73 1) L’hypothèse de reproduction prévue par l’incrimination de diffamation
2) Généralisation de l’hypothèse de reproduction aux incriminations de presse
77. Assimilation de la solution existante en matière de diffamation à l’injure. L’article
29 alinéa 2 de la loi sur la liberté de la presse définit l’injure comme « toute expression
260 Une diffamation peut devenir licite par l’application de faits justificatifs ordinaires mais elle connaît également des causes de justification qui lui sont propres : l’exceptio veritatis et la bonne foi. V. P. CONTE,
Droit pénal spécial, Litec, 3ème éd. 2007, n° 412.
261 Civ. 2ème, 14 mars 2002 : Bull. civ. II, n° 41.
262 Crim. 3 novembre 2015, n° 14-83.420 – Civ. 1ère, 3 février 2011, n° 09-10.301 : Bull. civ. I, n° 21 ; CCE
2011. Comm. 46, obs. A. LEPAGE ; D. 2012. Pan. 765, obs. E. DREYER.
263 V. par exemple : Civ. 1ère, 11 juillet 2018, n° 17-22.381 : Hebdo édition privée Edition n° 753, 13 septembre 2018, note N. DROIN – Crim., 8 janvier 2019, n° 17-81.396 : Lexbase Pénal Edition n° 13 du, 21 février 2019, note N. DROIN.
264 Crim. 16 mai 1995, n° 93-83.690 : Bull. crim. n° 175.
265 Crim. 11 juillet 2017, n° 16-84.859 : Jurisport 2017, n° 179, p. 9, J. MONDOU ; AJ Pénal 2017, p. 497 ;
D.actu., 6 sept. 2017, obs. S. LAVRIC.
266 Crim. 27 juin 2000, n° 99-85.258.
267 La Cour de cassation se montre ouvertement bienveillante à l'égard des propos relevant de la polémique politique. V. par exemple : Crim. 23 mars 1978, n° 77-90.339 : Bull. crim. n° 115 ; LPA 24 janvier 1997, n° 11, p. 13. V. également sur le sujet : N. , « [Actes de colloques] 2ème Congrès des jeunes pénalistes (28 septembre 2018) : la politique et le droit pénal - L’expression des politiques : une marge de manœuvre confortable, des bornes étroites... », Lexbase Pénal Edition n° 11, 20 décembre 2018.
75
outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ».
L’injure se définit en conséquence par opposition à la diffamation en ce qu’elle ne renferme
l’imputation d’aucun fait précis
269. L’injure se distingue également de la diffamation en ce
que l’article 29 alinéa 2 ne vient pas préciser l’hypothèse de la reproduction de celle-ci. Deux
solutions sont alors envisageables : la première reviendrait à effectuer une lecture stricte de
l’article 29 alinéa 2 de la loi sur la liberté de la presse et à conclure que seul l’auteur du
propos injurieux peut être poursuivi pour injure ; la seconde serait d’assimiler la répression de
l’injure à la solution existante en matière de diffamation. Dans ce cas, l’auteur mais également
celui qui reproduit un propos injurieux seraient susceptibles de poursuites. Cette dernière
interprétation est celle préconisée par Monsieur Emmanuel Netter qui affirme que « ceux qui
la [l’injure] reprennent pour poursuivre et amplifier l’agression ou l’humiliation de la
personne visée se rendent évidement coupables d’injures »
270. Cette interprétation semble
convaincante tant la loi du 29 juillet 1881 vient sanctionner la publication d’un propos
injurieux et non uniquement sa rédaction. En revanche, si le partage d’une injure est
constitutif lui-même du délit d’injure, quid si le propos est accompagné d’une modération ?
78. Le relais d’un propos injurieux accompagné d’une modération. Le délit d’injure
publique obéit à une logique différente lorsque la reproduction est accompagnée d’une
modération. Les personnes qui reprennent une injure dans le but de la dénoncer ne participent
pas à la propagation d’une rumeur (qui est du domaine de la diffamation) et ne tiennent pas de
propos outrageant, partant l’infraction d’injure ne saurait être constituée
271. En somme, la
modération accompagnant l’invective contribue à retirer à l’ensemble du propos son caractère
outrageant, condition nécessaire de l’infraction. Les éléments constitutifs du délit d’injure ne
sont dès lors plus réunis, retirant à la reproduction son caractère délictueux.
