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6. Le processus d'unification international du droit privé est fragmentaire non seulement quant aux domaines concernés par l'uni-fication, mais également au sein de ce domaine.

Quant aux domaines faisant 1' objet d'une unification internatio-nale du droit, les plus ambitieux des juristes n'oseraient aujourd'hui proposer une unification totale du droit privé, même dans les limites du droit commerciaF8. Cette solution, pour être techniquement la meilleu-re, n'en est pas moins politiquement inenvisageable à court et moyen terme. Une approche thématique s'impose donc aux promoteurs du droit uniforme. Ainsi le père spirituel du droit uniforme de la vente internationale, le juriste allemandE. RABEL, était-il soucieux de pro-mouvoir des règles uniformes dans un domaine suffisamment circons-crit pour qu'il soit possible d'élaborer un système de droit intrinsèque-ment cohérent, «ohne die allgemeinen Lehren des Obligationenrechts oder das ganze Vertragsrecht zu uni.fizierem>29. Les limites de cette cohérence intrinsèque lui apparaissaient néanmoins clairement, puis-qu' il était conscient que le droit uniforme devait prendre racine dans un

<<Unendlich mannigfaches Win·sal (verschiedener Rechte)»30Ainsi le juge chargé d'appliquer le droit uniforme doit-il s'attendre à devoir 1' insérer dans un nombre indéterminable31 de parties générales du droit des obligations et plus généralement d'ordres juridiques différents, qui sont ceux des droits nationaux susceptibles d'être désignés par les règles de conflit du for. La qualité substantielle du droit uniforme risque alors d'en être altérée, de même que l'esthétique d'un tableau peut être compromise par le choix de son cadre, ou l'éclat d'un joyau terni par la main qui le porte.

28 KROPHOLLER, p. 344: «Ein Verfall der nationalen Zivilgesetzbücher durch das Eindringen von Einheitsrecht ist vorerst nicht zu erwarten». Voir cependant infra n°18 et 19.

29 RABEL, p. 27. cf. REINHART, Entspriiche das Kaufrecht der Vereinten Nationen den Erwartungen Ernst Ra bels? p. 356.

30 ibid.

31 Les possibilités de combinaison du droit uniforme et d'un droit national ne sont en effet pas limitées au nombre d'Etats contractants: la Convention peut-être applicable en vertu de l'art. 1 al. 1 let. a CV, ou en vertu du choix exprès de la Convention par les parties, alors même que les règles de conflit du for désignent le droit d'un Etat non contractant.

Par ailleurs, la coexistence d'un type de contrat réglementé par le droit uniforme et types de contrats laissés aux droits nationaux pose le problème des contrats mixtes, soumis à deux sources de droit de nature différente, faisant l'objet de principes d'interprétation diffé-rents et dont les règles peuvent parfois se trouver en conflit.

7. Au sein même du domaine juridique appréhendé par le droit uniforme, le processus d'unification reste fragmentaire: ainsi le droit uniforme de la vente internationale laisse-t-il jouer au droit national désigné par les règles de conflit du for le quadruple rôle de droit supplétif, substitutif, complétif et limitatif.

rôle supplétif. Le droit national désigné par les règles de conflit du for32 est appelé à régler toutes les matières que ne «concerne pas» la Convention, selon sa propre terminologie (art. 4 CV).

Le souci de RABEL de constituer un «gleichformiges Geset-zesrecht»33, limité à un «rein schuldrechtlichen Gegenstand»34 explique historiquement l'exclusion du droit uniforme de toute question relative au transfert de la propriété de la chose vendue (art. 4 let. b CV)35Le rôle supplétif du droit national désigné par les règles de conflit intervient cependant dans des domaines purement obligationnels, tels que la validité du contrat et de chacune de ses clauses (art. 41et. a CV), la responsabilité du fait des produits (art 5 CV), la détermination du taux des intérêts moratoires (art 74 CV). L'importance de ces questions laissées hors du champ du droit uniforme est telle (la validité du contrat n'est-elle pas le présupposé juridique de tout moyen de droit en découlant?), que le recours au droit national désigné par les

32 SroLL considère que le rattachement des questions non tranchées par le droit uniforme ne doit pas être le rattachement qui serait celui du contrat s'il n'était pas soumis au droit uniforme, mais un rattachement particulier pour chaque question posée. Cette opinion est cependant isolée, comme 1 'auteur 1 'admet lui-même (sroLL in: IPRax 1993, p. 75).

