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Les hommes forts, un idéal masculin des festivals forestiers au Québec, 1967-1990

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Les hommes forts, un idéal masculin des festivals

forestiers au Québec, 1967-1990

Mémoire

Alexie Maheu-Bourassa

Maîtrise en histoire

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Les hommes forts, un idéal masculin des festivals

forestiers au Québec, 1967-1990

Mémoire

Alexie Maheu-Bourassa

Sous la direction de :

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iii

Résumé

S’appuyant sur l’histoire du genre et du sport, ce mémoire se penche sur l’un des idéaux masculins québécois de la deuxième moitié du XXe siècle : les « hommes

forts ». Ainsi, nous tentons ici de mieux comprendre l’association pour cette période entre la force physique et la masculinité. Pour ce faire, la démonstration examine les compétitions de force inscrites à la programmation de cinq festivals populaires se déroulant entre 1967 et 1990 dans différentes régions forestières du Québec : le Festival des Raftsmen de Hull (1967-1973), le Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha (1974-1984), le Festival du Bûcheron de Normétal (1975-1987), le Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond (1976-1990) ainsi que le Festival du Bûcheron de Sainte-Aurélie (1979-1986). La consultation de journaux régionaux a permis de mettre en évidence la persistance du modèle du bûcheron traditionnel québécois malgré une tension présente avec le modèle du bûcheron moderne. Le corpus a également souligné les différentes visions accolées aux concurrents des épreuves par les acteurs présents dans les évènements, fait ressortir la mise en scène d’activités à la fois ludiques et professionnelles, exposé des liens décisifs avec l’histoire régionale, mais particulièrement présenté « l’homme fort » comme modèle masculin, sauf exception.

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iv

TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... iv

Liste des tableaux ... vi

Liste des illustrations ... vii

Liste des abréviations ... viii

Remerciements ... ix

INTRODUCTION... 1

Chapitre I ... 25

La force physique et le muscle, des attributs masculins… sauf exception ... 25

1.1 Des épreuves de force qui reflètent une tension entre le métier traditionnel et moderne du bûcheron, métier masculin par excellence ... 26

1.1.1 Célébrer le travail du bûcheron traditionnel ... 26

1.1.2 Évoquer discrètement la modernisation du travail forestier ... 40

1.2 Quelques « femmes fortes » dans un univers très masculin ... 44

1.2.1 « Invitées » à participer aux épreuves de force ... 45

1.2.2 La reconnaissance des performances ... 50

1.2.3 Une implication féminine aux festivals forestiers ... 56

Conclusion ... 57

Chapitre II ... 59

L’épreuve de force de 1967 à 1990 : activité ludique, spectacle ou sport professionnel? ... 59

2.1 Des hommes forts « à temps partiel » et des compétitions ludiques ... 60

2.1.1 Une compétition ludique ... 60

2.1.2 Un amusement entre voisins ... 64

2.2 Les épreuves de force, des spectacles mis en scène ... 66

2.2.1 L’élaboration d’une attraction ... 67

2.2.2 Combiner spectacle et prise de risque ... 70

2.3 Donner une image « professionnelle » des épreuves de force : la réponse des organisateurs et des journalistes au déclin de l’industrie forestière. ... 73

2.3.1 La standardisation et la réglementation des épreuves comme tactique de professionnalisation ... 74

(5)

v

2.3.2 Les limites de la professionnalisation ... 79

Conclusion ... 83

Chapitre III ... 85

Des hommes forts porteurs d’histoire et de fierté collective ... 85

3.1 Héros et archétypes masculins du passé comme modèles ... 86

3.1.1 Des épreuves de force placées sous l’égide de héros nationaux du passé ... 87

3.1.2 Une rupture dans le processus d’héroïsation des vainqueurs des concours de force 96 3.2 La force masculine : une fierté nationale que s’approprient les régions... 99

3.2.1 La force, un héritage national qui perdure ... 99

3.2.2 Les hommes forts, porteurs de fierté régionale ... 101

Conclusion ... 105

CONCLUSION ... 106

BIBLIOGRAPHIE ... 111

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vi

Liste des tableaux

Tableau 1 : Festivals et périodiques analysés ………..p.20 Tableau 2 : Coexistence des pratiques forestières traditionnelles et modernes dans les

compétitions de force, 1967-1990……….….….. p.29 Tableau 3 : Présence des femmes aux compétitions de force dans les différents

festivals, 1967-1990……….. p.44 Tableau 4 : Dénombrement de participations des hommes forts et des femmes fortes,

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vii

Liste des illustrations

Illustration 1 : Programmation du Festival des Raftsmen en 1970 (Le Droit, 1970) .. 27

Illustration 2 : Coupe à la hache (Le Droit, 1972) ... 31

Illustration 3 : Coupe au godendard (Le Droit, 1972) ... 33

Illustration 4 : Levée du billot (Le Droit, 1968) ... 35

Illustration 5 : Chute à la levée du billot (Le Droit, 1968) ... 71

Illustration 6 : Gagnant avec son trophée (Le Droit, 1971) ... 76

(8)

viii

Liste des abréviations

AFEUL : Archives de Folklore et d’Ethnologie de l’Université Laval ASIFQ : Association de sécurité des industriels forestiers du Québec BAnQ : Bibliothèque et Archives nationales du Québec

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ix

Remerciements

J’aimerais d’abord remercier ma directrice, Aline Charles, d’avoir accepté de se lancer avec moi dans l’exploration de ce sujet inusité. Merci infiniment pour les nombreuses relectures dévouées, les conseils prodigués et le temps consacré. Je ne serais pas arrivée à un tel résultat sans toi.

