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B- Un tourisme débridé

Les mémoriaux sont devenus, dans certains cas, de hauts lieux touristiques. Le site international de voyage Tripadvisor a même classifié certains mémoriaux, tels que celui de Berlin, dans sa catégorie « site attractif26 ». Il existe donc une confusion

entre mémoire et loisirs.

Le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe en est devenu, au fur et à mesure, un. Il s’est transformé en lieu « incontournable » lorsque l’on visite la capitale berlinoise. C’est essentiellement l’objet architectural et la plasticité de ce dernier qui sont convoité. Les visiteurs se prennent en photographie à l’intérieur, prennent des selfies à coté des stèles. Le touriste souhaite montrer qu’il est allé dans cette ville. Les « endroits incontournables » en sont la preuve puisqu’ils représentent la ville. Ainsi on peut trouver une multitude de selfies fait dans le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe sur les réseaux sociaux. C’est ce qui a fait réagir l’artiste Israélien Shahak Shapira, qui, choqué par cet effet de mode a, créé le projet «Yolocauste» en Février 2017. Ce terme est la contraction de YOLO (You Only Live Once27), expression anglaise contemporaine épicurienne,

et Holocauste. Ce nom exprime le paradoxe de la situation. Dans ce projet, l’artiste a détourné les photographies qu’il a pu trouver sur les réseaux sociaux et les a replacées dans le contexte de la Shoah. Ce sont des images choquantes qui illustrent cette situation absurde. Ce projet a fait couler beaucoup d’encre et a questionné nos rapports aux lieux de mémoire. Le tourisme de mémoire a déjà été auparavant critiqué, notamment sur des lieux de mémoire tel qu’Auschwitz ou Cracovie. Cette ville a développé un éventail de possibilités pour la visite de ce lieux,

26 LOUBES Jean Paul, Tourisme arme de destruction massive, éditions du sextant, 2015, p.167.

27 « Tu ne vies qu’une seule fois » traduuit depuis l’anglais par mes soins

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tour, guide,… Ce tourisme morbide tolère des comportements de visiteurs eux aussi vivement critiqués.

Ainsi la finalité des mémoriaux devient floue puisque ces lieux se trouvent dans une période de transition. Néanmoins, à force de vouloir en faire des lieux attractifs, dans le but d’intéresser et de brasser un nombre important de visiteurs, n’est ce pas uniquement ceci que les visiteurs retiennent : la plasticité du lieux et l’aspect esthétique ? Ce sont devenus de vrais lieux médiatiques, des symboles de villes de par la publicité qui en est faite et de par la manière dont les lieux sont gérés.

fig 26 - Image provenant du projet YOLOCAUST.

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CONCluSION

Au travers de notre analyse, nous nous sommes intéressés aux différents aspects de la mémoire. Tout d’abord elle est mouvante et évolutive, instable. Les mémoriaux rassemblent et soudent autour d’un lieu (commémoration,...). Ils figent une mémoire dans sa société. Suite aux guerres et horreurs du XXe siècle,

ces espaces ont eu une vocation thérapeutique. Ils participent à l’édification de la mémoire collective en diffusant des images, symboles et valeurs à l’échelle nationale. Ils ont commémoré les héros, les victoires et dénoncé les faits. Pour éviter que ces faits ne se reproduisent, les pays essaient de se rassemblent autour de valeurs universelles, qu’ils tentent de propager.

Les valeurs restent, mais petit à petit, les acteurs de la mémoire du XXe siècle disparaissent. Les faits s’éloignent et tombent

dans l’histoire. C’est à ce moment charnière que l’architecture prend une place importante dans le combat contre l’oubli et le maintien de la mémoire. En effet, ces architectures de mémoire évoluent, les enjeux également. Elles doivent déranger le visiteur et lui faire comprendre les faits. Une architecture émotionnelle et explicite s’instaure. Un langage se crée, entre art et architecture, qui vient créer une symbolique. Comme auparavant, le mémorial reste un repère dans la ville. Cependant, il s’efface face à elle, mais garde sa puissance. La verticalité est remplacée par l’immensité horizontale, comme nous avons pu le constater dans le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe, ou dans le Mémorial de l’Abolition de