79. Généralisation de la sanction de la reproduction d’un contenu à l’ensemble des
incriminations de presse. Au vu de ces éléments il est proposé de généraliser à l’ensemble
des infractions de presse la répression de la reproduction au public d’un contenu constitutif
269 Selon les juges de Cour de cassation : « pour être diffamatoire, une imputation doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, et que lorsqu’une telle articulation fait défaut il ne peut s’agir que d’une injure », Crim., 17 février 1981, Bull. crim. 1981, n° 64. Le terme « canaille » a été jugé constitutif d’une injure, distincte d’un éventuel délit de diffamation, dans la mesure où il a été « employé sans aucune imputation de faits précis et sans rapport avec le contexte de l’article », Crim., 22 juin 1994, n° 92-21060.
270 E. NETTER, « La responsabilité juridique de l'utilisateur de Twitter », JCP G, 2013, n° 3, p. 102-103.
271 Selon E. NETTER : « pour la dénoncer, pour exprimer le dégoût qu’elle leur inspire, ne peuvent sans doute rien se voir reprocher : ils ne participent à la propagation d’aucune rumeur (c’est le domaine de la diffamation et non de l’injure), et ils ne tiennent aucun propos outrageant, bien au contraire », in « La responsabilité juridique de l'utilisateur de Twitter », JCP G, 2013, n° 3, p. 102-103.
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d’une infraction de presse au même titre que la publication d’origine. Cette solution est
justifiée par le fait qu’en matière de presse, la publication est l’élément par lequel les
infractions sont consommées. Dans ce sens, la Cour de cassation affirme que : « toute
reproduction dans un écrit rendu public d’un texte déjà publié, est elle-même constitutive
d’infraction »
272. L’infraction réalisée par l’acte de publication originel et sa reproduction
postérieure sur un support de communication par voie de presse au public, constituent en
conséquence des infractions successives. Il est toutefois nécessaire que le caractère délictueux
de la reproduction se déduise de l’ensemble du contenu reproduit, le propos d’origine pouvant
être accompagné d’une modération démontrant la bonne fois du relayeur.
Les infractions définies par la loi sur la liberté de la presse s’accordent ainsi aux
nouvelles formes d’expression rencontrées sur les réseaux sociaux. Leurs éléments constitutifs
sont parfaitement transposables à la communication rencontrée sur ces nouvelles plateformes
d’échanges. L’expression massive permise par les réseaux sociaux en ligne entraîne par
ailleurs un regain d’intérêt pour certains délits de presse qui étaient tombés en désuétude à
l’image du délit de fausse nouvelle.
§2. Le regain d’intérêt du délit de fausse nouvelle
80. La désinformation sur les réseaux sociaux en ligne. Les réseaux sociaux en ligne
ont pour effet de modifier certains équilibres au sein de la loi sur la liberté de la presse. En
l’occurrence, des infractions tombées en désuétude résurgent avec l’émergence de la
communication de masse sur les réseaux sociaux. C’est le cas particulièrement du délit de
fausse nouvelle prévu à l’article 27 de la loi sur la liberté de la presse qui apparaît comme un
outil susceptible d’appréhender la désinformation rencontrée sur les sites de réseaux sociaux.
À ce titre, la fausse nouvelle, connue également sous l’anglicisme « Fake news », désigne
dans son sens commun une information falsifiée ou mensongère émise par un média, un
individu ou un groupe d’individus
273. Elle peut également se définir comme« toute allégation
ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre
272 Crim. 2 octobre 2012, n° 12-80.419 : Dr. pén. 2012, n° 12, comm. 157, M. VERON ; Procédures n° 12, décembre 2012, comm. 373, J. BUISSON.
273 D. GUINIER, « Cyberattaques. Macronleaks et diffusion de fausses informations », Expertises des systèmes d’information, juillet 2017, n° 426, p. 262.
