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Le rôle facilitateur des intermédiaires spécialisés et des plateformes créatives

CHAPITRE 1 – DEFINITION, CHAMPS D’APPLICATION ET MOTIVATIONS DE PARTICIPATION

6. Le rôle facilitateur des intermédiaires spécialisés et des plateformes créatives

Certains auteurs soulignent les bénéfices que peut avoir la collaboration avec un acteur spécialisé qui prend en charge le processus de crowdsourcing à la place de l'entreprise, aussi appelées plateformes intermédiaires (Afuah & Tucci, 2012; Divard, 2011; Kaabachi, 2012; Lobre & Lebraty, 2010; Pelissier, 2008). Cet intermédiaire est souvent une entreprise gérant, ou mettant en place de manière ad hoc, un site internet pour l'entreprise, faisant ainsi l'intermédiaire entre cette dernière et la foule des internautes (Lampel et al., 2012; Renault, 2014b). Les intermédiaires spécialisés, parfois appelés agent virtuel de partage de connaissances (virtual knowledge broker), sont des acteurs du marché qui gèrent un environnement virtuel privé et offrent aux entreprises d’utiliser cet environnement. Il s’agit alors d’un service vendu aux entreprises, qui bénéficient de l’expertise de l’intermédiaire, de l’environnement virtuel qu’il a construit et des compétences des internautes qui y sont actifs (Sawhney et al., 2003; Verona et al., 2006). D’autres utilisent un terme similaire en parlant de courtage d’individus capables de résoudre des problèmes (solver brokerage). Ces « courtiers » sont des intermédiaires qui facilitent le processus d’innovation en reliant, via le

processus de crowdsourcing, des organisations à des foules (Feller, Finnegan, Hayes, & O’Reilly, 2012). Dans ce cas, il y a donc trois types d’acteurs impliqués (Burger-Helmchen & Penin, 2011; Schenk & Guittard, 2011) :

1. L’organisation qui initie une opération de crowdsourcing ;

2. la plateforme de crowdsourcing via laquelle cette opération est menée ; 3. les individus, inscrits sur la plateforme, qui participent à l’opération.

Figure 6 : Les trois types d’acteurs impliqués dans une opération de crowdsourcing, lorsque celle-ci est effectuée via une plateforme créative, adapté de Walter et Back (2011) L'avantage principal d'un intermédiaire spécialisé dans les opérations de crowdsourcing est que ce dernier est adossé à une communauté de participants importante et a priori motivée à participer (Afuah & Tucci, 2012; Feller, Finnegan, Hayes, & O’Reilly, 2012; Sawhney et al., 2003). Pelissier (2008) parle d'un modèle d'intermédiation comme un modèle de sous- traitance à des experts externes, ce qui se rapproche beaucoup du terme d'externalisation ouverte que nous avons décrit précédemment. Ainsi, il décrit des sites lançant un appel d’offre public par un concours en ligne, autour d’une problématique à résoudre, afin d’inciter une communauté d’experts à y répondre. Cette communauté d'experts (ou tout simplement d'internautes ayant le même centre d'intérêt) est proposée "comme base de données à piocher pour résoudre un problème" (Pelissier, 2008). La valeur de ce type de plateformes (l’infrastructure technique) ou communautés (les membres inscrits) est de

proposer aux entreprises un environnement existant et des relations préétablies avec des créatifs qui peuvent être sollicités dans le cadre des concours. Il s’agit de communautés différentes de celles que les marques peuvent déjà avoir sur les réseaux sociaux, car elles sont plus spécialisées et compétentes (Vernette & Hamdi-kidar, 2013).

D’après Feller et al. (2012), les intermédiaires spécialisés ont trois principales fonctions : faciliter l’accès et le partage des connaissances entre l’organisation et la foule (knowledge mobility), faire en sorte qu’à la fois l’organisation et la foule profitent de ces échanges (knowledge appropriability), et assurer la pérennité du système en faisant croitre la foule. Ces trois aspects sont abordés ci-après.

