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concurrence ou complémentarité ?

3.1. Le contexte environnemental et les facteurs de production

3.2.4. L'instabilité des rotations et des successions culturales

L'instabilité des rotations et des successions culturales qui a été évoquée dans les deux villages du site de la Tandjilé est plus accentuée pour les deux villages du site des Monts de Lam, surtout pour les années 2014 et 2015. Des considérations externes aux exploitations agricoles

120 (hausse des prix, amélioration de l'environnement économique, etc.) peuvent complètement modifier les choix des agriculteurs par rapport à leurs pratiques de gestion des associations et des successions culturales. Un exemple nous en a été fourni au cours de l'année 2015 dans le village de Kamkoutou. C'est une situation qui permet d'illustrer l'instabilité des assolements et des successions culturales et de constater que cela dépend aussi souvent de la lecture et de l'appréciation que les agriculteurs font des évènements qui interviennent dans leur environnement social et économique. En 2015, de nouveaux éléments apparus autour de deux cultures ont poussé les agriculteurs de Kamkoutou à repenser complètement leur assolement, par rapport aux pratiques en cours les années précédentes, Il s'agit de l'amélioration des conditions de commercialisation du coton-graine d’une part et de la hausse du prix du sésame d’autre part.

La situation au sein de la filière a commencé par s’améliorer à partir de 2011. Les perturbations des campagnes de commercialisation ont été atténuées et les fournitures des intrants sont devenues plus ou moins régulières. Certains agriculteurs ont repris la culture du cotonnier et la production a augmenté graduellement pour dépasser 140 000 t en 2014 (Fig. 25).

a) L'amélioration des conditions de commercialisation de coton-graine

Figure 25 : évolution de la production de coton-graine de 2009 à 2014 (Source de données COTONTCHAD SN).

C’est en 2015 que les agriculteurs de Kamkoutou ont véritablement renoué avec le cotonnier. La surface totale utilisée pour le cotonnier dans le village a doublé entre 2014 et 2015, passant de 10,1% de l'assolement à 22,45%. (Fig. 26 et 27) 20 40 60 80 100 120 140 160 2 009 2 010 2 011 2 012 2 013 2 014 P rodu ct ion c ot on -gr ai ne M illie rs Année Production

121 Figure 26 : assolement moyen à Kamkoutou

en 2014.

Figure 27 : assolement moyen à Kamkoutou en 2015.

b) La hausse du prix du sésame

Relégué au rang de culture de subsistance et cultivé sur de petites superficies, le sésame a vu son intérêt augmenter à partir de 2012. Des opérateurs économiques tchadiens ont investi dans la commercialisation du sésame et ont commencé à l'exporter sur le marché mondial. Mais la grande partie du sésame exporté passe par des exportateurs nigérians et soudanais qui achètent de grosses quantités du produit via des relais locaux.

Le kilogramme de sésame qui était habituellement vendu entre 200 à 250 francs CFA24 durant les mois de juillet et d’août (période de plus forts prix) a atteint 870 francs CFA en 2014 à la même période25. Il y a eu dans beaucoup de villages une ruée vers le sésame en 2015, et les agriculteurs du village de Kamkoutou ont suivi le mouvement. De 15,2% en 2014, la part du sésame dans l'assolement a atteint 39,9% en 2015 (Fig. 26 et Fig. 27).

Les stratégies de recherche de revenus des agriculteurs ont complètement changé. La part des superficies de l’arachide qui était l'un des vivriers marchands le plus apprécié, a considérablement diminué. Le rôle du manioc dans la recherche de revenus a été réduit au maximum. Le sorgho, pourtant céréale de première importance dans l’alimentation a également vu la superficie qui lui est habituellement consacrée réduite d'un tiers. Le facteur limitant dans les systèmes de production de ce village étant la force de travail, les ajustements par rapport aux nouveaux choix n'ont pu se faire que dans les limites des surfaces habituellement cultivées par actif. C’est-à-dire que les augmentations des surfaces du cotonnier et du sésame n’ont été obtenues que par une diminution

24

1 € = 656 FCFA

122 de celles des autres cultures. Les agriculteurs reconnaissent presque tous que c’est un pari risqué, mais acceptent de le faire et l’assument entièrement à l’instar de l’un d’entre eux qui a augmenté la superficie du cotonnier au détriment du sorgho et qui justifiait son choix en ces termes : « lorsque tu entretiens bien ton champ de coton, tu peux gagner suffisamment de l’argent et

acheter plus de sorgho que celui qui l’a produit lui-même. Mais si le coton est payé avec beaucoup de retard, tu reçois l’argent à un moment où les prix sont élevés et tu risques d’avoir des difficultés pour t’approvisionner. Mais on pense que le coton sera payé à temps comme l’année dernière. Un autre agriculteur a plutôt fondé ses espoirs sur le maintien du prix du sésame

