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A- Un mémorial dans la ville

Si, précédemment, nous avons questionné les dispositifs architecturaux internes, le rapport avec le contexte fait partie d’un langage, d’un parti-pris. Les lieux et motifs d’implantation d’un mémorial sont réfléchis, questionnés et controversés. Ils ne sont pas un choix anodin. Le lieu est le prémisse de nombreux choix symboliques ; il n’est pas systématiquement rattaché physiquement aux lieux ou actes qu’il commémore. Berlin a été le lieu de décision de crimes qui se sont accomplis en Europe au siècle passé. Le site du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe a été essentiellement choisi pour sa centralité dans la ville. Bien qu’il soit à proximité de la Chancelerie du Reich, c’est le dialogue qu’il crée avec d’autres architectures de mémoire, puisqu’il vient s’inscrire dans un parcours où se trouvent d’autres mémoriaux dédiés aux victimes du nazisme, et sa centralité qui font sa puissance. Ce parcours de mémoire est construit avec les différents mémoriaux contemporains. Le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe est le point d’orgue de ce parcours. À l’inverse, le mémorial Ground Zero, qui commémore l’attentat du 11 Septembre, est implanté sur le site même des deux tours du World Trade Center. Les manières de traiter le lieu sont donc différentes, et la conception du mémorial qui en découle également.

Le mémorial d’Eisenman, s’implante dans le centre ville de Berlin, entre quartier d’affaires et d’ambassades  : un lieu de va-et-vient incessant, qui brasse une population de passage venue visiter la ville, et des berlinois. Certains de ces derniers

fig 14- Ground Zero, New York.

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n’ont pas adhéré au choix du lieu, le trouvant trop central et ne souhaitant pas l’apercevoir au quotidien, témoignant d’une douleur toujours vive ou d’une envie d’oubli21.

On retrouve également cette démarche, à une moindre échelle dans le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes. En effet, le site, bien qu’ayant du sens puisqu’il est proche de la Loire et qu’il fait face aux maisons d’armateurs, a été surtout choisi par rapport à sa centralité. Dans un sens, cette démarche a eu pour but de montrer que le passé est assumé, ou du moins en passe de l’être. Dans ce cas, il y a eu également débat. Ce choix a ravivé des controverses et pose la question du rapport qu’entretient la ville avec son histoire.

Cependant dans ce cas bien précis, ne peut-on pas parler d’anti- monument, ce nouveau genre de mémorial ? Si son implantation dans la ville est bien définie, il s’efface volontairement face à elle, construisant son parcours en sous sol.

Comme évoqué précédemment, on assiste à un tournant dans l’architecture de mémoire, la monumentalité, dorénavant, laisse place à un projet qui semble au premier abord plus timide. Ainsi, l’anti-monument convoque différents facteurs pour faire monument, mémorial, en excluant tous les rapports au monumental. L’artiste Jochen Gerz a, dans les années 90, et avec l’aide d’étudiants, descellé, clandestinement, les pavés du parvis du château de Sarrebruck, qui était l’ancien quartier général de la Gestapo. Ils ont inscrit sur ces pavés, le nom de plusieurs cimetières juifs, et les ont repositionnés, de façon à ce que l’inscription soit invisible. Cette oeuvre d’art obtient l’appellation de «  monument invisible  »22. Avec le

temps, certains pavés se sont retournés, dévoilant l’œuvre, le

21 EMERY Manon, La spatialisation du devoir mémoriel de Berlin, le mémorial des Juifs assassinés d’Europe. Comment la mémoire est au service du rayonnement culturel de Berlin ?, Mémoire recherche PFE, Ecole Natio- nale Supérieure de Paris Malaquais, 2014, p.133.

22 http://65.snuipp.fr/IMG/pdf/fiche_j-_gerz_monument_contre_le_ racisme.pdf

fig 15- «Le monument invisible», Jochen Gerz

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mémorial caché. C’est un monument commémoratif tout en étant un « anti-monument ». Ainsi, cette nouvelle manière de commémorer peut être appliquée pour différents cas, et faisant appel à diverses manières de traiter le sujet.

Contrairement à ces deux mémoriaux, le mémorial Ground Zero à New York, commémorant les attentats du 11 septembre 2001, se situe sur l’emplacement des deux tours détruites. Ici, le vide instaure un autre rapport au lieu. Il permet la méditation. Ce site, lieu initialement emblématique devenu lieu d’effroi, a pour vocation de commémorer, mais reste aussi un espace de vie. Par le vide, il vient créer un espace public dans un quartier dense. «  J’ai voulu clairement rendre compte du fait que, si l’espace est dédié à la mémoire de façon très importante, il ne doit pas être coupé de la ville. L’idée de base était de créer un place publique, claire et directe23 » explique l’architecte

du mémorial Michael Arad. Ce choix s’oppose à celui de Liebeskind, chargé du plan global du site lors d’un concours gagné en 2003, qui au départ souhaitait faire un « sanctuaire dédié à la mort 24». Finalement cet espace a évolué en un lieu

pour se rappeler mais également pour devenir un espace de vie. Cependant, ces procédés posent question : est-il possible de vivre dans un lieu de mémoire ? Cette approche constitue- t-elle une banalisation de la mémoire ? À l’inverse, est-ce la traduction du fait que la mémoire est totalement revendiquée et acceptée ? Ce sont des questions que nous aborderons dans la suite de notre analyse.

23 LOISEAU Benjamin, L’enjeu était la mémoire : le mémorial 9/11 signé Michael Arad, http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_2130, mis en ligne le 7 Septembre 2011, consulté le 5 Juillet 2017.

24 Ibid

B- Un dialogue entre mémorial, paysage et éléments naturels

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