Je tiens également à remercier la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université Laval pour le soutien financier. Mes remerciements s’adressent tout particulièrement aux donateurs de bourses en histoire du Québec, qui aident la relève en histoire à poursuivre et dépasser ses objectifs.

Enfin, je reste très reconnaissante envers mes collègues du CIEQ et de la radio étudiante, envers mes ami(e)s et ma famille pour leur patience, leur écoute et leurs encouragements. La recherche et la rédaction sont de longs processus. Vous m’avez aidée à en traverser chacune des étapes.

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1

INTRODUCTION

Au commencement de ce mémoire, en 2013, les concours de force physique au Québec évoquaient inévitablement un « homme fort » bien précis : Louis Cyr. La sortie du film1 éponyme sur l’histoire de ce Canadien français du XIXe siècle avait

ramené, en quelque sorte, les « hommes forts » au goût du jour. Avant même d’entendre parler de ce film cependant, les compétitions de force nous semblaient constituer un terrain intéressant pour saisir certaines facettes de l’histoire de la masculinité. Nous avons alors choisi d’analyser les compétitions de force inscrites à la programmation de plusieurs festivals du Québec entre 1967 et 1990. Ces évènements populaires mettent tout particulièrement en scène la force physique masculine.

Nous avons retenu les festivals qui évoquent le passé forestier de certaines régions du Québec, car les compétitions de force y occupent une place importante. Dans le cadre de ce mémoire, nous nous intéressons donc à cinq festivals forestiers se déroulant dans différentes régions du Québec : le Festival des Raftsmen2 de Hull en

Outaouais (1967-1973), le Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha dans Lanaudière (1974-1984), le Festival du Bûcheron de Normétal en Abitibi-Témiscamingue (1975-1987), le Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond dans la région de la Capitale-Nationale (1976-1990) ainsi que le Festival du Bûcheron de Sainte-Aurélie dans les Chaudière-Appalaches (1979-1986). La programmation de ces évènements est représentative des festivals populaires au Québec, mettant un élément caractéristique de la région en vedette (l’industrie forestière) et offrant tout autant des activités socioculturelles que sportives. Ils se distinguent en mettant l’accent sur les épreuves de force (voir Annexe). De différentes envergures, les

1 Louis Cyr, L’homme le plus fort du monde, Daniel Roby, Les Films Christal, 2013. 2 Le terme « raftsman », ou « raftsmen » au pluriel, est un anglicisme. Il apparaît dès

les débuts de l’exploitation forestière en Outaouais. Il désigne les hommes qui travaillaient sur les cages (« rafts ») pour transporter les billots sur les rivières puis sur le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Québec.

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2

organisateurs se disent tous satisfaits de leurs évènements, considérant que ce sont des « succès ». Alors que les festivals se déroulant à Sainte-Aurélie, Saint-Raymond et Normétal sont de moindre importance (assistance variant de 3000 à 10 000 personnes au fil des ans), celui de Saint-Jean-de-Matha (attendant près de 50 000 personnes chaque année) et celui de Hull (accueillant de 250 000 à 300 000 personnes à son apogée) sont de tailles plus considérables.

Chacune de ces régions fut profondément marquée par l’industrie forestière. En 1806, le blocus instauré par Napoléon oblige l’Angleterre à se tourner vers ses colonies pour son approvisionnement en bois, ce qui favorise l’ouverture de chantiers forestiers au Bas-Canada. À peine quelques décennies plus tard, face au déclin de la demande européenne, les propriétaires de chantiers trouvent de nouveaux débouchés aux États-Unis grâce à la fin de la construction du canal Rideau en 1832 et du canal Érié en 18353. Jusqu’alors centrée sur la production de bois équarri, de poutres et de

mâts, l’industrie forestière se tourne vers l’exportation du bois de sciage4. Les régions

de l’Outaouais, de Chaudière-Appalaches et plus tardivement de l’Abitibi-Témiscamingue connaissent alors une croissance démographique et économique5. En

1860, s’approvisionnant surtout dans les forêts de Lanaudière, la rivière Saint-Maurice devient ainsi le deuxième centre forestier en importance dans la province6.

Vers la fin du XIXe siècle, en raison de l’épuisement des ressources dans la vallée du

Saint-Laurent et de l’Outaouais, l’industrie forestière connait une période difficile. Pour s’en relever, elle se tourne vers un nouveau produit dérivé, les pâtes et papiers,

3 Pierre-Louis Lapointe, « Canaux, remorqueurs et chalands », Histoire forestière de

l’Outaouais, 2013, http://www.histoireforestiere outaouais.ca/c23/#2, page consultée

le 2 juillet 2015.

4 Sylvain Gingras, Les pionniers de la forêt, Saint-Raymond, Publications Triton,

2004, p.11.

5 Ministère de la Culture et des Communications, « Histoire de la région », 2012,

https://mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=1346, page consultée le 3 juillet 2015.

