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58. Alors que la Convention de La Haye de 1955, à l'instar des Conventions de 1964 portant loi uniforme, traite de la vente d' <<Objets mobiliers corporels», les Conventions internationales les plus récentes en matière de vente mobilière internationale, qu'il s'agisse de la Convention de Vienne, de la Convention de La Haye de 1985 ou de la Convention de Genève sur la représentation, recourent à 1' expression de «marchandises». Il ne faut pas voir dans cette évolution terminolo-gique un changement substantieJ243 (la traduction anglaise, «Goods», ne fait pas la différence), mais plutôt la traduction d'une volonté générale d'éviter les expressions à forte connotation juridique, au profit d'expressions plus familières aux praticiens du commerce et moins susceptibles d'interprétations divergentes d'un Etat à 1' autre244.

242 Cf. DRAETTA, Precontratual documents in merger or acquisition negociations, an overviewofthe international practice, in: RDAI n° 2, 1991, p. 230: «The general consensus is that the critical issue with respect to such documents centres around the difficulty of identifying the cases in wich the letters of intent have a binding nature or other types of legal effects».

243 Cf. MESSAGE, n° 211.31' qui parle de «mise à jour terminologique»; DoCUMENTS OFFICIELS, p. 15; HERBER/CzERWENKA, ad art. 1, n° 7; Voir également PELICHET, p. 69; HEUZE, n° 5.; ScHë>NLE, ad art. 187, n° 17.

244 CzERWENKA, p. 167; KAHN, in: DPCI, p. 390; Voir également PELICHET, p. 68.

Pour être moins juridique que la notion d'objets mobiliers corporels, la notion de marchandise est connue en droit suisse et utilisée notamment aux art. 7 al. 3 CO et 92 al. 2 CO. La définition qui en est donnée par la doctrine suisse correspond tout à fait à la notion de la Convention: «Sachgüter ( ... ) die unmittelbar Gegenstand eines Handgeschiiftes werden kônnen» (Ernst KRAMER, Bruno ScHMIDLIN, in: (Berner) Kommentar zum ~chweizerischen Privatrecht,

59. Si les deux concepts de «marchandises» et «d'objets mobiliers corporels» sont très proches, le premier est néanmoins légèrement plus large que le second, puisque la Convention de Vienne admet dans son champ d'application la vente d'objets non corporels, tels que le gaz245 ou les programmes d'ordinateur246

La vente de droits n'est cependant pas appréhendée par le droit uniforme247, pas plus que la vente d'entreprise248, qui comprend des objets immobiliers, des droits, et des valeurs immatérielles telles que la clientèle ou la réputation. Le moment pertinent pour la détermination du caractère mobilier de la chose vendue est celui de la livraison et non celui de la conclusion du contrat: ainsi la vente d'une récolte à venir ou d'un minerai à extraire est-elle une vente de marchandises au sens de la Convention249.

60. Pour être moins lourde de connotation juridique que la notion d' «objets mobiliers corporels», la notion de «marchandises» est néanmoins grevée d'une forte connotation commerciale et a longtemps été écartée des textes conventionnels de peur qu'elle impliquât dans l'esprit du public une distinction non souhaitable entre vente

commer-Band VI, 1. 1. Allgemeine Einleitung in das schweizerische Obligationenrecht und Kommentar zu Art. 1- 18 OR, Staempfli, Bern 1986, ad Art. 7 OR, n° 27).

245 Art. 2let. fCV a contrario; KAHN, p. 391; HERRMANN, in: Berner Tage, p. 92;

NEUMAYERfMrNG, ad art.!, n° 3.

246 CZERWENKA, p. 148; HERBERICZERWENKA, ad art. 2, n° 16; HERRMANN, in: Berner Tage, p. 92; KAROLLUS, p. 21; DIEDRICH, p. 451; F AKES, The application of the United Nation Convention on Con tracts for the international Sales of Goods to Computer Software and Data base Transactions, in: Software Law Journall990, pp. 583 ss.;. Si le programme d'ordinateur a été spécialement conçu pour les besoins de l'acheteur, se pose néanmoins la question de l'art. 3 al. 1 CV.

247 KARoLLUS, p. 21; HoNNOLD, n° 56: (( It is clear that «Goods» governed by the Convention must be tangible, corporeal things, and not intangible right like those excluded by Article 2 (d) above- stocks, shares, investment securities and instrumnet evidencing debts, obligations or the right to payment>>.

