tiers dans des circonstances qui ont déterminé, ou auraient pu déterminer contre celui-ci des
poursuites pénales. Par ailleurs, l’utilisation d’une fausse identité dans le domaine numérique
pouvait également entrer dans le champ répressif de certaines autres incriminations en tant
qu’élément constitutif, à l’instar du délit d’escroquerie ou en tant que moyen de porter atteinte
à une autre valeur sociale protégée, à l’image des délits d’atteinte aux STAD ou du délit de
diffamation. Ceci étant, une interprétation stricte de ces incriminations révèle leur
inadaptation à appréhender de manière autonome les formes particulières d’atteintes à
l’identité permises par les sites de réseaux sociaux. En effet, dans certains cas, la protection
préexistante de l’identité par le droit pénal s’est révélée trop spécifique pour appréhender
l’identité dans sa dimension numérique (A). Dans d’autres cas, les incriminations se sont
révélées insuffisantes pour permettre une appréhension des différentes formes d’usurpation
d’identité observées sur les sites de réseaux sociaux (B).
A. Une protection trop spécifique de l’identité
201. Antérieurement à la création du délit d’usurpation d’identité numérique par la loi
LOPPSI II, plusieurs infractions renvoyaient déjà à des comportements d’usurpation
d’identité. L’article 434-23 du Code pénal prévoit ainsi l’usurpation de nom
629, de même
l’article 433-19 du Code pénal sanctionne l’usage d’un faux nom dans un acte public
630. Ces
infractions ont toutefois révélé des carences sur deux points : soit le champ d’application de
l’incrimination ne concerne que les éléments de l’identité civile (1), soit l’identité usurpée
doit être utilisée à des fins précises (2).
1) Le renvoi de l’incrimination aux éléments de l’identité civile
202. L’incrimination d’usage d’un faux nom. L’usurpation ou l’altération de noms est
définie par l’article 433-19 du Code pénal comme « le fait, dans un acte public ou authentique
ou dans un document administratif destiné à l’autorité publique et hors les cas où la
réglementation en vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil
629 Le premier alinéa de l’article dispose : « le fait de prendre le nom d'un tiers, dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».
630 Selon l’article 433-19 du Code pénal : « Est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait, dans un acte public ou authentique ou dans un document administratif destiné à l'autorité publique et hors les cas où la réglementation en vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil d'emprunt :1° De prendre un nom ou un accessoire du nom autre que celui assigné par l'état civil ; 2° De changer, altérer ou modifier le nom ou l'accessoire du nom assigné par l'état civil ».
162
d’emprunt : 1
oDe prendre un nom ou un accessoire du nom autre que celui assigné par l’état
civil ; 2
oDe changer, altérer ou modifier le nom ou l’accessoire du nom assigné par l’état
civil ». En l’occurrence, le seul usage de l’identité d’un tiers est de nature à engager une
sanction pénale. Cependant, si l’identité est protégée de manière indépendante, l’incrimination
renvoie toutefois au nom en tant qu’élément de l’identité civile, autrement dit, au nom en tant
qu’émanation de la chose publique
631. De plus, le texte n’a vocation à s’appliquer que lorsque
l’identité d’un tiers est utilisée dans un acte public, authentique ou tout document
administratif. Par exemple, l’infraction est constituée par l’emploi du nom d’un tiers au cours
de l’interrogatoire de garde à vue
632ou par l’utilisation d’un pseudonyme dans une plainte
avec constitution de partie civile
633.
203. L’exclusion de l’identité numérique du champ répressif. En conséquence, le texte
ne protège pas l’identité en tant qu’élément de la personnalité mais davantage en tant que
document administratif émanant de l’autorité publique. L’univers numérique des sites de
réseaux sociaux se trouve alors à l’écart de la répression envisagée par ce texte. En effet,
d’une part, les comptes de messagerie ou les profils ne correspondent pas toujours à l’identité
civile de leurs titulaires, d’autre part, aucun acte public ou document administratif ne sont
susceptibles d’émaner d’un site de réseau social. Le juge pénal ne peut donc au vu de son
devoir d’interprétation stricte de la loi pénale étendre les prévisions de l’article 433-19 du
Code pénal aux éléments de l’identité numérique de l’individu.