6 Gilles Rivest, « L’industrie forestière dans Lanaudière », Histoire Québec, Vol. 20,

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3

ainsi que l’exploitation des ressources plus au nord7. Au cours des années 1880, de

nombreux chantiers forestiers ouvrent en Abitibi-Témiscamingue et attirent de nombreux bûcherons accompagnés de leur famille. Dans la région de Lanaudière, de grandes compagnies forestières prennent le contrôle du territoire au début du XXe

siècle tout en y installant des usines de pâtes et papier8. En 1910, un embargo imposé

par le gouvernement du Québec oblige l’industrie forestière à transformer tout le bois sur place avant de lui faire franchir les frontières. Cette loi vise à favoriser le développement économique de la province. Les années 1940 inaugurent une nouvelle étape pour l’industrie du bois qui commence à mécaniser le travail dans les chantiers, remplaçant d’abord les chevaux par des camions, puis les scies manuelles par des scies mécaniques tandis que Jean Lesage adoptera durant la Révolution tranquille des politiques assurant un meilleur accès aux territoires du nord par l’instauration de nouveaux chemins forestiers9. Ces différentes avancées technologiques contribuent

cependant à faire chuter de manière drastique le nombre de travailleurs forestiers. Au Canada, alors que la production industrielle augmente de 30 % de 1950 à 1970, les emplois dans ce secteur chutent de 25 %10.

Depuis le XIXe siècle, les ressources forestières sont exploitées au Québec via

un système de concessions attribuées à des « concessionnaires » qui en contrôlent l’accès. « Détenir une concession, c’est détenir un droit de récolter le bois qui pousse sur le territoire concédé, moyennant le paiement des primes et des droits de coupe et

7 Camille Legendre, Le travailleur forestier québécois. Transformations

technologiques, socioéconomiques et organisationnelles, Sainte-Foy, Presses de

l’Université du Québec, 2005, p.3.

8 L’une de ces compagnies, la Consolidated Paper Corporation, a détenu le monopole

de la coupe dans la région de Lanaudière de 1944 à 1990. – Gilles Rivest, op. cit., p.20-21.

9 Association forestière de l’Abitibi-Témiscamingue, « Histoire forestière », Histoire

forestière de l’Abitibi-Témiscaminque, http://www. histoireforestiereat.com/, page

consultée le 2 juillet 2015.

10 Gilbert Paillé, Histoire forestière du Canada, Québec, Les publications du Québec,

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4

certaines obligations afin d’assurer la pérennité de la ressource »11. Ce système a

mené à l’exploitation de plus de 215 000 km2 de territoires forestiers au Québec,

divisés en 151 concessions dans la seconde moitié du XXe siècle. L’accès limité aux

concessions ainsi que le désir de reprendre en main la gestion et le contrôle des ressources forestières mènent toutefois l’État québécois à adopter une nouvelle politique en 1974 prévoyant la révocation des concessions sur une période de dix ans. N’ayant atteint cet objectif qu’à 30 % en 1982, le gouvernement amorce des consultations publiques, cherchant à définir un nouveau régime forestier pour la province. Le 1er avril 1987, un nouveau mode d’allocation offre des contrats

d’approvisionnement et d’aménagement forestiers (CAAF) aux industriels. Les CAAF, qui constituent des permis de coupe renouvelables chaque année, permettent la récolte d’un volume de bois prédéfini sur un territoire forestier limité12. C’est

durant cette période de changement et de réappropriation par l’État et la population québécoise des territoires forestiers que se déroulent les festivals populaires à l’étude.

Une historiographie jeune et diversifiée

Notre mémoire se situe à l’intersection de plusieurs champs historiographiques, principalement ceux concernant les hommes forts et le genre. Il se rattache également aux études qui portent sur le sport en général ainsi qu’à celles qui s’intéressent aux évènements populaires (carnavals, fêtes, festivals). À notre connaissance, aucune étude n’a encore analysé l’histoire des compétitions de force populaires du Québec sous l’angle de la masculinité. Plusieurs historiens, sociologues et ethnologues nous ont cependant guidés.

Depuis quelques années, de plus en plus d’auteurs s’intéressent aux « hommes forts ». Outre les ouvrages rédigés par de fervents adeptes d’haltérophilie et de

11 Pierre Labrecque, « La fin des concessions forestières », Histoire forestière de

l’Outaouais, 2013, http://www.histoireforestiereoutaouais.ca/d2/#2, page consultée le

2 juillet 2015.

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5

bodybuilding comme Arnold Schwarzenegger13 et les articles de revues spécialisées,

telles Strength & Health (1932-1986) ou encore Iron Game History : The Journal of

Physical Cutlure (1990), des historiennes, historiens et sociologues ont analysé le

sujet. Par exemple, Chapman et Brown14 ont rassemblé des photographies d’hommes

musclés provenant des différents continents afin de relater l’origine et l’évolution de cet idéal physique particulier ainsi que la diffusion de ce modèle dont les origines, selon eux, seraient européennes. Ils affirment ainsi que l’image de l’homme fort et musclé a été admirée et désirée à travers différentes périodes historiques – l’ouvrage couvrant les années 1895 à 1975. Maréchaux15, quant à lui, a dirigé la publication des

actes d’un colloque multidisciplinaire tenu en France et portant sur le culturisme. Les différents spécialistes se sont intéressés à la construction corporelle, son culte, les pratiques du culturisme (entraînement, diététique, compétitions) ainsi qu’aux questions de l’identité sexuée, de la virilité, de l’image du corps, de l’imaginaire culturiste ainsi qu’à l’évolution du bodybuilding et ses influences, depuis son apparition jusqu’à aujourd’hui. En Grande-Bretagne, Jacqueline Tivers16 a étudié les

concours d’hommes forts des années 2000, les replaçant dans le contexte plus large du monde des sports et y recourant comme moyen d’appréhender le corps masculin. Son étude est importante puisqu’elle se rapproche de la nôtre sur plusieurs points, bien que ses conclusions soient différentes des nôtres à cause du contexte différent sur lequel elle porte. Cette auteure a tenté de démystifier le sport que pratiquent les hommes forts en s’attardant au processus de création de ces évènements, soit les idées, les croyances et les pratiques mises de l’avant dans ce sport télévisé. Elle découvre chez les hommes forts un univers qui leur est propre avec des réseaux

13 Arnold Schwarzenegger, The New Encyclopedia of Modern Bodybuilding: The

Bible of Bodybuilding Fully Updated and Revised, New York, Simon & Schuster,

1999, 800 pages.

