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Chapitre 4 : Faits religieux et laïcité : une injonction contradictoire ?

C- Laïcité gallicane

Ce sont ceux qui encouragent une étroite surveillance et contrôle de l’État sur les religions (et leurs éventuels dérapages), indispensable au bon fonctionnement d’une république. Elle s’inscrit aussi dans une longue tradition qui remonte au rapport étroit qu’il y avait entre le roi et l’Église catholique en France axée sur trois éléments : le droit de l’état

152.NOUAILHAT, René. La leçon de Malicornay, le fait religieux pris en otage. Paris : L’Harmattan, 2019, p.33.

153.Document sur les « libertés et interdits », Observatoire de la laïcité, 2 octobre 2016.

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d’intervenir dans les affaires religieuses, le devoir de protéger les religions et l’autonomie du catholicisme envers Rome. Émile Combes, au début du vingtième siècle, sera un représentant emblématique de cette laïcité de contrôle puisqu’il défendra le maintien du concordat lors des débats sur la séparation de l’Église et de l’État. Les représentants de cette laïcité, qui naguère voulaient légiférer sur le port des soutanes des prêtres dans la rue, légifèrent ou veulent légiférer aujourd’hui sur le port du voile des jeunes filles musulmanes dans l’espace scolaire mais aussi dans l’espace civil. Ils cherchent à « refouler le plus possible l’influence culturelle de la religion au sein de la société civile »155. Ils prétendent que seul le professeur est porteur d’universel et que les parents et la société sont porteurs d’un particularisme auquel il faut arracher l’élève.

Pour toutes ces raisons, la charte de la laïcité elle-même serait pour Jean Baubérot d’inspiration gallicane. « Cet héritage gallican peut parfois être explicitement assumé, comme dans la Charte de la laïcité, rédigée par le Haut Conseil à l’intégration (2007). Selon cet organisme, « l’idée de laïcité existait sous l’Ancien Régime avec la « tradition gallicane ». 156 En effet, pour guider leur choix dans le quotidien de la classe et montrer ce qui est juste et bon de faire, le ministère de l’Éducation nationale a rédigé en septembre 2013 une charte de la laïcité de quinze articles. Si nous nous penchons sur le fond de ce texte, nous constatons que la religion y est présentée comme un frein, un obstacle, une limite, un danger qu’il faut surveiller et contrôler mais jamais comme une chance, un atout, un appui. Citons quelques exemples :

[Article 6] La laïcité de l’école protège les élèves de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix.

[Article 12] Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme.

[Article 13] Nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans les écoles de la République.

[Article 14] Le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

La loi de mars 2004 sur le port des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques, rappelée ici dans l’article 14 est, elle aussi, d’inspiration gallicane, comme au temps où l’on voulait supprimer les soutanes des prêtres. Certains politiques voudraient étendre cette

155. Ibid., p.44.

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obligation de neutralité religieuse à l’université, aux entreprises etc. On verra plus loin qu’une autre forme de laïcité s’oppose à ces velléités législatives.

Mais, dans le même temps, si cette charte trahit une volonté de contrôler les expressions religieuses dans l’espace publique, elle semble laisser une place à l’expression des convictions ou bien même à l’étude de faits religieux en classe. Elle semble favoriser, voire encourager, l’étude de tous les sujets. Un peu sur le modèle de Condorcet qui écrivait déjà dans son cinquième mémoire sur l’instruction publique : « […] il faut oser tout examiner, tout discuter, tout enseigner même. »157. Voici un extrait de l’article 12 : « Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. » Dans l’article 1 il est stipulé que la République « respecte toutes les croyances ». Dans l’article 3 il est écrit que « chacun est libre de croire ou de ne pas croire ». Et article 8 : « La laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans la limite du bon fonctionnement de l’École comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions. ». Reste à savoir ce que les enseignants vont retenir de cette charte : comment protéger les élèves de tout prosélytisme tout en favorisant la liberté d’expression ? Comment montrer que chacun est libre de croire ou de ne pas croire tout en refusant le port d’une croix ou d’une kippa ? Comment enseigner les faits religieux tout en respectant toutes les croyances ?

La charte d’inspiration gallicane protège les libertés individuelles tout en restant méfiante à l’égard de la société civile et de l’influence des familles défendant l’idée que seule l’école comme institution rend libre. Elle permet, la liberté de conscience et d’opinion parce que, de leur point de vue, seuls les professeurs sont porteurs d’universel. Mais dans le même temps, à l’école, cette liberté de conscience et d’opinion n’est jugée quelquefois possible que si les membres de la communauté les taisent. Paradoxe.

Quelles conséquences pour les enseignants ayant cette représentation de la laïcité ou pensant qu’il s’agit de la laïcité promulguée par l’institution ?

Les enseignants qui ont cette laïcité comme modèle pourraient être tentés d’exclure de la classe tous les signes religieux, quels qu’ils soient, pour s’aligner sur la loi de 2004 et éviter, de fait, toute critique des élèves ou de leurs parents qui ne comprendraient pas l’asymétrie supposée. Les enseignants pourraient aussi être tentés de refouler de la classe tout discours exprimant une opinion religieuse de peur de franchir la ligne rouge du prosélytisme. C’est

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ce que semble vouloir dire L. Petit quand elle prévient dans sa thèse sur l’enseignement des faits religieux que « plusieurs entretiens témoignent d’une confusion entre l’interdiction faite aux élèves de porter des signes ou des tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics et le droit des élèves de parler de leurs croyances et convictions ». 158