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CHAPITRE 1 – DEFINITION, CHAMPS D’APPLICATION ET MOTIVATIONS DE PARTICIPATION

1. Utilisation du crowdsourcing pour le développement de nouveaux produits

Drucker a dit que "l'entreprise n'a que deux - et seulement deux - fonctions: le marketing et l'innovation" (1954). L'innovation est une nouvelle façon de faire quelque chose, ou une perçue comme nouvelle par les consommateurs (Le Nagard-Assayag & Manceau, 2011; Lendrevie et al., 2009). En effet, une des fonctions de l'entreprise est de créer des produits appréciés par le marché, qui est très demandeur d'innovations. Face à l'accélération des cycles d'innovation, de plus en plus d'entreprises utilisent le crowdsourcing comme un moyen de bénéficier de la créativité d'un grand nombre d'individus (Le Nagard & Reniou, 2013; O’Hern & Rindfleisch, 2010). Lobre et Lebraty (2010) soulignent qu'un processus de crowdsourcing peut être innovant à deux niveaux : c'est une nouveauté pour l'entreprise qui n'a jamais externalisé ouvertement une tâche, et qui met donc en place un processus nouveau ; et cela peut déboucher sur de la nouveauté lorsque la foule propose une ou plusieurs solutions innovantes. "Les attentes en termes de créations innovantes d’une opération de crowdsourcing s’expriment par la nouveauté plutôt radicale, d’un produit ou d’un procédé, nouveauté établie par l’organisation et obtenue grâce à l’expertise d’individus dans la foule dont le domaine de compétence est rarement identique à celui de l’organisation" (p. 13). L'entreprise, ayant des ressources limitées, y voit une sorte d'usine à idées créatives nourrissant le processus d'innovation.

En nous basant sur la typologie des moyens d'implication des consommateurs dans le processus d'innovation de Piller et al. (2011), nous pouvons citer quelques exemples d’utilisation du crowdsourcing dans l’innovation20 :

Degré de liberté élevé (tâche ouverte & créative) Virgin Earth Challenge, InnoCentive, Bamed/MAM Group Threadless, LaFraise, AUDI Virtual Lab, Mi-Adidas- und-ich, SAPiens, Smell Fighters - Boeing World Design Team, CrowdSpirit, Quirky Degré de liberté faible (tâche prédéfinie & restreinte) - - - - Consommateur individuel Communauté de consommateurs Consommateur individuel Communauté de consommateurs

Début du processus d'innovation

(idées, concepts etc.)

Fin du processus d'innovation (validation,

tests etc.)

Tableau 3 : Exemples d'utilisation du crowdsourcing dans le processus d'innovation d’après Piller et al. (2011)

1.1. Utilisation du crowdsourcing au début du processus

d'innovation

1.1.1. Les concours d'idées

Les concours d'idées sont un moyen populaire chez les entreprises pour accéder à des idées innovantes venant de consommateurs ou d'utilisateurs (Ebner, Leimeister, & Krcmar, 2009; Girotra, Terwiesch, & Ulrich, 2010; Morgan & Wang, 2010; Piller & Walcher, 2006). Une idée est la représentation intellectuelle abstraite d’un objet, d’un produit, service, phénomène, ou processus (Lehu, 2004). D’après Levitt (1963), les idées sont toujours le premier élément pour stimuler l’innovation, et l’entreprise doit ensuite la développer et la mettre sur le marché – ce sans quoi une idée n’a pas de valeur marchande. En marketing et en