77
vraisemblable »
274. La diffusion de fausses informations n’est pas un phénomène nouveau,
ces dernières appelées également « faits alternatifs » sont « aussi anciennes que le
gouvernement des hommes »
275. Elles trouvent cependant aujourd’hui une résonance
particulière avec le développement des réseaux sociaux en ligne. Plusieurs facteurs expliquent
cet attrait massif pour les fausses nouvelles. Les médias classiques et particulièrement la
presse papier connaissent actuellement une crise profonde qui se manifeste par un
ralentissement économique de leur activité
276et par la méfiance grandissante du public à leur
égard
277. À l’inverse, internet devient une source grandissante d’information pour le public
278alors que paradoxalement il constitue le média qui génère le plus de méfiance
279. Plus
généralement, l’extension du phénomène des fausses nouvelles particulièrement sur les sites
de réseaux sociaux
280s’explique également par l’entrée dans l’ère « post-vérité » qui fait
référence « à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour
274 Définition donnée par Anne-Elisabeth Crédeville sur la base de l’avis consultatif du Conseil d’État sur la « Lutte contre les fausses informations » du 4 mai 2018. V. A.-E. CREDEVILLE, « Fausses nouvelles et nouvelles fausses : la réponse du droit », Légipresse n° 364, octobre 2018, p. 467.
275 « L’histoire vraie des fausses nouvelles », Concordance des temps, France culture, émission du 1er avril 2017. <https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/lhistoire-vraie-des-fausses-nouvelles> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
276 Par exemple, aux États-Unis 60 % des emplois dans les médias ont disparus en près de 25 ans, soit 275 000 emplois. Sources : département américain du travail/ baromètre la Croix.
<http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/03/06/01016-20170306ARTFIG00187-fake-news-un-meme-terme-pour-plusieurs-realites.php> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
277 En 2017, Seulement 24 % des Français estiment que les journalistes sont indépendants des pressions politiques et économique. Par ailleurs, la confiance des français dans les médias traditionnels baisse inexorablement : le journal et la télévision accusent une baisse importante de leur crédibilité, à 44% (-7 points) et 41% (-9 points). Pour plus d’un Français sur deux (55%), la télévision ne retranscrit pas fidèlement certains évènements d’actualité. Source : « baromètre la Croix 2017 de la confiance des français dans les médias », étude réalisée par Kantar Sofres.
<http://fr.kantar.com/m%C3%A9dias/digital/2017/barometre-2017-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
278 Internent est le moyen d’information principal de environ un quart des français, ce chiffre étant en hausse de 5 points. Sur internet, les sites et applications mobiles de la presse écrite et les réseaux sociaux prennent une importance grandissante : respectivement 22% (+7 points) et 9% (+6 points) des français en font leur moyen principal pour approfondir l’actualité. Source : « baromètre la Croix 2017 de la confiance des français dans les médias », étude réalisée par Kantar Sofres.
<http://fr.kantar.com/m%C3%A9dias/digital/2017/barometre-2017-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
279 26% seulement des Français font confiance à l’information qu’ils relayent, et 52 % des français ne la juge pas crédible. Source : « baromètre la Croix 2017 de la confiance des français dans les médias », étude réalisée par Kantar Sofres.
<http://fr.kantar.com/m%C3%A9dias/digital/2017/barometre-2017-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
280 Parmis les utilisateurs des réseaux sociaux, 83 % ont répondu affirmativement à la question : « Avez-vous déjà repéré des fausses nouvelles ou rumeurs sur les réseaux sociaux ? ». Source : « baromètre la Croix 2017 de la confiance des français dans les médias », étude réalisée par Kantar Sofres.
<http://fr.kantar.com/m%C3%A9dias/digital/2017/barometre-2017-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
78
modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles »
281. Mais
surtout, ce qui autrefois relevait uniquement du pouvoir de la puissance publique à travers les
services de propagande et de renseignements
282, relève aujourd’hui de la compétence
d’acteurs privés avec l’émergence des médias de masse que sont les sites de réseaux
sociaux
283.
