformé par une autre enzyme en 5-hydroxytrypotamine ou sérotonine. Une fois que la sérotonine a accompli son rôle de messager chimique, elle est reprise par une protéine de transport spécifique, le 5HTT (cible de certains antidépresseurs).

L’an passén une étude conduite par des chercheurs de l’université de Pittsburgh auprès de 251 adultes en bonne santé a rapporté que celles et ceux qui possèdent une forme particulière du gène qui code pour l’enzyme TPH ont plus tendance à céder à des pulsions agressives. Et une étude chez le singe suggère que les individus porteurs d’une forme moins fonctionnelle du gène du 5HTT ont un comportement plus agressif;

Le rôle déclencheur ou aggravant de l’histoire personnelle p.63

(...) Les individus séparés très tôt de leur mère manifestent plus souvent cette tendance. Peter Breggin, psychiatre à Washington, fait remarquer que le métabolisme de la sérotonine est particulièrement sensible à de nombreux facteurs environnementaux, comme le stress.

L’homosexualité

Gènes et homosexualité (février 1995)

(par Thierry SOUCCAR, in Dossier de Sciences et Avenir n° 576 de février 1995)

"En comparant la taille d'une petite structure de l'hypothalamus chez divers sujets, Simon LE VAY, un chercheur du Salk Institute for Biological Studies (San Diego, Californie), a trouvé que cette région du cerveau est plus petite chez les homosexuels que chez les hétérosexuels, ce qui laisse supposer que les préférences sexuelles sont d'ordre biologique.

(...) EN 1978, l'équipe de Roger GORSKI, un chercheur de l'UCLA, découvre qu'un groupe de cellules dans la région pré-optique de l'hypothalamus du rat est plus large chez le mâle que chez la femelle. L'hypothalamus est un centre majeur de la régulation de nombreuses fonction physiologiques (température corporelle, appétit, soif, désir...).

Les chercheurs baptisent cette zone "noyau sexuellement dimorphique de l'aire pré-optique"

(SDN-POA). On soupçonne depuis longtemps le SDN-POA de jouer un rôle dans le comportement sexuel et, de fait, la différence de taille constatée par les chercheurs semble due à une exposition du foetus aux hormones mâles. Laura ALLEN, une élève de Roger Gorski a depuis identifié chez l'homme quatre homologues potentiels du SDN-POA, les noyaux intersticiels de l'hypothalamus antérieur, baptisés INAH 1, 2, 3 et 4.

(...) Simon LE VAY (...) note d'abord que le INAH 3 est plus gros chez l'homme que chez la femme. Puis, en analysant le cerveau de 19 homosexuels morts du sida et de 16 hétérosexuels présumés (dont 6 décédés eux aussi de cette maladie), il trouve que le INAH 3 est plus petit chez les premiers. Simon LE VAY venait de donner une base biologique à l'homosexualité. Dean HAMER, un chercheur du National Cancer Institute va clairement lui fournir une dimension génétique [grâce aux études menées par les psychologues BAILEY et PILLARD sur des paires de jumeaux]. HAMER se penche sur une région du chromosome X (la zone Xq 28), qui contient des centaines de gènes. [Il se trouve que cette région se retrouve plus souvent chez les frères homosexuels que chez les hétérosexuels, alors que la probabilité de similitude devrait être de 50 % pour tout le monde, puisque la mère, détentrice de deux zones Xq 28 (puisque détentrice de deux chromosomes X) n'en lègue qu'une seule à ses fils (détenteurs d'un seul X). Ceci laisse supposer qu'elle contient un gène influençant le développement de l'INAH 3 et déterminant l'homosexualité].

(...) Comme le fait remarquer William BYNE, "les études qui font de l'homosexualité un trait héritable ne nous disent pas un mot de la manière dont cet atavisme s'opère. Les gènes codent de protéines, pas des comportements." Byne propose que certains gènes soient capables d'influencer des traits de comportement qui pourraient, selon l'environnement et les expériences, contribuer à l'orientation sexuelle."

Doutes sur l’hypothèse d’un « gène homosexuel » (juin 1999)

« Retour sur une polémique scientifique vieille de 6 ans : en 1993, Dan Hamer et son équipe du National Cancer Institute (Bethesda, Etats-Unis) annoncent avoir trouvé un marqueur génétique de l’homosexualité masculine. Une région du chromosome sexuel X, baptisée Xq28, s’avérait commune à 40 paires de jumeaux homosexuels canadiens. La publication des résultats avaient fait beaucoup de bruit... pour rien ? En effet, une autre équipe, celle de George Rice, de l’université de l’Ontario occidental, au Canada, vient de refaire les calculs avec 52 paires de jumeaux « gays ».