14 David L. Chapman et Douglas Brown, Universal Hunks. A Pictorial History of

Muscular Men Around the World, 1895-1975, Vancouver, Arsenal Pulp Press, 2013,

303 pages.

15 Pierre Maréchaux, dir., Hercules de toujours. Construction et culte du corps dans

les sociétés antiques et modernes, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2013, 254 pages.

16 Jacqueline Tivers, « "Not a Circus, Not a Freak Show": Masculinity, Performance

and Place in a Sport for "Extraordinary Men"», Gender, Place & Culture, Vol. 18, No. 1 (2011), p.45-63.

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6

d’amitié, d’entraide, d’encouragement et de rivalité. Tivers identifie l’hégémonie masculine comme un idéal masculin mettant l’accent sur la famille, les rôles hétérosexuels et un comportement de « gentlemen ». Mentionnons également l’article de Camila Obel17, publié dans le collectif de Sheila Scraton et Anne Flintoff,

abordant le culturisme sous l’angle d’analyse du genre, à la fois masculin et féminin, suggérant que celui-ci est ambigu et modulable selon le contexte institutionnel dans lequel il est produit.

Certains personnages ont également inspiré différentes études. Louis Cyr, par exemple, a été le sujet d’un mémoire18, de plusieurs biographies19 et d’un film : Louis

Cyr, l’homme le plus fort au monde (2013, réal. D. Roby). Le mémoire de David R.

Norwood est particulièrement intéressant pour nous puisqu’il cherche à cerner le concept de héros sportif à travers le cas d’un homme fort. Cette recherche a établi qu’à l’extérieur de la société canadienne-française, Louis Cyr était perçu comme une figure sportive et non comme un héros; un premier indice marquant l’attachement des Canadiens français à leurs hommes forts. Eugen Sandow, un Allemand culturiste et homme fort de la même époque, a également soulevé l’intérêt de plusieurs historiens20. De manière très intéressante, Caroline Daley21 présente Sandow comme

un homme qui a utilisé son corps afin de diffuser un message, celui d’« un esprit sain dans un corps sain ».

17 Camila Obel, « Collapsing in Competitive Bodybuilding : Researching

Contradictions and Ambiguity in Sport », Sheila Scraton et Anne Flintoff, dir.,

Gender and Sport: A Reader, London et New York, Routledge, 2002, p.241-254.

18 David R. Norwood, « The Sport Hero Concept and Louis Cyr », Thesis in Human

Kinetics, Windsor, University of Windsor, 1982, 98 pages.

19 George F. Jowett, The Strongest Man That Ever Lived, Philadelphie, Milo

Publishing, 1927, 195 pages; Paul Ohl, Louis Cyr : une épopée légendaire, Outremont, Libre expression, 2005, 632 pages.

20 Brandon R. Kreshner, « The World’s Strongest Man: Joyce of Sandow?», James

Joyce Quarterly, Vol. 30, No. 4 (1993), p.667-693; David L. Chapman, Sandow the Magnificent: Eugen Sandow and the Beginnings of Bodybuilding, Urbana, University

of Illinois Press, 1994, 229 pages; Constance Crompton, « Eugen Sandow (1867-1925) », Victorian Review, Vol. 37 (2011), p.37-41; et plusieurs autres.

21 Caroline Daley, «The Strongman of Eugenics, Eugen Sandow», Australian

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7

Au Québec, les historiennes et historiens ont surtout produit des biographies hagiographiques depuis le XIXe siècle22. Ils sont captivés par ces hommes qu’ils

considèrent souvent comme des héros nationaux. Les auteurs rédigent leurs ouvrages pour rendre hommage à ces hommes de leur passé que, plus jeunes, ils ont parfois vus se donner en spectacle. Plus encore, ils les traitent comme des héros sportifs, ainsi que le souligne Norwood mentionné plus tôt. Les productions visent généralement un public large, comme les différents articles parus dans la revue Cap-aux-Diamants23

ou plus récemment l’ouvrage de Luc Gonthier24. Peu d’études spécialisées, comme

celles de Caroline Daley ou de David R. Norwood, ont été réalisées au Québec. Nous tenterons donc d’éviter ce style hagiographique afin de garder un regard critique sur notre sujet d’étude tout en abordant le genre comme angle d’analyse.

