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Vers une mémoire mondialisée et marchandisée ? Les nouveaux enjeux des mémoriaux

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Academic year: 2021

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HAL Id: dumas-01649177

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Submitted on 15 Dec 2017

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Vers une mémoire mondialisée et marchandisée ? Les

nouveaux enjeux des mémoriaux

Giulia Sassier Bettoni

To cite this version:

Giulia Sassier Bettoni. Vers une mémoire mondialisée et marchandisée ? Les nouveaux enjeux des mémoriaux. Architecture, aménagement de l’espace. 2017. �dumas-01649177�

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remerciements

Je tiens à remercier Monsieur Gilles Bienvenu pour son suivi et ses conseils tout au long de l’année.

Je remercie également Monsieur Antoine Mabire de bien avoir accepté de me recevoir, et pour les précieuses informations qu’il a apportées à cette recherche.

À Zoé, pour ses relectures et les nombreux échanges que nous avons pu avoir et qui m’ont permis d’évoluer dans cette recherche. À Juliette, pour son très beau texte sur le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes, et pour son écoute toujours attentive. À Thomas et Hugo, pour leurs très belles photographies. À Yolaine et Morgane, pour pour leurs conseils avisés concernant la mise en page.

À mes parents, pour leur soutien et particulièrement à mon père pour ses très nombreuses relectures et le temps qu’il m’a accordé. À tous ceux que je n’ai pas cités, mais qui m’ont apporté à un moment ou un autre, le recul nécessaire dans cette recherche ; ils se reconnaîtront.

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Préambule Méthodologie

introduction

i- la fabrique de la mémoire collective

Avant-propos

1- La Mémoire… individuelle

a- La mort et ses rites

B- Les cimetières et les architectures funéraires

2- La Mémoire… collective

a- Le deuil collectif B- Les cycles de Mémoire

c- L’ initiative citoyenne, le cas du mémorial de l’abolition de l’esclavage

3- La Mémoire… internationale

a- Les événements du XXème siècle

B- La fin du monde rural, le début de la mondialisation Transition

sommaire

9 11 13 21 27 29 35 38 42 45 48 55

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III- De l’éthique au marketing, la création

d’une activité économique

Avant-propos

1- De nouveaux lieux de mémoire hybride

a- Histoire du Musée Mémorial de la Shoah de Paris B- Restauration et extension

c- Actions et développement

2- Les acteurs de cette tendance

a- L’Etat et les labels

B- Les architectes comme arguement de promotion

3- Les mémoriaux, nouveaux parc d’attraction ?

a- Une situation paradoxale : le tourisme de mémoire B- Vers un tourisme débridé ?

conclusion

Bibliographie

Médiagraphie

Iconographie

II- L’évolution des mémoriaux

l’universalisation d’un langage

architectural

Avant-propos

1- Des espaces de sensation

a- Une symbolique renforcée

B- En quête d’une architecture émotionnelle

Visite du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes

2- Des formes explicites, une matérialité assumée

a- La plaie

B- L’unité

c- Des ambiances minérales d- Des ombres et des lumières

Visite du Mémorial de la Shoah de Paris

3- Du vide au plein, les différents rapports aux lieux

a- Le mémorial dans la ville

B- Un dialogue entre mémorial, paysage et éléments naturels Visite du Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe

Transition 55 61 64 67 70 74 80 82 85 88 93 97 101 109 112 118 123 127 131 135 145 139 149 151 105

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J’ai passé un an en Argentine, une année marquée par des commémorations : celles des 40 ans du coup d’État ayant conduit à la dictature. Des commémorations avec des airs de révolution, des revendications, et une idée forte  : «  plus jamais  ». Une mémoire omniprésente, assumée et revendiquée, placardée à chaque coin de rue et décomplexée dans les discours et échanges. Mais parfois fragilisée. Tout semble acquis et pourtant rien ne l’est. Dans les années 90, le Président Menem en Argentine a gracié les anciens tortionnaires alors qu’ils avaient auparavant étaient jugés et condamnés. Cela a ravivé des peurs à chaque changement de gouvernement.

Finalement, c’est comme une danse trois pas avant, deux en arrière, selon la musique. Alors oui, cela pose question et interroge. Et chez nous ? Pour nous la mémoire est omniprésente dans les discours mais également dans l’espace. Mais est-elle fragile ou acquise ? Les jeunes générations peuvent-elles la comprendre et la prolonger ? Et, au final, de quelle façon l’architecture peut elle avoir un impact sur cette compréhension ?

Ces interrogations se posent comme le point de départ de notre propos et les prémices de notre recherche.

préambule

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méTHODOlOGIe

La mémoire est un vaste sujet, omniprésent, commun pour tous. Mais il a fallu, avant tout comprendre ce qu’étaient réellement la mémoire, ses enjeux, sa finalité et son évolution. L’objectif de mes premières lectures a été la compréhension de ces différentes étapes.

Une fois mon sujet ciblé, il m’a paru intéressant d’approfondir, trois exemples de mémoriaux qui seraient une référence récurrente tout au long de notre analyse. Il était également important de visiter ces lieux. M’étant questionnée sur l’aspect sensible du mémorial, il fallait que je m’y confronte en tant que visiteur, y aller sans préjugés, restranscrire mes impressions, et ensuite me renseigner sur la mémorial visité. Le premier a été le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes, le second le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe de Berlin et le troisième le Mémorial de la Shoah de Paris. Ce sont des mémoriaux qui ne commémorent pas des évènements identiques mais c’est un parti pris de ma part. Je n’ai pas suivi cette démarche dans le mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes, car je m’étais déjà intéressée au projet architectural et à son contexte. J’ai donc demandé à une personne de mon entourage de décrire et rédiger les sensations qu’elle avait ressenties en visitant ce lieu. J’ai eu la possibilité d’avoir un entretien, en Juin 2017 avec Monsieur Antoine Mabire, de l’agence nantaise Mabire et Reich, qui a été chef de projet pour la réhabilitation du Mémorial de la Shoah de Paris. Cet entretien m’a permis d’appréhender les enjeux de ce mémorial.

J’ai essayé, tout au long de cette recherche, d’adopté une démarche de prise en compte de l’aspect formel ainsi que du reflet de la société que les mémoriaux renvoient.

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INTrODuCTION

Entre ombre et lumière, espace intemporel et chargé d’histoire dont le but est de faire ressentir, expérimenter et questionner, un mémorial interroge, confronte et intrigue. Il n’est ni un endroit ni un projet comme un autre. Tout comme la mémoire, ces lieux bien particuliers, sont en évolution. En effet, depuis quelques années, la place grandissante de la mémoire dans le quotidien impose la recherche d’une autre dimension et de nouveaux enjeux aux architectures de mémoire. De quelle façon la mémoire a-t-elle pris autant d’ampleur, quel est son rayonnement et quels sont les nouveaux enjeux des mémoriaux contemporains ?

Le XXe siècle est un siècle de souffrances marqué par des

errances et des guerres qui ne sont plus imitées à des territoires, mais mondiales et durant lesquelles la France a été par deux fois un champ de bataille. La société a eu besoin de soigner les blessures laissées par ces guerres. C’est suite à la première guerre mondiale que l’État intervient pour la première fois dans la subvention de mémoriaux. Conscient du traumatisme qu’a laissé la guerre, mais également de l’aspect « thérapeutique »

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que procurent ces monuments qui commémorent les héros de la guerre, les morts pour la patrie. De nombreuses plaques commémoratives sont ainsi érigées dans les communes, car toutes avaient des noms de morts à y faire figurer. Ces espaces de mémoire peuvent contribuer à souder et rassembler mais aussi à tempérer la douleur individuelle.

