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Une source d’information complémentaire sur l’invisible : la candidature de Coluche

La réception de l’émission à travers les sources écrites

B. Une source d’information complémentaire sur l’invisible : la candidature de Coluche

La candidature de Coluche en 1981 est une surprise qui ne fait pas l’unanimité. En effet, ce dernier se présente pour briser les codes de la politique et, comme il le disait délibérément « pour foutre la merde ». Le pari est finalement à moitié réussi puisque sa stratégie qui consistait à occuper le devant de la scène par divers pitreries et actions provocatrices fini par tomber à l’eau. Michel Colucci est victime d’une censure instaurée par ses concurrents politiques et par les médias.

Coluche annonce sa candidature à l’élection présidentielle le 30 octobre 1980, dans une mise en scène déjà débordante de provocation. Son but est d’imposer l’idée que la politique n’est qu’un vaste spectacle, une comédie où l’on méprise tous les électeurs qui ne s’en rendent eux même pas compte. Il explique d’ailleurs ne pas être illégitime à se présenter à une élection puisque les hommes politiques font le même métier que lui : ils font rire tout le monde. Pour illustrer cette idée, Coluche déclare en novembre 1980 « J’arrêterai de faire de la politique lorsque Marchais arrêtera de faire rire ». Même si les hommes politiques ne le prennent que très peu aux sérieux lors de son annonce, les premiers résultats dans les sondages commencent à les alerter. Le 17 novembre 1980, le journal Le Nouvel Observateur publie les résultats d’une enquête réalisée au près de cinq cent lecteurs. Et les résultats sont frappants : 27% d’entre-eux se disent près à voter pour Coluche au premier tour de l’élection. Chaque candidat se rend compte que la candidature de l’humoriste est prise au sérieux par certains électeurs. François Mitterrand peut en être la principale victime selon le journal puisqu’une partie des électeurs de gauche ne se déclarent pas insensibles aux propositions de Coluche. Le candidat du Parti Socialiste reste d’ailleurs très prudent à ce sujet, ne lançant jamais d’invectives trop violentes à propos de l’humoriste. La pression s’accroit lorsque les premiers sondages révèlent des intentions de vote à 10% pour Coluche. Les tensions et la censure commencent à se faire connaître. L’assassinat de René Gorlin, le régisseur du candidat-humoriste, est ressenti comme un avertissement par ce dernier. Il apprend peu de temps après que la coupable était finalement la femme de René Gorlin, mais il est déstabilisé et ne parvient plus à mener sa campagne comme à ces débuts. Au même moment, les médias l’excluent du devant de la scène, il n’est pas invité nulle part.

Les deux présentateurs de Cartes sur table ne dérogent pas à la règle en choisissant de ne pas convier Michel Colucci sur leur plateau. De plus, ils ne font à aucun moment mention de la candidature de l’humoriste. Cartes sur table se retrouve tout de même au centre de l’intérêt de l’humoriste qui entame une guerre psychologique avec les médias en instaurant un chantage par une grève de la faim. Cette nouvelle est largement relayée par les journaux qui, tour à tour, exposent les raisons de l’acte de l’humoriste.

« À 15 heures précises, le rideau rouge du théâtre du Gymnase, à Paris, s'est levé, hier, sur un intéressant spectacle : Michel Colucci, dit Coluche, attablé devant des pizzas et des spaghetti, et des micros.

C'est donc d'une voix forcément pâteuse que le « candidat nul », qui fut aussi un candidat nu, a tenu, tout en mangeant de fort bon appétit, ce que l'on n'ose pas appeler une conférence de presse. « Aujourd'hui, a-t-il articulé avec peine, je mange devant vous pour la dernière fois. À partir de ce repas, j'entame une grève de la faim jusqu'à ce que je sois invité au Club de la presse d'Europe 1 et à Cartes sur table d'Antenne 2. Un huissier et un médecin sont là pour me surveiller. Je continuerai à jouer tant que j'en aurai la force... »

Tout en mangeant, M. Colucci a tenté de faire avaler aux journalistes quelques couleuvres. « J'ai annoncé dimanche que je n'étais plus candidat à la présidence pour que la presse s'intéresse de nouveau à moi », a-t-il dit. Pour ajouter aussitôt, se moquant de tout le monde : « Je n'ai jamais dit à personne que je me retirais, sauf hier, où je l'ai dit à tout le monde. »

En fait, les pitreries de celui dont l'unique programme était de « foutre la merde », n'intéressent plus personne. » Et l’on croit rêver quand on se souvient qu’en novembre 1980 plusieurs intellectuels, dont M. Gilles Deleuze, professeur de philosophie, avaient lancé un très sérieux appel à la candidature de Coluche. »

Coluche veut donc être entendu, être vu à travers des émissions radiophoniques ou télévisés telles que Cartes sur table où le Club de la presse. Il sait qu’en étant exclu de la scène médiatique audiovisuel, il ne fait pas le poids face aux autres candidats qui bénéficient d’une visibilité toute autre que la sienne. Il estime être un candidat comme les autres qui a le droit à un créneau de télévision ou de radio où il pourra exposer ces idées. Malheureusement, il ne trouve que la presse pour relayer ses frasques à l’image de Sud-Ouest (article ci-dessus) ou du Monde qui publie un article tout à fait similaire le lendemain.

Figure n°15 - Article « Le journal des présidentielles » publié dans

Sud Ouest le 17 mars 1981

Il trouve, au delà de l’écho dont la presse lui fait fait bénéficier, d’un soutien de plusieurs personnalités qui sont favorables à une égalité d’accès à la radio et/ou à la télévision entre chaque candidat. Le Monde publie un article à ce sujet le 28 mars 1981.

« Soixante-neuf personnalités ont signé un appel afin de demander que les postulants à la candidature à l'élection présidentielle aient accès à la radio et à la télévision " dans des conditions qui respectent le principe d'égalité ". Cet appel concerne en particulier M. Michel Colucci, dit Coluche, qui a commencé une grève de la faim, le 16 mars, pour obtenir de participer à deux émissions politiques, le " Club de la presse " d'Europe 1 et " Cartes sur table " d'Antenne 2.

" Quelles que soient leurs opinions sur les démarches entreprises par M. Michel Colucci ", les signataires " estiment contraire à l'esprit de la Constitution le refus systématique d'inviter Coluche à des émissions politiques. "

Plusieurs membres de l'équipe de Charlie-hebdo ont signé cet appel, ainsi que des journalistes, dessinateurs, enseignants, écrivains, M. Jacques Attali, directeur de cabinet du candidat socialiste à l'élection présidentielle, et le général François Bécam. »

Coluche trouve un soutien auprès de certaines personnalités. Celles-ci se rassemblent autour de lui pour lui porter secours dans sa demande d’invitation sur les plateaux de radio et de télévision. Les personnalités qui se manifestent sont des proches de Coluche et de sa cause, comme l’équipe de Charlie Hebdo mais également des concurrents directs comme Jacques Attali, membre de l’équipe de François Mitterrand. Tous se mettent d’accord sur le fait que la demande de Coluche est totalement légitime et que la censure dont il est victime est anti-constitutionnelle. Sa candidature devrait bénéficier des mêmes droits et avantages que celles des autres, à savoir : être présent sur la scène audiovisuelle française. Malheureusement pour le candidat humoriste, aucune des deux émissions concernées n’accèdera à sa demande, leurs présentateurs restent dans un silence total par rapport à son action.

II. Les enquêtes d’opinion : quel rôle joue Cartes sur table dans les élections ?