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Une interprétation jurisprudentielle large de l’intentionnalité

177 faux site n’était pas exactement similaire à celle du site de la plaignante, le délit d’usurpation

B. Un délit formel

2) Une interprétation jurisprudentielle large de l’intentionnalité

235. Une intention et non une matérialité. Pour que le délit d’usurpation d’identité soit

constitué l’auteur des faits doit avoir agi avec une intention malveillante dépassant le simple

dol général. La jurisprudence est alors venue apporter des précisions quant à l’interprétation

de ce dol spécial animant l’auteur de l’acte délictueux. En l’occurrence, dans l’affaire du faux

site de la personnalité politique les juges du fond avaient démontré l’existence du trouble à la

tranquillité de la victime

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. Selon les juges, le fait de créer un site fictif et d’encourager de

nombreuses personnes au moyen de sites de réseaux sociaux à rédiger des messages soit

obscènes soit contenant des affirmations politiques contraires aux opinions de la personne

ciblée est de nature à troubler la tranquillité de cette dernière, voire de porter atteinte à son

honneur et à sa considération. La subtilité du présent cas réside dans le fait que la personne

poursuivie n’avait pas elle-même écrit les communiqués de presse diffamatoires à l’encontre

de l’élue mais avait simplement fourni les outils permettant à d’autres internautes de le faire.

Le prévenu n’avait alors pas lui-même porté atteinte à l’honneur ou à la considération de la

victime. Les juges du fond ont pourtant retenu que l’intention de nuire était caractérisée dès

lors que le prévenu a mis en œuvre des moyens permettant aux internautes de publier des faux

communiqués diffamatoires, d’autant plus que l’individu avait la possibilité en sa qualité de

modérateur du site de supprimer ou, a minima, désapprouver le caractère diffamatoire ou

injurieux des propos. Les enseignements tirés de cette jurisprudence sont nombreux.

Premièrement, les prévenus ne pouvaient justifier leurs actes du fait que l’usurpation

reprochée était seulement destinée à faire rire et que le caractère satirique et parodique du

710 TGI Paris, 13ème ch. corr., 18 décembre 2014, n°12010064012 : RLDI, 2015, n° 111, obs. J. de ROMANET ;

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faux site était exclusif de toute intention de nuire. Les juges leur ont en effet rétorqué que

leurs motifs n’étaient ni légitimes, ni honorables. Le dol spécial requis par l’infraction à

savoir « troubler la tranquillité » de la victime ou d’un tiers, « ou de porter atteinte à son

honneur ou à sa considération » était caractérisé en l’espèce : « l’insertion de faux

communiqués entraînait à l’évidence des perturbations dans le fonctionnement normal du site

officiel »

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. Deuxièmement, cette jurisprudence permet de clarifier l’articulation entre le délit

d’usurpation d’identité et d’autres qualifications pénales telles que la diffamation.

236. La diffamation et l’usurpation d’identité, deux fondements différents. Si les délits

d’usurpation d’identité et de diffamation se recoupent dans leur volonté de protéger l’honneur

et la considération de la victime, la matérialité de ces deux incriminations est toutefois

différente. Le délit d’usurpation d’identité numérique n’élève pas au rang d’élément matériel

l’atteinte à la réputation de la victime mais exige seulement, au travers d’un dol spécial, que

l’auteur du délit ait eu l’intention de le faire. Le délit de l’article 226-4-1 du Code pénal

semblerait donc admettre la répression de ce qui relèverait d’une tentative de diffamation,

chose que la loi de 1881 ne prend pas en considération

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. La jurisprudence est venue

confirmer cette analyse en affirmant que « concernant le trouble à la tranquillité, à l’atteinte

à l’honneur et à la considération, il convient de rappeler qu’au regard des dispositions de

l’article 226-4-1 du Code pénal, les faits visés doivent être commis en vue de commettre un tel

trouble ou une atteinte, l’intention suffisant dès lors seule à caractériser l’infraction »

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.

Suivant ce constat, les magistrats amenés à statuer sur le délit d’usurpation d’identité

numérique ne prêtent pas particulièrement attention au fait que les propos incriminés

constituent effectivement une diffamation. Les juges déduisent le plus souvent l’atteinte de la

matérialité des faits : « la matérialité des faits n’est pas contestée par les deux prévenus, qui

ont non seulement usurpé l’identité de FZ, mais ont aussi mis en ligne des photographies de

celui-ci et de VP, le tout accompagné de termes vulgaires en vue de troubler leur tranquillité

et de leur nuire »

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. Il en résulte que le délit d’usurpation d’identité numérique bien que

voulant protéger une atteinte à l’honneur ou à la considération n’épouse pas les spécificités

711 J. FRANCILLON, « Piratage informatique. Usurpation d’identité numérique. L’affaire du "faux site officiel" de Rachia Dati : une étape dans la lutte contre la cyberdélinquance », RSC, janvier-mars 2015, p. 105.