81. La nécessité d’un délit de fausse nouvelle au regard du principe de liberté
d’information. Le développement des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux doit
assurément être combattu dans la mesure où elles manifestent un danger certain pour nos
sociétés, le jeu démocratique ne pouvant s’exercer correctement dès lors que les choix des
individus sont conditionnés par des informations mensongères. Même si son impact réel sur
les choix individuels demeure difficilement mesurable
284, la désinformation est devenue un
outil visant à influencer les campagnes électorales, à l’image des élections présidentielles
américaine
285et française
286de 2016. L’appréhension pénale de la diffusion de fausses
281 Cette définition provient du dictionnaire d’Oxford qui a fait de la notion de « post-vérité » le mot international de l’année 2016. <https://en.oxforddictionaries.com/definition/post-truth> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
282 V. sur le sujet : R. JACQUARD, La Guerre du mensonge. Histoire secrète de la désinformation, Plon, 1986.
283 Selon Monsieur Boris Barraud : « La désinformation a opéré deux mutations. La première est quantitative : les phénomènes de désinformation ne sont plus des cas isolés, mais des parties pleines et entières du système de référence permettant à chacun de prendre des décisions faussement éclairées. La seconde est qualitative, et autrement dangereuse : auparavant, la désinformation était essentiellement utilisée à des fins de guerre psychologique ; désormais, elle est devenue un mal susceptible de ronger de l’intérieur une société ou, du moins, un outil utilisé par diverses puissances afin de modeler les opinions à leur image »,or,« la démocratie n’a de sens que si les individus sont éclairés et n’opèrent pas leurs choix au hasard ou bien à l’aune de considérations fantaisistes ou de données erronées ». B. BARRAUD, « La lutte contre les fausses informations sur internet : un jeu de lois », RLDI, 2018, n° 154.
284 V. sur le sujet : D. CARDON, Culture numérique, Presses de Science Po, 2019, préc. chap. « Fake news panic : les nouveaux circuits de l’information », p. 261.
285 V. I. FASSASSI, « Les effets des réseaux sociaux dans les campagnes électorales américaines », Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, octobre 2017, n° 57, p. 59-86 ; M. STEINKOLER, « Mar a Logos : L’élection de Trump et les fake news », Savoirs et clinique, 2017/2, n° 23, p. 23-33 : « Selon un organisme de sondage très connu, sur l’ensemble des fausses nouvelles publiées dans les trois mois qui ont précédé l’élection, celles favorisant Trump ont été partagées trente millions de fois sur Facebook, tandis que celles favorisant Clinton ont été partagées huit millions de fois. Plus de la moitié de ceux qui se souviennent avoir pris connaissance de fausses nouvelles les ont crues ». Par exemple, Le Pizzagate est une théorie qui tenta de mêler la candidate Hillary Clinton à un réseau de pédophilie pendant la campagne américaine de l’élection présidentielle de 2016. Cette théorie relayée sur les sites 4chan et Reddit prétendait que John Podesta, l'ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton était impliqué dans un réseau de pédophilie en rapport notamment avec une pizzeria d’un quartier huppé de Washington. Source : « Pizzagate: comment une folle rumeur a mêlé pédophilie et parti démocrate », lexpress.fr, 7 décembre 2016.
<http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/pizzagate-comment-une-folle-rumeur-a-mele-pedophilie-et-parti-democrate_1857478.html> (dernière consultation le 9 octobre 2019).
286 Dans l’affaire des Macronleaks le mouvement politique « En Marche » fut la cible d’une cyberattaque une heure avant la fin officielle de la campagne électorale. Ces attaques ont consisté dans l’introduction de systèmes informatiques de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron et dans la diffusion de fausses informations. C’est ainsi que des dizaines de milliers de documents choisis par les hackers sont apparus sur les réseaux sociaux pour y être très largement propagés et ce, sans aucune garantie d’intégrité. Cette masse de donnée mise en ligne sur Archive.org et relayée sur le forum non modéré 4Chan révèle des échanges d’emails entre certains cadres et