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UNE PAROLE DES ENFANTS ET DES JEUNES QUI PEINE À ÊTRE

ADAPTÉE À LEUR ÉGARD

L’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 (CIDE) stipule : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »

Mme Claire Hédon, défenseure des droits, précise dans son rapport annuel 2020, la portée qui doit être donnée à ces stipulations : « Pour que la participation des enfants ne soit pas « décorative », elle doit être préparée, s’accompagner des conditions d’une expression libre, et s’inscrire dans le circuit décisionnel. ».

1. La verticalité, une méthode qui trouve ses limites, un manque de lieux d’échange et d’écoute

a. Une gestion en silos qui privilégie l’urgence

L’organisation politique et administrative privilégie les approches verticales. L’administration centrale travaille de manière privilégiée – lorsque ce n’est pas de manière exclusive – avec ses directions régionales et locales et peine à associer les autres acteurs. La crise sanitaire que nous vivons a encore accentué ces travers.

À titre d’exemple, Mme Pauline Spinas-Beydon directrice de la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Jean de Sannois, a fait part à la commission de son incompréhension, durant le premier confinement, face à la suspension des droits d’hébergement des jeunes enfants placés, qui sont en quelque sorte en garde alternée entre le foyer parental et l’établissement. En effet, l’absence de concertation avec les acteurs de terrain, le sentiment d’urgence et in fine la méthode verticale ont conduit à « oublier » les enfants de la protection de l’enfance.

Le déplacement des parents divorcés ou séparés pour conduire les enfants d’un foyer à l’autre était considéré comme un motif légitime de sortie, mais pas celui visant à venir chercher son enfant placé en institution. Plusieurs exemples ont été donnés d’enfants qui n’ont pas pu voir leur famille durant cette période.

b. Une méthode qui relègue les jeunes dans l’angle mort

Cette absence de concertation est particulièrement préjudiciable dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, pour lequel la complémentarité et le travail en synergie sur tous les sujets sont importants, et qui mobilise un grand nombre d’acteurs. Une absence de concertation suffisante entre les ministères, entre les équipes qui travaillent dans le champ scolaire, dans le champ de la protection de l’enfance, du soutien à la parentalité, sur les questions sanitaires et médico-sociales, peut rapidement générer des situations inextricables ou conduire à passer à côté de véritables dangers.

Si la concertation entre les acteurs travaillant avec les enfants et les jeunes est insuffisante, la situation est encore plus critique concernant la concertation avec les jeunes eux-mêmes.

L’ensemble des organisations de jeunesse que la commission a pu auditionner ont fait part d’un défaut criant d’écoute et de concertation. Elles ont précisé que la crise du Covid-19 a été l’illustration de la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques personnes au motif de la situation de crise. Mme Nelly Vallance, présidente du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), a ainsi

souligné : « sous le prétexte de cet état d’urgence, les décisions sont portées par un groupe restreint et nous avons noté l’absence de travail avec les corps intermédiaires pour construire des réponses adaptées et diversifiées. » M. Yann Renault, vice-président du CNAJEP, a aussi indiqué : « Les associations de jeunesse et d’éducation populaire sont aujourd’hui toujours motivées, toujours présentes, mais elles sont sans doute un peu fatiguées. Elles sont fatiguées parce qu’il a fallu confiner, fatiguées parce qu’il a fallu déconfiner, fatiguées parce que des concertations ont eu lieu qui n’avaient de concertation que le nom. Ceci n’a pas donné lieu à un vrai travail commun avec la puissance publique, notamment pour préparer l’été ».

Le manque de prise en compte de l’expression des enfants et des jeunes provient en partie de difficultés pour les adultes à reconnaître un intérêt aux idées et aux perceptions de l’enfant, le droit pour les enfants d’être entendus n’étant pas une considération primordiale pour l’ensemble des adultes, a fortiori en temps de crise où le temps d’écoute est considéré comme du temps perdu.

La culture décisionnelle française reste encore grandement celle d’une décision se prenant par un nombre restreint de personnes dans le but de la rendre la plus efficace et cohérente possible. Les jeunes sont les premières victimes de ce déficit de dialogue et de concertation.

c. Des structures qui existent mais qui peinent à trouver leur place

Plusieurs structures de recueil de la parole des jeunes existent néanmoins mais elles n’ont été que peu utilisées durant la crise sanitaire.

Placé auprès du Premier ministre, le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) a été créé par le décret n° 2016-1377 du 12 octobre 2016. Celui-ci en fixe les missions, la composition, l’organisation et les modalités de fonctionnement.