Suite aux faits survenus durant durant la seconde guerre mondiale, la notion de crime contre l’humanité devient un chef d’accusation. Les droits et les devoirs de l’Homme sont définis et universalisés. Par le biais de l’Organisation des Nations Unies, des valeurs communes sont véhiculées au delà des frontières. C’est dans un contexte bien particulier que la mémoire se développe. Les horreurs ainsi que le choc ressenti par la société, ne sont pas l’unique cause de cet essor, lié également à la fin du monde rural. En effet, selon Pierre Nora1,

les années 70 marquent la fin d’une époque, d’une mémoire de geste, vivante et traditionnelle pour tendre vers un monde globalisé, urbain et médiatisé.

Ainsi rassemblés sous des principes partagés, autant moraux, politiques qu’économiques, les pays devraient former un monde homogène. Dans ce sens, les lieux de mémoire ne sont plus de simples espaces commémoratifs, mais également des espaces porteurs de valeurs, entre autres morales. De plus, les acteurs de la mémoire du XXe siècle disparaissent, et rejoignent, petit à

petit, le passé et l’histoire. C’est dans ce contexte de transition et de transmission de l’histoire que les mémoriaux évoluent et ainsi que les enjeux qu’ils représentent.

Auparavant le mémorial pouvait être un monument ou une plaque commémorative, et était essentiellement un lieu de recueillement. Dorénavant, un nouveau genre émerge, sous la

1 NORA Pierre (dir), Les lieux de mémoire tome I, Gallimard collection Quarto, 1997

forme d’un projet architectural à part entière. Le mémorial ne se limite plus à des statues, des mots ou des noms gravés, mais constitue un espace dans lequel le visiteur, sensibilisé ou non, rentre et qu’il explore. Le langage architectural doit, de ce fait, évoluer. L’œuvre est pensée à l’échelle du visiteur qui pénètre dans la matière, l’ombre, la lumière et l’histoire. Dans le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe de Berlin, conçu par Peter Eisenman, le passage entre les stèles ne fait que 90 cm, praticable par une seule personne. C’est une expérience spatiale que le visiteur doit vivre seul. Il doit se perdre dans le parcours. Un mémorial se doit de dialoguer avec le visiteur, et être accessible et compréhensible à tous. Une architecture symbolique et émotionnelle s’instaure, créant des architectures de mémoire attractives. Un langage formel propre aux mémoriaux se créée, traduisant les valeurs universelles que veulent diffuser les mémoriaux. Ils deviennent des espaces avec des ambitions également pédagogiques, dans le but d’éviter que les faits qui font l’objet du mémorial ne se reproduisent. Nous retrouvons de manière marquée cette volonté pédagogique dans le Mémorial de la Shoah de Paris qui accueille de nombreux groupes scolaires et organise des conférences à destination des adultes.

Dans cette volonté d’attirer des visiteurs pour diffuser ces valeurs, on assiste, petit à petit au développement du tourisme de mémoire. Il s’agit d’un secteur qui se développe à l’échelle mondiale. En effet, les plages de Normandie sont mondialement connues et visitées par de nombreux touristes chaque année. Le tourisme de mémoire existe, se développe et pose le problème de sa compatibilité avec la mémoire. Le choix de construire un mémorial, bien que symbolique, résulte d’une dynamique oscillant entre préservation de la mémoire et aménagement territorial, en particulier touristique. La limite entre pédagogie, accessibilité à l’histoire et banalisation de la

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mémoire est ténue. De plus, la construction de mémoriaux s’est multipliée, conduisant à un « excès » de mémoire critiqué par certains intellectuels et posant un véritable problème éthique. De ces hypothèses se dégagent trois questions fondamentales pour notre analyse. De quelle manière s’est développée la mémoire collective à l’échelle internationale ? Quel est le rôle de l’architecture dans la transmission des valeurs et l’aide à la compréhension du passé, et quels sont les codes architecturaux mis en place à cet effet ? De quelle façon ces lieux sont-ils gérés ? Notre analyse s’articulera autour de ces trois questions, après avoir préalablement affiné différentes définitions pour comprendre quels sont les réels enjeux.

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MÉMOIRE  : n. f. - lat. memoria. Faculté collective de se souvenir. 1

La mémoire est, au delà du simple souvenir, une reconstitution, parfois volontairement occultée et modifiée du passé. Elle est sélectionnée, mouvante et évolutive. Elle commémore le passé. Elle est à l’image d’un groupe d’individus ou d’une société et évolue avec le temps. Qu’apporte-t-elle à une société ?

D’une part la mémoire est multiple. Il y a, en effet, autant de mémoires que de groupes d’individus. Malgré cet aspect, qui peut diviser, elle a comme finalité de rassembler. D’autre part, la mémoire a un aspect thérapeutique. Elle contribue à la « guérison » d’une société ou d’un groupe d’individus face à un traumatisme lorsqu’elle est revendiquée et assumée. Un

1 «  Mémorial  » dans REY-DEBOVE Josette et REY Alain (dir),

Nouvelle edition du Petit Robert de Paul Robert, Dictionnaires le Robert, Paris, 1995, p.1381.

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de ses objectifs est donc de rassembler et de transmettre des valeurs. Ainsi, certains éléments vont être mis en avant plutôt que d’autres, selon les valeurs que l’on souhaite faire émerger. Il existe plusieurs manières d’exprimer une mémoire, matérielles ou immatérielles, et leur finalité dans l’espace sont le monument ou le mémorial. Ces espaces complexes doivent susciter « l’identification, la transmission et la discussion2 ».

Pour enrichir cette définition il faut également la confronter à la notion d’histoire. Si les notions de mémoire et d’histoire sont souvent associées, elles s’opposent sur certains aspects. La mémoire est portée par un groupe d’individus qui restitue un événement passé sélectionné et parfois magnifié. L’histoire va, elle, reconstituer et analyser le passé, soulevant les problèmes qu’il pose. La mémoire fonctionne lorsque les sentiments et le ressenti s’associent à cette dernière tandis que l’histoire doit se garder du « pathos ».

Le devoir de mémoire a aussi pour fonction « de réparer les injustices de la mémoire3  ». En effet, l’histoire est souvent

écrite par les vainqueurs. Ainsi la mémoire permet d’évoquer les oubliés de l’histoire et leur rendre justice, et de rappeler les rôles et souffrances des individus. C’est souvent, de ce fait, la mémoire des minorités qui est mise en avant.

Maurice Halbwachs, dans son ouvrage Les cadres sociaux de la mémoire 4, explique de quelle façon se forme la mémoire.

Son analyse débute par un avant-propos qui explique l’histoire

2 CHEREL Emmanuelle, Le mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes - Enjeux et controverses (1998-2012), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p.286.

3 FERENCZI Thomas (dir), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Paris, éditions complexe, 2002, p.282.

4 HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, 1994, p.374.

d’une enfant retrouvée en 1731 près de Chalon et qui n’a aucun souvenir. Elle ne sait ni d’où elle vient, ni ce qu’elle a fait durant les dix premières années de sa vie, et c’est par le biais d’images et d’odeurs qu’il a été possible de découvrir qu’elle était esquimaude, et qu’elle avait transité par les Antilles. Ainsi, c’est avec cette histoire qu’Halbwachs introduit son étude en expliquant que les souvenirs existent grâce à notre entourage. À partir du moment où l’on est coupé de ce dernier, nos souvenirs se perdent. Il y aurait donc une mémoire collective et des cadres sociaux de la mémoire. La mémoire individuelle se situe dans ces cadres qui viennent créer la mémoire collective. Nous avons tous pu le tester à notre échelle. En effet, il arrive qu’un souvenir ait disparu ou qu’il soit flou, mais qu’il se reconstitue grâce au récit d’une tierce personne. Nos souvenirs sont dépendants du groupe.

