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161 publique ; l’article 434-23 du Code pénal réprime pour sa part le fait de prendre le nom d’un

tiers dans des circonstances qui ont déterminé, ou auraient pu déterminer contre celui-ci des

poursuites pénales. Par ailleurs, l’utilisation d’une fausse identité dans le domaine numérique

pouvait également entrer dans le champ répressif de certaines autres incriminations en tant

qu’élément constitutif, à l’instar du délit d’escroquerie ou en tant que moyen de porter atteinte

à une autre valeur sociale protégée, à l’image des délits d’atteinte aux STAD ou du délit de

diffamation. Ceci étant, une interprétation stricte de ces incriminations révèle leur

inadaptation à appréhender de manière autonome les formes particulières d’atteintes à

l’identité permises par les sites de réseaux sociaux. En effet, dans certains cas, la protection

préexistante de l’identité par le droit pénal s’est révélée trop spécifique pour appréhender

l’identité dans sa dimension numérique (A). Dans d’autres cas, les incriminations se sont

révélées insuffisantes pour permettre une appréhension des différentes formes d’usurpation

d’identité observées sur les sites de réseaux sociaux (B).

A. Une protection trop spécifique de l’identité

201. Antérieurement à la création du délit d’usurpation d’identité numérique par la loi

LOPPSI II, plusieurs infractions renvoyaient déjà à des comportements d’usurpation

d’identité. L’article 434-23 du Code pénal prévoit ainsi l’usurpation de nom

629

, de même

l’article 433-19 du Code pénal sanctionne l’usage d’un faux nom dans un acte public

630

. Ces

infractions ont toutefois révélé des carences sur deux points : soit le champ d’application de

l’incrimination ne concerne que les éléments de l’identité civile (1), soit l’identité usurpée

doit être utilisée à des fins précises (2).

1) Le renvoi de l’incrimination aux éléments de l’identité civile

202. L’incrimination d’usage d’un faux nom. L’usurpation ou l’altération de noms est

définie par l’article 433-19 du Code pénal comme « le fait, dans un acte public ou authentique

ou dans un document administratif destiné à l’autorité publique et hors les cas où la

réglementation en vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil

629 Le premier alinéa de l’article dispose : « le fait de prendre le nom d'un tiers, dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

630 Selon l’article 433-19 du Code pénal : « Est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait, dans un acte public ou authentique ou dans un document administratif destiné à l'autorité publique et hors les cas où la réglementation en vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil d'emprunt :1° De prendre un nom ou un accessoire du nom autre que celui assigné par l'état civil ; 2° De changer, altérer ou modifier le nom ou l'accessoire du nom assigné par l'état civil ».

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d’emprunt : 1

o

De prendre un nom ou un accessoire du nom autre que celui assigné par l’état

civil ; 2

o

De changer, altérer ou modifier le nom ou l’accessoire du nom assigné par l’état

civil ». En l’occurrence, le seul usage de l’identité d’un tiers est de nature à engager une

sanction pénale. Cependant, si l’identité est protégée de manière indépendante, l’incrimination

renvoie toutefois au nom en tant qu’élément de l’identité civile, autrement dit, au nom en tant

qu’émanation de la chose publique

631

. De plus, le texte n’a vocation à s’appliquer que lorsque

l’identité d’un tiers est utilisée dans un acte public, authentique ou tout document

administratif. Par exemple, l’infraction est constituée par l’emploi du nom d’un tiers au cours

de l’interrogatoire de garde à vue

632

ou par l’utilisation d’un pseudonyme dans une plainte

avec constitution de partie civile

633

.

203. L’exclusion de l’identité numérique du champ répressif. En conséquence, le texte

ne protège pas l’identité en tant qu’élément de la personnalité mais davantage en tant que

document administratif émanant de l’autorité publique. L’univers numérique des sites de

réseaux sociaux se trouve alors à l’écart de la répression envisagée par ce texte. En effet,

d’une part, les comptes de messagerie ou les profils ne correspondent pas toujours à l’identité

civile de leurs titulaires, d’autre part, aucun acte public ou document administratif ne sont

susceptibles d’émaner d’un site de réseau social. Le juge pénal ne peut donc au vu de son

devoir d’interprétation stricte de la loi pénale étendre les prévisions de l’article 433-19 du

Code pénal aux éléments de l’identité numérique de l’individu.