Le rôle du COJ va au-delà de l’évaluation des politiques de jeunesse et de la consultation facultative sur les projets législatifs ou réglementaires à l’initiative du Premier ministre ou du ministre chargé de la jeunesse. Il dispose en effet aussi d’un pouvoir d’initiative, pour adresser au Gouvernement toutes propositions relatives aux politiques publiques de jeunesse et d’éducation populaire

Le COJ ne s’est réuni qu’une seule fois en formation plénière depuis le 17 mars, soit le 14 octobre 2020 (1). Les commissions thématiques se sont quant à elle réunies une dizaine de fois. Le COJ n’a en tout état de cause pas permis de porter la parole des jeunes dans le débat public, soit qu’il n’ait pas été saisi par les autorités, soit qu’il n’en ait pas pris l’initiative lui-même. De façon générale, les réunions plénières du COJ ont été très espacées depuis sa création.

(1) https://www.jeunes.gouv.fr/spip.php?article7603.

Au niveau local cependant, certaines synergies ont pu être créées grâce à un plein investissement des dialogues structurels régionaux permettant de co-construire les politiques de jeunesse au niveau régional, avec les jeunes, dans ces processus regroupant les conseils régionaux, les directions régionales, les organisations de jeunesse. La région Bretagne a fait preuve d’originalité dans ce domaine, notamment en mettant en place un observatoire régional de la jeunesse.

Enfin, le lieu dédié à la prise en compte de la parole des jeunes devrait être le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les organisations étudiantes et mouvements de jeunesse y sont présents depuis deux mandats. Il est important que les organisations de jeunes ne disparaissent pas du CESE lors des prochains mandats et surtout que leur apport soit davantage mis en avant au sein de l’institution. Le rapport reviendra plus spécifiquement sur ce point dans la partie IV.

Il reviendra également sur la nécessité de mieux utiliser le Conseil national de la vie lycéenne (CNVL), instance consultative placée auprès du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

d. Une parole qui ne doit pas être ignorée ou disqualifiée lorsqu’elle ne rejoint pas l’attendu

Les jeunes ont subi de plein fouet la crise du Covid-19. Leur donner la parole et, plus que la parole, leur donner l’occasion de co-construire les réponses avec les pouvoirs publics est essentiel pour cette génération que l’on commence déjà à appeler « la génération confinée ».

Les jeunes ont pris leur part dans les actions de solidarité durant le confinement, ils ont respecté les gestes barrières, ils se sont confinés comme leurs aînés. Ils ont une expérience à faire valoir, une parole à exprimer.

Cette parole doit être accueillie. Le vécu et l’expérience de la jeunesse ne peuvent pas être disqualifiés par des arguments d’autorité. Le récent rapport de la défenseure des droits sur la prise en compte de la parole de l’enfant (1) rappelle que cette négligence a encore plus d’effets sur les enfants en difficulté : « Les conséquences d’une privation de ce droit sont d’autant plus fortes que la vulnérabilité de l’enfant qui la subit est grande. Pour un enfant en situation de grande pauvreté, la non-considération de sa parole viendra s’ajouter à la dépossession de leur pouvoir d’agir que subissent ses parents, si bien que les décisions prises à son encontre ont toutes les chances d’être dénuées de pertinence et d’ancrer un peu plus profondément sa vulnérabilité ».

Le même rapport ajoute que : « La réticence des adultes à écouter un enfant peut […] résulter d’une crainte ou d’un sentiment d’illégitimité à entendre et à recevoir sa parole. […]. Par conséquent, le manque de connaissance, d’information, de formation, de considération, de moyens et de temps témoigne

(1) Prendre en compte la parole de l’enfant : un droit pour l’enfant, un devoir pour l’adulte, rapport du Défenseur des droits, novembre 2020.

d’une forme d’indifférence à l’égard de la parole de l’enfant qui, n’est pas intégrée dans les habitudes, ne fait pas partie des projets et ne constitue pas une obligation pour les adultes. ». Il en résulte que lorsqu’elle est exprimée, la parole des jeunes n’est prise en compte que si elle rejoint l’attendu et a tendance à être disqualifiée comme illégitime en cas de divergence avec les propos qui sont attendus.

2. L’insuffisance de messages adressés aux enfants et aux jeunes, la possibilité d’utiliser leurs propres canaux de communication

● Si le recueil de la parole des enfants et des jeunes est insuffisant, la parole qui leur est directement adressée, avec un langage adapté, est quasi inexistante, et cela a été particulièrement marquant durant la crise sanitaire.