248 HERBER in: VON CAEMMERER/SCHLECHTRIEM, ad art. 1, n° 24; HERBERfCZERWENKA, ad art. 1, n° 7; HERBER in: Berner Tage, p. 246; NEUMAYERIMING, ad art.!, n° 3.

Voir cependant le MESSAGE, n° 211.31 in fine, selon lequel l'entreprise pourrait être une marchandise au sens de la Convention si les valeurs immatérielles ou les biens immobiliers ne se trouvent pas au premier plan.

249 HERBERICzERWENKA, ad art. 1, n° 7; HoNNOLD, n° 56. Cette solution doit cepen-dant être relativisée par la limite de l'art. 3 al. 2 CV.

ciale et vente civile250Quelques scrupules d'inspiration plus littéraire se manifestaient par ailleurs à faire entrer dans ce concept de marchan-dises des objets d'ambition moins mercantile, comme les objets d' art251

Ces scrupules se sont tus lors de la Conférence diplomatique de Vienne (peut-être l'évolution du marché de l'art les rendait-ils dé-suets?), et 1' absence de distinction entre vente civile et vente commer-ciale est affirmée par l'article 1 alinéa 3 CV, selon lequel le caractère civil ou commercial des parties ou du contrat ne sont pas pris en considération pour 1' application de la Convention.

61. L'article 1 alinéa 3 CV doit cependant être mis en perspective avec l'article 2lettre a CV selon lequel sont exclues de la Convention les ventes de marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique252. Cette exclusion ne se rapporte pas à la nature de la chose, mais à son affectation: ainsi 1' acquisition d'un appareil de photo entrera-t-elle dans le champ d'application de la Convention si 1' acqué-reur est un photographe, pas si c'est un simple amateur; de même l'acquisition de savons acquis pour les locaux d'une entreprise, d'un dictionnaire par un écrivain sont-ils des contrats appréhendés par la Convention253. Les marchandises non exclues du champ d'application de la Convention par 1' article 2 lettre a CV ne sont pas exclusivement les marchandises acquises au fin de revente, mais toute marchandise

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KAHN, in: DPCI, p. 390; CzERWENKA, p. 147; PELICHET, p. 69.

251 VISCHER, Das Haager Abkommen, p. 54: « ... da verschiedene Kaufgegenstânde, wie z.B. Gemâlde, nach üblichem Sprachgebrauch keine Waren sind».

252 Selon KAHN, in: DPCI, p. 390, cette exclusion confirme que la Convention

«s'adresse à des professionels plutôt qu'à de simple particuliers». Cette remar-que nous semble excessive si l'on entend par professionels les commerçants:

entrent dans le champ d'application de la Convention non seulement les ventes de marchandises destinées à être revendues, mais également toutes les acquisi-tions liées à une activité professionnelle, quelle qu'en soit la nature. En outre, l'art. 2 let. a CV ne concerne que l'acheteur: le vendeur peut tout à fait être un vendeur occasionnel, et pas du tout un vendeur professionel.

253 Ces exemples sont empruntés à HERBER in: VON CAEMMERERfSCHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 6. Le Message, n° 211.32, nous semble donc ambigu lorsqu'il utilise l'expression de «Vente d'objet de consommation», car il laisse supposer à tort que certains objets seraient par nature des objets de consommation. Cette expression nous semble en outre encore plus inadéquate que le terme de

«marchandises» pour désigner par exemple une oeuvre d'art. La nature de la chose peut cependant jouer un rôle dans la reconnaissabilité de son affectation.

utilisée de façon professionnelle254, comme des machines de bureau acquises par un avocat ou des sièges destinés à la salle d'attente d'un médecin. L'acquisition d'oeuvres d'art entre dans le champ d' applica-tion de la Convenapplica-tion non seulement lorsque l'acheteur a pour dessein de revendre l'oeuvre, mais également lorsqu'il l'acquiert aux fins d'exposition payante, ou mêmes' ils' agit simplement de décorer le hall d'entrée d'une société255. Lorsque la marchandise est affectée à un double emploi professionnel et personnel (par exemple une camionnet-te acquise pour effectuer des livraisons mais également utilisée pour les besoins familiaux de son propriétaire), son acquisition doit être considérée comme entrant dans le champ d'application de la Conven-tion256.

Comme pour le critère de 1' internationalité, la reconnaissabilité del' affectation réservée aux marchandises faisant 1 'objet du contrat de vente joue un rôle déterminant. Le moment pertinent de cette recon-naissabilité est celui de la conclusion du contrat257. La charge de la preuve incombe à l'acheteur pour ce qui est de l'affectation réelle des biens, et au vendeur pour ce qui est de son ignorance justifiée de cette affectation258.

