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Une situation paradoxale : le tourisme de mémoire

ECOLE NATIONALE

A- Une situation paradoxale : le tourisme de mémoire

Plusieurs facteurs nous poussent à nous interroger sur les conséquences de l’exploitation touristique des mémoriaux dans un but lucratif. Lorsque nous évoquons le tourisme ici, il s’agit du tourisme de masse,que l’on rencontre dans différents mémoriaux. Il se définit essentiellement par le très grand nombre de visiteurs qui s’y rendent chaque année. Outre le nombre, le tourisme de masse se définit également par sa temporalité. C’est une visite rapide, par exemple le Louvre en une heure, la visite de Paris en une journée et les capitales européennes en une semaine.

De façon générale, le tourisme de masse commence à être vivement critiqué par rapport aux impacts qu’il a à l’échelle locale et au delà. En effet, il homogénéise le monde et transforme les économies locales. On notera les exemples en France des villages classés village de caractère. Par exemple, celui de Balazuc en Ardèche, labellisé Village de caractère et appartenant également à l’organisme Les Plus Beaux Villages de France, et qui a vu son économie changer. Auparavant les habitants vivaient de la culture de la terre, puis l’économie s’est tournée petit à petit vers le tourisme. Les rez de chaussées sont devenus des petites boutiques de souvenirs, où se vendent de l’artisanat «  local  ». Les habitants ont, peu à peu, délaissé le village. En parallèle, des équipements lourds se sont construits pour accueillir plus de visiteurs  : parking, hôtel,… Cet exemple, bien qu’il illustre parfaitement les effets du tourisme de masse, puisque le village n’avait à l’origine pas la capacité

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d’accueillir autant de visiteurs, est minime par rapport aux sites inscrits au label UNESCO comme le Taj Mahal ou Venise. Au delà des transformations sur les habitants et l’économie locale, le tourisme de masse a des impacts écologiques, de part les moyens de transports qu’il implique mais également les déchets laissés sur place, entre autres...Cette forme de tourisme est actuellement remise en cause en Catalogne.

Sur les lieux de mémoire cette activité a aussi d’autres conséquences que celles citées ci dessus. En effet, à force de vouloir faire des lieux compréhensibles de tous, ils se transforment en «  parc d’attraction  » de la mémoire. Le mémorial de l’Holocauste de Washington illustre ce propos : inauguré en 1993, il compte trente millions de visiteurs depuis son ouverture.20 Ce musée mémorial est loin, tout d’abord,

géographiquement des lieux où les faits se sont produits, mais aussi temporellement. Il doit donc faire comprendre ce qui s’est passé à une population qui n’a pas été sensibilisée ni dans l’espace ni dans le temps. Cependant, à force de vouloir faire tout comprendre, les sensations, l’émotion et histoire, ne tombons-nous donc pas dans la caricature et dans un aspect de parc d’attraction ? En effet, dans ce mémorial, les ascenseurs imitent les wagons qui ont transportés les juifs vers les camps. Ces ascenseurs mettent le visiteur «  en situation  ». Est ce vraiment utile ? Ne peut on pas qualifier ceci de voyeurisme, voire de tourisme morbide21 ? Le concepteur de lieu, James

Freed a pri le parti de déboussoler et de déranger le visiteur du début jusqu’à la fin de sa visite, « oppression et appréhension dominent le parcours22 », dans le but de lui transmettre toutes

20 CHEVALIER Dominique, Les musées urbains de la Shoah,

ESPACES, n°313, Juillet 2013, p.120-129.

21 AUGÉ Marc, L’impossible voyage, le tourisme et ses images, Rivages poche collection Petite Bibliothèque, 1997, p.187.

22 CHEVALIER Dominique, Les musées urbains de la Shoah,

ESPACES, n°313, Juillet 2013, p.120-129.

fig 25 - Photographie illustrant le tourisme de masse.

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les sensations et émotions qu’ont pu vivre les victimes.

Finalement nous pouvons nous interroger sur le fait de vouloir générer à tout prix une émotion sur le visiteur. En effet, lorsque l’on évoque les mémoriaux, ce sont des espaces initialement conçus pour souder les populations et aider à la compréhension du passé pour éviter que cela ne se reproduise. Cependant que se passe-t-il lorsqu’il n’y a que l’affect qui est stimulé et non l’intellect ? Est ce que ceci aide véritablement à construire la «  paix sociale 23»? Ainsi, on peut réellement s’interroger sur

l’apport de ces lieux pour la mémoire collective. Est ce qu’avoir une émotion aide vraiment à comprendre ce qui s’est passé et à l’éviter ? C’est ici toute la subtilité du travail de l’architecte lorsqu’il conçoit ces lieux  : générer une émotion qui doit conduire le visiteur à une réflexion.

Ensuite, le tourisme de masse, comme expliqué précédemment nécessite des infrastructures. Ainsi, il est curieux de constater la place qu’occupe le stationnement pour les bus à proximité du mémorial,… Mais également la présence de plusieurs magasins de souvenirs de Berlin…Ce qui ramène les lieux à une triste vérité.

Selon Jean Didier Urbain, le développement du tourisme de mémoire permet la «  paix sociale  »24. Ainsi, il est, selon lui,

essentiel de le maintenir et de le développer. Cependant, des études montrent que ces lieux attirent des personnes ayant des fonctions de cadres supérieurs, des enseignants,25… En somme

une population restreinte et acquise à la cause que le tourisme de mémoire veut développer. L’objectif de « la paix sociale » est de ce fait limité.

23 URBAIN Jean Didier cité dans CHEVALIER Dominique, Les

musées urbains de la Shoah, ESPACES, n°313, Juillet 2013, p.120-129.

24 Ibid

25 CHEVALIER Dominique, Les musées urbains de la Shoah,

ESPACES, n°313, Juillet 2013, p.120-129.

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