712 I. SOSKIN, « Les nouvelles formes d’atteintes à la "réputation" et à "l’image" de la personne dans l’environnement numérique », Légipresse, n° 336, mars 2016, p. 146.

713 TGI Paris, 13ème ch. corr., 18 décembre 2014, n° 12010064012 : RLDI, 2015, n° 111, Obs. J. de ROMANET ;

RSC, janvier-mars 2015, p. 101, chron. J. FRANCILLON.

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procédurales du droit de la presse

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. En conséquence, les victimes d’une diffamation pourront

faire le choix de poursuites sous le fondement d’une usurpation d’identité numérique dans

l’hypothèse où les éléments constitutifs de ce dernier délit seraient également réunis. Cela lui

permettrait de bénéficier de conditions procédurales plus souples. Cette situation ne doit

cependant pas permettre de sanctionner des propos par le biais du délit de l’article 226-4-1 du

Code pénal, auquel cas, le juge pourrait appliquer la loi sur la liberté de la presse. Ainsi, pour

engager des poursuites sur le fondement de l’article 226-4-1 du Code pénal, le comportement

d’usurpation d’identité doit être avéré et constituer le fondement de la répression

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. Au final,

si les délits d’usurpation d’identité et de diffamation peuvent être invoqués de manière

concurrentes car les deux révèlent une atteinte à la réputation de la victime, leurs finalités sont

cependant différentes. Le délit de l’article 226-4-1 du Code pénal instaure une protection

spécifique de l’identité, l’atteinte à la réputation de la victime n’étant que la conséquence

voire l’intention cachée du comportement d’usurpation. Il ne s’agit donc pas de sanctionner la

parole mais le comportement d’usurpation dans son entier. Le délit d’usurpation d’identité

protège donc au final davantage la personnalité numérique que la réputation numérique.

237. Conclusion de la Section 2. Le délit de l’article 226-4-1 du Code pénal a réalisé un

apport nécessaire au Code pénal. Désormais, l’identité bénéficie d’une protection autonome

du droit pénal. La répression des comportements lui portant atteinte ne se fait alors plus au

travers d’autres infractions non spécifiques et souvent incomplètes. L’identité est désormais

reconnue au niveau pénal comme un élément à part entière de la personnalité, défendue au

titre du droit au respect de la vie privée. De plus, cette nouvelle infraction propose une

définition qui appréhende de façon englobante l’identité des individus y compris ces

manifestations contemporaines dans le domaine numérique. Ainsi, l’identité numérique est

protégée au travers des identités « déclaratives » et « agissantes » des individus et donc sous

l’ensemble du prisme permis par les sites de réseaux sociaux. Il est toutefois nécessaire que

cette notion soit circonscrite dans une définition précise pour qu’elle ne s’affranchisse pas des

exigences du principe de légalité. À ce titre, l’usurpation d’identité implique la réunion de

715 Principe rappelé par le jugement du TGI Paris, 17ème ch. corr., ordonnance de référé, 4 avril 2013. En l’espèce, la société Twitter invoquait l’irrégularité de la procédure « en ce que l’action, qui viserait à faire sanctionner un fait portant atteinte à l’honneur et à la réputation de Mathieu S., ne respect(ait) pas les dispositions impératives de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 et (était) donc nulle ; mais attendu que l’examen des demandes formulées dans l’assignation démontre que celles-ci ne visent pas à faire cesser des propos injurieux ou diffamatoires, mais le fait qu’une personne, non identifiée usurpe l’identité de Mathieu S. sur Twitter, peu important le contenu des propos qu’il tient en son nom ». V. I. SOSKIN, « Les nouvelles formes d’atteintes à la "réputation" et à "l’image" de la personne dans l’environnement numérique », op. cit., p. 146.

716 I. SOSKIN, « Les nouvelles formes d’atteintes à la "réputation" et à "l’image" de la personne dans l’environnement numérique », op. cit., p. 146.

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deux principaux critères : premièrement, l’usage du nom de la victime et deuxièmmement,

une confusion dans l’esprit du public. L’exigence du dol spécial permet pour sa part

d’encadrer un peu plus le champ d’application de ce délit sans pour autant remettre en cause

la ratio legis de ce présent délit qui vise à protéger avant tout la vie privée des individus

contre les formes d’atteintes à leur identité.

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Conclusion du Chapitre 1

238. Le développement des réseaux sociaux en ligne a fait émerger la notion d’identité