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Un usage croissant des écrans, avec des risques de dépendance, mais un outil

● Le consensus des scientifiques appelle à une certaine vigilance sur les effets de la consommation excessive des écrans pour les enfants. Dans un avis de décembre 2019, le Haut conseil de la santé publique a mis en avant les effets négatifs qu’ils pouvaient entraîner chez les enfants, notamment chez les plus petits (1).

Cela pose la question de l’impact de l’augmentation de la place des écrans lors de la présente crise sanitaire. Si des statistiques précises manquent encore au sujet du temps consacré à leurs différents usages, les propos recueillis portent à conclure qu’à la faveur du premier confinement, les jeunes ont nettement accru leur consommation d’écrans.

Ce constat empirique procède des signalements apportés lors des consultations médicales. Il paraît cohérent avec des observations plus globales.

Ainsi, suivant une enquête publiée en juin 2020 dans le journal JMIR Public Health and Surveillance (2), 64,5 % des personnes interrogées en France auraient augmenté leur consommation d’écrans. Il ressort également de ces travaux que parmi les utilisateurs ayant augmenté leur temps d’usage, 15,3 % affirment avoir éprouvé des difficultés à garder le contrôle (3).

Cette évolution mérite d’autant plus l’attention que les dernières études soulignent une hausse continue du temps passé devant les écrans, tant par les enfants que par les adolescents et jeunes adultes. D’après une enquête Ipsos (Junior’s connect) de 2018, les 13-19 ans passaient en moyenne 15 heures 11 minutes par semaine sur internet en 2017, soit 1 heure 41 minutes de plus qu’en 2015. Le temps

(1) Cet avis sur les effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans souligne que la littérature apporte des éléments contradictoires sur l’effet des écrans sur le développement cognitif de l’enfant, ses apprentissages, et sur les troubles de la santé mentale. Il met toutefois en évidence que les effets sur le sommeil sont établis et sont plus importants si le temps d’utilisation augmente. L’avis relève que les comportements associés aux écrans sont responsables de l’augmentation du surpoids - prises alimentaires augmentées, temps de sommeil réduit et de qualité altéré - et il souligne l’existence de différences de comportements vis-à-vis des écrans en fonction des catégories sociales.

(2) Global Changes and Factors of Increase in Caloric/Salty Food Intake, Screen Use, and Substance Use During the Early COVID-19 Containment Phase in the General Population in France : Survey Study, Benjamin Rolland, Frederic Haesebaert, Élodie Zante et alii, article publié dans JMIR Public Health and Surveillance, septembre 2020.

(3) Au plan statistique, l’étude souligne les facteurs suivant dans la description des utilisateurs d’écrans ayant accru leur consommation : être de sexe féminin ; être âgé de moins de 29 ans ; ne pas avoir de partenaire ; avoir une activité professionnelle ; posséder un niveau de diplôme élevé ou moyen ; être confiné seul sans disposer d’accès à un espace extérieur ; être confiné seul, dans un environnement urbain et ne pas travailler.

passé par les 7-12 ans s’élevait lui à 6 heures 10 minutes en moyenne par semaine (soit 45 minutes supplémentaires par rapport à 2015) ; celui des 1-6 ans était estimé à 4 heures 37 minutes (soit 55 minutes de plus par rapport à 2015).

En soi, l’augmentation de la consommation d’écrans ne parait pas illogique au regard de l’équipement croissant de ces classes d’âges. D’après le baromètre numérique établi par l’ARCEP (1) en 2019, 90 % des 12-17 ans (2) possèdent ainsi un téléphone portable, contre 72 % en 2005, et 99 % des 18-24 ans.

● Sur le plan du développement personnel des enfants et des adolescents, les propos des personnes entendues tendent à mettre en exergue des effets négatifs de l’usage accru des écrans, notamment des troubles du sommeil et des manifestations d’anxiété observées en réaction à la couverture de la crise sanitaire par les médias, ainsi que des troubles du langage et de l’apprentissage chez les plus petits.

En revanche, les éléments recueillis par la Commission d’enquête ne permettent pas d’apporter la preuve d’une recrudescence de « syndromes de Hikikomori », en conséquence de la crise sanitaire. Touchant essentiellement les garçons, le syndrome désigne la propension à la désocialisation de sujets menant une existence centrée sur leur domicile, manifestant un intérêt ou un désir nuls pour l’école ou le travail et ayant souvent les jeux vidéo pour activité essentielle. La caractérisation d’un cas de Hikikomori suppose la persistance des symptômes pendant plus de six mois. D’après Mme Stéphanie Bioulac, praticienne hospitalière, il semble que ces troubles soient l’expression d’une psychopathologie sous-jacente, et non de la consommation accrue d’écrans. Elle note que « [l]es premiers cas qui ont été décrits ne relevaient pas de l’addiction aux jeux vidéo : il s’agissait du symptôme perçu, mais au terme d’une analyse sémiologique, il s’agissait bien dans la grande majorité des cas d’un premier épisode psychotique ».