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l’esclavage de Nantes dans lequel le parcours se fait en sous face. Le rapport à la ville ainsi qu’au visiteur, de ce fait évolue. Le mémorial ne se regarde plus uniquement, il se parcourt, se découvre. Il s’écoute également. Le son, ou le silence, font partie à part entière de la conception du lieu. Dans le mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes, le bruit de la Loire qui vient se frotter au mémorial apporte une autre dimension au lieu. Ces lieux se veulent attractifs, dans le but de sensibiliser les visiteurs. Néanmoins, ceci a un contrecoup : le tourisme de mémoire se développe. L’objectif est alors de rendre ces lieux de plus en plus attractifs. Les mémoriaux perdent leur sens initial. La pédagogie devient succincte et rapide. Ces espaces, à force de vouloir faire comprendre ce qu’il s’est passé, tombent parfois dans le voyeurisme. Marc Augé met en garde contre ce tourisme morbide1. Le voyage, l’aventure n’existant plus, le

touriste cherche à être dépaysé dans l’horreur, à ressentir des choses qu’il ne ressent habituellement pas.

Ainsi, les architectures de mémoire se multiplient, devenant des vitrines de villes ou de territoires. De ce fait certains parlent de banalisation de la mémoire. Ce surplus de mémoire conduit à une perte de la place et de la fonction de cette dernière. En effet, certains de ces lieux font parti du quotidien, sont des places publiques comme nous avons pu le constater avec Ground 0 à New York ou le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes. Ce surplus de mémoire mène à une autre revendication : le droit à l’oubli. En effet, certains intellectuels réclament ce droit, puisqu’une société figée dans le passé ne peut pas progresser2. Mais qu’implique ce droit à l’oubli ?

1 AUGÉ Marc, L’impossible voyage, le tourisme et ses images, Rivages poche collection Petite Bibliothèque, 1997, p.187.

2 FERENCZI Thomas (dir), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Paris, éditions complexe, 2002, p.282.

Le réalisateur allemand Dennis Gansel dans le film «La Vague3»,

inspiré de faits réels, met en scène un professeur, qui, face à des élèves convaincus qu’un régime autocratique est impossible de nouveau en Allemagne, décide de faire une expérience. Reprenant les codes de n’importe quel régime autocratique, cette expérience dépasse ses objectifs en apportant la preuve de l’hypothèse initiale. Il s’agit ici de fiction, mais est-ce vraiment si irréel ?

La mémoire est et sera toujours d’actualité. Elle évolue continuellement. Elle est appropriée et réinterprétée.

« Plus inquiétant est l’oubli qui double les manœuvres de la mémoires manipulée, par le biais de l’idéologie et des autres ruses du pouvoir - des pouvoirs, devrait-on dire. Le tyran a toujours besoin d’un sophiste pour trafiquer les récits, y compris les récits fondateurs ; et le sophiste saura joindre le mensonge à l’intimidation, le faire croire à la hantise, le retour du refoulé restant le chef-d’oeuvre de la culture du ressentiment et sa juste vengeance4

Ceci fait écho aux évènements de Charlotteville survenus en Août 2017. La ville est en proie à une bataille mémorielle dont l’objet sont des statues du général Lee, commandant des troupes sudistes durant la guerre de sécession. Des militants souhaitent qu’elles soient retirées, d’autres voient en elles une partie de l’histoire des Etats Unis. Or ces statues ont été erigées pour la plupart entre les 1920 et 1960, au cours de la période de la lutte pour les droits civiques. Ainsi elles ne commémorent pas l’histoire. Elles en sont une interprétation, réapropriée par un petit groupe. Cette mémoire est réecrite et utilisée à d’autres fins.

3 La Vague, Die Welle, 2008, réalisation de Dennis Gansel, Allemagne, BAC Films.

4 RICŒUR Paul, Esquisse d’un parcours de l’oubli , op.cit,

p25.

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Même si la mémoire est toujours d’actualité, nous noterons, suite aux réactions qu’elle génèrent, que les architectures de mémoire perdent de leur intérêt. De la même manière que les nouvelles générations sont moins attachées aux monuments aux morts, aux statues des poilus dans les villes, les mémoriaux perdent leur puissance et leur impact initiaux. Le problème réside aussi bien dans la gestion des lieux, de la forme qu’ils prennent, et les rapports que la société a maintenus avec les événements qui conduit à la construction des mémoriaux. L’architecture et l’architecte jouent un rôle essentiel dans le mécanisme de la mémoire. La subtilité de ce rôle réside en la capacité d’innover et maintenir l’histoire et la mémoire.

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