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Nous avons choisi de ne pas illustrer les cas des forums de discussion spécialisés, des boîtes à outils pour l'innovation par les utilisateurs, du test et/ou trading de concepts virtuels, des boîtes à outils pour la

customisation de masse et le co-design et de la sélection d'idées par les consommateurs car il ne s'agit pas

d'exemples de crowdsourcing selon la définition utilisée pour ce travail doctoral. Les forums de discussion sont des espaces d'échange gérés de manière décentralisée et sans commande managériale descendante, les boîtes à outils pour l'innovation par les utilisateurs sont, comme leur nom l'indique, juste des outils mis à disposition de consommateurs innovants pour leur permettre de créer et de partager des idées avec les entreprises. Les tests et le trading de concepts virtuels ou la customisation de masse ne constituent pas non plus des exemples de crowdsourcing dans le sens où il ne s'agit pas de création mais de sélection ou de configuration. La liberté créative laissée aux individus est si faible qu’il est donc inapproprié de parler de crowdsourcing créatif.

innovation, la formation d’idées (« idea generation ») constitue donc l’une des premières étapes du développement d’un nouveau produit (Le Nagard-Assayag & Manceau, 2011). Traditionnellement, les idées proviennent des collaborateurs de l’entreprise, des agences d’innovation ou de publicité, ou de consommateurs lorsqu’on les sollicite dans le cadre de focus groups créatifs ou de la technique du brainstorming (« remue-méninges » en français). Aujourd’hui, avec les moyens modernes de communication, cette génération d’idées peut être beaucoup plus importante et diversifiée, car un nombre beaucoup plus important de personnes peuvent être sollicitées. Certains utilisent le terme de « crowdstorming » pour décrire cette capacité à générer des idées de manière plus rapide et plus importante grâce à internet (Abrahamson, Ryder, & Unterberg, 2013). Quel que soit le terme, qu’il s’agisse de crowd-storming, de crowd-sourcing ou d’autres formats de concours, la créativité des internautes est aujourd’hui mobilisable à une échelle extrêmement importante à coût très faible et à une vitesse élevée, ce qui contribue à l’intérêt croissant des entreprises pour les concours d’idées pour améliorer leurs processus d’innovation (Piller & Walcher, 2006; Terwiesch & Xu, 2008).

Dans un concours d'idées, une organisation publie un appel à contributions lié à une problématique d'innovation, et demande à des individus de proposer des solutions avant une date donnée (Adamczyk, Bullinger, & Möslein, 2012; Piller et al., 2011). Comme nous l'avons déjà décrit, la logique de concours est intéressante pour les entreprises dans le sens où elle permet de stimuler un grand nombre de participants qui, par leur diversité et leur indépendance, apportent des idées nouvelles et originales à l'entreprise. Les participants sont amenés à divulguer des informations à l'entreprise, qui bénéficie de l'ensemble des contributions mais n'a qu'à récompenser celles qui lui sont le plus utiles (Burger-Helmchen & Penin, 2011). Dans un concours d'idées, la contribution est individuelle, c'est-à-dire que les participants soumettent des idées mais ne sont pas amenés à les discuter, les améliorer ou de voter ; il n'y a pas d'aspect communautaire ni d'échanges entre participants (Piller et al., 2011).

1.1.2. Les communautés de création et de génération d'idées

Lorsque l'internaute est impliqué de manière plus collective, on peut parler de communautés de création et de génération d'idées (Piller et al., 2011). Ce type d'opérations

est très similaire aux concours d'idées, il se différencie néanmoins par le fait que la foule n'est pas uniquement sollicitée pour générer des idées, mais aussi dans la discussion, l'amélioration et/ou la sélection de ces idées – il y a donc un aspect communautaire supplémentaire (Adamczyk et al., 2012). Les communautés de création et de génération d'idées sont certainement le type d'opérations les plus fréquemment mises en place par les entreprises lorsqu’il s'agit de faire réfléchir une communauté sur une problématique particulière (Ebner et al., 2009; Füller, Bartl, Ernst, & Mühlbacher, 2006; Pitta & Fowler, 2005). Comme le souligne Pélissier (2008), "les biens produits sont plutôt de qualités (uniques) et immatériels. La « communauté » est partie prenante de la gouvernance du site, de la sélection des idées, parfois des prix du produit" (p. 13).