62. La Convention définit par ailleurs le concept de marchandises de façon négative, par les exclusions de V article 2lettres d, e, et fCV, posant ainsi, comme pour le concept de vente, des «borderlines»259. La formulation de ces exclusions est cependant maladroite, trop large, trop étroite, ou sujette à confusion:

254 Commentaire du secrétariat ad art. 2, n° 2 in: Documents Officiels, p. 17; AuniT;

p. 28.

m Voir par exemple DocUMENTS OFFICIELS, p. 395: l'exemple discuté par les délégués est celui de l'acquisition d'un Goya par un musée des Pays-Bas.

Egalement NEUMAYERiMING, ad art. 2, n° 3.

256 KAROLLUS, p. 26; HERBER in: VON CAEMMERERfSCHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 8;

CzERWENKA p. 152, qui rappelle que l'idée selon laquelle l'exclusion de l'art. 2 let. a CV valait aussi dans les cas de double emploi si l'emploi personnel, familial ou domestique était prépondérant a été rejetée lors de l'élaboration de la Convention.

251 HERBER/CZERWENKA, ad art. 2, n° 6; ENDERLEINfMASKOW/STROHBACH, ad art. 2, n°

3; HoNNoLD, n° 50; NEUMAYER/MING, ad art. 2, n° 4.

258 AUDIT, p. 29; CzERWENKA, p. 150.

259 WINSHIP, p. 1-25.

L'exclusion de l'article 2 lettre cCV, concernant les navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs, est trop large par rapport à sa ratio legis, qui est la prise en compte du statut particulier réservé à certaines catégories de ces véhicules par les droits nationaux260, qui les traitent souvent en biens immobiliers, et prévoient des procédures particulières d'enregistrement. Con-trairement à la Convention de LaHaye de 1955 et aux Conven-tions de 1964 portant loi uniforme261, la Convention de Vienne ne précise cependant pas quel' exclusion se limite aux navires, bateaux et aéronefs enregistrés. Cette réserve a été supprimée de la Convention car les conditions d'enregistrement étant différentes d'un Etat à l'autre, une même marchandise pouvait être soumise à cette formalité dans l'Etat du vendeur et pas dans celui de l' acheteur262. Par sa formulation générique, l'article 2 lettre c CV comprend à première vue non seulement les véhi-cules destinés aux transports commerciaux, mais également des véhicules de plaisance tels un voilier, une planche à voile, un planeur, un ULM ou un Deltaplane263. Une interprétation téléologique de l'article 2 lettree CV permet cependant d'abs-traire del' exclusion prononcée par cette disposition les véhicu-les ne faisant l'objet d'aucune immatriculation, pas plus dans l'Etat du vendeur que' dans celui de l' acheteur264Les éléments

260 WINSIDP, p. 1-25; KAHN, in: DPCI p. 391; CZERWENKA, p. 153; MESSAGE, n°

211.31.

261 Art. 1 al. 2 CLH-1955; art. 5let. b EKG.

262 AUDIT, p. 30.

263 PLANTARD,p. 325; KAHN, in: DPCI, p. 391; AUDIT, p. 30; HoNNOLD, n° 54; HEUZE, p. 77.

264 Cf. MESSAGE, n° 211.31: «la Convention ne saurait avoir pour but d'exclure de son champ d'application tous les bateaux, même les canots et les bateaux à rames». Dans ce sens également CZERWENKA, p. 153; HERBER in: VON CAEMME-RER/SCHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 33; ENDERLEINfMASKOW/STROHBACH, ad art. 2, n°

7; REINHART, ad art. 2, n° 7. Plus restrictif HERBERICZERWENKA ad art. 2, n° 13.

La solution proposée par le message de se «reporter aux règles du droit national», sans préciser de quel droit national il s'agit, est à notre avis insuffisante, en ce qu'elle réintroduit le problème qui a conduit à la formulation générique de l'art.

2 let. e CV: il faut donc en tout cas tenir compte des deux droits nationaux du vendeur et de l'acheteur. Comme le fait remarquer HoNNOLD, n° 54, même une telle solution est cependant critiquable sous l'angle du principe de

l'interpréta-de construction l'interpréta-des navires, bateaux, aéroglisseurs et aéronefs (par exemple des moteurs d'avions) sont par contre des mar-chandises soumises au droit uniforme265.

