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Un témoin engagé des événements produits à l’écran ?

La réception de l’émission à travers les sources écrites

A. Un témoin engagé des événements produits à l’écran ?

La presse quotidienne française joue un rôle très important dans la vie politique du pays. En effet, presque tous les journaux sont orientés politiquement et participent activement aux débats, notamment en période d’élection. Lors des diffusions des émissions Cartes sur table, les journaux promeuvent certaines émission, relatent les faits produits à l’écran, donnent leur avis et soutiennent parfois un candidat. Ils mettent en avant les évènements produits à l’écran. Pourquoi parle-t-on d’évènement ici ? (Revoir la synthèse pour la définition évènement). L’événement est prescrit par une certaine catégorie de personne. Cette même catégorie hiérarchise les événements. Ce sont généralement les médias qui décident de faire d’une situation ou d’un acte un événement.

La presse promeut parfois la venue de certains candidats sur le plateau de Cartes sur table en promettant l’arrivée d’un évènement. Il s’agit souvent d’une presse engagée qui, par ce biais, souhaitent maximiser les chances de faire une audience importante et donc de toucher le plus grand nombre d’électeurs. Un premier exemple de ce procédé se trouve dans Le matin de Paris qui est un journal très engagé aux côtés du Parti Socialiste. Le journal publie un article le 16 mars 1981 où les propos suivants sont tenus : « Ce Cartes sur table constitue en soi un petit événement : il marquera

le véritable démarrage de la campagne électorale de François Mitterrand ». Ici, le journal met en avant son candidat en expliquant que son passage à la télévision est un événement. Les journalistes du Matin de Paris ont tout intérêt à vendre le passage de François Mitterrand à Cartes sur table comme étant quelque chose à ne pas rater, quelque chose d’important. L’aspect évènementiel est renforcée par le fait que le candidat a repoussé déjà plusieurs fois son passage dans l’émission. On peut donc s’attendre à ce que cela ait servi à préparer au mieux l’émission et donc à ce que des propos importants y soient tenus. Les lecteurs du journal, surement déjà acquis à la cause du candidat, sont prévenus : il ne faut pas rater l’émission. La promotion est importante puisqu’elle permet de maximiser les chances de faire une audience importante et donc de toucher le plus grands nombre d’électeurs.

On trouve d’autres exemples d’articles qui ne sont pas une promotion directe pour les candidats mais qui peuvent tout de même remplir ce rôle. Le Quotidien du 23 mars 1981 écrit : « Invité ce soir de Cartes sur table, le candidat communiste préfèrera sans doute reprendre ses attaques contre François Mitterand que de revenir sur la drogue ou les immigrés ». Même si cet article ne vente pas la venue du candidat communiste sur le plateau de Cartes sur table, le lecteur est informé de sa participation à l’émission et peut être tenté de la regarder pour vérifier l’hypothèse émise par le journal ou par le spectacle qui semble promis.

La presse joue donc un rôle important dans la promotion de l’émission. Elle reste un média d’importance et une grande source d’information pour une majorité des Français à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Enfin, elle est un média d’opinion qui se démarque de ses concurrents audiovisuels, souvent plus neutres. Les personnes les plus engagées politiquement y trouvent donc plus de réponses qu’à travers les autres médias. Cette presse politisée propose également des décryptages après l’émission.

La deuxième fonction de la presse est la valorisation et le décryptage des propos tenus lors d’une émission passée. On retrouve donc divers articles, parfois engagé, qui font état des sujets abordés par les différents candidats en mettant en avant ce qui leur semble le plus intéressant. On trouve ainsi des articles qui proposent des résumés des émissions passées. Ainsi, le lendemain de l’émission de François Mitterand, la plupart des journaux reprennent le thème de la peine de mort qui a été abordé. C’est un point essentiel de l’émission selon la presse, bien que ce thème n’a occupé qu’une toute petite partie de l’émission. Les autres thèmes retenus pour cette émission sont

les nationalisations, le refus d’intégrer des ministres communistes dans la gouvernement et l’affaire de la Pravda. Or, d’autres thèmes ont été abordés, parfois plus longuement lors de l’émission (c’est le cas du chômage ou des trente cinq heures notamment).

On trouve alors dans le Révolution du 27 mars 1981, un commentaire très gratifiant sur le passage de Georges Marchais à l’émission le lundi précédent.

Les grandes émissions télévisées auxquelles participe Georges Marchais sont toujours, que cela plaise ou non, des moments forts de la vie politique française […]. La vérité est que Georges Marchais a fait mouche en éclairant devant le pays le véritable enjeu de l’élection présidentielle […]. Depuis Lundi, des millions de travailleurs ont pris conscience qu’il est possible de gagner. Un nouvel élan est donné.

Pour le journal, il n’y a aucun doute sur le fait que l’émission de Georges Marchais a rebattu les cartes de l’élection. Le candidat a été très persuasif. Au delà de la question que l’on peut se poser sur la véracité des propos, on peut tout de même retenir que la mission est ici d’appuyer le passage du candidat. Il faut montrer que l’on y croit pour que les électeurs ne se détournent pas vers un autre candidat. Le journal rassure les électeurs communistes, leur candidat a été bon et il a toutes les chances de gagner.

