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165 délits d’atteinte aux STAD permettent de sanctionner dans une certaine mesure des

usurpations d’identité sur les réseaux sociaux. Ces délits présentent l’avantage de faire du

compte d’un réseau social un élément objet de protection pénale. Ainsi, indirectement, les

délits des articles 323-1 et suivants du Code pénal protègent l’identité numérique de

l’individu. Le compte d’un réseau social est en effet protégé de manière autonome à

l’encontre de toute intrusion, accès, maintien ou usage frauduleux des données du compte de

l’utilisateur. Cependant, ces délits démontrent leurs limites dès lors que l’acte d’atteinte à

l’identité numérique ne consiste pas à s’introduire frauduleusement sur un compte existant,

mais au contraire, à créer un faux compte à partir d’une identité existante. Ceci s’explique du

fait que pour ces infractions le bien juridique protégé n’est pas l’identité de l’individu mais le

système de traitement automatisé de données représenté en l’occurrence par un compte de

réseau social déjà existant.

208. L’usurpation d’identité sanctionnée sous le fondement de la diffamation. Les

comportements d’usurpation d’identité numérique peuvent en outre dans certaines hypothèses

être sanctionnés sous le fondement du délit de diffamation prévu à l’article 29 de la loi sur la

liberté de la presse. Par exemple, un homme a été condamné sur ce fondement

644

suite à la

création d’une fausse fiche au nom de son ancien supérieur hiérarchique sur le réseau social à

vocation professionnelle Viadeo. L’auteur de la fausse page avait notamment tenu des propos

insinuant que son ancien supérieur hiérarchique avait obtenu son poste en octroyant des

faveurs sexuelles et en harcelant ses collègues. Dans cette situation l’infraction de diffamation

avait pu être retenue puisque l’auteur de la fausse page avait utilisé cette dernière pour

imputer des faits précis portant atteinte à l’honneur et à la considération de la personne visée.

Les usurpations d’identité peuvent être poursuivies sur le fondement de la diffamation dès lors

que l’usurpateur a utilisé le faux profil pour assener des propos pouvant porter atteinte à

l’honneur ou à la considération d’autrui. Autrement dit, soit l’internaute mal intentionné

utilise le faux profil d’une personne pour la discréditer elle-même, soit pour parler en son nom

pour nuire à d’autres personnes. Dans les deux cas le délit de diffamation est constitué.

Cependant, aucune distinction n’est faite entre une diffamation faite en son nom

645

et une

diffamation faite au travers de l’identité d’une autre personne. D’un point de vue répressif les

deux situations sont traitées à égal alors que d’un point de vue criminologique ces deux

situations reflètent des hypothèses bien distinctes. Enfin, les poursuites sous le fondement de

644 TGI Bobigny, 14ème ch. corr., 15 novembre 2012, Éric R., MMA Vie c/ M.L.

645 Par exemple en utilisant son propre compte de réseau social pour proférer des propos portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui

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la loi sur la liberté de la presse impliquent l’application d’un délai de prescription

extrêmement court de 3 mois. Dans la présente affaire, le juge avait considéré que le délai de

prescription n’était pas écoulé puisque l’auteur du faux profil avait modifié le 17 mai 2010

des informations du profil Viadeo et que dès lors, ceci constituait une nouvelle publication qui

fait repartir le délai de prescription qui n’était alors pas écoulé lors de la plainte le 16 juin

2010. Certaines situations similaires n’ont cependant pas entraîné de condamnation

646

.

209. De manière générale, l’ensemble des éléments constitutifs du délit de diffamation

doivent être rapportés pour que le comportement soit sanctionné. Or, aux termes de l’article

29, alinéa 1

er

de la loi du 29 juillet 1881, seule l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte

atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé présente

un caractère diffamatoire

647

. La personne diffamée doit ainsi être nommément désignée dans

le propos incriminé pour que ce dernier devienne punissable. La jurisprudence reconnaît

toutefois qu’il n’est pas nécessaire que la personne soit désignée, dès lors que son

identification est rendue possible « par les termes du discours ou de l’écrit ou par des

circonstances extrinsèques qui éclairent et confirment cette désignation de manière à la

rendre évidente »