Pour appuyer son propos, Halbwachs étudie également le rêve. En effet, durant celui-ci, l’individu est isolé et n’a aucun contact avec le groupe. Ainsi, dans le rêve, il ne reste que des images et non des souvenirs. Le souvenir existe parce qu’il est enrichi par un groupe, et, lorsque les cadres sociaux disparaissent, la mémoire collective est modifiée. Ainsi, l’auteur va étudier plusieurs groupes d’individus et leur mémoire collective. Pour notre propos, c’est essentiellement la partie sur les «vieillards», la mémoire chez les vieillards et la nostalgie du passé, qui va nous intéresser. En effet, les personnes âgées sont essentielles à la transmission des mémoires, que ce soit celle de coutumes ou celle des faits.

« Ainsi en résumé si les vieillards sont penchés sur le passé plus que les adultes, ce n’est pas parce qu’il y a à cet âge une marée montante de souvenirs : ils n’ont pas plus de souvenir de leur enfance que quand ils étaient adultes : mais ils sentent que dans la société, il n’ont rien de mieux à faire maintenant

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que d’utiliser, pour reconstituer le passé, tous les moyens, dont ils ont toujours disposé, mais qu’ils n’ont eu ni le temps, ni le désir d’y employer 5. »

Les personnes âgées sont le pilier d’une transmission de la mémoire. Ce sont les doyens, les personnes qu’on écoute. Pour conclure il faut souligner que la mémoire a de nombreux aspects : elle est plurielle, mouvante, et évolutive. De plus, elle est portée et existe grâce au groupe.

Mais finalement, la mémoire est liée à des victimes qu’elle veut commémorer et auxquelles elle veut parfois rendre justice. Il n’y a pas de mémoire heureuse. Ainsi, il est important pour notre propos de nous ‘interroger sur les rites et la place de la mort dans notre société.

De quelle façon rend on hommage à une mémoire, celle d’une vie, d’une personne ? Comment est ce qu’on représente sa disparition ? Et finalement quelle est la place de la mémoire dans la société et dans l’espace ?

5 Ibid

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1 - la mémoire...individuelle

A- Deuil et rites de la mort

L’homme est le seul être vivant à savoir, tout au long de son existence, qu’il va disparaître, « on observe pas de rite funéraire chez les animaux 6 ». Au fur et à mesure de son évolution,

l’homme a tissé des liens avec ses semblables et s’est rendu également compte de leur disparition. Il pleure ses morts. Il ritualise leur disparition et commence à rendre visite aux défunts. Il crée une relation entre le monde des morts et celui des vivants.

Si les rites liés à la mort sont présents depuis la préhistoire dans toutes les sociétés, ils varient selon ces dernières et existe autant de rites funéraires que de sociétés ; cependant il existe des ressemblances entre eux. En effet, ces rites sont liés à la peur qu’a l’homme de la décomposition du corps. Ainsi, si le squelette est un élément sacralisé et noble, parce qu’il perdure, les parties molles du corps ne le sont pas. Lorsqu’un corps se détériore, se décompose, il faut le faire disparaitre rapidement. Cette peur de la décomposition a perduré longtemps puisque jusqu’au le Moyen Âge, la « charogne » était maudite.

D’autre part, une autre croyance que l’on retrouve dans de nombreuses sociétés est celle de l’âme éternelle. Comment faire pour qu’elle n’erre pas et qu’elle trouve son chemin ? Plusieurs cérémonies ont pour but de la détacher d’un corps

6 AUZELLE Robert, Dernières demeures : conception, composition, réalisation d’un cimetière contemporain, Paris, edition Auzelle, 1965, p.461.

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qui disparaît. Ainsi, William Crooke7 a répertorié treize rites,

allant de la construction de cairns jusqu’à l’immersion dans l’eau.

Même si les sociétés commémorent les morts, elles se protègent également de leur retour. En effet, dans beaucoup de croyances, on peut souvent remarquer la peur, non pas que de la mort, mais également des morts. Au départ, les rites n’étaient pas destinés à l’hommage du défunt, mais à prévenir son retour. Dans la religion chrétienne, seule l’inhumation est tolérée  ; l’incinération est considérée comme un obstacle à la résurrection des corps. L’inhumation est perçue comme naturelle, le corps se détériore grâce à la nature, suivant le principe, « tu retourneras en poussière 8 ». La croyance en la

résurrection a donc impose cette pratique courante. En effet, si le corps est brulé, la résurrection n’est pas possible. De plus, outre ces croyances, c’est aussi parce que le Christ a été inhumé que cette pratique s’est répandue, et est devenue une tradition. Ainsi, les premiers chrétiens enterraient leurs morts tandis que les païens les incinéraient.

Ainsi, de quelle façon est traitée la dernière demeure de l’homme ?

7 RAGON Michel, L’espace de la mort : Essai sur l’architecture, la dé-coration et l’urbanisme funéraires, Paris, edition Albin Michel, 1981, p.340. 8 Citation de la Bible cité par AUZELLE Robert, Dernières demeures : conception, composition, réalisation d’un cimetière contemporain, Paris, edi-tion Auzelle, 1965, p.461.

B- L’architecture funéraire et les cimetières

Tout d’abord, plusieurs types d’espaces funéraires existent : dolmens, pyramides, nécropoles, catacombes,… Ce sont des espaces différents dans leur organisation mais également dans leur rapport avec le défunt. Dans notre société, on constate une évolution dans la place accordée à la mort dans la ville.

Dans notre civilisation, le cimetière prévaut sur les autres lieux funéraires. Les cimetières se sont développés essentiellement au XVIIIe siècle. Étymologiquement, le mot provient du grec,

koimêtêrion, qui signifie « lieu où on dort, ou dortoir 9 ». C’est

donc l’espace où les morts reposent ensemble. Ils ont été créés au Moyen-Age, mais ils n’étaient pas accessibles à toutes les couches de la société. En effet, la fosse commune était l’espace où étaient inhumées la majorité des personnes décédées. Placés au départ dans les églises, puis dans leur périmètre, ils se sont peu à peu émancipé d’elle en particulier pour les motifs hygiénique.

Progressivement, les cimetières ont évolué pour devenir des lieux sacrés et de commémoration des disparus. Les proches rendent visite à leurs morts, déposent des fleurs en hommage. Comme dit précédemment, les cimetières se sont déplacés hors des murs des églises et de leur périmètre, puis hors des villes. Ils sont devenus des espaces publics, gérés par les municipalités et parfois avec des horaires de visite imposés. Certains sont même devenus des hauts lieux touristiques, comme le cimetière du Père Lachaise à Paris, et accueillent de ce fait de nombreux visiteurs.

Avec l’étalement urbain, petit à petit, les cimetières se sont retrouvés intégrés dans les villes. De ce fait, les morts et les

9 https://www.littre.org/definition/cimeti%C3%A8re

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vivants cohabitent, mais sont séparés par des murs imposants. Cette séparation peut illustrer une sorte de crainte de la mort et des morts qui perdure.