6.1. Permettre et favoriser la création de connaissances

Lorsqu’on parle de crowdsourcing, l’échange des connaissances peut se faire uniquement s’il y a une foule de personnes compétentes et motivées, des concours stimulants et bien formulés, et un site internet fonctionnel qui fait efficacement le lien entre les deux (Feller et al., 2012). Le fait de collaborer avec une plateforme permet non seulement d'avoir accès à une foule "qualifiée" mais aussi de bénéficier du savoir-faire en termes de stimulation de la créativité de la foule et de gestion de concours (Kaabachi, 2012; Liotard, 2010). A propos de la plateforme créative eYeka, Divard (2011) souligne que les entreprises y ont recours pour bénéficier d'un "dispositif clef en main d'appels à création pour faciliter la réussite des opérations de marketing participatif". Il souligne que ce type d'intermédiaire permet aux entreprises de bénéficier de leur savoir-faire technique (plateforme communautaire, mise en œuvre du dispositif, hébergement du contenu), marketing (traduction des briefs créatifs, promotion des concours auprès de la communauté, gestion de la relation avec les créatifs, vérification de la conformité du contenu avec le territoire de marque) et juridique (rédaction du règlement, paiement des prix, transmission des droits de propriété intellectuelle). Ce dernier point est particulièrement important lorsque l'entreprise évolue dans un contexte juridique particulier, comme celui des boissons alcoolisées, dont la promotion n’est pas autorisée en France, par exemple. Ainsi, une marque de bière qui souhaite trouver une manière de vendre davantage d’alcool dans des bars et pubs ne pourra pas poser cette question à une foule de consommateurs créatifs, parce que cela serait contraire à la loi Evin qui interdit la promotion de la consommation d’alcool en France. Les

entreprises qui veulent obtenir des idées de la foule sur ce genre de problématique doivent donc « paraphraser » le problème pour ne pas tomber sous cette loi, on peut voir un exemple d’un tel concours « paraphrasé » sur la plateforme eYeka57.

6.2. Aider dans la sélection, l’analyse et le transfert des

connaissances générées par la foule

La simple tenue d’un concours de crowdsourcing n’est pas une fin en soi ; encore faut-il pouvoir « traiter » le contenu généré par la foule. Des méthodes utiles pour ce traitement de connaissances (« knowledge appropriability ») peuvent être des mécanismes de filtrage, des processus de transfert de propriété intellectuelle contre rémunération des membres de la foule (Feller et al., 2012). Dans cette situation, les entreprises bénéficient notamment de l'expertise juridique d'une plateforme créative, qui se doit de proposer un dispositif participatif en accord avec la loi de chaque pays dont viennent les participants. Un aspect à ne pas négliger est donc celui de la gestion des droits de propriété intellectuelle, pour laquelle ce type d'intermédiaires a des règles précises et bénéficient d'une certaine expérience (Favreau et al., 2014; Favreau, 2013; Le Nagard & Reniou, 2013; Trompette et al., 2008). A la fin d'une opération, l'intermédiaire et ses équipes spécialisées peuvent également jouer un rôle très important dans la sélection et la présentation des contributions.

Comme nous l’avons déjà souligné en abordant les limites du crowdsourcing, la foule ne contribue pas forcément à du contenu de qualité. Aussi la logique de concours peut induire des comportements opportunistes voire frauduleux, c'est pourquoi les intermédiaires spécialisés peuvent jouer un rôle important en filtrant le contenu afin d'en présenter la meilleure partie à l'entreprise (Fabbri et al., 2013). Des acteurs comme eYeka ou Jovoto font systématiquement une analyse du contenu recueilli afin de présenter un ensemble de contenu plus "digeste" aux entreprises58. Une étude de cas59 publiée par la société eYeka sur

57

Voir le concours « Beer Calling » initié par un leader mondial du marché de la bière : https://fr.eyeka.com/contests/8446-beer-calling/results (consulté le 29 mars 2015.