L'exclusion des monnaies (art. 2 let. c CV) est également exprimée en termes trop génériques, seule la vente de monnaies ayant cours légal devant être exclue du champ d'application de la Convention266. Il serait arbitraire de traiter différemment les collectionneurs de monnaies anciennes et les collectionneurs d'armes ou d'autres antiquités.

-L'exclusion des ventes d'électricité (art. 2let. fCV) est au contraire trop étroite: si les contrats de vente d'énergie présen-tent des particularités qui rendent le droit uniforme peu adé-quat267, cette exclusion aurait dû concerner également les ven-tes de gaz ou de pétrole268 .

Enfin, l'exclusion des ventes de titres ne doit en aucun cas être comprise comme l'exclusion de tous les contrats de vente impliquant un transfert de documents: même si le titre est représentatif de la marchandise, il n'est pas l'objet de la vente269. La Convention de La Haye de 1955 apportait cette précision (art. 1 al. 2 in fine CLH-1955). Elle ressort dans la Convention de Vienne des articles 30, 34 et 58 CV, selon lequel le transfert des documents se rapportant à la marchandise fait partie des obligations du vendeur.

tion uniforme de l'art. 7 al. 1 CV. RoYER, in: HoYERIPoscH, p. 39, fait enfin remarquer à juste titre que dans la plupart des cas, ces véhicules légers sont de toute façon exclus duchamp d'application de la Convention par l'art. 2let. a CV.

265 MAGNUS, p. 84, citant un arrêt hongrois non publié; HERBER in: VON CAEMMERERI SCHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 35.

266 La traduction allemande («Zahlungsmittel») est à cet égard plus précise. Cf.

HERBER in: VON CAEMMERERfSCHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 30; ERDEM, n° 180;

CZERWENKA, p. 152; HERBER /CZERWENKA, ad art. 2, n° 12. Contra PLANTARD, p.

325.

267 AUDIT, p. 30; KAHN, in: DPCI, p. 391 y voit pour sa part une «réminiscence des Conventions de 1964, qui visaient expressément les meubles corporels»

268 WINSHIP, p. l-25; HERBER in: VON CAEMMERER/ScHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 37;

CZERWENKA, p. 154; NEUMAYER/MING, ad art. 2, n° 9.

269 MESSAGE, n° 211.31; HERBER in: VON CAEMMERER/ScHLECHTRIEM, ad art. 2, n° 28;

HERBERfCZERWENKA, ad art. 2, n° ll; CZERWENKA, p. 152; REINHART, ad art. 2, n°

6; NEUMAYERIMING, ad art. 2, N° 7; RoYER, in: HoYERIPoscH, p. 38, qui rappelle

63. On peut donc regretter un certain manque de précision de la Convention quant à la notion de marchandises, puisque cette notion n'est définie que de façon négative, à travers une liste d'exclusions dont la formulation est contestable, et qui relève plus de concessions arrachées en fin de conférence270 que d'un réel progrès par rapport aux Conventions de La Haye de 1964.

C. Conclusion

64. Alors que la Convention de Vienne apporte une clarification utile quant au concept d'internationalité, elle n'est en rien révolution-naire en ce qui concerne la notion de vente de marchandises.

Fondamentalement, le concept de vente de la Convention équi-vaut à celui de 1 'article 184 CO (n° 4 7 à 48). Sont incluses dans ce concept générique les ventes à tempérament dans la mesure où 1' exclu-sion de 1' article 2 lettre a CV ne les concerne pas. De même, les pactes d' emption, de préemption et de réméré sont soumis aux droit uniforme et en particulier à ses règles sur la conclusion du contrat. Les ventes aux enchères et les ventes sur saisie ou par autorité de justice sont abandonnées au système conflictuel (n° 49 à 52).

L'application par analogie du droit uniforme aux contrats internationaux innommés s'impose au juge dans la mesure où l'appli-cation analogique des règles de la vente est justifiée. Le droit uniforme le prévoit notamment en son article 3 alinéa 2 pour les contrats mixtes présentant des éléments de service dans une part non prépondérante (n°

53 à 57).

Le concept de «marchandises» correspond à la définition du droit suisse d'une chose mobilière, mais comprend des choses non corporelles. Il se définit par ailleurs à travers les exclusions de 1' article 2 lettres a, d, e et f CV (n° 58 à 63).

qu'une proposition autrichienne avait été formulée à ce sujet, qui n'a malheureu-sement pas été retenue.

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Cf. WJNSHIP, p. 1-25.

IV. DROIT CONVENTIONNEL OU DROIT ETRANGER:

LE ROLE DU FACTEUR PERSONNEL