Depuis la fin des années 1970, l’histoire du genre s’est beaucoup développée aux États-Unis, en Europe et au Québec, tandis que plusieurs revues ont été créées dans ce champ de recherche25. Présenter l’ensemble des publications sur le genre en

histoire et en sociologie serait trop ambitieux. Nous ne ferons donc que mentionner quelques-uns des travaux les plus importants ainsi que ceux plus spécifiquement pertinents pour ce mémoire. L’historienne Joan Scott26 a proposé le genre comme

catégorie d’analyse en histoire en 1986. À partir de ce moment, l’histoire des femmes

22 Benjamin Sulte, Histoire de Montferrand, l’athlète canadien, Montréal, J.-B.

Camyré, 1884, 48 pages; André-Napoléon Montpetit, Nos hommes forts, Québec, C. Darveau, 1890, 196 pages; Réjean Lévesque et Kathy Paradis, Hommage aux

célèbres frères Baillargeon, Cap-Saint-Ignace, Plume d’oie, 1997, 207pages; Ben

Weider, Les hommes forts du Québec, de Jos Montferrand à Louis Cyr : biographies, Montréal, Éditions du Jour, 1999, 242 pages et Ben Weider, Louis Cyr, l’homme le

plus fort du monde, Montréal, Éditions Québécor, 2012, 175 pages.

23Michèle Jean, dir., « Au pays des hommes forts », Cap-aux-diamants, No. 69

(2002), 66 pages.

24 Luc Gonthier, Les hommes forts du Québec, Montréal, Les Éditions Caractères,

2015, 258 pages.

25 Voir entre autres Women’s Studies International Forum (Angleterre, 1982);

Gender and Society (États-Unis, 1987); Recherches féministes (Canada, 1988); Gender and History (Angleterre; États-Unis, 1989); Journal of Gender Studies

(Grande-Bretagne, 1991); Clio. Histoire, Femmes et Sociétés (France, 1995).

26 Joan W. Scott, « A Useful Category of Historical Analysis », The American

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8

s’est ouverte aux recherches sur la masculinité, dont l’un des piliers actuels est la sociologue australienne Raewyn W. Connell27. Selon elle, le concept de

« masculinité » n’existe qu’en opposition au concept de « féminité ». En effet, une culture qui ne polariserait pas les traits de personnalité n’aurait pas besoin de tels concepts. Elle définit donc la masculinité comme étant à la fois une relation de genre, une pratique à travers laquelle les hommes et les femmes interagissent et les effets de cette pratique sur l’expérience corporelle, la personnalité et la culture28. Connell

insiste également sur le fait qu’il n’existe pas une, mais plusieurs masculinités. C’est pourquoi nous dirons que les hommes forts du Québec incarnent un idéal et non

l’idéal masculin. L’un des modèles particulièrement mis de l’avant dans les sports est

la masculinité hégémonique. Elle la définit comme les pratiques du genre légitimant le système patriarcal qui garantit la domination des hommes et la subordination des femmes. L’hégémonie masculine est généralement établie s’il y a correspondance entre les idéaux culturels et un pouvoir institutionnalisé, qu’il soit collectif ou individuel29.

L’étude de la masculinité est à présent un champ d’études accepté. Peter Gossage a fait la revue de l’historiographie portant sur la paternité, cherchant à savoir s’il existe des distinctions entre le Canada anglais, les États-Unis et le Québec. Il en conclut que, selon les travaux réalisés, il ne subsiste que des variations entre les perceptions de la paternité selon les religions, les classes sociales, les ethnies, etc. sans que les travaux n’aient émis des tendances à la largeur de l’Amérique du Nord30.

Plus spécifiquement, Vincent Duhaime, en s’inspirant de son mémoire de maîtrise, a écrit un article sur la construction d’une nouvelle paternité dans la période

27 Parmi ses nombreuses publications, notons : R. W. Connell, « The Big Picture :

Masculinities in Recent World History », Theory and Society, Vol. 22, No. 5 (1993), p.597-623; R. W. Connell et James W. Messerschmidt, « Hegemonic Masculinity : Rethinking the Concept », Gender & Society, Vol. 19 (2005), p.829-859; R. W. Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, 285 pages.

28 R. W. Connell, Masculinities, Cambridge, Polity Press, 2005, p.71. 29 Ibid., p.77.

30 Peter Gossage, « Au nom du père ? Rethinking the History of Fatherhood in

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9

guerre selon le discours du mouvement familial québécois31. Il avance que les pères, à

cette époque, sont incités à s’impliquer davantage dans la vie domestique sans pour autant s’intégrer aux espaces associés à la féminité. En prenant part à l’éducation et au soin des enfants, en exprimant un amour viril et mesuré, en faisant figure d’autorité, en jouant le rôle de pourvoyeur et en siégeant au sommet de la hiérarchie familiale, ils tentent ainsi de concilier paternité et maternité tout en les différenciant. Quant à lui, Jeffery Vacante propose une revue de la littérature liant l’histoire nationale québécoise à l’histoire de la sexualité32. Il perçoit que les auteurs se

concentrent particulièrement sur la Révolution tranquille, période où la population lie sa libération économique, politique et sexuelle à son émancipation nationale. Cette révolution se lit cependant comme une réaffirmation de l’hétérosexualité, faisant une coupure avec les pouvoirs qui ont longtemps « efféminé » la nation et mise en position de « soumission ». Dans cette lignée, Jean-Philippe Warren s’intéresse à la libération sexuelle en lien avec la question nationale au Québec dans la revue Parti

Pris33. Il fait le parallèle entre ces deux questions d’émancipation, y voyant les interrogations des Canadiens français sur leurs valeurs, leurs pratiques et leurs inhibitions tout en restant dans une vision masculine. En effet, malgré les changements apportés par la révolution, il perçoit des continuités dans les rapports homme-femme qui perpétuent des stéréotypes sexistes, voulant « remodeler les relations de genres sur des bases phallocratiques, homosociales et narcissiques »34.

