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Union de la gauche fragilisée, une opportunité pour la majorité présidentielle

Espoirs de pouvoir et concrétisation : une ascension en deux temps pour la gauche

B. Union de la gauche fragilisée, une opportunité pour la majorité présidentielle

Suite aux présidentielles de 1974, le Parti Socialiste de François Mitterrand parvient au statut de premier parti d’opposition avec un score au second tour de 49,2%. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, la majorité à l’Assemblée Nationale reste acquise à la cause de l’UDR. Les différents partis qui composent la gauche française doivent donc rester alliés jusqu’aux prochaines échéances électorales pour accéder à la direction du pays. Cependant, à l’approche des élections législatives de 1978, les relations entre ces différents partis (PS, PCF et Radicaux de gauche) ne semblent plus être au beau fixe si l’on se réfère aux interventions des chefs de parti sur le plateau de Cartes sur table. En effet, un des sujets qui est le plus évoqué lors des émissions dédiés à François Mitterrand et à Georges Marchais est celui du programme commun conclut entre ces deux partis et les Radicaux de gauche. Les deux hommes se renvoient l’ascenseur à tour de rôle sur le sujet car personne ne veut assumer la responsabilité de la rupture du programme commun.

Le programme commun est signé le 12 juillet 1972 entre les dirigeants du Parti socialiste, les dirigeants du Parti communiste et quelques radicaux du gauche. Il a pour but d’assurer une « démocratie politique et économique » dans le cas où l’une des trois organisations prendrait la tête 3

du pays. Les accords concernent plusieurs mesures sociales, des mesures économiques et de nationalisation, un plan de démocratisation des institutions et un accord sur la politique internationale à mener. À la suite des élections municipales de 1977, l’actualisation du programme commun est discuté. Mais, aucun accord n’est trouvé puisque le Parti communiste et le Parti socialiste ne parviennent pas à s’entendre sur le nombre de nationalisation à appliquer. Entre 1977 et 1978, le programme commun est encore très cité mais ne représente plus un terrain d’entente entre les deux camps. Les deux partis rédigent alors, chacun de leur côté, une version actualisée du texte. Le programme commun n’a donc plus beaucoup de sens.

François Mitterand est certainement plus intéressé par l’Union des partis de gauche que par le programme commun en tant que tel. En effet, l’Union de la gauche est indispensable pour lui lors des élections présidentielles de 1974 puisqu’il est le seul candidat de ce bord. Les élections

Partie communiste français, Programme commun de gouvernement, Paris, Editions sociales, 1972 cité par

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législatives partielles de septembre 1974 sont défavorables au PCF, qui régresse en nombre de voix pour la première fois. Dès 1977, les communistes auraient alors décidé de saboter la campagne électorale prévue en 1978 pour ne pas voir le même scénario se reproduire. Les demandes de discussion sur un nouveau programme commun montre un désaccord entre les partis de gauche. Les communistes font durer les discussions qui s’interrompent en septembre 1977. C’est finalement une totale désunion de la gauche qui s’affiche lors des législatives de 1978. En effet, les socialistes refusent de s’accorder sur un nouveau programme commun et souhaite maintenir ce qui a été acté en 1972.

Plusieurs discussions mènent à des différents entre les trois organisations du programme commun. La question de l’armement nucléaire stratégique est discutée dans la programme commun en 1977. Pour le Parti communiste, il est difficile d’accepter une telle mesure étant donnée sa ligne de conduite qui se veut pacifique. Georges Marchais défend cette proposition en expliquant qu’elle ne servira que d’arme de « défense » et qu’une arme est nécessaire puisque l’Etat ne dispose plus d’aucun moyen de défense à cause du gouvernement en place. Il s’agit ici d’un compromis fait par le PCF pour l’Union de la gauche. En septembre 1977, un bilan sur les discussions d’un nouveau programme commun est présenté par Charles Fiterman, un des responsables du PCF. Il explique que le parti est persuadé que le PS doit céder et faire des compromis puisque l’opinion jugerait le contraire très défavorablement. Il explique que le PCF est prêt à faire un certain nombre d’efforts si le PS décide de faire de même. Les discussions tournent alors autour d’une actualisation partielle, et non plus totale, du programme commun de 1972.

Cependant, les communistes mettent un point d’honneur à faire accepter un certains nombre de nationalisation, ce qui n’est pas de l’avis des autres membre de l’Union de la gauche. Robert Fabre, représentant des radicaux de gauche, s’oppose fermement à une révision du nombre de nationalisation prévu par le Programme commun de 1972. François Mitterand tente de tempérer alors que Robert Fabre est prêt à annoncer une rupture de l’Union de la Gauche suite à une réunion le 14 septembre 1977. Le représentant des radicaux ainsi que le dirigeant communistes sont conviés à débattre en plateau le lendemain. Le PS refuse de venir exposer les différents qui anime l’Union dans les médias et reste en retrait. Le 21 septembre, François Mitterand participe à l’émission

signer de deuxième programme commun. Le 22 septembre 1977, c’est au tour de Georges Marchais de s’exprimer à la télévision. Il lance un grand appel aux Français pour que ces derniers l’aide à maintenir l’Union de la gauche, qu’il annonce à demi-mot comme étant brisée. Lors de la campagne pour les élections législatives de 1978, la question des nationalisations reste un point central des désaccords entre le PS et le PCF comme le montre l’intervention de François Mitterrand à Cartes

sur table :

Jean-Pierre Elkabbach - Ce coût des nationalisations porte sur celles qui sont prévues dans le programme de 1972 …

François Mitterand - Il n'y a pas de débat sur le nom ni le nombre des groupes industriels, sinon en ce qui concerne la sidérurgie et, d'une façon qui extrapole complètement du programme commun dans les propositions communistes, l'automobile et le pétrole. Encore que le programme commun de 1972 ait prévu une prise de participation de la puissance publique, c'est- à-dire de l'État, de l'appropriation sociale de l'ensemble des Français, dans les industries soutenus par l'argent des contribuables, par l'argent public. On donne de l'argent public, produit par les impôts, à Citroën ou à Peugeot. Eh bien, plutôt que de donner à fonds perdus - cet argent n'est jamais remboursé ou mal remboursé, en l'occurrence Peugeot a fait un effort mais la plupart du temps, dans la sidérurgie, cela ne donne rien - l'État prend des participations dans cette entreprise à concurrence de ce qu'il apporte.

