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L’application étendue de la loi sur la liberté de la presse aux réseaux sociaux implique en premier lieu de démontrer, au regard de son article 23, que ces derniers constituent un

support de publication par voie de presse (§1) puis en second lieu, que les propos qui y sont

diffusés disposent d’une large audience permettant d’en déduire dans leur majorité un

caractère public (§2).

§1. Les réseaux sociaux, un support de publication par voie de presse

41. Le support de presse originel : la presse écrite. Dans sa conception originelle le

droit de la presse est l’instrument de l’imprimerie

154

. L’application du régime de la loi sur la

liberté de la presse présupposait un objet imprimé en tant que destinataire ou accessoire de la

réglementation

155

. Ainsi, le droit de la presse est étroitement lié au support papier à l’exemple

151 C. BIGOT, Pratique du droit de la presse, Éd. Victoires, PUF, 2013, p. 83.

152 Par exemple, les injures ou diffamations privées sanctionnées aux articles R. 621-1 et 621-2 du Code pénal.

153 Par exemple, le délit de négationnisme prévu à l’article 24 bis, les délits de provocation aux infractions prévus aux articles 23 et 24 de la loi sur la liberté de la presse.

154 « On entend par le mot presse la machine au moyen de laquelle on imprime sur des feuilles de papier ou de quelque autre matière, soit les divers caractères qui forment les mots, soit les desseins qui forment les gravures et les lithographies. La presse tient donc essentiellement à l’art de l’imprimerie ; elle en constitue le principal moyen d’exécution ». G.-J. FAVARD De LANGLADE, Répertoire de la nouvelle législation civile, commerciale et administrative, Paris, 1824, t. IV, p. 461, V°Presse.

155 B. BEIGNIER, B. de LAMY, E. DREYER (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, Litec, 2009, p. 51, n° 71.

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des livres, journaux, périodiques et affiches

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. L’objet de l’impression n’est cependant pas

nécessairement un écrit, l’opinion pouvant se manifester également par l’image. « Les dessins,

les médailles, les emblèmes, frappent l’intelligence d’une manière plus vive et souvent plus

impressive que les écrits »

157

. Dès son origine, le support de publication par voie de presse

dépassait le simple cadre des publications périodiques et des journaux. Le support était

cependant nécessairement imprimé, autrement dit, matériel. Une première modification de

l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse est intervenue par la loi du 1

er

juillet 1972

158

qui

est venue ajouter aux prévisions initiales de l’article 23 des « dessins, gravures, peintures,

emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou

distribués ». Tout en venant ajouter certains supports de publication possibles

159

, la loi du 1

er

juillet 1972 élargit considérablement le champ d’application de l’article 23 par une

formulation générale : « tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image ». Dès lors,

les supports de publications ne sont plus définis de façon limitative mais de manière ouverte,

de façon à y inclure n’importe quel support qui n’aurait pas été prévu par le législateur. Le

support de publication matériel a toutefois rapidement trouvé ses limites avec le

développement des nouveaux moyens de communication : la radio, la télévision et enfin

internet.

42. L’extension du support de publication à l’audiovisuel. L’extension de l’article 23

de la loi sur la liberté de la presse à l’audiovisuel est d’abord issue de l’interprétation

extensive de ce texte par le juge dans le but constant d’appliquer le droit de la presse aux

nouveaux supports de communication alors même que ceux-ci n’auraient pas été encore

prévus par la loi du 29 juillet 1881. Furent ainsi incriminés comme constituant des actes de

publication les photographies

160

, les films cinématographiques

161

, la radiophonie

162

, les

disques phonographiques

163

, la télévision

164

. Par la suite, la loi du 29 juillet 1982

165

est venue

définir pour la première fois la communication audiovisuelle comme : « la mise à la

disposition du public, par voie hertzienne ou par câble, de sons, d’images, de documents, de

156 Selon André VITU, la presse désigne « l’ensemble des dispositions juridiques qui intéressent l’impression et la diffusion des livres, des journaux et périodiques, ainsi que des affiches ». R. MERLE et A. VITU, Traité de droit criminel,Droit pénal spécial, Cujas, 1982, p. 1204, n° 1527.

157 Dalloz, Répertoire, Paris, 1856, t. XXXVI, p. 490, n° 408.

158 L. n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, JORF n° 0154, 2 juillet 1972, p. 6803.

159 En l’occurrence : « dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ».

160 TC de la Seine, 26 décembre 1895, D. 1896, II, 230.

161 Dijon, 8 janvier 1936, RSC 1936, 222, note MAGNOL.

162 Paris, 6 mars 1933 ; Tr. corr. de Bourges, 19 juillet 1934, D. 34, II, 121.

163 Crim., 17 janvier 1971 : Bull. crim. 1971, n° 14.

164 TC de Bourges, 19 juillet 1934, D. 1934, p. 121.

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données ou de messages de toute nature »

166

. La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 dite loi

Léotard

167

est cependant venue abroger ces dispositions pour proposer une nouvelle définition

de la communication audiovisuelle selon laquelle : « On entend par communication

audiovisuelletoute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de

télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute

nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée »

168

. La loi n° 85-1317 du 13

décembre 1985

169

parachève cette évolution en ajoutant comme support de publication à

l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse : « tout moyen de communication

audiovisuelle ». Ces nouveaux moyens d’expression à distance représentés principalement par

la télévision et la radio se trouvent ainsi soumis au régime de la loi du 29 juillet 1881 et

peuvent devenir vecteur d’infractions de presse.

Cette évolution législative a cependant trouvé ses limites avec l’apparition du support

internet comme moyen de communication. Le champ d’application de l’article 23 s’est alors

rapidement étendu à la communication au public en ligne (A) permettant l’application du droit

de la presse aux propos émis sur les sites de réseaux sociaux (B).

A. L’extension des supports de publication à la communication au public en ligne

43. Anticipation de l’évolution législative par la jurisprudence. À l’instar du support

de communication audiovisuelle, la jurisprudence est venue anticiper l’extension du champ

d’application de la loi sur la liberté de la presse au support internet. La méthode utilisée par la

jurisprudence est toutefois différente. La communication en ligne a été assimilée à d’autres

supports préexistants dans la loi sur la liberté presse et notamment à celui de la

communication audiovisuelle. Selon ce raisonnement, « l’Internet est un procédé de

télécommunication »

170

et partant, une publication sur un site internet peut parfaitement entrer

dans les prévisions de l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse. Un site web au contenu

évolutif fut par exemple assimilé à la presse périodique en raison de sa « mise à jour

régulière »

171

remplissant ainsi le critère posé par la loi du 1

er

aout 1986

172

. Les critères alors

166 Art. 1, loi n° 82-652 du 29 juillet 1982.

167 L. n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JORF 1er octobre 1986 p. 11755.

168 Art. 2, loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, version initiale.

169 L. n° 85-1317, 13 décembre 1985 modifiant la loi 82-652 du 29 juillet 1982 et portant dispositions diverses relatives à la communication audiovisuelle, JORF n° 0290, 14 décembre 1985 p. 14535.

170 TI de Puteaux, 28 septembre 1999, AXA Conseil IARD et AXA Conseil Vie c/ MM. C. M. et C. Sapet, Société Infonie, Légipresse n° 168, janvier-février 2000, p. 19.

171 TI de Paris (11ème arrondissement) 36 août 1999. Société Group Tests c/ Groupe Worldnet, Légipresse n° 168, janvier-février 2000 p. 22.

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