Nous verrons qu’une situation semblable se pose dans les compétitions de force. Plusieurs auteurs ont analysé l’évolution des modèles de masculinité véhiculés dans les médias. Analysant certains magazines américains des années 1990, Denise

31 Vincent Duhaime, « ʺLes pères ont ici leur devoirʺ : le discours du mouvement

familial québécois et la construction de la paternité dans l’après-guerre, 1945-1960 »,

Revue d’histoire de l’Amérique française, Vol. 57, No. 4 (2004), p.535-566.

32 Jeffery Vacante, «Writing the History of Sexuality and “National” History in

Quebec», Journal of Canadian Studies, Vol. 39, No. 2 (2005), p.31-55.

33 Jean-Philippe Warren, « Un parti pris sexuel. Sexualité et masculinité dans la revue

Parti Pris », Globe : revue internationale d’études québécoises, Vol. 12, No. 2

(2009), p.129-157.

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10

Kervin35 affirme par exemple que les modèles de masculinité proposés par les médias

ont tout autant évolué que les modèles féminins puisqu’ils sont le résultat de constructions déterminées par le contexte historique et social. Elle observe à la fois certaines continuités dans les modèles proposés aux hommes – le désir d’être admiré par autrui ainsi que la valorisation personnelle par les biens matériels – et des nouveautés – la présentation de l’homme comme un objet érotique. Dans sa thèse, Sébastien Couvrette36 aborde le discours masculin des médias sur la société

québécoise. Il avance que les publicitaires, essentiellement des hommes, ont participé à la masculinisation du discours médiatique et ainsi pris part à la réaffirmation de « l’hégémonie du système patriarcal et de la domination masculine »37. En effet,

Couvrette affirme que les médias mettent de l’avant les idéaux déjà présents dans la société en ce qui a trait à la masculinité – ou à la féminité. Certains évènements marquants, comme le processus d’industrialisation et d’urbanisation ou le mouvement de libération des femmes, contribuent ainsi à « provoquer des épisodes de crise de la masculinité »38. De cette manière, il identifie un modèle de masculinité différent de

celui présent dans les festivals populaires forestiers. Marc M. McCallum s’est également intéressé aux médias québécois au XXe siècle. Son mémoire de maîtrise

vise à faire ressortir « l’évolution dans les représentations de la bière et les stratégies utilisées par les publicitaires pour la mettre en valeur afin de la rendre plus légitime dans la société »39. Son analyse, comme celle de Couvrette, met en lumière

l’influence flagrante du discours dominant sur les modèles masculins et la construction des campagnes publicitaires sur la bière, « un bastion masculin qui tend à résister à l’intégration des femmes et de la féminité »40. Nous verrons qu’il en est de

35 Denise Kervin, « Advertising Masculinity : The Representation of Males in Esquire

Advertisements», Journal of Communication Inquiry, Vol. 14 (1990), p. 51-70.

36 Sébastien Couvrette, « Un discours masculin sur la société : la publicité dans les

quotidiens québécois des années 1920 aux années 1960 », Thèse de doctorat en histoire, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2009, 367pages.

37 Ibid., p.333. 38 Ibid., p.47.

39 Marc Myre McCallum, « Pour boire il faut vendre : les publicités de bière au

Québec dans les années 1920 et 1950 », Mémoire de maîtrise en histoire, Montréal, Université de Montréal, 2012, p. i.

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même dans les compétitions de force des festivals à l’étude. Dans ses différentes publications, Francis Dupuis-Déri étudie le masculinisme et l’antiféminisme, tentant de comprendre et d’expliquer l’émergence de ces phénomènes se voulant des contres-mouvements du féminisme. À travers un rapport de recherche41, des articles42 et deux

collectifs43, il analyse le mouvement, ses origines et ses motivations menant à une

misogynie visant spécifiquement les femmes qui espèrent s’émanciper. De telles actions et réactions ne se manifestent pas dans les festivals populaires, bien que ce soit un milieu presque exclusivement masculin. Enfin, Brian Martin 44 a publié un

article en 2013 abordant les thématiques de fraternité, de frontière et de masculinité en lien avec le personnage du bûcheron. Il affirme que le bûcheron québécois a joué le même rôle mythique que le cowboy aux États-Unis dans la conception populaire de la masculinité nord-américaine. De plus, il avance que le bûcheron incarne une figure iconographique d’une masculinité « homosociale » et « homoérotique » aux XIXe et

XXe siècles. Adoptant la théorie queer pour aborder cette question, il se réfère autant

à la littérature québécoise portant sur les trappeurs, les voyageurs, les coureurs des bois et les bûcherons qu’aux archives laissées par différentes compagnies de traite des fourrures et d’exploitation forestière.

41 Francis Dupuis-Déri, Quand l’antiféminisme cible les féministes: actions, attaques

et violences contre le mouvement des femmes. Rapport de recherche, Montréal, L’R

des centres de femmes du Québec, Université du Québec à Montréal, 2013, 56 pages.

42 Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, « Masculinism ans the Antifeminist

Countermovement », Social Movement Studies, Vol. 11, No. 1 (2012), p.21-29; Francis Dupuis-Déri, « Le discours de la "crise de la masculinité" comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe », Recherches

féministes, Vol. 25, No. 1 (2012), p.89-109.