58 Chez eYeka, société au sein de laquelle le doctorant était en convention CIFRE durant 3 ans, l'entreprise

sous-traite l'analyse du contenu auprès d'un réseau de partenaires (planeurs stratégiques, sémioticiens etc.). Chez jovoto, le doctorant invite à se référer à un billet de blog de la société : http://www.jovoto.com/blog/2012/03/after-the-job-is-before-the-job/ (consulté le 3 novembre 2012)

59

Etude de cas “Gillette – Reinventing how men shop” disponible sur http://en.eyeka.net/our-works/ (consulté le 31 janvier 2013)

son site internet donne le témoignage d’un responsable de Procter & Gamble, qui a lancé un concours sur le site eYeka.com : « eYeka est comme un filtre. Il y a une communauté qualifiée, une première sélection est donc déjà faite. [Ensuite] eYeka est en mesure de transformer l’ensemble du contenu en insights stratégiques pour la marque. [Le concours] était très intéressant et nous a permis de concevoir un espace shopping qui est à la fois proche de la marque et de ses consommateurs ». Ces différents points sont tous des mécanismes mis en place pour faciliter l’échange de connaissances et d’idées entre les organisations initiatrices de concours et la foule, via des plateformes intermédiaires.

6.3. Assurer la pérennité du système

Finalement, Feller et al. (2012) soulignent qu’une des fonctions essentielles des intermédiaires spécialisés dans le crowdsourcing est d’assurer la stabilité de l’écosystème sur lequel repose le crowdsourcing. En effet, il serait faux de penser que le crowdsourcing est un phénomène pérenne, car à long terme, sans effort d’animation de stimulation de la foule les plateformes ne peuvent survivre puisque les membres peuvent se lasser de participer (Bayus, 2013). Il s’agit notamment de s’assurer que l’ensemble des parties prenantes bénéficient du système : les organisations en acquérant des connaissances utiles à leurs processus d’innovation ou de communication, les participants en satisfaisant leurs motivations de participation, et les intermédiaires en capturant de la valeur dans le « courtage » de ces deux types d’acteurs.

6.4. Synthèse du rôle facilitateur des plateformes créatives

Le tableau suivant propose de résumer pourquoi et comment les plateformes spécialisées permettent aux entreprises de réduire les risques inhérents du crowdsourcing.

Caractéristique du

crowdsourcing

Inconvénients & risques Apport d'un intermédiaire spécialisé

Nombre de

contributeurs potentiels

La majorité des résultats peuvent être non pertinents ou de mauvaise qualité. Risque de perte de contrôle

L'intermédiaire n'accepte que les contributions pertinentes et peut faire une analyse/sélection des meilleures contributions

Motivation des

participants

Comportements frauduleux, peut se retourner contre l’entreprise si les participant sont déçus, incertitude quant au niveau de participation

L'intermédiaire rassemble une communauté d'experts a priori motivés à participer, elle peut aussi garantir un niveau de participation minimal à l'entreprise cliente. Il offre aussi une plateforme en ligne correspondant aux attentes des participants

Coût relativement faible

Image négative chez certains publics, reproche d’exploitation

L'intermédiaire "contrôle" sa communauté de membres, le nom de l'entreprise peut ne pas apparaître dans un concours sans que cela n'affecte le niveau de participation

Vitesse de la

collecte de contenu

Temps à consacrer à la collecte des contributions et aux relations avec les participants

L'intermédiaire a une équipe dédiée à la gestion des contributions, et donc une expérience dans ce type d'opérations

Attitude vis-à-vis

de l’ouverture vers l’extérieur

Risque de résistance interne vis-à-vis d’idées externes, sentiment de méfiance chez les salariés

L'intermédiaire étant mandaté par l'entreprise elle-même, le risque de résistance est moindre