L’ambiance de ces lieux est très spécifique et ne varie pas d’un cimetière à l’autre. Le corps du défunt est enterré, disparait dans la nature. Ainsi les cimetières sont souvent des espaces verts et minéraux. Les stèles sont soit en marbre, soit en pierre, avec un traitement paysager assez simple et neutre. Des espaces verts viennent contraster avec les couleurs des stèles dans les tons gris, sombre. Malgré cette simplicité sur papier, les stèles peuvent être originales et personnalisées. Cette ambiance naturelle et minérale peut retranscrire visuellement ce retour à la nature, à la poussière.

Le lieu est essentiel pour faire le deuil ; ainsi la stèle horizontale permet de marquer cette présence.

Bien que dans l’imaginaire collectif, on pense que le cimetière est la dernière demeure, cette idée ne correspond pas à la réalité. Passé un certain temps, les os sont entreposés dans un ossuaire. L’architecture funéraire se distingue de l’architecture de la vie mais «  opère dans toute les dimensions où peut se déployer l’architecture de la vie 10 ».

Dans un cimetière, les morts sont respectés. L’attitude des visiteurs change, c’est un lieu de silence, comme par peur de réveiller les morts. Ils le traversent sans bruit ou en chuchotant, comme pour respecter la maison, la ville des morts encerclée par celle des vivants. Malgré une proximité des espaces urbanisés, les cimetières, même très fréquemment visités, le sont de moins en moins. Actuellement, les croyances en l’âme éternelle et à la vie après la mort sont de moins en moins répandues. Cependant c’est également lié au fait que de plus

10 AUZELLE Robert, Dernières demeures : conception, composition, réalisation d’un cimetière contemporain, Paris, edition Auzelle, 1965, p.461.

fig 1 - Vue du cimetière du Père Lachaise.

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en plus de personnes vivent et meurent loin de leur lieu de naissance, et de celui de leur famille. Cette tendance à être moins attaché à un lieu est récente. Aussi les visites sont-elles moins nombreuses.

Finalement, maintenant que nous avons abordé l’espace funéraire et la façon de traiter le deuil, il est important d’expliciter de quelle manière s’aborde le deuil collectif. En effet, il est important de comprendre ce qui a conduit au deuil commun, national, au besoin de commémorer ensemble. Suite à des catastrophes, on utilise le terme de «  deuil national  », cela rend l’ensemble de la population en capacité de partager la douleur d’autrui. On la partage parce que l’on fait partie d’une entité, d’un groupe d’individus qui se trouvent unis dans des valeurs et une appartenance. De quelle façon s’est elle renforcée? Et finalement quels sont les éléments autour desquels nous sommes unis ?

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2 - la mémoire...collective

A- Le deuil collectif

Le XXe siècle a été, comme dit précédemment, un siècle

violent. La première guerre mondiale a fait 18 millions de morts, dont 1,6 millions en France. Effectivement, la création de monuments aux morts ne date pas de la première guerre mondiale. Cependant aucune guerre n’a suscité autant de constructions. Ceci vient du fait qu’un français sur cinq a été mobilisé, et que presque toutes les communes ont perdu des habitants dans la guerre. Ainsi, plus que jamais dans l’histoire, plusieurs groupes d’individus, de familles, partageaient une même douleur provoquée par des circonstances identiques. Les victimes sont mortes pour les mêmes raisons. Dans des lieux où il y a des tensions entre deux groupes, les victimes seront sur le même monument. Dans mon expérience personnelle, ayant vécu en Ardèche, où les tensions entre protestants et catholiques perdurent, j’ai constaté que les noms des victimes étaient mélangés. Les cimetières ont été séparés, pour ces deux communautés, mais les victimes des guerres sont sur les mêmes plaques commémoratives. Ils ne sont pas morts en tant que protestants ou catholiques mais ils sont morts « pour la patrie  ». Le deuil est partagé par tous, malgré les clivages religieux ou idéologiques.

Les guerres précédentes n’ont pas abouti à une construction systématique de monuments comme la grande guerre. Le fait est que les autres ne se sont pas forcément terminées par une victoire. En effet, la guerre de 1870-71 perdue contre l’Allemagne, est moins commémorée. Les monuments aux morts commémorent les victimes, mais également les victoires.

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Lorsqu’une guerre est perdue, les commémorations sont moins généralisées.

Ainsi, c’est au lendemain de la guerre que l’Etat décide d’intervenir dans la construction de mémoriaux, par la loi du 25 Octobre 1919.

À l’origine, cette loi s’articulait autour de trois points centraux. Tout d’abord les noms des «  Morts pour la Patrie  » devaient être inscrits sur un registre qui devait résider au Panthéon, et l’Etat devait transmettre à chaque commune la liste de ses morts. Ensuite, un monument national commémoratif devait être érigé à Paris, et enfin l’État s’était engagé à subventionner l’édification de mémoriaux dans les communes. C’était la première fois que l’Etat intervenait dans la subvention de ces monuments. Même si cette aide de l’État était symbolique, et ne permettait de couvrir que 5 % à 26 % 11du coût de construction

du monument, presque toutes les communes ont fait ériger un monument aux morts. Ce geste est «  frénétique  » : «  au vrai, l’érection des monuments s’est effectuée très rapidement, comme si elle répondait à une nécessité contagieuse, ou à une évidence unanime »12. Cette initiative de l’Etat répond à une

volonté des citoyens. Cette initiative ne pouvait être purement privée. Certaines communes assuraient l’ensemble de la demande, d’autres laissaient la main à des comités de citoyens. L’Etat a mis fin à ses subventions en 1925.

Pour finir, le 1er ou le 2 Novembre devait marquer la journée de commémoration et de glorification des morts pour la France, et cette célébration se devait d’être organisée par les communes. Cependant plusieurs points de cette loi n’ont pas été aboutis, notamment la construction d’un mémorial national à Paris.

11 JULIEN Elise, La loi du 25 Octobre 1919 et sa postérité, http:// le-souvenir-francais.fr/la-lettre/la-loi-du-25-octobre-1919-et-sa-posterite/, mis en ligne en 2014, consulté le 6 Mai 2017.

12 NORA Pierre (dir), Les lieux de mémoire tome I, Gallimard col-lection Quarto, 1997

fig 2 - Monument aux morts de la première guerre mondiale.

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Seul a été effectué le transfert du Soldat Inconnu à l’Arc de Triomphe en 1920. Plus tard, en 1920 c’est le 11 Novembre qui est choisi pour commémorer la Grande Guerre plutôt que le jour de la Toussaint ou celui des Trépassés.

De plus, de nouveaux changements sont entrepris dans ces lieux de mémoire. En effet, auparavant les lieux de recueillement, de commémoration, étaient des lieux liés à la religion. Ils deviennent des espaces laïques, les rendant accessibles à tous et ils sont également républicains. En effet, ils sont positionnés dans des espaces symboliques de la République : école, mairie, place centrale de la commune… Ainsi, ces monuments deviennent universels dans le sens où ils sont uniquement républicains, rassemblant les individus sous des mêmes valeurs. Cependant, comme l’explique Halbwachs13, la mémoire

collective est créée et gérée par des groupes d’individus : ainsi elle vacille avec ces derniers. Elle est évolutive, mouvante et peut disparaître, et n’est en aucun cas constante. Cependant on peut noter qu’il existe des phases de ce souvenir, une évolution temporelle de la société face à l’acceptation de sa mémoire.