43 Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, dir., Le mouvement masculiniste au Québec :

l’antiféminisme démasqué, Montréal, Les Éditions du Remue-Ménage, 2015, 317

pages et Diane Lamoureux et Francis Dupuis-Déri, dir., Les antiféminismes : analyse

d’un discours réactionnaire, Montréal, Les Éditions du Remue-Ménage, 2015, 179

pages.

44 Brian Martin, « Bûcherons : Forest Fraternity and Frontier Masculinity in

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De 1980 à 2000, certains auteurs commencent à analyser les liens entre sport et masculinité45. Ils présentent alors surtout le sport comme un moyen de maintenir

l’hégémonie masculine en place46, abordant à la fois le modèle de masculinité

hégémonique présenté par Connell47 et la place (limitée) des femmes dans les sports.

À partir des années 2000, de plus en plus d’historiens-nes et de sociologues se sont penchés sur la question48, choisissant le plus souvent un point de vue féministe.

L’historien français Thierry Terret a particulièrement été captivé par les liens entre l’histoire du sport et du genre. L’un de ses articles s’intéresse d’ailleurs à un sport en particulier, le rugby, afin de démontrer son rôle dans la promotion d’un idéal masculin49. L’article se situe dans la lignée des travaux de John Nauright et Timothy

J. L. Chandler50 sur le rugby en Angleterre. Pour le cas du Québec, l’article de

Christine Hudon51 sur le sport dans les collèges classiques masculins aux XIXe et

XXe siècles ainsi que celui d’Élise Detellier52 sur le discours médical et religieux de

45 Jean-Jacques Barreau et Jean-Jacques Morne, Sport, expérience corporelle et

science de l’homme, Paris, Vigot, 1984, 454 pages; John Hargreaves, Sport, Power and Culture. A Social and Historical Analysis of Popular Sports in Britain, New

York, St. Martin’s Press, 1986, 258 pages; Michael A. Messner, « Boyhood, Organized Sports, and the Construction of Masculinities », Journal of Contemporary

Ethnography, Vol. 18, No. 4 (1990), p.416-444.

46 Lois Bryson, « Sport and the Maintenance of Masculine Hegemony », Women’s

Studies International Forum, Vol. 10 (1987), p.349-360; Michael A. Messner,

« Sports and Male Domination: The Female Athlete as Contested Ideological Terrain », Sociology of Sport Journal, Vol. 5, No. 3 (1988), p.197-211.

47 Raewyn W. Connell, Masculinités, op. cit.

48 Jim McKay, Michael A. Messner et Don Sabo, dir., Masculinities, Gender

Relations, and Sport, Thousand Oaks, Sage Publications, 2000, 330 pages; Jim

McKay et Suzanne Laberge, « Sport et masculinité », Clio. Femmes, Genre, Histoire, Vol. 23 (2006), p.239-267; Nancy F. Anderson, The Sporting Life : Victorian Sports

and Games, Santa Barabara, Praeger, 2010, 213 pages.

49 Thierry Terret, « Rugby and Masculinity on the Early Twentieth Century »,

Sciences et techniques des activités physiques et sportives, Vol. 50 (1999), p.31-48.

50 John Nauright et Timothy J. L. Chandler, Making Men: Rugby and Masculine

Identity, London, F. Cass., 1996, 260 pages.

51 Christine Hudon, « "Le Muscle et le Vouloir". Les sports dans les collèges

classiques masculins au Québec, 1870-1940 », Revue d’histoire de l’éducation, Vol. 17, No. 2 (2005), p.243-263.

52 Élise Detellier, « "Bonifier le capital humain". Le genre dans le discours médical et

religieux sur les sports au Québec. 1920-1950 », Revue d’histoire de l’Amérique

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1920 à 1950 montrent comment les discours religieux et médical associent sport et masculinité. De telles études sont précieuses pour ce mémoire qui s’intéresse aux hommes forts du Québec puisqu’elles abordent également un idéal masculin lié au corps et à la puissance musculaire.

Le monde du sport a longtemps été considéré comme très secondaire dans le milieu scientifique, que ce soit en France, aux États-Unis ou au Québec. Les principaux thèmes abordés dans l’historiographie du sport ont été les origines du sport, le sport dans l’antiquité, les techniques sportives, le sport en milieu scolaire et, plus récemment, des analyses de genre53. Ces thématiques s’inscrivent toutes dans

des courants plus larges qui ont incité des historiennes et des historiens à explorer le sport comme moyen de transformer et percevoir le corps. Dans l’historiographie canadienne et québécoise, mentionnons deux auteurs, pionniers de ce champ de recherche. Alan Metcalfe54 au Canada et Donald Guay55 au Québec furent les

premiers à publier des synthèses sur l’histoire du sport. Bien que plusieurs ouvrages aient été publiés dès les années 1980 et 1990, le véritable intérêt pour ce champ s’est plutôt fait sentir au tournant des années 2000. Comme le mentionne Gilles Janson, les premières publications québécoises sur l’histoire du sport ont rarement tenté d’appliquer une perspective d’histoire sociale ou même une approche dite « scientifique »56. Aujourd’hui cependant, une revue reconnue dédie plusieurs

numéros à l’histoire du sport57. L’un des sujets d’étude favoris des historiens

53 Pour une historiographie de l’histoire du sport et un bilan de ses principales

orientations, voir Thierry Terret et Tony Froissant, dir., Le sport, l’historien et

l’histoire, Reims, ÉPURE, 2013, 310 pages.

54 Alan Metcalfe, Canada Learns to Play : The Emergence of Organized Sport,

1807-1914, Toronto, Oxford University Press, 1987, 243 pages.