Elle n’a trouvé aucune corrélation significative autour de la fameuse région Xq28. »

(In Sciences & Avenir, n°628, juin 1999, p.20) Précisions sur l’origine biologique de l’homosexualité, Sciences & Avenir n° 636, février 2000, pp. 60-63, par Thierry Souccar

« (...) Dick Swaab (Institut de la recherche sur le cerveau) a rapporté qu’une région de l’hypothalamus, l’aire préoptique, contient un noyau (SDN) dont les cellules sont deux fois plus nombreuses chez l’homme que chez la femme. (...) Il a eu l’idée d’aller fouiller une autre région de l’hypothalamus, le noyau suprachiasmatique (SCN), parce qu’elle est associée au comportement sexuel chez de nombreuses espèces. (...) Dans le groupe étudié, le SCN des homosexuels était deux fois plus gros.

(...) Roger Gorski et Laura Allen (université de Californie, Los Angeles) ont rapporté que la commissure antérieure, une région de l’hypothalamus, est plus volumineuse de 18 % chez les

homosexuels que chez les femmes hétérosexuelles, lesquelles ont déjà un avantage de 34 % par rapport aux hommes hétérosexuels.

En 1991, Simon Le Vay (Institut Salk, San Diego) a fait la une de la presse mondiale en révélant qu’une autre région encore, le troisième noyau interstitiel de l’hypothalamus antérieur (INAH 3), serait plus grosse chez les hommes homosexuels et les femmes hétérosexuelles que chez les hommes hétérosexuels.

(...) Il ne manquait qu’un morceau d’ADN pour emporter la conviction. Dean Hamer (Institus nationaux de la santé des Etats-Unis, Bethesda, Maryland) l’a trouvé en 1993. Cette année-là, il présente en effet la preuve statistique (...) qu’une région du bras long du chromosome X (appelée Xq 28) contient un ou plusieurs gènes qui favorisent l’homosexualité. »

(Mémoire)

Sciences & Avenir, 2000, « dossier spécial sur la mémoire », octobre, pp. 42-58 ;

JAFFARD Robert & JEAN-BAPTISTE Patrick, « Les mémoires du cerveau », pp. 52-54 ;

(Robert Jaffard est directeur de recherche au laboratoire de neurosciences cognitives du CNRS-Bordeaux)

« Il n’existe pas une, mais plusieurs mémoires, chacune traitée par un ensemble de structures spécialisées. La mémoire à court terme relève du cortex tandis que les mémoires à long terme, déclarative et non déclarative, impliquent les régions profondes et inférieures du cerveau.

Mémoire à long terme non déclarative p.52

Également appelée mémoire procédurale, la mémoire non déclarative est inconsciente, totalement mécanique. Elle résulte de la répétition très fréquente d’une tâche comme pédaler ou taper sur un clavier d’ordinateur. Elle n’implique pas l’hippocampe et il semble même qu’elle concurrence la mémoire déclarative, les deux systèmes fonctionnant en opposition. Son but est de faciliter toutes les tâches de la vie quotidienne dont la prise de conscience est inutile, comme le trajet qui mène à son travail ou la fermeture à clef de la porte du domicile.

Mémoire à long terme déclarative p.53

Contrairement à la mémoire de travail, la mémoire déclarative à long terme perdure tant et si bien qu’il est possible de se souvenir d’un passé lointain avec, parfois, une grande précision. C’est la mémoire au sens habituel du terme. Elle se subdivise en mémoire épisodique et mémoire sémantique.

Mémoire épisodique

La mémoire épisodique est celle de tous les événements vécus, accidents de la vie quotidienne, films, livres, conversations... Elle dépend d’abord de l’hippocampe, une région du cerveau profond indispensable non seulement à la mémorisation à long terme, mais aussi au rappel des souvenirs.

Les neurones pyramidaux de l’hippocampe sont les seules cellules connues subissant une modification électrochimique durable lors de ces deux phases de la mémoire. Pour simplifier, si les afflux nerveux en provenance des régions corticales spécialisées dans le traitement des perceptions sont assez importants ou intenses, le seuil de sensibilité du neurone pyramidal est abaissé pour

plusieurs jours, voire plusieurs semaines. C’est la potentialisation à long terme (PLT), seule trace physique de l’empreinte mnésique. Pendant le rappel ou lors d’une réminiscence, ces neurones seront activés sélectivement et, via leurs axones, activeront à leur tour les régions corticales responsables initialement de l’enregistrement de l’événement dont on se souvient. Ces neurones sont d’ailleurs eux aussi spécialisés dans la reconnaissance d’une odeur, d’une différence entre deux couleurs... La mémoire épisodique fonde la personnalité.