Parmi ces communautés, on peut citer le site français LaFraise.com ou encore le site américain Threadless.com (Brabham, 2010b; Reniou, 2009). Ces entreprises ont un business model entièrement basé sur la génération et la sélection d'idées par leur communauté de créatifs, qui est essentiellement constituée des graphistes amateurs ou professionnels proposent des créations (Kohler, 2015). Si la communauté vote en leur faveur, leurs créations sont proposées à la vente via le site, qui se transforme ainsi en site de e- commerce dont la foule est le principal fournisseur de créativité (Dal Zotto & De Vaujany, 2011). Il s'agit là de sociétés qui opèrent un site internet et une communauté de contributeurs dont l'animation constitue la principale activité. Mais il existe des communautés de création et de génération d'idées mises en place de manière temporairement par des entreprises "traditionnelles", qui cherchent ainsi à mobiliser la foule. Parmi les exemples cités dans la littérature, Füller, Bartl, Ernst et Mühlbacher (2006) décrivent l’Audi Virtual Lab via lequel le constructeur allemand cherchait à impliquer une communauté de passionnés dans le développement d'un nouveau système multimédia pour ses véhicules. Piller et Walcher (2006) proposent une étude sur MyAdidas-und-ich, une communauté en ligne mise en place par Adidas pour co-créer des produits et services innovants pouvant être mis en place par la marque de sport dans la vente et l'utilisation de ses produits. Ebner, Leimeister et Krcmar (2009) illustrent ce phénomène en parlant de l'initiative SAPiens, mise en place par la société allemande SAP pour impliquer des étudiants dans le développement de nouveaux services.

1.2. Utilisation du crowdsourcing à la fin du processus

d'innovation

1.2.1. Communautés de création de concepts et de résolution de problèmes

Dans leur typologie, Piller, Ihl et Vossen (2011) définissent les communautés de création de concepts et de résolution de problèmes comme des initiatives dans lesquelles un grand nombre d'individus collaborent pour produire un bien commun. D’après les auteurs, il peut s’agir des formes de travail collaboratif que nous avons exclues du champ conceptuel du crowdsourcing, comme la création de logiciels open source. Néanmoins, ils incluent aussi des exemples de crowdsourcing, dans lesquels la co-création a eu lieu à la demande de l’entreprise et a été coordonnée par l’entreprise. En effet, les auteurs donnent aussi des exemples de projets initiés par des entreprises comme le Boeing World Design Team qui a rassemblé plus de 120 000 participants autour d'un projet de création d'un nouvel avion21. Un autre exemple est celui de l'entreprise américaine Quirky22, sur laquelle des individus peuvent déposer des idées de nouveaux produits qui, si les votes de la communauté de contributeurs tournent en leur faveur, sont fabriqués puis vendu en ligne et dans des grandes surfaces (Decoopman & Djelassi, 2013). Ici, on peut véritablement parler de crowdsourcing puisque ces initiatives répondent à une commande managériale centralisée, ont lieu sur internet et rassemblent une foule de contributeurs indéfinie (Divard, 2011; Lebraty, 2009). L'exemple de Quirky pourrait être comparé au projet français CrowdSpirit, qui reposait sur le même principe mais qui a échoué pour des raisons commerciales et managériales (Chanal & Caron-Fasan, 2010; Pelissier, 2008; Trompette et al., 2008). Les deux sites n’existent plus aujourd’hui.

Maintenant que nous avons décrit comment le crowdsourcing pouvait être utilisé pour le développement de nouveaux produits, nous pouvons regarder comment cette technique est aussi utilisée dans la publicité et le marketing. En effet, il existe aussi de nombreux exemples de crowdsourcing dans la publicité et la promotion.

21 Voir http://www.newairplane.com/ (consulté le 5 mars 2013) 22

2. Utilisation du crowdsourcing dans la production de contenu