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107. La variété des critères d'application de la Convention de Vien-ne, la complexité des combinaisons éventuelles de ces critères, la véritable mosaïque juridique qui peut résulter de la coexistence du droit uniforme, des diverses Conventions comportant des règles de conflit en matière de contrat de vente, des règles de droit international privé nationales et des droits matériels nationaux, sont des facteurs propres à effrayer les praticiens de la Convention de Vienne, plus soucieux de sécurité juridique que de subtilités doctrinales: «peu nous importe la loi, pourvu que nous sachions à laquelle obéir336».

Le principe de l'autonomie de la volonté, qui permet de subs-tituer aux incertitudes d'un juridisme excessif la sécurité d'un choix dépourvu d'ambiguïté, peut apparaître aux plus pessimistes comme la bouée de sauvetage des parties menacées de noyade dans un océan de règles de droit: «This abundance of international agreements on a single subject is not, therefore, conductive to simple solutions. Under the circumstances, the parties to international sales ofgoodswould be well advised not to rely on the Conventions and to solve issues of applicable law in the orthodoxform of appropriate stipulations»331 Lors des conférences consacrées à l'élaboration du droit uniforme, le gouvernement suisse s'est d'ailleurs toujours montré le fervent parti-san de l'autonomie de la volonté338Ce souci de liberté contractuelle ne témoigne d'aucune méfiance à l'égard du droit uniforme: si les parties sont certes libres d'exclure la Convention de Vienne, elles peuvent également faire usage de leur liberté pour en assurer l'application dans

336 JULuor DE LA MoRANDIERE, cité par VISCHER, «Das Haager Abkommem>, p. 65.

337 DELAUME, Tome I booklet 2, p. 30.

338 Voir à ce sujet, WINSHIP, p. l-33: «As the swiss government noted in its pre-conference comments on the 1978 UNCITRAL dra ft, traders, who are generally wary ofbeing subjected to unfamiliar ru les, should instead feel reassured by the non manda toy or enabling statu te nature of the Convention. (A/CONF.97 /8. Add 2, p. 7)».

les cas où la réalisation de ses conditions objectives d'application est douteuse.

L'expérience des Conventions de 1964 portant loi uniforme confirme l'extrême importance pratique de l'autonomie de la volonté des parties, puisqu'une jurisprudence abondante s'articule autour de l'article 3 EKG qui en consacrait le principe339

108. Le principe de la pleine autonomie de la volonté des parties est exprimé à tous les niveaux de la hiérarchie des textes applicables à la vente internationale: article 116 LDIP, article 2 CLH-1955, article 7 CLH-1986, article 3 CR, article 6 CV.

L'originalité de l'article 6 CV est d'être à l'image de la double nature de la Convention de Vienne: à la fois droit international (régis-sant une situation internationale) et droit matériel (apportant directe-ment des solutions propres), le droit conventionnel exprime par l'arti-cle 6 CV la liberté des parties sous son double aspect de liberté contractuelle quant au contenu du contrat, notion de droit interne, et de libre choix du droit applicable, notion de droit international privé340En prévoyant que les parties peuvent «exclure 1 'application de la présen-te Convention», l'article 6 CV se présenprésen-te comme une règle de conflit négative341 relevant de la liberté des parties de choisir le droit applica-ble à leur contrat. En les autorisant à «déroger à 1 'une quelconque des dispositions (de la Convention)» ou à en «modifier les effets», il se fait l'équivalent en droit conventionnel uniforme de l'article 19 C0342

109. La dualité de l'article 6 CV pose un problème d'interprétation de la lex contractus lorsque les parties ont exclu certaines dispositions

339 Voir 1 'abondante jurisprudence mentionnée in: SCHLECHTRIEMIMAGNUS, ad art. 3 EKG, pp. 123-153; Wnz, p. 108; PILTZ, p. 39.

340 Sur cette distinction, voir KELLERISCHLAEPFER, p. 5, n° 12; ScHWANDER, Zur Rechtswahl im IPR des Schuldvertragsrechts, p. 474; ScHULZE, p. 15; KELLER!

SmHR, Allgemeine Lehren des internationalen Privatrechts, p. 369.

Sur la dualité de l'art. 6 CV, voir CoNETTI, p. 85: « ... aufGrund des Art. 6 der Wiener Konvention ge ben, der den Parteien die Môglichkeit einriiumt, ganz oder tei1weise die Anwendung der Konvention auszuschliessen, sei es im Sinne der Vertragsfreiheit, sei es im Sinne der Freiheit der Rechtswahl im IPR».

341 Caractère négatif renforcé par le fait que l'exclusion de la Convention par les parties n'implique pas de choix alternatif. Voir à ce sujet BoNELL, Uniform Law and party autonomy: What is wrong with the current approach? p. 434 n° 2.

