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déterminants de l’évolution du manioc dans le sud tchadien :

3.4.1. Une offre variétale dominée par les variétés locales

La productivité d'un champ de manioc dépend autant des conditions de culture que des aptitudes propres au matériel végétal utilisé et qui sont liées à sa constitution génétique (Silvestre, 2000). Il existe actuellement au Tchad une grande diversité de variétés de manioc introduites à partir de plusieurs sources. Nous avons dénombré, selon les nomenclatures locales, 34 variétés dans les régions du Mandoul et du Moyen-Chari réunies et 22 variétés dans la zone d'étude. Seule la variété six mois porte la même appellation dans les deux situations (tableau 7). Les agriculteurs ont signalé, tous villages confondus, la disparition de douze variétés.

Djimta (2010) qui avait réalisé une prospection dans les régions du Moyen-Chari et du Mandoul dans le cadre d'une étude sur la Mosaïque Africaine de Manioc (MAM) a identifié 22 variétés dont certaines sont désignées par les termes que nous avons retrouvés. Cependant, il est plus que probable que deux termes différents utilisés dans deux localités différentes puissent désigner la même variété. L'introduction d'une nouvelle variété est souvent le résultat de relations entre les agriculteurs de différents villages. Il arrive aussi qu'un agriculteur en déplacement sur une autre contrée rapporte avec lui du matériel végétal. En dehors des variétés introduites par les institutions

132 de recherche et de vulgarisation, l'origine de la plupart des variétés n'est souvent pas connue des agriculteurs, par ce que la période de leur usage s’étale déjà sur plusieurs années.

Tableau 8 : liste des variétés de manioc Variétés identifiées dans les régions du

Moyen-Chari et du Mandoul

Variétés identifiées dans les sites de la Tandjilé et des Monts de Lam

Nom des variétés Goût des

racines Nom des variétés Goût des racines

Banda Yingué amer Six mois amer

Bio amer Beudehounbadohang amer

Boyo amer Cameroun doux

Condamné amer Djabra doux

Gaingor amer Donda doux

Galim Guezi amer Golkoundja doux

Gamgor amer Lisete doux

Goriyon amer MadjiIngam doux

haltoïndor amer Madjiganem doux

Hatebaye amer Mbi doux

Kab noir amer Mbogueral doux

Kangaba doux Moreye doux

Kariwaye amer Ngali Baka amer

Leôko amer Ngali Bero doux

Mbidil amer Ngali Daïwa amer

Mbinda amer Ngoré amer

Mbyengue amer Nyan amer

Morbaye doux Poumpoum doux

Moussamoyene doux RB89 509 doux

Nanihogui amer Tinodji doux

Ngaïngor amer TME 225 doux

Ngalèmguezi amer Toudjel doux

Ngou ôkô amer

Ngouti doux

Orbaye doux

Pangassou amer

Six mois amer

Tamane dose amer

TME 225 doux Togonemadi amer Tolmba doux Tolyodeen doux Tomkede amer Yambiri doux

133 Mais l’origine linguistique des mots et la référence à certains groupes ethniques dans les termes qui les désignent laissent envisager pour certaines d'entre elles, une introduction à partir de la République centrafricaine. Parmi les 22 variétés qui ont été identifiées dans les quatre villages des sites de la zone d’étude, il n’y a que deux variétés qui ont été formellement identifiées comme étant des variétés améliorées. Il s'agit des variétés TME 225, et RB89 509 qui figurent parmi les variétés adoptées par les agriculteurs de Béréo Kouh et de Kamkoutou à l'issue du programme de diffusion mis en œuvre à partir de 2002 (tableau 8).

Tableau 9 : noms traduits des variétés cultivées

Nom de la variété Signification du nom Goût des

racines

Beudehounbadohang Le singe ne le consomme pas amer

Cameroun Venu du Cameroun doux

Djabra Forme de Djabra (fusiforme) doux

Golkoundja Patte de coq doux

Madji Ingam J'ai trouvé le bonheur doux

Madjiganem Le bonheur de mes enfants doux

Ngali Baka Manioc amer amer

Ngalibero Manioc Béro doux

Ngali Daïwa Manioc Daïwa amer

Ngoré Introduit par Ngoré amer

Nyan Venu de la Nyan amer

Renda (RB89 509) Arrivé au bon moment doux

Six mois Précoce amer

Tessem (TME 225) Me sort de la faim doux

Tinodji Source de discorde doux

Toudjel Ne se détériore pas doux

Les noms données aux variétés (lorsqu'elles peuvent être traduites) sont très expressifs et confirment particulièrement le rôle de filet de sécurité alimentaire du manioc. Il y a entre autres appellations les termes de Tessem qui signifie « m'a sauvé de la famine » ou Renda qui signifie « arrivé au bon moment » ou encore Madjinganem (pour le bonheur de mes enfants). Il y a une variété cultivée dans les 4 villages, connue de tous ceux qui cultivent le manioc au Sud du Tchad, et qui est désignée simplement par le terme de six mois en rapport avec sa précocité, même si la durée réelle du cycle dépasse les six mois. En période de soudure, il est souvent difficile pour un agriculteur qui a faim de ne pas prélever, au passage et sans autorisation, quelques racines sur un