B- Les cycles de la mémoire

La mémoire n’est donc pas acquise. Elle est choisie, revendiquée et controversée : c’est le produit d’un long processus. On peut remarquer quatre cycles14. Effectivement, ces cycles s’observent

dans les suites d’ événements récents tels que la seconde

13 HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, 1994, p.374.

14 ROUSSO Henry, « Les raisins verts de la guerre d’Algérie », dans MICHAUD Yves, La guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Odile Jacob, Université de tous les savoirs, 2004, p.127-151.

guerre mondiale ou encore la guerre d’Algérie. Les phases de mémoire sont les mêmes : l’amnistie, l’amnésie, l’anamnèse et l’hypermnésie.

La première de ces phases est l’amnistie. Elle constitue une sortie de crise. Elle arrête les éventuelles poursuites judiciaires engagées à l’encourt des vaincus. Ainsi, les condamnés sont libérés de façon anticipée. Pour la seconde guerre mondiale, cette phase d’amnistie se serait déroulée en France de 1951 à 1953, des lois sont votées en faveur de personnes condamnés au moment de l’épuration, partant sur l’amnistie des faits de collaboration qui clôt un processus d’épuration de grande ampleur15. On notera qu’en 1951, au moment de la mort du

Maréchal Pétain, des associations demandent la révision de son procès, et l’érige, à nouveau, en « héros de Verdun », occultant son rôle durant la seconde guerre mondiale.

La seconde phase est celle de l’amnésie. Cette phase sera par la suite, décriée, puisque par la suite le devoir de mémoire deviendra un impératif. Ainsi, après la seconde guerre mondiale, il y a eu une phase de déni, notamment dans l’implication de l’Etat français. Le mythe «  de la résistance généralisée » s’installe entretenu essentiellement par le Général de Gaulle et le parti communiste, parti des 75 000 fusillés. Durant cette période d’amnésie, la mémoire de la Shoah passe en second plan. Les autres crimes, tels que le sort réservé aux tziganes ou aux homosexuels sont également omis. De ce fait « la patrie des droits de l’homme » 16est touchée dans ses

valeurs qui semblaient acquises, car elle n’a pas su réagir à ces persécutions.

Ainsi, survient la phase d’anamnèse. Un cycle flottant durant lequel il y a une relative prise de conscience. Certains

15 Ibid 16 Ibid

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évènements font remonter des débats, notamment le procès d’Eichmann en 1961  : différents écrits ou documentaires réalisés permettent à la mémoire de la Shoah de surgir.

Finalement, cette phase de revendication conduit à la dernière phase : l’hypermnésie. À ce moment, la mémoire devient omniprésente et de nombreuses recherches internationales vont la restaurer, et combattre l’oubli. En 1995, le Président Chirac, reconnaît dans un discours l’implication de l’État français dans la déportation des juifs. Il s’ensuit le vote de nombreuses lois mémorielles, ainsi que la rénovation et l’agrandissement du Mémorial du Martyr Juif Inconnu, rebaptisé Mémorial de la Shoah. La mémoire est affichée et devient, de ce fait, omniprésente.

Ces phases sont vécues également dans la mémoire nantaise. Fin des années 90 des associations nantaises relancent le débat sur la mémoire de l’esclavage et le rôle de la ville dans le commerce triangulaire. Ces revendications font débat et deviennent très présentes. Par la suite nous allons donc nous intéresser au cas de Nantes et à la façon dont peut se dérouler et s’accomplir cette phase d’hypermnésie.

C- L’initiative citoyenne, le cas du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage de Nantes

Le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage illustre cette phase d’hypermnésie. D’occultée, la mémoire sur ce sujet est devenue omniprésente, avec un besoin de la faire émerger. Portée par un groupe d’associations, l’édification du Mémorial de l’Abolition de l’esclavage est donc apparue d’utilité publique pour soulager les blessures. Ce sont des groupes d’individus, des élus, des associations qui ont proposé d’ériger un espace commémoratif. De quelle façon s’est déroulé le projet du Mémorial de l’Abolition

de l’esclavage de Nantes ? Ce mémorial a suscité de nombreux débats malgré le fait qu’il commémore des faits survenus il y a 150 ans.

Dans le cas de Nantes, il s’agit d’une démarche associative qui a abouti à la construction du mémorial. C’est de ce fait une initiative citoyenne. Ainsi, le Mémorial de l’Abolition de l’esclavage est un exemple symptomatique d’une démarche. En effet, tous les mémoriaux ne sont pas le résultat d’une demande du public, ils peuvent être également impulsés par des élus. Le mémorial de Nantes, résultant au départ de l’action d’associations est est un cas unique en France. Par ailleurs, ces préoccupations demeurent toujours d’actualité puisque la construction d’un Mémorial de l’Abolition de l’esclavage à Paris figurait dans le programme du candidat à la présidence de la République Benoît Hamon.

Tout d’abord, il convient de préciser que l’aspiration mémorielle nantaise s’inscrit dans un contexte international. En effet, dans beaucoup d’autres pays, des associations réhabilitent la mémoire des victimes de l’esclavage, notamment aux États Unis.

En 1998, lors des célébrations du 150ème anniversaire de

l’abolition de l’esclavage, signée en 1848, un collectif composé de différentes associations se constitue. Les associations souhaitent, de cette manière, susciter une action forte, craignant que leur démarche soit occultée en raison de la célébration du 400ème anniversaire de la promulgation de l’édit

de Nantes, commémorée la même année. Lors de la cérémonie et en présence des élus conviés, notamment le Maire de Nantes, Monsieur Jean Marc Ayrault, une statue, conçue par une étudiante des Beaux Arts de Nantes, comme une ébauche de mémorial, est dévoilée. Les élus n’avaient pas été informés de la présentation de cette œuvre, et, par ce geste symbolique, le

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collectif souhaitait les prendre au dépourvu, dans le but de les pousser à se positionner sur la nécessité d’ériger un mémorial, afin que la ville de Nantes assume un passé générateur de souffrance. Cette statue a été le prémisse du mémorial.

En réaction immédiate, les élus s’accordent avec le collectif sur la nécessité de le construire. Cette décision sera renforcée par le fait que, quelques jours plus tard, cette même statue est vandalisée. Ainsi, un adjoint municipal annonce « la réalisation d’une oeuvre monumentale dans le sens où elle laissera trace et donnera un signe aux Nantais et aux générations futures ».17

L’annonce du projet a généré des contestations de la part de certains habitants. Selon eux, ce mémorial visait à les culpabiliser. La responsabilité revient à des personnes qui ne sont plus ; les générations suivantes ne sont pas responsables. Ils étaient donc, pour eux, inutile de commémorer des faits survenus il y a 150 ans.

Pour superviser ce projet, un comité a été créé en 2000, rassemblant acteurs politiques, architectes, membres des différentes associations… Le mémorial a généré de nombreux débats, notamment sur son dessin. Devrait-il être un signal ou un parcours ?

Finalement, le Maire a choisi un concept en cohérence avec le projet urbain de la ville. Le mémorial viendra se glisser, en sous sol, le long des quais de la Loire, qui seront aménagés, dans un parcours rectiligne. Il n’y aura pas de signal marquant, c’est un projet discret dont la plupart des éléments sont présentés en partie basse.

Ce choix n’a pas satisfait les associations qui ne reconnaissent pas leur projet. En effet, selon elles, le projet s’intègre d’avantage dans la ville mais ne répond pas à leur attente mémorielle. C’est un projet plastique, esthétique.

17 CHEREL Emmanuelle, Le mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes - Enjeux et controverses (1998-2012), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p.286.

Au delà de la commémoration d’un évènement, les concepteurs souhaitaient que les visiteurs s’interrogent également sur l’esclavage moderne. Ce n’est donc pas uniquement un lieu de commémoration, mais aussi un lieu de réflexion sur la période contemporaine.