On retrouve également d’autres exemples de journaux qui relèvent les « petites phrases » des candidats lors de leur participation à l’émission. Ainsi, Le Monde titre un de ces articles « À

Cartes sur table : “Je serais présent au deuxième tour … j’en suis persuadé” affirme M. Jacques

Chirac » à la suite de l’invitation du candidat par Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach le 10 16

mars 1981. Tout comme les journaux télévisés et radiophoniques, la presse reprend cette affirmation du candidat RPR qui semble être un élément phare de la soirée. Cette reprise met en avant une certaine arrogance du candidat qui se place lui-même en position de favoris. De même, le quotidien

Sud-Ouest met en évidence une petite phrase de Valéry Giscard d’Estaing dans son numéro paru le

le lendemain de l’intervention du président sortant :

Article paru dans le journal Le Monde le 11 mars 1981. L’article fait une reprise de la participation de

Figure n°13 - A r t i c l e p a r u dans Sud-Ouest le 31 mars 1981 dans la page É l y s é e 8 1 . (Europresse).

Une fois de plus, on souligne l’assurance du candidat en mettant en avant une phrase dite à un certains moments et en réponse à une question. Cette phrase devient le titre principale de l’article alors que d’autres choses ont été évidemment évoquées.

Enfin, la presse ne se prive pas de mettre en avant également certains comportements qui font évènement. C’est le cas, majoritairement, du candidat communiste Georges Marchais. Ce dernier est une fois de plus mis à l’honneur pour ses prestations spectaculaires. On relève plusieurs articles qui racontent à quel point il a été tumultueux lors de son interview, laissant souvent de côté les propos qu’il a tenu. Le matin de Paris publie, le 24 mars 1981, un article assez dévalorisant à la suite du passage de Georges Marchais. Ici, la cible est double : le candidat communiste et les journalistes.

Il démarre au violoncelle, attaque au basson fait sonner les trompettes et arrache

quelques sanglots à son violon. Ce n’est plus un homme politique, mais une véritable symphonie vivante. On se demande d’ailleurs pourquoi Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach s’escriment à vouloir canaliser ce flot wangnérien. Les malheureux ont l’air de deux joueurs de triangle, cachés dans le ténébreux Walhalla où Georges Marchais fait tonner ses cuivres.

Le journal socialiste se fait un plaisir de décrédibiliser totalement Georges Marchais en le présentant comme un véritable concert. Il est associé à des instruments forts, qui expriment sa tendance à crier sans cesse. Les deux journalistes sont ainsi rabaisser au rang de l’instrument le moins audible comparativement à Georges Marchais : des triangles.

D’autres journaux choisissent de publier des caricatures pour illustrer les performances du candidat du PCF et pour s’en moquer. On retrouve dans Le Parisien, le lendemain de la prestation du candidat, un dessin mettant en avant une des principales répliques qui lui est associée « C’est un scandale », soulignant ainsi ses colères répétées.

Figure n°14 - Caricature de

Georges Marchais par Robert Lassus publiée dans Le Parisien du 24 mars 1981. (Archives France Télévision)

Enfin, Télérama livre un article, dans son numéro du 21 au 27 mars 1981, sur les hypothèses du succès de Georges Marchais à la télévision « Georges Marchais, c’est sûr, fait recette à la télévision : il a le sens du public et sait jouer avec les journalistes alternant colères et sermons ». On reconnait ici le sens de la communication du candidat communiste.

D’autres comportements sont mis à l’honneur dans les journaux, souvent pour leurs aspects négatifs tout comme nous l’avons montré pour Georges Marchais. Michel Poniatowski en subit les conséquences en 1978. Le Monde publie un article où il souligne le caractère ennuyeux du fondateur de l’UDF. L’article annonce la teneur de son propos dès son titre : « Hors jeu ». On comprend dès lors qu’il ne sera pas favorable à l’ancien ministre qui a dû se montrer inintéressant et complètement en dehors des enjeux du moment. Le début de l’article est formulé ainsi :

« Impression de déjà vu ? Insignifiance des questions ? Monotonie du propos ? Placidité naturelle de l’invité ? M. Michel Poniatowski a distillé un grand ennui, mercredi soir 22 février,

à l’émission Cartes sur table sur la deuxième chaîne. Ce n’était pourtant pas faute, pour l’ancien ministre, d’avoir préparé son intervention et d’avoir apporté avec lui de quoi nourrir le débat, du moins en théorie. » 17

Ces différents articles faisant état des performances des invités donnent aux lecteurs des informations, non seulement sur ce qui a été dit, mais également sur le comportement. Le lecteur est ainsi guidé dans son interprétation de l’émission qu’il a pu voir. S’il ne l’a pas vu, il peut avoir une idée des performances d’orateurs des invités. Tout comme pour les reprises radiophoniques et télévisées, le lecteur n’est pas forcément guidé dans son choix mais peut utiliser ces informations de décryptage comme des armes supplémentaires lors de débat qu’il aurait avec des individus qui ne partageraient pas son opinion.

La presse a donc un triple rôle : la promotion, l’information et l’interprétation des émissions. Elle permet de promouvoir la venue d’un candidat en faisant d’elle un évènement positif ou négatif comme nous l’avons vu. Dans les deux cas, le spectateurs peut être accroché par cette annonce et avoir envie de la regarder. Elle permet également d’être un outil de rattrapage si le lecteur n’a pas pu ou n’a pas voulu assister à l’une des émissions : la presse relaie les propos qui ont été tenus, dans leur profondeur ou en surface comme c’est le cas avec les « petites phrases » mais également les comportements des participants. Le lecteur peut se faire une idée sur la qualité de l’intervention des différents invités. Enfin, pour nous, la presse a une importance cruciale puisqu’elle est une source d’information sur la lecture faite à l’époque de diffusion de Cartes sur table des différentes émissions et sur leur réception.