2) L’utilisation de l’identité usurpée à des fins précises
204. L’incrimination d’usurpation d’état civil transposable à l’environnement
numérique. L’article 434-23 du Code pénal sanctionne le fait de prendre le nom d’un tiers
dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des
poursuites pénales. Cette incrimination vise « le nom d’un tiers » correspondant à l’identité
d’une personne réellement existante
634. De prime abord, « le nom d’un tiers » doit s’entendre
comme l’un des attributs de la personne au sens du Code civil
635. La jurisprudence a toutefois
adopté une interprétation large de cet élément constitutif en précisant qu’il n’était pas
nécessaire que l’usurpation de l’état civil soit complète, une usurpation d’identité même
631 L. SAENKO, « Le nouveau délit d’usurpation d’identité numérique », RLDI, 2011, n° 72.
632 Agen, 20 août 2008, n° 2008-002884.
633 Crim., 11 janv. 1990, n° 89-80.642 : Gaz. Pal. 1991,1, p. 298, note J.-P. DOUCET.
634 Crim., 15 avril 1972 : Bull. crim. 1972, n° 123 – Crim., 7 mai 1972 : Bull. crim. 1972, n° 162 – Crim., 13 Mai 1991, n° 90-86.419 : Bull. crim. 1991, n° 201.
635 É. CAPRIOLI, « De l'usurpation d'identité en matière pénale », sous Crim. 29 mars 2006, no 05-85.857 :
163
partielle suffit à constituer l’infraction
636. Plus encore, la Cour de cassation a reconnu que
l’usurpation d’identité pouvait être observée à l’échelle numérique. Les juges ont en effet
admis que l’utilisation d’une adresse électronique faisant apparaître le nom d’un tiers était de
nature à constituer l’infraction prévue à l’article 434-23 du Code pénal
637. Ainsi, la présente
incrimination protège aussi bien les éléments de l’identité civile que de l’identité numérique
de l’individu. Au final, seule compte la mention du nom d’un tiers peu importe le support
utilisé.
205. Une protection justifiée par le risque de poursuites pénales. L’article 434-23 du
Code pénal démontre cependant lui aussi son manque d’adaptation à la délinquance
numérique mais cette fois ci par les finalités de l’utilisation du nom. Cette infraction ne
protège pas le nom lui-même mais davantage son mauvais usage. Le législateur entend ici
sanctionner l’utilisation du nom d’un tiers dans des circonstances qui ont ou qui auraient pu
déterminer des poursuites pénales à son encontre. Dès lors, ce n’est pas le nom en tant que tel
qui est protégé mais les droits des tiers susceptibles d’être affectés par son mauvais usage
638.
La limite de ce texte est rapidement trouvée : si une personne utilise le nom d’un tiers pour
diffamer au nom de celle-ci, l’infraction est constituée, à l’inverse, si une personne utilise le
nom d’un tiers pour le diffamer lui-même, l’infraction n’est plus constituée. Tel est le cas
dans une affaire où un individu, se faisant passer pour un autre, avait envoyé un e-mail à
plusieurs personnes dans lequel il tenait des propos diffamatoires à l’encontre de la personne
dont il avait usurpé l’identité. La Cour de cassation a invalidé sa condamnation en précisant
que le message électronique ne comportant aucune imputation portant atteinte à l’honneur ou
à la considération de personnes nommément désignées, le délit de diffamation n’était pas
constitué et par extension, le délit de l’article 434-23 également
639. L’usurpateur doit ainsi
nécessairement diffamer une autre personne que l’usurpé lui-même pour que ce texte
d’infraction puisse s’appliquer. Au final, si l’article 434-23 du Code pénal permet
d’appréhender un comportement d’usurpation d’identité à l’échelle numérique, ce n’est pas ce
comportement en tant que tel qui justifie la sanction mais davantage le risque que fait encourir
ce dernier à l’égard de la personne dont l’identité a été usurpée. Partant, ce n’est pas l’identité
qui est l’objet de protection mais en réalité l’entrave à l’action en justice qu’elle implique.
636 Crim. 13 janv. 1955 : Bull. crim. no 33 – Crim. 13 janv. 1987, no 86-93.252 : Bull. crim. no 19 ; RSC 1987, p. 420, obs. DELMAS SAINT-HILAIRE.
637 Crim. 20 janv. 2009, no 08-83.255 : inédit ; CCE no 6, juin 2009, comm. 59, obs. A. LEPAGE.
638 L. SAENKO, « Le nouveau délit d’usurpation d’identité numérique », op. cit.
639 Crim., 26 mars 2006 : Bull. crim., n° 94, RLDI, 2006, n° 17 ; CCE 2006, n° 7, p. 39, obs E. CAPRIOLI ;