Mémoire sémantique

Peu à peu, la répétition d’événements semblables, répercutés par l’hippocampe sur les mêmes régions du cortex, permet l’établissement de connexions nouvelles et relativement stables. Et au bout de trois ans en moyenne, l’hippocampe n’intervient plus dans le rappel. C’est pourquoi les amnésiques antérogrades (à l’hippocampe détruit) se souviennent de tout sauf des trois années précédant l’accident et bien sûr de toutes celles qui suivent. Une fois fixée dans le cortex, la mémoire est de moins en moins épisodique, elle devient sémantique. Elle stocke les concepts, les connaissances générales.

Mémoire à court terme ou mémoire de travail p.52

Principalement corticale, cette mémoire permet par exemple de suivre une conversation, de retenir un numéro de téléphone ou la position d’un objet dans l’espace. Sa profondeur circonscrit ce que l’on peut appeler le présent. La trace mnésique d’un chiffre ou d’un objet s’efface au bout de 1,7 seconde, si elle n’est pas entretenue par une sorte de boucle de rafraîchissement (on répète plusieurs fois le numéro de téléphone à retenir) (...). La mémoire de travail a une capacité de stockage limitée, « l’empan mnésique », qui, selon les langues, varie de 6 à 9 unités. Tout dépend de la longueur des mots. En français, il est possible de retenir 7 chiffres, mais rarement 8 à moins de réunir les deux premiers : 8-5-6-7-5-2-1 ou 85-6-7-5-2-1-3. Les amnésiques antérogrades - dont l’hippocampe est détruit mais dont le cortex est intact - peuvent donc suivre une conversation tant que leur attention n’est pas détournée. Auquel cas, ils ne sauront plus de quoi il était question.

Mots, chiffres ou objets restent présents à l’esprit sous forme de traces mnésiques très transitoires dans les régions d’intégration sensorielles. D’autres zones du cortex frontal réactivent sélectivement ces régions pour en « rafraîchir » le souvenir.

Remarque : variabilité expérimentale de la durée de la trace mnésique chez les individus

Par expérience et observation personnelles, je suppute que la durée (de « 1,7 seconde ») de la trace mnésique est variable : elle est variable chez un même individu selon son état de fatigue, de stress ou au contraire de repos, de sérénité et d’acuité intellectuelle ; elle est variable, à état égal, selon les individus - plus faible chez les élèves de CLIS par exemple ; plus importante dans les quartiers dits « favorisés ». Cette variabilité interindividuelle me semble plutôt naturelle, en cela qu’elle est difficilement modulable ou « éducable ». Hormis la variabilité génotypique, des substances assimilées par la mère au cours de sa grossesse (comme par exemple la nicotine) sont peut-être responsable de cette variabilité « d’acuité mnésique » interindividuelle.

Mécanique de la mémoire p.53

Trace mnésique et pérennité du souvenir

Les afférences nerveuses en provenance des régions corticales chargées de la perception potentialisent les dendrites des neurones pyramidaux. Rendus plus excitables dans le contexte sensoriel particulier d’un événement, ils seront susceptibles de réveiller l’intégralité des modules neuronaux responsables de l’encodage de cet événement : c’est le souvenir. Avec le temps, de

nouvelles connexions corticales remplaceront totalement ce circuit. La mémoire se pérennise dans le cortex après trois ans.

Reconnaissance

C’est une des fonctions les plus efficaces de la mémoire. Elle permet de reconnaître des milliers d’objets vus tout au plus quelques secondes. Car les neurones pyramidaux détectent les intrus à la vitesse de l’éclair. Distinguer, par exemple, entre l’arôme de menthe et celui de citron ne mobilise que quelques cellules. Lorsque l’on sent la menthe, seuls les neurones spécialisés dans son identification s’activent. Sentir une deuxième fois de la menthe les réactive ainsi que d’autres neurones, les cellules « matchs » : les deux odeurs sont identiques. En revanche, si, après avoir senti de la menthe, une forte odeur de citron envahit les narines, ce sont les neurones spécialisés dans la reconnaissance du citron qui s’illuminent avec d’autres cellules, les « mismatchs » : les deux odeurs sont différentes. Couche de neurone après couche de neurones, toute information est ainsi traitée selon un degré croissant de complexité.

La « synesthésie » p.54

Veniamin et Nabokov, à part leur prodigieuse mémoire, ont en commun d’être synesthètes. Chez eux, chaque événement provoque un ensemble de sensations interférentes. Un mot, une lettre, un son induisent une couleur, un aspect, une forme, une texture, un goût ou une odeur. Deux

Veniamin et Nabokov, à part leur prodigieuse mémoire, ont en commun d’être synesthètes. Chez eux, chaque événement provoque un ensemble de sensations interférentes. Un mot, une lettre, un son induisent une couleur, un aspect, une forme, une texture, un goût ou une odeur. Deux