Quinze ans après la décision d’ériger le mémorial, c’est en 2012 que la réalisation a été livrée. Il fait, dorénavant partie intégrante de la ville.

Finalement, les débats générés autour de la construction de mémoriaux participent à la transmission et l’acceptation de la mémoire. En effet, ces constructions créent souvent des polémiques qui contribuent à faire connaître, accepter et faire évoluer la mémoire.

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3- la mémoire...internationale

Dans notre société actuelle il semble logique de parler de mémoire internationale, en particulier pour des générations sur-connectées, qui voyagent et ont accès aux autres cultures. Le monde de plus en plus homogène, uniforme, se rassemble autour de principes et de valeurs communs.

A- le XXe siècle : un chaos mondial

Le XXe siècle est un siècle complexe, violent et déterminant.

Complexe puisqu’il a vu naître de nombreux changements sociaux, violent pour les actes irrémédiables qu’il a générés et déterminant car il a défini des droits en principe inaliénables. Ainsi, le début du XXe siècle est marqué par des tensions entre

des pays et un regain des nationalismes. L’Europe du début du XXe siècle est un continent composé de pays aux régimes

politiques différents (empires, républiques,…) Des rois et empereurs règnent sur la plus grande partie l’Europe, presque tous issus de la même famille royale, mais ces responsables protègent cependant les intérêts des pays sur lesquels ils règnent. Ainsi, en juillet 1914, l’assassinat du prince Ferdinand à Sarajevo constitue l’élément déclencheur de la guerre. Ce fait semble presque anecdotique face aux premières réactions qu’il a suscitées dans la presse. Ce n’est que quatre ans plus tard et après 9 millions de morts que la guerre s’achève. C’est un monde torturé qui doit être reconstruit. Cette implication mondiale dans la guerre est due à l’importance qu’avait l’Europe à cette époque ainsi qu’aux nombreuses colonies que possédaient

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la France, l’Allemagne, l’Angleterre et la Belgique. La grande guerre, ce sont des populations ravagées, des pays fragilisés, un équilibre mondial détruit. Le Traité de Versailles de 1919, prévoyait une cour internationale pour juger les criminels de guerre ainsi qu’une organisation internationale ayant pour objectif de préserver la paix, la Société des Nations (SDN). Ces initiatives n’ont que partiellement abouti, car tous les pays ne les ont pas ratifiées.

Ce siècle est d’une grande violence, puisque vingt et un ans plus tard débute la seconde guerre mondiale, conséquence des termes des accords de paix de Versailles en 1919. Encore une fois, c’est une Europe avec des revendications nationalistes qui en est le théâtre initial. C’est une guerre idéologique et territoriale. Le vieux continent, puis le monde, s’enfonce à nouveau dans la destruction. Très vite, le conflit devient mondial avec des affrontements en Afrique, en Asie mais également dans les îles du Pacifique. Contrairement à la première guerre, qui avait fait plus de morts chez les militaires que chez les civils, ici les victimes sont plus nombreuses des civils. Avec 60 millions de morts, dont 40 millions de civils, c’est le conflit le plus meurtrier de l’histoire. L’Europe sort, par ailleurs, traumatisée par cette mécanisation de la mort et la découverte d’une horreur humaine sans précédent. Contrairement à la première guerre mondiale qui était une guerre de tranchées, ici c’est une guerre généralisée de mouvement, violente et sans précédent. L’Humanité doit se reconstruire.

En Juin 1945, avec la charte de San Francisco, l’Organisation des Nations Unis (ONU) est créée. Elle doit remplacer la SDN, sous l’impulsion de ses 51 membres fondateurs. Les pays adhérents à l’ONU sont ceux qui ont déclaré la guerre à l’Allemagne au moins trois mois avant l’armistice. Par la suite, des pays vont intégrer à leur tour cette institution, et ce jusqu’en 2011, le dernier pays membre admis étant le Soudan du Sud. L’organisation compte actuellement 193 membres.

En Novembre 1945 s’ouvre le procès de Nuremberg, au cours duquel vingt-quatre criminels de guerre sont jugés. Auparavant, la notion de crime de guerre existait, notamment avec la clause de Martens de 1899 rédigée durant la convention de la Haye, instaurant les droits et coutumes des guerres. Dans cette clause, on ne parle pas de crimes contre l’humanité, mais de «lois d’humanité». Cette clause internationale a pour but de protéger les civils.

«En attendant qu’un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique18».

À Nuremberg, suite aux violations des lois, des droits et coutumes des guerres, pour la première trois est invoquée la notion de crime contre l’humanité. Ce terme recouvre à plusieurs actes : réduction en esclavage, déportation forcée d’une population, génocide,… Un génocide est un acte imprescriptible : il peut toujours être jugé, même si ses auteurs ne sont plus vivants. De 1915 à 1916 les turcs ont exterminé les arméniens, une population minoritaire du pays. À ce jour, la Turquie n’a toujours pas reconnu ce génocide. Ce besoin de reconnaissance des faits, toujours actuel, illustre qu’un

18 TICEHURST Rupert, La clause de Martens et le droit des conflits armés, https://www.cambridge.org/core/journals/international-re- view-of-the-red-cross/article/la-clause-de-martens-et-le-droit-des-conflits-armes/7C1BFD58D175F0E11D80F416582D985E, mis en ligne le 1 Avril 2010, consulté le 6 Mai 2017.

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génocide ne peut pas être prescriptible19. Le crime contre

l’humanité peut toujours être reconnu et réparé dans le but de faire avancer la société, pour éviter que cela ne se reproduise. La définition de crime contre l’humanité est adoptée par la clause de Martens et le droit des conflits armés, Il en découle la Déclaration universelle des droits de l’homme qui est signée le 10 Décembre 1948. Ainsi les pays fondateurs et les futurs adhérents s’accordent sur des valeurs universelles concernant les droits de l’homme.

B- La fin d’un monde et le début d’un autre

L’après guerre est marqué par la création de deux blocs signant le début de la Guerre froide ; le bloc occidental et le bloc soviétique. Ainsi, le monde est coupé en deux, d’une part le monde « capitaliste » et d’autre part le monde  « communiste ». La partie occidentale de l’Europe adopte le modèle « capitaliste » américain.

Profitant du plan Marshall par l’aide financière d’après guerre apportée par les Etats Unis, l’Europe modernise son agriculture. Les modes de productions changent, remplaçant l’homme. La France en 1950 compte 6,2 millions d’agriculteurs, ce nombre n’a cessé de chuter, pour atteindre les 1,5 millions en 1970. Le sociologue Henri Mendras utilise le terme de «fin des paysans» pour décrire ce phénomène en 196720. Ainsi, au début des

19 FERENCZI Thomas (dir), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Pa-ris, éditions complexe, 2002, p.282.

20 NORA Pierre (dir), Les lieux de mémoire tome I, Gallimard col-lection Quarto, 1997

années 70, ce fait était déjà connu et analysé. Le tertiaire se développe au dépend de l’agriculture.

Ces mutations font croître la population urbaine. Les agriculteurs quittent leur terre. Si, en 1906, 43,8 % de la population vit de la terre, en 1955 ce n’est plus que 31%21. Pendant la période

de l’après guerre, les campagnes connaissent une forte exode rurale. Avec la modernisation et la fin de l’agriculture, le travail se retrouve concentré dans les villes.