Sur le plan des relations au sein de la cellule familiale, la place nouvelle acquise par les écrans a pu mettre à l’épreuve l’autorité des parents et leurs méthodes d’éducation. En effet, certains d’entre eux ne parvenaient pas à fixer des règles admises par les adolescents à propos du temps consacré à cette activité.

Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi souligné que face à l’explosion de la consommation des écrans, les professionnels avaient beaucoup été interpellés par les parents sur des enjeux de guidance parentale : « ils nous disaient en substance :

« Comment dois-je faire avec le sommeil ? Mon enfant est complètement décalé, toujours sur un écran. Mais que puis-je y opposer, je n’ai rien d’autre à lui proposer ? ». Pour les parents comme les professionnels, il a fallu repartir des compétences de chacun. Leur rappeler qu’ils étaient parents, qu’ils avaient des compétences, le droit d’émettre des règles à la maison, de fixer des règles de base sur les heures de sommeil, les heures de repas, les heures d’écran… Et leur faire

(1) Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes.

(2) Dont 81 % des 12-14 ans et 99 % des 15-17 ans.

imaginer des activités qu’ils pourraient faire avec leurs enfants, en ayant recours à leur propre créativité. »

● Ces constats sur les effets négatifs des écrans ne doivent pas occulter le rôle essentiel des outils numériques pour le maintien de la sociabilité des jeunes pendant le confinement, alors qu’ils étaient privés de contact avec leurs amis et leur famille plus éloignée. Grâce aux réseaux sociaux, aux applications, ils ont continué à entretenir des liens, à échanger, à partager, à jouer avec leurs amis.

Mme Lacour Gounay a ainsi indiqué : « la solitude a bien sûr été ressentie par les jeunes, mais peut-être pas autant que par leurs aînés. Les jeunes restaient connectés avec leurs réseaux. Un jeune qui va bien restait en contact, et même en hypercontact, avec les amis sur tous les réseaux. Ces contacts virtuels ont continué d’exister. (…) Ils ont imaginé des groupes WhatsApp ou autres, pour garder les liens [avec leurs grands-parents], et je crois que les grands-parents ont fait un bond technologique pendant ce confinement. »

S’ils n’ont bien évidemment pas pu remplacer les contacts directs avec leur entourage, les outils numériques ont joué un rôle essentiel pour les jeunes pour rompre l’isolement et l’ennui.

● Pour autant, la place croissante prise par les écrans et la consommation de contenus sur internet pourraient retentir de manière plus substantielle sur le rapport au monde des enfants et des adolescents. Au cours de la table ronde consacrée aux jeunes et au numérique, M. Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès, a affirmé avoir observé sur les réseaux sociaux

« une explosion de discours racistes, xénophobes, violents, antisémites, islamophobes, terroristes, accompagnés par le cheval de Troie des théories du complot et du conspirationnisme » pendant le confinement. Si la crise épidémique ne peut être tenue pour la cause première de ce développement de la désinformation, elle a pu créer un contexte favorable en ce que l’enfermement chez soi, du fait du confinement, et l’absence d’autres activités, alimentaient l’enfermement intellectuel auquel peuvent pousser la fréquentation des réseaux sociaux et l’action des algorithmes. Or, ainsi que le soulignait le professeur Séraphin Alava, « internet ne crée pas de la mixité sociale mais crée l’entre-soi. En créant l’entre-soi, il isole les individus dans leur classe, dans leur groupe, dans leurs idées, dans leur appartenance ».

Ces constats militent pour un nouvel effort en faveur de la formation à l’usage des outils numériques des jeunes et des familles.

La réalisation de cet objectif passe par une sensibilisation accrue des élèves dans le cadre des programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs

« le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique ». Elle implique également une sensibilisation des parents, notamment par le biais de supports informatifs (1).

(1) Voir en ce sens le Livre blanc sur la parentalité numérique, publié par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) à la suite de travaux menés avec l’UNAF et Médiamétrie.

Propositions :

Favoriser une sensibilisation des jeunes et des familles à un usage raisonné des outils numériques et d’internet

Renforcer les programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs « le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique »

Promouvoir l’exercice d’une parentalité numérique par la diffusion de supports informatifs

● L’émergence d’une culture partagée sur le bon usage des outils numériques et d’internet pourrait permettre d’apporter des réponses à des phénomènes que la crise sanitaire a pu nourrir, tels que le cyber-harcèlement et les cyber-violences.