à leur niveau de l’année précédente : « si les prix des produits agricoles pouvaient être connus

d’avance, j’aurais cultivé beaucoup plus de sésame l’année dernière. Cette année j’ai remplacé une bonne partie de mon champ d’arachide avec du sésame. Selon les commerçants du marché de Moundou, la demande sera encore forte cette année ». La suite des évènements a contredit les

prévisions des agriculteurs, partiellement pour ce qui concerne sur l’organisation de la commercialisation du coton, et en deçà de toutes les espérances en ce concerne les prix de vente du sésame.

À défaut d'avoir des informations précises sur le fonctionnement du marché du sésame au Tchad, nous n'avons pas pu déterminer avec précision les causes de la chute des prix. Mais l'hypothèse la plus plausible souvent évoquée est que les troubles sociopolitiques survenus au Nigéria ont complètement stoppé les exportations en direction de ce pays. Et les capacités d'exportation des opérateurs économiques du Tchad ne sont pas assez fortes pour tirer à elles seules les prix vers le haut. En conséquence, les prix du sésame ont dégringolé en 2015 pour atteindre des niveaux plus bas que ceux qui étaient observés avant les hausses survenues en 2014.

Les dysfonctionnements de la COTONTCHAD qui avaient démotivé les agriculteurs sont réapparus en 2015. Les récoltes ont été enlevées très tardivement et certaines exposées à l’air libre dans les villages ont été mouillées par les pluies du mois de juin 2016 (photo 4). Le transport du coton-graine ne se fait pas non plus dans de bonnes conditions. Une partie de la production de coton-graine est transporté par des prestataires privés. Les véhicules utilisés par beaucoup d’entre eux sont en mauvais états et tombent souvent en panne avec toute leur cargaison qui est abandonné pour plusieurs jours en pleine route (photo 5).

123 Photo 4 : Coton-graine mouillé par les pluies

de juin dans village proche de Béréo Kouh (juin 2016)

Photo 5 : remorque abandonnée en pleine route avec sa cargaison de coton graine

Le village de Kamkoutou a dû attendre le mois d'avril 2016 pour que les récoltes de coton-graine effectuées en novembre et décembre 2015 ne soient enlevées. Et il a fallu patienter jusqu'en juillet 2016 pour que les agriculteurs soient payés. Mais pour beaucoup d'autres villages la situation est catastrophique par ce que les récoltes exposées en plein air et qui ont été mouillées par les pluies occasionneront certainement une détérioration de la qualité, et par conséquent une rémunération fortement réduite. L'ardeur pour la culture du cotonnier de manière générale n’était plus la même au démarrage de la campagne agricole en 2016.

Les agriculteurs de Kamkoutou qui ont beaucoup misé sur le sésame et le coton ont donc été très contrariés. Voici ce que l'un deux nous disais. « J'ai beaucoup compté sur le coton et surtout sur le

sésame. Je pensais que j'allais pouvoir enfin m'acheter une charrette cette année. J'ai même sacrifié le sorgho en espérant m'approvisionner sur le marché à partir des revenus du sésame et du coton. Mais tout cela est tombé à l'eau. S'il n'y avait pas le manioc la situation allait être très grave pour moi et ma famille. On n'avait pensé que les problèmes du coton étaient définitivement réglés, et voilà que ça recommence de la même manière. Comme tu vois, nous les agriculteurs nous n'avons aucune chose de valable sur laquelle nous pouvons nous appuyer. »

Les décisions des agriculteurs du village de Kamkoutou entre 2014 et 2015 illustre assez bien la versatilité des assolements qui peuvent être profondément modifiés d'une année à l'autre en fonction des appréciations qu’on les agriculteurs de certains facteurs qu'ils ne maîtrisent pas et sur lesquels ils n'ont aucune influence. On conçoit ainsi que les systèmes de culture qui peuvent être identifiés chez les agriculteurs peuvent être diversifiés et résulter des processus de décisions complexes parce que l'agriculteur intègre différents niveaux de décisions et que ses objectifs

124 tiennent compte des contraintes pour partie exogènes à l'exploitation agricole (Aubry et Michel- Dounias, 2006).