33 RABEL, p. 31.

34 RABEL, p. 36.

35 Cette question particulière du transfert de propriété dans les ventes internatio-nales fit l'objet d'une tentative d'harmonisation internationale, qui aboutit à la Convention de La Haye du 15 avril 1958 sur le droit applicable au transfert de propriété dans les ventes internationales d'objets mobiliers. Cette Convention ne fut ratifiée que par l'Italie et n'entra donc pas en vigueur. Cf. à ce sujet RabelsZ 24 1959 p. 154.

règles de conflit ne peut plus être considéré, selon le souhait de

RABEL, comme un «unerwünschter Notbehelfi>36, mais bien comme un supplément indispensable au droit uniforme.

rôle substitutif. L'une des grandes vertus du droit uniforme est son souci de la liberté contractuelle, consacrée à 1' article 6 CV, qui permet en particulier aux parties d'exclure en tout ou en partie 1' application de la Convention de Vienne à leur contrat37 L'exclusion par les parties du droit conventionnel entraîne l'application du droit national désigné par les règles de ratta-chement subjectif( en cas de choix d'un droit de substitution par les parties) ou objectif(en l'absence d'un tel choix38). Ce rôle substitutif du droit national peut également être partiel, en cas d'exclusion par les parties de certaines dispositions de la Convention.

rôle complétif. Au contraire des Conventions de La Haye de 1964 portant loi uniforme sur la vente internationale d'objets mobiliers corporels et sur la formation des contrats de vente internationale39, la Convention de Vienne, moins optimiste mais plus pragmatique, admet le recours subsidiaire au droit national désigné par les règles de conflit pour combler ses éventuelles lacunes (art. 7 al. 2 CV). Il faut distinguer les matières régies par la Convention mais de façon lacunaire, des matières non réglées par la Convention (art. 4 CV). Dans le premier cas, le recours au droit national est subsidiaire aux «principes

géné-36 Cité par REINHART, Entspriiche das Kaufrecht der Vereinten Nationen den Erwartungen Ernst Rabels? p. 357.

37 Cette exclusion peut même devenir la règle dans certains domaines commer-ciaux, lorsqu'il y est fait usage de conditions générales prévoyant expressément cette exclusion. Tel est par exemple le cas des conditions générales publiées par

«The grain and feed trade association>> en Angleterre.

38 Il est en effet possible d'exclure contractuellement l'application de la Conven-tion sans pour autant élire un droit naConven-tional de substituConven-tion. Voir à ce sujet BoNELL, Uniform Law and party autonomy: What is wrong with the current approach?

39 L'art. 17 EKG ne réserve aucune place au droit national dans le comblement des lacunes: «Les questions concernant des matières régies par la présente loi et qui ne sont pas expressément tranchées par elle, seront réglées selon les principes généraux dont elles' inspire». Voir cependant à ce sujet MERTENs/ REHBINDER, ad art. 17 EKG, n°25.

raux dont s'inspire la Convention»40, alors qu'il est direct dans le second cas. La formulation de l'article 7 alinéa 2 CV, très contestée lors de son élaboration41 , constitue une nouvelle renonciation à l'exclusion des règles de conflit, «unerwünsch-ter Notbehelfi> dans l'esprit des premiers promoteurs du droit uniforme de la vente internationale42. Elle conduit à ce paradoxe que le droit d'un Etat non contractant peut être amené à combler les lacunes de la Convention! 43

rôle limitatif. L'article 28 CV réserve au droit national, et particulièrement au droit national procédural, un rôle limitatif en excluant des moyens de droit dont disposent les parties au contrat l'action en exécution (art. 46 CV), dans la mesure où le juge du for n'ordonnerait pas l'exécution en nature en vertu de son droit national. Cette disposition, par nature non dispositi-ve4\ concerne essentiellement les Etats de droit anglo-améri-cain, qui excluent l'exécution en nature (specifie performance) au profit de l'octroi de dommages-intérêts45. De par l'article 28 CV, le droit national du for limite donc le nombre de moyens de droit que la Convention de Vienne réserve aux parties.

40 Le recours aux principes généraux dont s'inspire la Convention est lui-même subsidiaire à toute solution pouvant être déduite du texte même de la Conven-tion, selon les principes d'interprétation traditionnels (par exemple la méthode analogique ou a contrario): cf. REINHART, ad art. 7 n°6; BoNELL in: BIANcA!

BoNELL, ad art. 7, n°2.3.2.1 et 2. 3.3.2. Le recours au droit national désigné par les règles de conflit (rôle «complétif» du droit national) est donc bien une

<mltima ratio».

41 PELICHET, p. 44; HoNNOLD, DocumentaryHistory, p. 476. REINHART, ad art. 7, n°9.

42 REINHART, Entspritche das Kaufrecht der Vereinten Nationen den Erwartungen Ernst Rabels? p. 357.

43 PELICHET, p. 45; HEUZE, n°!06.

44 REINHART, ad art. 28, n°3: «Art. 28 eine An wei sung an die Gerichte darstellt und nicht die Rechte und Pflichten der Parteien betrifft».

45 Ainsi en droit anglais, cf. UPEX in: Da vies on contract, p. 264: «If the Court is of opinion that damages will adequately compensa te the plaintiff, it will not order specifie performance. Th us specifie performance is very rarely ordered of a contra ct for sale ofGoods». En droit Américain, cf. F ARNSWORTH, Introduction au système juridique des Etats-Unis, p. 125: « .. .les compensations pécuniaires demeurent la règle, sauf si le demandeur prouve qu'elles sont inadéquates». Cf.

également SroNE, Uniform Commercial Code, p. 126: «Specifie performance may be decreted where the Goods are unique or in other proper circumstances».