134 champ de manioc qui ne lui appartient pas et générer ainsi une dispute avec le propriétaire du champ, d'où le nom de Tinodji (source de conflit) donné à une variété très appréciée pour une consommation en frais (cru ou bouillie). Le nom peut aussi faire référence à une forme particulière de la plante comme Golkoundja (patte de poulet) qui se rapporte à la forme des feuilles ou Djabra qui désigne la forme conique des racines. La variété peut également être désignée simplement par le nom de sa zone de provenance comme Cameroun par exemple, par le nom de la personne qui l'a introduite dans le village par exemple Ngoré ou faire simplement référence au goût des racines, par exemple baka qui signifie amer dans la langue parlée à Béréo Kouh (tableau 9).

Toutes les variétés locales cultivées au Tchad sont sensibles aux principales maladies du manioc dont la Mosaïque africaine du manioc (MAM). Djimta (2010) a trouvé que l'incidence26 de la MAM sur les variétés locales est de 90,61 %.

Les pertes occasionnées par une infection de la mosaïque africaine varient de 20 % à plus de 90 % de la récolte (Hahn, 1980 ; Nweke, 2009). En présence d’une offre variétale très limitée, les agriculteurs sont contraints d’utiliser les variétés locales, malgré leur sensibilité aux différentes maladies. Les variétés améliorées, en dépit de leur potentiel de rendement et de leurs résistances aux maladies, ne présentent pas toujours les caractéristiques recherchées par les agriculteurs. Le nombre de variétés cultivées dans les quatre villages varie de deux à huit. Cependant, pour chaque village deux à trois variétés peuvent occuper jusqu'à plus de 70 % des surfaces cultivées. La plus grande diversité dans le choix des variétés est observée dans les villages de Béréo Kouh et de Daradja Nadjikélo avec chacune huit variétés cultivées. La variété TME 225 occupe dans les deux cas plus de 42 % des surfaces consacrées au manioc. Ensuite dans chacun des villages, la préférence est donnée en second rang à une variété27 amère : variété Ngali Baka à Béréo Kouh (Fig. 28) et variété six mois à Daradja Nadjikélo (Fig. 29).

26 Incidence de la maladie : ratio (en pourcentage) déterminé par le rapport du nombre de plantes malades sur le

nombre total des plantes inspectées

27

Nous désignerons à partir d'ici, les variétés à racines douces et à racines amères simplement par les termes variétés douces et variétés amères.

135 Figure 28 : variétés cultivées à Béréo Kouh (en % de la surface totale cultivée en manioc)

Figure 29 : variétés cultivées à Daradja Nadjikélo (en % de la surface totale cultivée en manioc). Le nombre des variétés cultivés est assez réduit dans les deux villages situés dans le site des Monts de Lam. On dénombre quatre variétés à Kamkoutou et seulement deux à Mboura. La variété TME 225 est cultivée sur plus des deux tiers des superficies consacrées au manioc dans le village de Kamkoutou (Fig. 30), et sur plus de 98% des superficies dans le village de Mboura (Fig. 31).

136 Figure 30 : variétés cultivées à Kamkoutou (en % de la surface totale cultivée en manioc) En 2012, lors de notre premier contact avec le village de Mboura, les surfaces cultivées en manioc dans le village étaient partagées en parties égales entre les variétés TME 225 introduite dans le village en 2008 par une ONG et la variété "six mois".

Figure 31 : variétés cultivées à Mboura (en % de la surface totale cultivée en manioc)

Au terme de l'expérimentation que nous avons conduite avec les producteurs en 2013, la variété six mois a quasiment disparu. Les propos des agriculteurs au cours des différents entretiens laissent plutôt supposer que l’abandon des anciennes variétés aurait commencé après l’introduction de la variété TME 225 par une Organisation non gouvernementale (ONG) au début des années 2000. Il semble que la grande sensibilité des variétés locales à la Mosaïque africaine du manioc serait à l’origine de leur abandon au profit de la TME 225. La diffusion de la variété TME 225 qui était largement adoptée par les agriculteurs après son introduction dans le village, aurait été freinée, selon les agriculteurs, par l'insuffisance des boutures. Cette contrainte a été levée par les boutures issues du "champ école" qui avait été implanté dans le village. En 2013, il

137 n’y avait dans ce village qu'une seule variété de manioc amer cultivée par un seul agriculteur de notre échantillon.

La préférence aux variétés douce est due à leur précocité, leur facilité de vente et de transformation. Elles servent donc à juguler les problèmes de faim et de trésorerie très fréquente en période de soudure. Les variétés amères qui ne se consomment qu'après transformation sont récoltées plus tard et sur une période plus longue qui peut s'étaler au-delà de la saison des pluies. La combinaison des deux types de manioc permet d'étaler la disponibilité du manioc sur une période plus longue.

3.4.2. Le potentiel de rendement et l’aptitude à la transformation comme principaux