Pire, le décompte des décès tous les soirs par le directeur général de la santé, avec trop souvent, une télévision allumée dans le salon sans intermédiation parentale – les parents étant eux-mêmes affectés par les effets de la crise sanitaire – , qui diffusait en boucle des informations sur l’épidémie, était anxiogène et a pu avoir des conséquences graves auprès des plus fragiles des enfants et des jeunes.

Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, a également rappelé que « les enfants ont été confrontés aux spots destinés aux adultes, qui pouvaient s’avérer extrêmement angoissants pour eux. Ces mêmes spots figurent encore dans les programmes de jeunesse. Ils peuvent même être diffusés entre deux dessins animés destinés aux enfants en bas âge. »

L’Unicef a pourtant alerté sur les effets de la communication anxiogène.

L’organisation onusienne a préconisé « l’honnêteté et la franchise sur la situation » mais a également recommandé de présenter « les solutions possibles » sans « laisser l’enfant seul devant les chaînes d’information en continu, ce qui pourrait accroître son anxiété ».

● Comme l’a souligné Mme Hélène Romano, docteur en psychopathologie clinique, « les enfants ont été les grands oubliés de l’information et de la communication pendant la crise sanitaire. Dans d’autres pays, comme au Danemark, en Islande ou en Norvège, les responsables politiques (ministres en charge de l’éducation, présidents, etc.) se sont adressés aux enfants ». Ces pays ont élaboré une communication avec l’enfant sur les causes et les conséquences d’une éventuelle contagion. Les premières ministres danoise, Mme Mette Frederiksen, et norvégienne, Mme Erna Solberg, ont toutes deux organisé une séance de questions-réponses exclusivement réservée aux enfants, et cette démarche était attendue et a été saluée dans les deux pays. Mme Hélène Romano a ajouté : « cela ne réclamait pas beaucoup de temps d’expliquer aux enfants pourquoi ils étaient confinés, puis déconfinés. En France, des informations étaient transmises aux parents, à charge pour ces derniers d’expliquer la situation à leurs enfants alors qu’eux-mêmes ne savaient pas exactement ce qu’était un virus, ce qu’était cette maladie en particulier. »

Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, a également abondé en ce sens : « Une information claire et précise, adaptée à l’âge et aux situations de vulnérabilité des enfants et des jeunes, aurait été souhaitable. (…) Ce problème renvoie au droit des enfants à recevoir une information appropriée, c’est-à-dire précise, exacte et accessible. Cela permettrait notamment de lutter contre les fausses informations, auxquelles sont notamment confrontés les adolescents. L’enquête menée au mois de mai par la commissaire suédoise aux droits des enfants montre que 70 % d’entre eux ont besoin d’une information adaptée. »

En France, il a fallu attendre le mois d’octobre pour que le Président de la République affirme qu’il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 après bien des spots, et une communication en général, beaucoup trop anxiogènes.

● La rapporteure préconise de faire évoluer les campagnes de communication dans le cadre des telles crises, en déployant des messages ciblés, à destination des enfants, d’une part, et des adolescents et jeunes adultes, d’autre part. Ces campagnes doivent s’inscrire dans une approche positive, sans jouer sur la peur ou la culpabilisation, qui, de l’avis de toutes les personnes entendues, ne sont pas des ressorts efficaces ; elles doivent utiliser des mots et un langage adaptés aux enfants et aux jeunes, en diffusant des messages clairs, porteurs d’explications, mobilisateurs, qui rassurent plutôt qu’ils ne stigmatisent.

Par ailleurs, et particulièrement pour les adolescents et les jeunes adultes, le choix du vecteur du message est essentiel : pour atteindre les jeunes, il est nécessaire de passer par les moyens d’informations qu’ils utilisent, notamment les réseaux sociaux, au-delà des médias traditionnels que sont la télévision et la radio.

Propositions :

Modifier les campagnes de communication, aujourd’hui trop axées sur la peur et la stigmatisation ; ne pas axer les messages uniquement sur les interdictions

Recourir à des messages ciblés, clairs et utilisant un langage adapté, en direction des enfants et des jeunes

Utiliser davantage les vecteurs de communication utilisés par les adolescents et les jeunes adultes

C. UNE SOCIÉTÉ QUI APPRÉHENDE DIFFICILEMENT LES QUESTIONS DE