Ceci marque la fin d’une mémoire. La population paysanne a été majoritaire pendant des siècle  ; sa diminution et sa modernisation mettent un terme à des traditions et des gestes. Cependant ce n’est pas la fin d’une seule mémoire tournée vers la terre, une mémoire de geste, mais plutôt d’une multitude de mémoires. Au 19ème siècle, le monde rural était majoritaire, mais tout le monde ne travaillait pas la terre de la même façon, ni ne se déplaçait de la même manière. Mais ce que le monde rural possédait en commun était une gestuelle, des traditions et un rapport à la terre transmis depuis des générations. C’est un processus qui s’est étendu sur plusieurs générations, car ce ne sont pas les agriculteurs qui ont abandonné leur terre, mais plutôt les générations d’après. Actuellement, les jeunes générations partagent une mémoire commune. Une partie des populations communique et se déplace de la même façon. Ce phénomène n’est pas uniquement français, il s’étend à de nombreux pays. Petit à petit, c’est un monde homogène qui se crée. « Cet effondrement central de la mémoire n’est pourtant qu’un exemple. C’est le monde entier qui impliqué, par les phénomènes bien connus de la mondialisation, de la

21 DESRIES Maurice, L’agriculture française depuis cinquante ans  : des petites exploitations familiales aux droits à paiements unique, http:// agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/AGRIFRA07c-2.pdf, mis en ligne en 2017, consulté le 13 Juin 2017.

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démocratisation, de la massification, de la médiatisation »22.

Selon Pierre Nora, « il y a des lieux de mémoire parce qu’il n’y a plus de milieux de mémoire »23.

S’il n’y a plus de mémoire, de quelle façon la maintenir ? C’est à ce moment charnière, en ce temps de transition, que toute la question des lieux de mémoire fait débat. L’architecture a une place privilégiée dans celui ci. Elle permet de figer une mémoire instable, une blessure, une pensée et une morale dans l’espace. Ainsi, nous allons aborder cette question sur l’architecture et son langage formel dans le deuxième moment de notre analyse.

22 NORA Pierre (dir), Les lieux de mémoire tome I, Gallimard collec-tion Quarto, 1997 23 Ibid

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Ce deuxième moment de notre analyse aura pour vocation, dans un premier temps, de comprendre ce qu’est un mémorial et quelles sont ses influences et caractéristiques ; de comprendre sa composition et sa scénographie, l’usage de sa matière et le choix de ses formes. Nous avons déjà fait le constat qu’une mémoire internationale s’était créée et se développe de plus en plus. De ce fait, nous allons analyser les différents codes architecturaux ainsi que les dispositifs artistiques que l’on retrouve dans certains cas. Ce moment de notre analyse confrontera six mémoriaux, ceci dans le but d’identifier leur langage architectural. Dans un monde qui tend vers l’homogénéisation, y a-t-il une retranscription d’une morale mondiale par le biais de codes architecturaux ? Peut on utiliser les mêmes codes pour des sujets différents ?

Transition

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MÉMORIAL  : n. m. bas lat. memoriale. 1- Ecrit où sont consignées les choses dont on veut se souvenir. 2- Anglic. Monument commémoratif 1.

MÉMORIAL : n. m. Monument ou musée commémoratifs2.

MONUMENT : 1- Ouvrage d’architecture, de sculpture, destiné à perpétuer le souvenir de quelqu’un, de quelque chose3.

1 «  Mémorial  » dans REY-DEBOVE Josette et REY Alain (dir),

Nouvelle edition du Petit Robert de Paul Robert, Dictionnaires le Robert, Paris, 1995, p.1382.

2 «  Mémorial  », dans EVENO Bertrand (dir), Le Petit Larousse Illustré, Paris, 2000, p643.

3 « Monument » dans REY-DEBOVE Josette et REY Alain (dir), op.cit, p.1437

aVant-ProPos

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Pour notre propos il est intéressant de confronter les notions de mémorial et de monument. Tout d’abord, les définitions montrent l’incertitude qui pèse sur la notion de « mémorial ». En ce qui concerne le « monument », la définition est partagée contrairement à la définition du mémorial. Dans le dictionnaire le Petit Robert, l’idée du musée n’est pas évoqué contrairement au dictionnaire Larousse, qui est également plus récent. Le Petit Robert, indique que le terme de mémorial provient d’un « anglicisme », ce qui montre la complexité de le définir. De par ces définitions, il est possible de constater que le terme a évolué, et qu’une autre notion, que nous approfondirons plus tard a été associée : celle de musée.

Ensuite, dans les monuments et les mémoriaux, les mises en scène et les codes utilisés dans ces deux dispositifs commémoratifs sont différents. Si tout mémorial peut être monument, tout monument n’est pas mémorial4. Le mémorial

serait-il donc une sous catégorie du monument ? Qu’est ce qui le distingue des autres éléments commémoratifs ?

Dans le langage courant, la notion de monument a plusieurs définitions, dont quatre nous intéressent plus particulièrement. Tout d’abord, un monument est un objet de patrimoine. Ce sens est apparu durant la révolution industrielle, où les questions patrimoniales sont devenues importantes. Dans une deuxième définition, proche de cette idée il désigne également une «  œuvre remarquable  » dans d’autres arts, telle que la littérature,… Ensuite, dans un langage plus familier, cette notion désigne une architecture, hors norme, hors d’échelle. De façon plus directe avec notre sujet d’analyse, il est associé à la postérité ainsi qu’à la commémoration. Les pierres tombales, ainsi que les sépultures, sont des monuments funéraires. Ces quatre définitions permettent de donner une idée globale de ce qu’est un monument, et des problématiques aussi bien

4 PROST Philippe cité dans Architectures de mémoire – vers de nouveaux modèles commémoratifs, AMC, n°222, Mars 2013, p65-75.

patrimoniales qu’architecturales qu’il englobe.

Un mémorial désigne, lui aussi, un lieu, un monument commémoratif. Contrairement aux autres monuments, le mémorial fait appel à des dispositifs bien particuliers dans le but de créer une interaction avec le visiteur. De plus en plus, ces lieux interpellent le visiteur et l’intriguent. Ils deviennent des espaces à dimensions humaines, dans lesquels le visiteur est au centre du projet. Dans cette optique nous allons nous intéresser à l’héritage et au lien que l’on peut faire avec l’architecture émotionnelle définie par l’architecte Mathias Goeritz dans son manifeste. Il y décrit une architecture qui n’est aboutie qu’au contact du visiteur, qui joue avec ce dernier pour lui apporter des sensations. Un exemple concret peut être le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe de Peter Eisenman à Berlin, dans lequel le passage entre les stèles ne fait que 90 cm. Une seule personne peut traverser cet espace. Ainsi le visiteur est en contact avec la matière, qui lui murmure l’histoire. « Le mémorial de par ses formes matérielles (ses dimensions tactile et temporelle, physique et métaphysique, sa texture) est une expérience esthétique qui éveille une interprétation historique et politique »5. Tout ceci étant dans le but de définir les enjeux

moraux et idéologiques de ces architectures de mémoire. D’un autre point de vue, formel, nous noterons une différence avec les autres monuments commémoratifs et les mémoriaux. La verticalité, le signal, devient de plus en plus rare dans les mémoriaux contemporains, laissant place à l’horizontalité. C’est dans ce sens que l’on utilise le terme  « d’anti-monument » pour parler d’un mémorial presque invisible, mais cherchant toujours à susciter une émotion. Ces dispositifs paraissent de plus en plus timides en surface mais cherche à donner d’avantage d’émotion, par une recherche scénographique et un soin minutieux apporté à chaque détail.