648

. Cette situation particulière où l’identité d’une personne réelle est

constituée de toute pièce dans le but de lui nuire ne se satisfait pas entièrement des éléments

constitutifs du délit de diffamation

649

. En sus, cette infraction ne sanctionne pas le

comportement même d’usurpation d’identité mais l’utilisation préjudiciable pour la réputation

de la victime qui en est faite. Par ailleurs, la diffamation est soumise au délai de prescription

abrégé des infractions de presse

650

, ce délai se justifiant par la volonté d’instaurer un régime

favorable aux abus de la liberté d’expression. L’application en l’espèce du régime de faveur

de la loi sur la liberté de la presse ne se justifie donc pas entièrement au regard de la réalité

infractionnelle de ce comportement qui concerne davantage une atteinte à la personne qu’un

simple abus de liberté d’expression. Une incrimination autonome du comportement

d’usurpation d’identité se révèle alors être un complément nécessaire à la répression des

pratiques rencontrées sur les sites de réseaux sociaux.

646 Par exemple : Crim., 26 mars 2006 : Bull. crim., n° 94, RLDI, 2006, n° 17 ; CCE 2006, n° 7, p. 39, obs E. CAPRIOLI ; Dr. pén. 2006, n° 6, comm. M. VERON.

647 Crim., 30 septembre 2003 : Bull. crim. 2003, n° 172.

648 Crim., 15 octobre 1985 : Bull. crim. 1985, n° 315 – Civ 2ème., 3 février 2000 : Bull. civ. 2000, II , n° 23.

649 Prenons l’exemple suivant : publier sur internet un éloge du vin de Bourgogne sous le nom d'un élu de Bordeaux ne constitue pas nécessairement une atteinte à l’honneur de l’élu mais constitue sans doute une atteinte à son électorat. F. MATTATIA, « La création d'un délit d'usurpation d'identité sur l'Internet », Gaz. Pal., 26 juillet 2008, n° 208, p. 6.

650 Selon l’article 65 de la loi sur la liberté de la presse : « L'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ».

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210. Conclusion de la Section 1. Les réseaux sociaux en ligne ont permis une extension et

une démultiplication de la notion d’identité des individus à l’échelle numérique. Désormais,

les individus se définissent aussi bien à travers les éléments de leur identité civile qu’à travers

les éléments de leur identité numérique. Plus encore, les sites de réseaux sociaux ont fait

émerger une identité numérique sociale chez les individus dont la précision dépasse de loin

les éléments de l’identité civile. Or, une interprétation stricte des incriminations

traditionnelles démontre les carences de la protection pénale concernant cette manifestation

particulière de l’identité des individus. D’une part, les incriminations protégeant spécialement

l’identité sont inadaptées à l’environnement numérique soit parce qu’elles ne protègent que

l’identité civile des individus, soit parce que l’infraction ne protège pas l’identité en

elle-même mais son mauvais usage. D’autre part, les autres incriminations se révèlent également

incapables de protéger de manière autonome toutes les formes d’atteinte à l’identité des

individus permises par les sites de réseaux sociaux. En réalité ces différentes carences

observées s’expliquent par l’absence d’une protection pénale autonome de l’identité quel que

soit le support sur lequel elle repose. Pour ce faire, la protection de l’identité en matière

pénale mérite une protection autonome au titre d’une atteinte à la personnalité et plus

particulièrement d’une atteinte à la vie privée. En réaction aux carences observées, le

législateur est ainsi venu créer légitimement un délit spécifique d’usurpation d’identité à

l’article 226-4-1 du Code pénal.

Section 2 : Une extension justifiée de la protection de l’identité

211. Une loi inspirée d’exemples étrangers. La création d’un délit d’usurpation d’identité

numérique devenant une nécessité, plusieurs propositions de loi ont émergé avant que le délit

ne soit définitivement adopté par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011

651

. Pour ce faire, le

législateur français s’est notamment inspiré de ses homologues anglais et américain qui

avaient déjà légiféré en la matière. Une qualification pénale spécifique pour le vol d’identité

en ligne est en effet prévue aux États-Unis depuis le 15 juillet 2004 tant au niveau de la

législation fédérale que de la législation des différents États

652

. Au niveau européen, le

Royaume-Uni a fait figure de pionnier en la matière par l’adoption d’un délit spécifique

651 L. n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite LOPPSI, JORF n° 0062, 15 mars 2011, p. 4582, art. 2.

652 V. en l’occurrence : Identity Theft Penalty Enhancement Act , Public Law No: 108-275 (07/15/2004). V. M. PRUD’HOMME, « L’usurpation d’identité bientôt un nouveau délit », Gaz. Pal., 24 avril 2010, n° 114, p. 8.

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d’usurpation d’identité en ligne aux termes du « Fraud Act » entré en vigueur le 15 janvier