Certes, l’évolution de l’ampleur de ces dérives sous le premier confinement ne fait pas l’objet d’une quantification précise (1). Le nombre des signalements recueillis par des associations fournit aujourd’hui la seule mesure chiffrée du cyber-harcèlement. L’association e-Enfance évoque ainsi une hausse de 30 % des faits pendant le confinement mais il semble que ce chiffre doive être consolidé.

L’association e-Enfance a par ailleurs présenté en novembre dernier un sondage sur les usages numériques et les cyber-violences, réalisé auprès des adolescents (10-19 ans) et leurs parents lors du premier confinement en mai dernier par OpinionWay. Elle fait ainsi état des éléments suivants : 8 % des adolescents qui ont eu accès à des classes virtuelles ont été témoins de cyber-harcèlement sur ces nouveaux espaces d’échanges. Du côté des parents, parmi les problèmes en ligne fréquemment subis par les adolescents pendant le confinement, ils évoquent les cyber-violences, avec une prééminence des insultes et une explosion des arnaques en ligne à destination des mineurs (22 %, contre 7 % hors confinement). Les principales raisons évoquées par les jeunes victimes de cyber-violences concernant leurs auteurs sont la jalousie et le physique. En revanche, ils mentionnent moins souvent la vengeance qu’en période normale (8 %, contre 22 %), mais beaucoup plus la colère (21 % contre 13 %) ; outre l’ennui généré par le confinement, la période a pesé sur l’humeur des jeunes.

Selon un constat partagé par M. Adrien Taquet et M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l’Enfance, on a pu observer au cours du premier confinement une sorte de substitution entre le cyber-harcèlement – en hausse – et le harcèlement scolaire – rendu impossible par la fermeture des établissements scolaires. Les réseaux sociaux et les messageries instantanées auraient – en quelque sorte – procuré aux harceleurs les moyens de poursuivre leurs agissements.

(1) Selon M. Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), il n’existe pas de statistiques ministérielles sur le cyber-harcèlement et la dernière étude date de 2017, dans le cadre de travaux du réseau Canopé.

Plusieurs personnes interrogées par la Commission d’enquête décrivent par ailleurs la multiplication des faits de cyber-harcèlement à caractère sexuel, sous la forme de chantages ayant pour objet la publication de photos intimes sur les réseaux sociaux. Les menaces évoquées visent particulièrement les lycéennes, avec l’utilisation de comptes dits « fisha » sur la messagerie Instagram, parfois par des groupes de cyber-harcèlement.

Ces signalements recoupent en partie l’état des lieux dressé par M. Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale, et selon lequel

« les infractions en lien avec la pédopornographie sur internet ont largement crû durant le confinement ».

En revanche, les raisons de cette hausse et l’effet du contexte créé par la crise sanitaire suscitent un débat. Certaines personnes entendues avancent l’hypothèse d’un simple « effet loupe » de la crise sur des phénomènes existants.

M. Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), établit un lien entre l’augmentation de ces phénomènes et « une augmentation significative des usages et des utilisations du numérique, et de l’équipement de manière générale, des enfants et des adolescents dans notre pays ».

Selon M. Vincent Le Beguec, les dangers de l’internet appellent une vigilance des parents quant à la mise en place de contrôles appropriés, notamment pour les plus jeunes.

Les parents assumeront d’autant mieux leurs responsabilités – en particulier dans le contexte d’un confinement pour cause d’épidémie – qu’ils posséderont une connaissance plus étayée des manifestations du cyber-harcèlement, de ses atteintes, et des risques de sanctions qu’il fait courir à ses auteurs. La rapporteure préconise donc l’organisation d’actions de sensibilisation des parents et des jeunes aux manifestations et risques du cyber-harcèlement.

Cette action pourrait avoir pour cadre les enseignements de l’Éducation nationale et pour support des outils d’information développés par les services publics et les associations. À titre d’exemples, peuvent être citées les actions de communication de la police et de la gendarmerie nationales (1) destinées à alerter les parents, par le biais d’internet et des réseaux sociaux, sur les risques de cyber-violences et de cyber-harcèlements dont les enfants peuvent être victimes.

Proposition : Sensibiliser les jeunes et les familles aux manifestations et aux risques des cyber-harcèlements et des cyber-violences sur internet

(1) D’après la présentation du général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière, les informations transmises aux parents portent sur les contenus pornographiques ou violents, le cybersexisme (harcèlement, discrimination), le sexting (ou textopornographie), les diffusions de contenus, les chantages à caractère sexuel, les jeux de paris et d’argent en ligne, les achats intégrés générant des surcoûts, les challenges ou défis dangereux.

II. UNE OCCASION DE REVISITER DE FOND EN COMBLE LA PLACE DES