5 YOUNG Paul cité par CHEREL Emmanuelle dans Le mémorial

de l’abolition de l’esclavage de Nantes - Enjeux et controverses (1998-2012), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p.286.

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1- des espaces de sensation

A - Une symbolique renforcée

Bien que l’architecture soit, avant tout, conçue pour protéger l’homme, il serait difficile de lui donner une définition. Certaines architectures sont fonctionnelles et utiles tandis que d’autres sont porteuses de messages et spirituelles. Elles peuvent, de par leur matérialité, entre autres, donner des sensations et interroger le visiteur du lieu. Les évolutions techniques font qu’il existe maintenant un éventail de formes réalisables et expérimentales. L’architecture se libère peu à peu de ses fonctions premières, pour tendre vers d’autres choses et ainsi, se réinventer. Bien qu’une architecture spirituelle ait toujours existé, l’architecture garde une capacité d’innover. Dans le cas de notre étude, l’architecture va de paire avec la mémoire et l’histoire. C’est l’œuvre que le visiteur peut traverser, parcourir, et dans laquelle il peut se perdre. Il est entouré de matière, il est dans la forme. Il est également dans l’histoire. Cette architecture, à vocation symbolique et porteuse de mémoire, puise ses sources dans la mémoire collective. Elle la renforce en affirmant des codes stylistiques, des mises en scène et en soudant les personnes autour de lieux.

L’artiste Christian Boltanski vient s’inscrire dans cette démarche. Son oeuvre s’ancre dans la mémoire collective, mais également dans la « petite » mémoire, celle de la vie quotidienne. Ainsi c’est un jeu d’échange entre ces deux mémoires. Par le biais d’images, d’objets du quotidien détournés et de mises en scène particulières, il fait fonctionner la «  Grande Mémoire  » que partagent les visiteurs entre eux. Les objets choisis par l’artiste

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n’ont pas forcément de lien avec ce à quoi il font référence. C’est le dispositif mis en place qui emmène le visiteur dans la mémoire collective.

Lors de son exposition Monumenta6, au grand palais en 2010,

des vêtements ont été installés de façon rigide, des carrés alignés avec des allées au travers lesquelles les visiteurs pouvaient se déplacer. Un bras articulé piochait dans des vêtements et créait une montagne avec ceux-ci. Il est difficile de ne pas faire de lien avec la Shoah. La mécanisation de l’installation sans humanité, ainsi que les vêtements au sol, évoquent le processus de l’Holocauste, le souvenir de ceux qui ne sont plus, comme une trace de leur passage. Tous les visiteurs n’ont pas de lien direct avec la Shoah, mais c’est une mémoire, de par une éducation commune, que nous partageons tous.

Dans le travail de cet artiste, rien n’est clair et défini, tout est suggéré. L’oeuvre de Boltanski est un dialogue entre la mémoire collective et le visiteur qui l’interprète. La sensibilité et l’émotion résultent d’un travail de suggestion.

Ainsi, dans ce rapport entre les émotions des visiteurs et l’installation artistique, ne pourrait on pas faire un lien avec « l’architecture émotionnelle », entre art et architecture, telle qu’elle a été définie par Mathias Goeritz : une œuvre faite que pour l’esprit et les émotions humaines ? Les enjeux de ce style architectural ne répondraient-ils pas, en partie, à ceux des mémoriaux ?

6 http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/monumenta-chris-tian-boltanski, mis en ligne en 2010, consulté le 20 Juin 2017.

fig 3 - Monumenta au grand palais, 2010.

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B- En quête d’une architecture émotionnelle

En 1954 l’architecte, peintre, poète et philosophe Mathias Goeritz théorise «l’Architecture Émotionnelle»7 dans le

manifeste du même nom. Il prend comme point central de son propos le musée expérimental de Mexico, El Eco, conçu par ses soins. Il décrit de quelle façon il a conçu ce bâtiment, en oubliant l’aspect fonctionnel du lieu et en conservant uniquement l’émotion suscitée par des manipulations spatiales comme matière à projet. Il part du constat que l’architecture, et plus particulièrement l’architecture moderne, a perdu son lien avec les habitants, les visiteurs, avec pour conséquence, une limitation à des objectifs fonctionnels, sans lien direct avec l’homme.

«  Le résultat est que l’homme du vingtième siècle se sent écrasé par tant de fonctionnalisme, par tant de logique et d’utilité dans l’architecture moderne […] l’homme - créateur et récepteur - de notre temps aspire à quelque chose de plus qu’une belle maison […] il demande - ou demandera un jour - à l’architecture et à ses moyens matériels modernes, une élévation spirituelle » 8

On peut noter que sa vision de l’architecture moderne est presque « régressive », puisqu’il la perçoit uniquement comme une architecture fonctionnelle faite dans l’unique objectif d’héberger l’homme.

Lui perçoit l’architecture comme de l’art. Il choisit cette définition. Ainsi, elle doit jouer et fonctionner avec le visiteur.

7 Manifeste de l’Architecture Emotionnelle de GOERITZ Mathias dans GILSOUL Nicolas dans L’architecture émotionnelle au service du pro-jet, Etude du fonctionnement des mécanismes scénographiques dans l’oeuvre de Barragan (1940-1980), Thèse de doctorat, Ecole Nationale Supérieure du Paysage Versailles, 2009, p.532.

8 Extrait du Manifeste de l’Architecture Emotionnelle de GOERITZ Mathias cité par GILSOUL Nicolas dans op.cit. , p.532.

Lui, ne parcourt pas qu’un simple volume, il pénètre dans une sculpture, une œuvre d’art. Ce qui rejoint la vision de l’architecte et critique d’art italien Bruno Zevi.

«  La peinture existe sur deux dimensions, même si elle en suggère trois ou quatre, la sculpture vit selon trois dimensions mais l’homme en reste extérieur. L’architecture au contraire est comme une grande sculpture évidée à l’intérieur de laquelle l’homme pénètre, marche et vit 9. »

Un soin tout particulier est apporté aux ambiances, aux matières et à l’environnement.

Nous pouvons nous interroger sur le lien qui existe entre l’architecture émotionnelle et le langage des mémoriaux contemporains. Ces lieux sont dépourvus de fonctionnalité, à l’origine, il sont construit dans le but de chuchoter l’histoire, de vehiculer une morale et d’apporter une spiritualité. Dans la théorie, ils devraient être des lieux sans objectif lucratif, uniquement à vocation humaniste. Par ailleurs, ces lieux sont difficilement compatibles avec une autre fonction. Le musée de l’Holocauste de Berlin conçu par Libeskind a été critiqué pour cela. Il est à lui-même mémorial. Il fonctionne tout seul, parle de lui même, se parcourt sans guide, sans indication, uniquement à travers sa matérialité et sa logique sensibles. C’est une architecture émotionnelle et expressive. Ce bâtiment ne semble pas conçu pour accueillir une exposition. Il n’a, de ce fait, pas été conçu comme un musée, mais comme un mémorial. L’exposition qui y est présentée fait presque perdre la puissance du bâtiment puisqu’elle occupe un espace qui était à lui seul compréhensible par ses dispositifs architecturaux propres et son vide.

9 ZEVI Bruno cité par GILSOUL Nicolas dans op. cit. , Thèse, Ecole Nationale Supérieure du Paysage Versailles, 2009, p.532.

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Figure

fig 1 - Vue du cimetière du Père Lachaise.
fig 2 -  Monument aux morts de la première guerre mondiale.
fig 3 -  Monumenta au grand palais, 2010.
fig 4 -  Mémorial d’Utoya de Jonas Dahlberg.
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