2) L’utilisation de l’identité usurpée à des fins précises

204. L’incrimination d’usurpation d’état civil transposable à l’environnement

numérique. L’article 434-23 du Code pénal sanctionne le fait de prendre le nom d’un tiers

dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des

poursuites pénales. Cette incrimination vise « le nom d’un tiers » correspondant à l’identité

d’une personne réellement existante

634

. De prime abord, « le nom d’un tiers » doit s’entendre

comme l’un des attributs de la personne au sens du Code civil

635

. La jurisprudence a toutefois

adopté une interprétation large de cet élément constitutif en précisant qu’il n’était pas

nécessaire que l’usurpation de l’état civil soit complète, une usurpation d’identité même

631 L. SAENKO, « Le nouveau délit d’usurpation d’identité numérique », RLDI, 2011, n° 72.

632 Agen, 20 août 2008, n° 2008-002884.

633 Crim., 11 janv. 1990, n° 89-80.642 : Gaz. Pal. 1991,1, p. 298, note J.-P. DOUCET.

634 Crim., 15 avril 1972 : Bull. crim. 1972, n° 123 – Crim., 7 mai 1972 : Bull. crim. 1972, n° 162 – Crim., 13 Mai 1991, n° 90-86.419 : Bull. crim. 1991, n° 201.

635 É. CAPRIOLI, « De l'usurpation d'identité en matière pénale », sous Crim. 29 mars 2006, no 05-85.857 :

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partielle suffit à constituer l’infraction

636

. Plus encore, la Cour de cassation a reconnu que

l’usurpation d’identité pouvait être observée à l’échelle numérique. Les juges ont en effet

admis que l’utilisation d’une adresse électronique faisant apparaître le nom d’un tiers était de

nature à constituer l’infraction prévue à l’article 434-23 du Code pénal

637

. Ainsi, la présente

incrimination protège aussi bien les éléments de l’identité civile que de l’identité numérique

de l’individu. Au final, seule compte la mention du nom d’un tiers peu importe le support

utilisé.

205. Une protection justifiée par le risque de poursuites pénales. L’article 434-23 du

Code pénal démontre cependant lui aussi son manque d’adaptation à la délinquance

numérique mais cette fois ci par les finalités de l’utilisation du nom. Cette infraction ne

protège pas le nom lui-même mais davantage son mauvais usage. Le législateur entend ici

sanctionner l’utilisation du nom d’un tiers dans des circonstances qui ont ou qui auraient pu

déterminer des poursuites pénales à son encontre. Dès lors, ce n’est pas le nom en tant que tel

qui est protégé mais les droits des tiers susceptibles d’être affectés par son mauvais usage

638

.

La limite de ce texte est rapidement trouvée : si une personne utilise le nom d’un tiers pour

diffamer au nom de celle-ci, l’infraction est constituée, à l’inverse, si une personne utilise le

nom d’un tiers pour le diffamer lui-même, l’infraction n’est plus constituée. Tel est le cas

dans une affaire où un individu, se faisant passer pour un autre, avait envoyé un e-mail à

plusieurs personnes dans lequel il tenait des propos diffamatoires à l’encontre de la personne

dont il avait usurpé l’identité. La Cour de cassation a invalidé sa condamnation en précisant

que le message électronique ne comportant aucune imputation portant atteinte à l’honneur ou

à la considération de personnes nommément désignées, le délit de diffamation n’était pas

constitué et par extension, le délit de l’article 434-23 également

639

. L’usurpateur doit ainsi

nécessairement diffamer une autre personne que l’usurpé lui-même pour que ce texte

d’infraction puisse s’appliquer. Au final, si l’article 434-23 du Code pénal permet

d’appréhender un comportement d’usurpation d’identité à l’échelle numérique, ce n’est pas ce

comportement en tant que tel qui justifie la sanction mais davantage le risque que fait encourir

ce dernier à l’égard de la personne dont l’identité a été usurpée. Partant, ce n’est pas l’identité

qui est l’objet de protection mais en réalité l’entrave à l’action en justice qu’elle implique.

636 Crim. 13 janv. 1955 : Bull. crim. no 33 – Crim. 13 janv. 1987, no 86-93.252 : Bull. crim. no 19 ; RSC 1987, p. 420, obs. DELMAS SAINT-HILAIRE.

637 Crim. 20 janv. 2009, no 08-83.255 : inédit ; CCE no 6, juin 2009, comm. 59, obs. A. LEPAGE.

638 L. SAENKO, « Le nouveau délit d’usurpation d’identité numérique », op. cit.

639 Crim., 26 mars 2006 : Bull. crim., n° 94, RLDI, 2006, n° 17 ; CCE 2006, n° 7, p. 39, obs E. CAPRIOLI ;

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Cette ratio legis se vérifie notamment par l’emplacement de l’incrimination au sein du Livre