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Chapitre 1 : Quelques éléments d’histoire sur la place des faits religieux à l’école. Entre

A- Une progressive sécularisation de la société française

C’est à la fin du XIXe siècle que nous pouvons commencer l’histoire de la réflexion sur la place de la dimension religieuse de la culture à l’école. Sous la Troisième République on observe en effet les premières manifestations de laïcisation des espaces publics et des institutions tels que l’école (1882), les cimetières (1881)20, les hôpitaux de Paris (1878-1891), la suppression de prières publiques à la rentrée des Chambres (1884), l’enlèvement des crucifix dans les prétoires des tribunaux (1904), et enfin, bien entendu, la séparation des Eglises et de l’Etat (1905) »21, menées principalement par des groupes de libres penseurs

20.LALOUETTE, Jacqueline. La Libre pensée en France de 1848 à 1940. Paris : Albin Michel, 1997, 308p.

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dont les plus illustres figures sont Marcelin Berthelot, Anatole France, Edouard Herriot, Aristide Briand, tous convaincus « qu’une morale parfaitement digne de ce nom peut se fonder, se pratiquer, se développer sans appel au dogmatisme religieux, ni même au dogmatisme métaphysique. »22 mais aussi par des personnalités politiques anticléricales mais non antireligieuses telles que Jules Ferry ou Ferdinand Buisson.

Si Jules Ferry est le promoteur d’une instruction laïque il est dans le même temps l’un des soutiens à la création en 1879-1880 d’une nouvelle chaire au collège de France consacrée à l’histoire des religions. « C’est dans ce contexte que s’ouvre en 1885-1886 une section des Sciences religieuses à l’école pratique des hautes études ». 23

Ce sont ces groupes de libres penseurs et de figures politiques qui ont milité pour laïciser l’école publique. Ils ont été très attentifs aux matières enseignées, aux manuels scolaires édités et utilisés par les enseignants en dénonçant toute intrusion de l’instruction religieuse dans l’école, critiquant, comme le conférencier Laterrade en 1870, le contenu de l’histoire sainte « coupable de fausser le jugement de l’enfant », de lui inculquer des idées absurdes et des sentiments immoraux et estimant qu’elle pouvait trouver place dans l’enseignement de la mythologie mais que, dans les écoles primaires, elle devait être remplacée « par la sainte histoire des apôtres de la science, de la justice et de la liberté. »24.

Ce n’est pas ce point de vue de la laïcité anticléricale qui a gagné la bataille des idées lors de la mise en œuvre des lois de séparation des Églises et de l’État. Mais ce discours n’est pas complètement étranger à notre société contemporaine. Il fait même écho aux premières pages du livre de Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises… : « Ces manières d’être présupposent que religion et laïcité sont antinomiques. Moins on est religieux, plus on est laïque et, pour être vraiment laïque, il faut être totalement irreligieux »25.

Ferdinand Buisson était pour sa part favorable à l’étude des religions à l’école, indispensable, disait-il, pour « soustraire la jeunesse à l’ignorance systématique de cet ordre de faits. »26. Mais, progressivement, dans le courant du XXe siècle, ce n’est pas non plus ce point de vue qui s’imposera.

Les décisions qui ont été prises pour l’École ne se sont pas orientées dans son sens. Et la laïcisation de l’École votée 28 mars 1882 a accentué le phénomène puisqu’on a commencé

22. LALOUETTE, Jacqueline. La Libre pensée en France de 1848 à 1940. Paris : Albin Michel, 1997, p.103.

23. PETIT, Lola. Enseigner les faits religieux pour éduquer à la laïcité à l’école élémentaire publique en France. Thèse dirigée par Philippe Portier et Séverine Mathieu. 2018. p.60.

24. Ibid., p.288.

25.BAUBEROT, Jean. Les 7 laïcités françaises. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2015, p.30.

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par interdire l’instruction religieuse dans les salles de classe. Par ailleurs, « l’école républicaine retire de ses programmes d’études des croyances, ce qui ne l’empêche pas de se référer encore aux devoirs envers Dieu et de souligner la nécessité d’une morale qui en découle implicitement. »27. Par compensation, l’article 2 de la loi du 28 mars 1882 prévoit néanmoins de libérer tous les jeudis de l’année pour permettre aux enfants dont les parents le désirent de suivre une éducation religieuse.

Il est intéressant de relever qu’en 1900, « lorsqu’il est suggéré de supprimer les devoirs envers Dieu du programme de cours moyen, la Ligue de l’enseignement propose un enseignement des notions sur l’histoire des religions à l’école normale qui appréhende la religion comme des faits humains et sociaux et les traite comme tel sans prosélytisme. »28. Dans un autre contexte bien sûr, en 1982 quand il était question avec Alain Savary de réaliser un service public unifié et laïque de l’Éducation nationale impliquant l’intégration des institutions religieuses d’enseignement dans l’enseignement public, la Ligue de l’enseignement, lors de son assemblée générale, souligne l’intérêt de prendre en compte « l’étude des textes fondateurs et fondamentaux des grandes religions, leur histoire, leurs contributions négatives ou positives au développement des civilisations. »29

Dans les instructions officielles de 1923, les devoirs envers Dieu ont été définitivement supprimés et remplacés par l’instruction civique et morale. Nous pouvons présupposer que l’ensemble du corps enseignants d’aujourd’hui porte encore les traces de cette lutte des idées qui se sont forgées principalement contre la domination cléricale. Et, si cette histoire est toujours active, alors nous comprenons que la présence du religieux sous quelque forme qu’il soit reste encore problématique. Un passage par l’Histoire est sans doute un bon moyen pour apaiser les doutes et mieux comprendre les blocages.

Petit à petit, donc, les religions et leurs histoires sont évacuées de l’école comme objet d’étude. Mais plusieurs décennies plus tard, ce n’est pas seulement l’école qui ne parlera plus de religion, mais aussi les familles qui méconnaissent de plus en plus les codes religieux et les Églises qui catéchétisent de moins en moins. Les références religieuses sont alors de plus en plus absentes des lieux de transmission classiques et finissent pas tomber en désuétude et dans l’oubli pour beaucoup.

27.NOUAILHAT, René. Enseigner le fait religieux un défi pour la laïcité. Paris : Nathan, 2003, p.26.

28. Ibid., p.26.

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