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CHAPITRE 1 – DEFINITION, CHAMPS D’APPLICATION ET MOTIVATIONS DE PARTICIPATION

2. Le processus de crowdsourcing revient à externaliser ouvertement une tâche

2.1. Différents niveaux d’externalisation

Lebraty (2009) distingue trois niveaux d'externalisation d'une tâche : l'exécution en interne (aucune externalisation), l'externalisation fermée (délégation à un partenaire identifié) et l'externalisation ouverte (délégation à une foule d'individus). Comme nous l’avons déjà dit, le crowdsourcing est un processus d'externalisation ouverte par laquelle une organisation met en ligne un appel à contribution pour l'exécution d'une tâche. L'avantage de cette ouverture est que l'entreprise initiatrice a accès à un grand nombre d'individus dont les compétences sont variées et a priori motivés à participer. Ceci lui permet d'obtenir des contributions de la part de ces individus dans un laps de temps très court et à des coûts très bas. Aujourd'hui, on observe qu'un nombre croissant d'entreprises vont chercher des idées à l'extérieur de leurs réseaux direct de clients ou de fournisseurs, ceci leur permettant d'être plus efficaces et in fine plus compétitives (Chesbrough, 2003; Lakhani & Panetta, 2007; Linder, Jarvenpaa, & Davenport, 2003). Au-delà de l'innovation, le crowdsourcing trouve aussi des applications dans diverses tâches liées au marketing, notamment la publicité, la promotion ou les études de consommateurs (Divard, 2011; Lebraty & Lobre, 2010; Whitla, 2009). Une entreprise peut ainsi demander à la foule de lui faire part de ses frustrations vis-à-vis de ses produits, de proposer de nouvelles idées de produits, de participer au développement d'un nouveau service, de produire des films publicitaires etc. Dans les faits, ces tâches fondamentalement liées au marketing sont souvent assumées par des partenaires dont c'est le cœur de métier (agences, graphistes etc.), mais l'externalisation ouverte de ces tâches est un phénomène nouveau (Lebraty, 2009). Par exemple, de plus en plus de responsables marketing ou de publicitaires utilisent le crowdsourcing pour la production de contenu publicitaire (Stutzmann, Paderni, & Madigan, Corinne, 2011; Williams, Gownder, & Wiramihardja, 2010). Dans ce cas, les entreprises ne s'adressent plus à une foule complètement indéfinie, puisque celle-ci risque de ne pas avoir les compétences espérées, mais à une foule "particulière" dont les talents ou les centres

d'intérêts sont en phase avec la tâche externalisée (Roth & Kimani, 2014; Stutzmann et al., 2011; Texeira, 2013). On s’adresse bien à une foule d’individus, mais via une plateforme rassemblant des internautes spécifiquement inscrits pour participer, ou communauté d’internautes. Divard (2011). préfère donc le terme de community-sourcing à celui de crowd-sourcing. Mais le simple fait que des internautes soient inscrits sur une même plateforme justifie-t-il le terme de communauté ? West et Lakhani (2008) se posent cette question dans leur travaux sur les communautés d'innovation en ligne. Spécifiquement, ils se demandent s’il est juste de parler de "communauté" lorsque les individus ne communiquent pas entre eux et qu'ils ne ressentent pas un sentiment commun d'appartenance à une organisation ou une mouvance. En fait, tout dépend de la manière dont on définit une communauté. Si l'on utilise ces termes pour désigner des regroupements volontaires de personnes a priori sans affiliation commune avec une organisation mais réunis par un intérêt commun ou par leur activité sur une plateforme en ligne commune (van Dijck, 2009), on peut effectivement parler de communautés.

2.2. L’externalisation ouverte… ciblant des communautés

spécifiques

Malgré la nuance apportée ci-dessus, précisant que le crowdsourcing cible parfois une communauté d’internautes plutôt que d’appeler tous les internautes à participer, le terme de community-sourcing proposé par Divard (2011) ne s’est jamais imposé dans la littérature académique et professionnelle. Néanmoins, il est intéressant et juste de remarquer que l'avènement du crowdsourcing a entraîné la naissance de nombreux intermédiaires qui proposent de mettre en place et de gérer le processus de crowdsourcing pour les entreprises clientes (Sawhney, Prandelli, & Verona, 2003; Sawhney et al., 2005). Certains de ces intermédiaires mettent juste en place des plateformes participatives ad hoc qui sont ensuite animées par les entreprises sur leurs réseaux sociaux, d'autres organisent le processus de crowdsourcing sur leur propres plateformes – souvent sous forme de concours (Divard, 2011; Lobre & Lebraty, 2010).

Il peut paraître paradoxal de parler d’externalisation ouverte alors que l’entreprise mandate une société pour travailler avec elle, ce que Lebraty (2009) appelle justement l’externalisation fermée. Mais cette société ne produit pas les idées ou le contenu pour le

compte de l’entreprise, il ne s’agit pas du prestataire final, il s’agit juste d’un intermédiaire entre l’entreprise et la foule de participants potentiels – sa communauté d’internautes. En effet, les société opérant des plateformes créatives proposent aux entreprises d'organiser des concours parce qu'elles ont un savoir-faire en termes de mise en place et de gestion de concours, parce qu'elles ont construit une plateforme technologique adaptée à ce type d'opérations, et parce qu'elles rassemblent une communauté d'individus qualifiés (Kaabachi, 2012; Pelissier, 2008). De plus, les sociétés spécialisées dans l’organisation d’opérations de crowdsourcing pour leurs clients peuvent apporter une valeur considérable en formulant des recommandations opérationnelles et stratégiques auxquelles l’entreprise n’aurait pas eu accès si elle avait organisé cela seule (Fabbri, Hemonnet-Goujot, & Manceau, 2013).

On observe aujourd'hui que ces intermédiaires sont en fait très souvent utilisés par les entreprises. Ainsi, le nombre de concours vidéo organisés par des marques ou leurs agences est resté stable depuis la naissance du phénomène de crowdsourcing, alors que le nombre de concours vidéos organisés par les mêmes marques sur des plateformes créatives a fortement augmenté (Roth & Kimani, 2014). Il existe aujourd'hui divers intermédiaires proposant aux entreprises d'accéder à "leurs foules" de graphistes (CrowdSpring, 99designs, Creads, Jovoto), de vidéastes (Zooppa, MoFilm, Tongal), ou de scientifiques (NineSigma, InnoCentive, Kaggle). Dans une partie suivante, nous détaillerons de manière plus précise les avantages du recours à ce type d'intermédiaires pour initier et gérer une opération de crowdsourcing. Etant donné que les communautés que rassemblent ces sites internet sont de taille très importante, de plusieurs milliers à plusieurs millions de personnes, on peut quand même parler de "foule", et par la même de crowdsourcing, pour parler des concours ayant lieu sur des plateformes dites privées. Nous allons à présent expliquer la troisième caractéristique distinctive du crowdsourcing : le fait que l’on s’adresse à une foule dispersée et libre de participer, ou de ne pas participer, à la tâche externalisée.

3. Le processus de crowdsourcing s'adresse à une foule