342 LICHTSTEINER, p. 191.

de la Convention, sans y substituer expressément les règles d'un droit national, ou des dispositions contractuelles matérielles. Cette exclu-sion partielle doit-elle être comprise dans un sens conflictualiste et impliquer un recours au droit national applicable selon les règles de conflit, ou au contraire dans un sens matériel, les parties ayant souhaité exclure certaines obligations prévues par la Convention? Ainsi une disposition contractuelle selon laquelle «les articles 35 à 43 CV sont inapplicables» implique-t-elle une suppression de la garantie du vendeur en cas de défaut, ou au contraire 1' exclusion par les parties des règles uniformes en matière de garantie, au profit d'un autre système légal (le cas échéant les articles 197ss C0)?343

110. La nature de la norme écartée par les parties peut donner un élément de réponse: s'il s'agit d'une norme sans équivalent dans le droit national applicable selon les règles de conflit (par exemple l'article 68 CV concernant le transfert des risques en cas de vente en cours de transport, qui ne connaît pas d'équivalent en droit suisse), ou au contraire d'une règle qui y trouve son équivalent exact (par exemple l'article 38 CV qui correspond substantiellement à l'article 202 alinéa 1 CO), cette norme a été exclue par les parties en raison de sa substance et non de sa source: à défaut dans les deux cas d'une solution de rechange proposée par le droit national, la volonté des parties ne peut être d'exclure de façon «conjlictualiste» la Convention au profit du droit national supplétif.

Dans les autres cas, seule la règle d'interprétation de la volonté des parties selon le principe de la confiance de l'article 8 CV peut apporter une réponse à ce délicat problème, et non, comme le propo-sent certains auteurs34\ le principe du comblement des lacunes de

343 Cette problématique propre à la dualité de l'art. 6 CV, est la face négative (se situant dans le contexte de 1 'exclusion d'un droit) du problème plus classique (se situant dans le contexte du choix d'un droit) de la distinction entre «Kolli-sionsrechtliche Verweisung» et «materiellrechtliche Verweisung»: voir à ce sujet ScHULZE, p. 16: «Es ist eine Auslegungsfrage, ob die Parteien mit ihrer Verweisung auf ein bestimmtes Recht dieses zum Vertragsstatut oder lediglich zum Vertragsinhalt machen wollen». Ainsi, dans un arrêt du 20 juin 1948, publié in: ATF 7 4 II 81

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JT 1949 I 4 7, le Tribunal fédéral a -t-il estimé qu'une clause d'un contrat de transport selon laquelle le transport était régi par les dispositions de la loi allemande sur la navigation intérieur constituait une simple intégration de cette loi dans le contrat, soumis au droit suisse.

344 HERBER in: VON CAEMMERER/SCHLECHTRIEM, ad art. 6, n° 10 et 25; BoNELL in:

BIANCAIBONELL ad art. 6 n° 3.2.2; LICHTSTEINER, p. 191; WEY, p. 147.

1' article 7 CV: on ne saurait en effet parler de lacune de la Convention alors que des dispositions matérielles existent, qui ont été écartées par les parties. D'ailleurs, les différentes clefs de comblement des lacunes de l'article 7 CV sont inadéquates ou inutiles: il est aventureux d'aller chercher un «esprit de la Convention» qui serait différent de ses dispositions expresses; la bonne foi dans le commerce international ne saurait impliquer d'autres solutions que celle d'une bonne application du principe de la confiance selon 1' article 8 CV; enfin 1' application des règles du droit national désigné par les règles de droit international privé préjuge du caractère conflictuel de l'exclusion partielle de la Convention par les parties, alors que leur volonté n'était pas forcément de soumettre à un droit de substitution la question faisant l'objet de la clause d'exclusion.

On ne saurait donc que conseiller aux parties d'éviter les incertitudes inhérentes à l'application du principe de la confiance en précisant leur volonté d'exclure les règles conventionnelles dans un sens matériel ou conflictuel.

111. La seule limite expressément apportée par la Convention à la liberté contractuelle des parties est celle de l'article 12 CV, qui rappelle les effets d'une réserve au sens de l'article 96 CV. Le caractère impératif de 1' article 12 CV n'est cependant contraignant pour les parties que dans la mesure où:

l'une des parties est établie dans un Etat réservataire au sens de l'article 96 CV,

le droit international privé du for prévoit une règle de rattache-ment impérative en matière de forme, et

le droit national désigné par cette règle de rattachement impé-rative comprend une règle impéimpé-rative en matière de forme.

Ce faisceau d'impérativité (impérativité de la réserve au sens de l'article 96 CV, impérativité de la règle de rattachement, impérati-vité de la règle de forme du droit national) est rare dans un contexte où prévalent la liberté contractuelle et le principe de 1' autonomie de la volonté. En aucun cas 1' article 12 CV ne peut être contraignant pour les parties si le for est en Suisse, puisque par la conjugaison des articles 116 LDIP, 118 alinéa 1 LDIP, 2 CLH-1955 et 124 alinéa 1 et 3 LDIP, les parties jouissent en matière de vente mobilière d'une pleine liberté formelle345

345 Cf. également CzERWENKA, p. 172; art. 9 al. 2 CR; art. 11 CLH-1986

112. La validité de la clause d'exclusion ou de dérogation n'est pas régie par le droit uniforme, qui déclare expressément ne pas concerner la validité du contrat ni celle de ses clauses346. Elle est donc soumise au droit national applicable selon les règles de conflit347, qu'il s'agisse d'une dérogation matérielle à la Convention ou d'une exclusion de type conflictualiste: dans ce deuxième cas, la clause d'exclusion doit être traitée comme une clause d'élection de droit (élection par défaut si l'exclusion n'est pas complétée par l'élection d'un droit national de substitution), régie par la loi déclarée applicable par les parties (ex-pressément348 ou par défaut) en vertu de 1 'article 2 alinéa 3 CLH-1955.

113. La large autonomie de la volonté des parties permet d'envisager une riche casuistique. En rapport avec l'application de la Convention, il faut distinguer 1' exclusion de la Convention par les parties, le choix du droit d'un Etat contractant ou non contractant, le choix exprès de la Convention, et enfin la référence des parties à un système normatif privé.