Authenticité des

contributions

Non-représentativité des résultats obtenus, biais induits par des effets de foule

L'intermédiaire peut effectuer une analyse de contenu générale, ou il peut sélectionner les contributions les plus adaptées à la

problématique de l'entreprise Complémentarité

de la foule avec les

compétences de

l’entreprise

Risque de ne pas obtenir de réponses satisfaisantes de la foule, dépendance envers la foule, perte de savoir-faire

L'intermédiaire apporte, via la foule de participants, des contributions diverses et "fraîches" vis-à-vis du métier de l'entreprise. Une analyse et/ou sélection peut aider à la valorisation d'idées innovantes

Gestion de la

propriété intellectuelle

Nécessité de divulguer une problématique, peu de précédents ou de

jurisprudence en termes de droits sur les idées

L'intermédiaire conseille l'entreprise et met en place le transfert de propriété intellectuelle. Il s'occupe aussi du paiement des prix et de la gestion des contrats

Tableau 6: Avantages du recours à un intermédiaire spécialisé dans les opérations de

crowdsourcing

Le fait d'avoir recours à un intermédiaire spécialisé dans la mise en place et la gestion d'opérations de crowdsourcing peut donc être très bénéfique aux entreprises. En effet, non seulement ces intermédiaires ont un site internet dédié à ce type d'opérations, mais aussi une base de données de participants spécialisés et a priori motivés à contribuer. Ainsi,

l'entreprise n'a donc pas à s'adresser directement à des internautes, mais elle "achète" le droit de faire appel aux services d'un de ces intermédiaires pour un sujet particulier.

Les intermédiaires de crowdsourcing les plus connus sont CrowdSpring, 99designs ou Creads pour les opérations de design graphique ; Zooppa, Mofilm, Tongal ou GeneroTV pour la production de vidéos ; et NineSigma, InnoCentive ou Kaggle pour les tâches techniques et scientifiques. Certains intermédiaires comme eYeka, Jovoto ou Zooppa, dont la communauté de contributeurs est de taille importante et/ou dont les compétences sont assez hétérogènes, organisent des opérations de crowdsourcing créatif très diverses (idées, design, concepts, affiches ou vidéos publicitaires...) et ont donc un niveau de spécialisation assez faible. Une représentation du type de contenus créatifs est disponible dans la présentation de nos résultats, sur la base des concours lancés sur la plateforme eYeka, sur la Figure 29 à la page 253).

Maintenant que nous avons défini le crowdsourcing, que nous en avons présenté les bénéfices et risques, les différents domaines d’application pour les organisations, et que nous avons expliqué comment le comparer aux différents paradigmes d’ouverture qui ont émergé depuis une vingtaine d’années (co-création, d’innovation par les utilisateurs et d’innovation ouverte), nous allons à présent effectuer une revue de littérature sur les participants en leurs motivations. Il s’agit là d’un élément particulièrement important de ce travail doctoral dans le sens où nous cherchons justement à comprendre cette participation. Nous verrons que de nombreux travaux ont déjà été publiés au sujet des motivations de participation, listant une diversité de motifs, mais que la littérature comporte également des limites. Mais avant de nous consacrer aux motivations de participation, dans la section suivante, nous allons passer en revue les différents travaux s’étant intéressés aux membres de la foule, à leurs origines et à leur compétences. La littérature a aussi proposé des éléments de réponse à ce sujet, et nous proposons ci-après de les résumer de la manière la plus complète et synthétique possible.

Section 3 – Les participants au crowdsourcing et leurs

motivations de participation

Cette première section est dédiée à l’étude du profil des participants au crowdsourcing d’activités créatives : Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quel âge ont-ils ? Quelles

compétences créatives ont-ils ? Sont-ils des professionnels de la création ou des amateurs éclairés ? Ce sont quelques unes des questions auxquelles nous voulons répondre dans cette section consacrée à l’identité et au profil de ces internautes particulièrement créatifs.