• Aucun résultat trouvé

Une implication féminine aux festivals forestiers

1.2 Quelques « femmes fortes » dans un univers très masculin

1.2.3 Une implication féminine aux festivals forestiers

Durant la période étudiée, certaines femmes sont présentes dans les festivals forestiers à un autre titre que celui de concurrentes. Certaines jouent un rôle actif dans l’organisation, la planification et le bon déroulement des évènements. Pendant plusieurs années cependant, cette implication se limite aux activités sociales, culturelles et artistiques. En 1969, un comité féminin est créé au Festival des Raftsmen de Hull et se charge d’organiser des activités telles qu’un « bal d’époque », des soirées dansantes ainsi qu’une exposition artisanale. Deux ans plus tard, une femme préside le comité culturel de ce même festival. Aucune, néanmoins, ne semble participer à l’organisation des épreuves de force. À cause de leur présence, un journaliste du quotidien Le Droit propose tout de même en 1972 de féminiser le terme « raftsmen » en « raftswomen » :

160 s.a., « Saint-Jean-de-Matha : concours des hommes forts », Joliette Journal, 2 mai

1984, p.94.

57

De plus en plus, les femmes s’affirment lors de ce « carnaval des HOMMES forts ». Il faudra peut-être en arriver un jour à consacrer un nouveau mot populaire et parler des « Raftswomen ». Qui sait?162

Malgré ce qui semble être une ouverture de la part d’un journaliste, le festival n’en reste pas moins un « carnaval des hommes forts » et le président du comité d’organisation n’envisage qu’à peine des compétitions entre femmes, considérant que cela serait une solution « de dernière instance »163.

Avec le temps cependant, des femmes deviennent membres des comités organisateurs des festivals et, à partir des années 1980, bien que toujours minoritaires, certaines finissent par se retrouver à la tête des comités organisateurs, telles Lorraine Gadoury au Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha en 1983 et 1984 ou encore Agathe Noreau et Guylaine Trudel au Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond, en 1987 et 1989. Favorisent-elles alors la présence des quelques participantes aux concours de force? Faut-il y voir l’écho d’une présence féminine qui s’affirme dans les milieux sportifs québécois au cours des années 1970-1980164 ou celui des

mouvements d’émancipation féminine qui haussent le ton à la même période? De plus amples recherches seraient nécessaires pour répondre à ces questions.

Conclusion

Les épreuves de force des festivals forestiers de 1967 à 1990 mettent en scène un modèle masculin célébrant la force musculaire, le travail physique et l’efficacité. Plus spécifiquement, les organisateurs évoquent le métier de bûcheron et ses aspects traditionnels et modernes qui ont marqué la vie des Québécois. À une époque où le travailleur forestier peut être perçu comme « un héros déchu, physiquement et psychologiquement diminué, dépendant, désorienté et déraciné »165, les organisateurs

162 Philippe Gagnon, « Les Raftsmen sont arrivés! », Le Droit, 4 juillet 1972, p.17. 163 s.a., « Le Festival du Hull débute ce soir », Le Droit, 4 juillet 1969, p.19.

164 Béatrice Lavigne, « Étude des rapports sociaux de sexe dans l’univers sportif :

trajectoires de femmes sportives », Mémoire de maîtrise en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2014, p.9.

58

des festivals et les journalistes choisissent de commémorer les bûcherons du passé, ceux qui font partie de l’histoire régionale, et de mettre en scène les « hommes forts » de leur région en leur offrant une nouvelle forme de reconnaissance. Alors que le métier de bûcheron ne fait autant plus appel à la force physique, ils démontrent à la population que certains demeurent des hommes forts.

Tandis que les hommes font référence au passé pour célébrer un modèle de masculinité en disparition, les femmes se situent bel et bien dans le présent. Elles s’immiscent avec difficulté dans un domaine traditionnellement et presque exclusivement masculin : celui de la force physique. Si certaines questionnent par leur seule présence l’association entre force et masculinité, leur participation occasionnelle aux épreuves de force limite l’impact de leur geste. Malgré des performances généralement en deçà de celles des hommes, leur seule participation menace tout de même l’un des derniers bastions de la virilité.

Dans l’histoire des sports, la mécanisation du travail à l’ère moderne est reconnue comme un facteur ayant encouragé la création de différentes activités physiques et la participation à celles-ci. En effet, il semble exister une corrélation entre l’augmentation du temps de loisir – surtout à partir de la révolution industrielle – et le développement des sports166. Ayant plus de temps libre, des hommes et des

femmes purent s’adonner à des pratiques sportives cultivant ainsi « un esprit sain dans un corps sain ». Il serait intéressant d’explorer les liens entre le développement des activités sportives et les différents métiers affectés par la mécanisation ou l’ère technologique ainsi que l’impact de ces changements sur les identités sexuées. Cette piste pourrait être utile pour poursuivre l’analyse des épreuves de force dans les festivals forestiers.

166 Jean-Paul Massicotte et Claude Lessard, Histoire du sport de l’Antiquité au XIXe

59

Chapitre II

L’épreuve de force de 1967 à 1990 : activité ludique,

spectacle ou sport professionnel?

Dans sa synthèse sur le sport au Québec au XIXe siècle, Donald Guay présente

ce dernier comme une « activité physique compétitive et amusante pratiquée en vue d’un enjeu selon des règles écrites et un esprit particulier, l’esprit sportif, fait d’équité, de désir de vaincre et de loyauté »167. Comme Guay, nous trouvons dans les

compétitions de force des festivals forestiers plusieurs éléments qui, tout à la fois, se complètent et s’opposent. En effet, une sorte de tension apparaît entre les différents objectifs que visent les compétitions de force des festivals forestiers à l’étude : offrir un divertissement, présenter un spectacle et faire preuve de professionnalisme. Nous chercherons ici à analyser ces objectifs en examinant de plus près les acteurs qui en font la promotion.

Les épreuves de force se déroulent dans le cadre de festivals qui s’attachent à créer une ambiance de fête et de plaisir, à laquelle participent autant les concurrents (et les quelques concurrentes) que le public. Elles constituent également des spectacles mis en scène par les organisateurs pour faire écho aux prouesses des « hommes forts » du tournant du XXe siècle. Le métier de bûcheron traditionnel

disparaissant, et avec lui le modèle de masculinité qu’il représente, les organisateurs des concours et les journalistes voient la professionnalisation des compétitions de force comme un moyen de rehausser l’image des hommes forts de leur municipalité. Cette volonté de donner une image « professionnelle » n’est cependant pas partagée

167 Donald Guay, La conquête du sport. Le sport et la société québécoise au XIXe

60

par tous. Les objectifs des compétitions de force diffèrent donc selon les acteurs et les festivals considérés.