Pour la sidérurgie, cela apporterait des participations d'État de 70 %, c'est-à-dire beaucoup plus de participation de la puissance publique qu'il n'y en a à l'heure actuelle dans la SNCF qui est pourtant considérée par tout le monde y compris par les cheminots comme une société nationale.

Donc les neuf groupes industriels qui touchent à l'informatique, à la chimie, aux industries de produits pharmaceutiques, à l'industrie d'armement, etc. et le crédit dans son ensemble seront nationalisés comme le prévoit le programme commun.

Le point sur lequel il y a discussion, nous en avons déjà parlé ensemble, est celui de savoir quelle est exactement la notion de filiale, étant bien entendu que les communistes et les socialistes sont d'accord pour nationaliser les filiales. Les communistes eux, disent : « on nationalise toutes les sociétés dans lesquelles les sociétés-mères détiennent 51 % du capital». Nous, nous disons : « on nationalise l'intégralité des biens des sociétés mères en question ». Cela pourrait d'ailleurs revenir à peu près au même, sinon que le parti communiste demande, par ses moyens là, la nationalisation de 49 autres pour cent qui appartiennent à des groupes qui ne sont pas prévus par le programme commun de gouvernement de la gauche. Quand je dis groupe, je pense à des sociétés, à des individus… tandis que nous, nous entendons strictement nationaliser ce qui est écrit dans le programme commun et rien d'autres. 4

Ce point de désaccord reste très fort entre les deux partis. Aucun des deux candidats ne souhaite revenir sur les positions estimant qu’ils ont fait suffisamment de concessions pour maintenir l’union de la gauche. Les tensions entre communistes et socialistes ne parviennent donc pas à s’apaiser à la veille des élections législatives de 1978. Les communistes savent que leur parti

est en danger face à la puissance des socialistes. Les élections cantonales de 1976 et les élections municipales de 1977 ont été favorables à la gauche française mais les votes exprimaient une préférence pour le parti de François Mitterrand. Georges Marchais craint que le PCF soit relayé au rang de second en cas de victoire de la gauche. À la veille de nouvelles élections législatives en 1978, le PCF essaie donc de se protéger en émettant l’idée qu’il est le seul parti à vouloir une rupture totale avec la politique menée en France jusqu’à présent. Georges Marchais affirme que le PS est un allié de la droite et qu’il est le seul à proposer une véritable alternative. Georges Marchais refuse de continuer une alliance avec le Parti Socialiste.

Alain Duhamel - […] Ça veut dire que vous décidez de même que les socialistes se désistent pour les communistes les mieux placés, vous faites la même chose et que comme ça il y a une majorité de siège non ?

Georges Marchais - Non ça veut dire que vous le savez, nous nous en sommes suffisamment expliqués. Nous avons été contraints lors de notre conférence nationale de janvier, de nous adresser une ultime fois avant les élections à notre peuple, en tout cas à tous ceux qui veulent le changement, pour leur dire ceci : nous nous sommes battus depuis le mois de Mars pour essayer d’obtenir du parti socialiste qu’il accepte d’actualiser le programme commun. Nous n’y sommes pas parvenus, nous n’avons pas été assez fort. Non seulement le parti socialiste n’a pas voulu actualiser le programme commun comme il aurait fallu le faire, mais il abandonne le programme commun dans des questions importantes tels que les objectifs sociaux, les moyens (nationalisation), les questions touchants à la démocratie et à l’indépendance. Nous disons donc aux Français, il ne vous reste qu’un seul moyen. Nous ne renoncerons pas nous, nous ne renoncerons jamais parce que nous nous n’avons pas de politique de rechange, nous n’avons pas de stratégie de rechange. Vous allez peut être me dire que nous avons été imprévoyants, non, nous avons été honnêtes. Nous sommes honnêtes. Nous continuons de dire qu’il ne peut y avoir de véritable changement dans ce pays que par le voix de l’union de la gauche sur un bon programme de gouvernement. Alors, nous avons donc dit aux Français, il vous reste un moyen, c’est au premier tour de nous apporter votre appui massif même si vous ne partagez pas nos opinions … 5

Georges Marchais refuse de céder face au PS et à sa potentielle victoire malgré le fait qu’il soit en tête au sein des différents partis de gauche. Il insiste en expliquant que le véritable changement ne peut passer que par une victoire du PCF aux élections législatives puisque François Mitterrand n’est pas en faveur d’un grand changement dans la politique française. Le dirigeant du

Parti Communiste affirme lors de son intervention à Cartes sur table qu’il ne garantit pas le désistement de ces candidats en cas de triangulaire comprenant un candidat du Parti Socialiste mieux placé. Cela entraine une rupture totale de l’Union de la gauche et donc un échec du programme commun.

II. Élections présidentielles de 1981 : la conquête du pouvoir par la gauche