55 Donald Guay, La conquête du sport. Le sport et la société québécoise au XIXe

siècle, Outremont, Lanctôt Éditeur, 1997, 244 pages.

56 Gilles Janson, « Le sport au Québec, un champ de recherche méprisé », Bulletin

d’histoire politique, Vol. 11, No. 2 (2003), p.10.

57 Gilles Janson, dir., « Sport et politique », Bulletin d’histoire politique, Vol. 11, No.

2 (2003), 213 pages et Jean Lévesque, dir., « Le hockey Canada-URSS : aspects politiques d’une rivalité sportive », Bulletin d’histoire politique, Vol. 22, No. 2 (2014), 359 pages.

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québécois dans ce champ semble être l’analyse des liens entre l’identité canadienne-française et/ou québécoise et le hockey, considéré comme le sport national58.

Pour terminer cette revue historiographique, soulignons les études parues sur les festivals populaires, ceux-ci étant au cœur même de ce mémoire. En Europe et aux États-Unis, les festivals populaires, fêtes et carnavals ont été peu étudiés par les historiennes et les historiens. Ce sont les ethnologues59, les sociologues60 et les

géographes61 qui ont été plus productifs à ce sujet. Au Québec par contre, les

historiennes et historiens se sont joints aux chercheuses et chercheurs des autres domaines. Par exemple, les actes d’un colloque national sur la fête populaire organisée par la Société des festivals populaires du Québec, Que la fête commence!, ont été publiés en 1982 et offrent des réflexions et témoignages sur le rapport de la fête avec la tradition, la culture, la vie sociale et l’économie. Plus récemment, l’article de Josette Brun explore les stratégies commémoratives et médiatiques entourant les Fêtes de la Nouvelle-France, plus spécifiquement, « les représentations que l’on fait des femmes en Nouvelle-France et du débat entourant leur statut »62. Il s’agit ici de

l’une des études dont le sujet de recherche, le corpus de source et la méthode

58 Anouk Bélanger, « Le hockey au Québec, bien plus qu’un jeu : Analyse

sociologique de la place centrale du hockey dans le projet identitaire des Québécois »,

Loisirs et société, Vol. 19, No.2 (1996), p.525-550; Victor-Laurent Tremblay,

« Masculinité et hockey dans le roman québécois », The French Review, Vol. 78, No. 6 (2005), p.1104-1116; Steve Lasorsa, « Entre sport et passion. La rivalité Canadien-Nordiques, un reflet du nationalisme québécois des années 1980 », Mémoire de maîtrise en histoire, Québec, Université Laval, 2011, 131 pages.

59 Marie-Armelle Barbier-Le Déroff, « Faire du neuf avec du vieux. Fêtes, fest,

festivals », Ethnologie Française, Vol. 42, No. 4 (2012), p.711-718.

60 Laurent Sébastien Fournier, « La fête thématique, nouveau visage de la fête locale

en Provence », Recherches sociologiques et anthropologiques, Vol. 38, No. 2 (2007), p.165-174.

61 Isabelle Garat, « La fête et le festival, éléments de promotion des espaces et

représentations d’une société idéale », Annales de géographie, No. 643 (2005), p.265-284; Céline Barthon, Isabelle Garat, Maria Gravari-Barbas et Vincent Veschambre, « L’inscription territoriale et le jeu des acteurs dans les événements culturels et festifs : des villes, des festivals, des pouvoirs », Géocarrefour, Vol. 82 (2007), p.111-121.

62 Josette Brun, « Célébrations de l’histoire et pratiques de communication publique :

les «Fêtes de la Nouvelle-France» de Québec en 2002 », Revue d’histoire de

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d’analyse se rapprochent le plus des nôtres. Utilisant la couverture médiatique des festivités populaires à caractère historique, nous analysons toutes deux la représentation du genre dans ces évènements spécifiques. Alors que l’article limite son analyse à l’édition de 2002 des Fêtes de la Nouvelle-France et s’intéresse aux femmes, notre mémoire porte sur cinq festivals différents couvrant la période de 1967 à 1990 et se concentre sur les hommes. Mentionnons en terminant l’ethnologue Martine Roberge63 pour qui les évènements populaires, tels les carnavals et les

festivals, constituent les principaux objets d’étude pour cerner la tradition, l’authenticité et la patrimonialisation. Les différents articles qu’elle a publiés nous ont aidés à mieux comprendre l’intérêt des festivals populaires comme cadre d’étude, leur structure, leur fonctionnement ainsi que leurs particularités. Ils se distinguent par l’implication communautaire et régionale, tant des organisateurs, des spectateurs que des participants, et offrent ainsi une vitrine sur l’image que souhaite projeter cette communauté de sa propre culture et de son identité.

Problématique

Au Québec donc, outre les publications biographiques et hagiographiques, peu d’études portent sur les « hommes forts ». Connaissant l’existence de festivals populaires québécois mettant en vedette des hommes forts64, nous avons voulu

étudier ce type d’évènements. Parmi toutes les études mentionnées plus haut, aucune ne s’est penchée sur l’analyse d’un idéal masculin mis de l’avant par des compétitions de force organisées dans des évènements populaires. Nous avons d’ailleurs choisi les festivals populaires plutôt que des évènements comme les concours Mr. America, car nous désirions observer la participation populaire la plus large possible à des compétitions de force. Les concours plus formels de bodybuilding, qu’ils soient de

63 Martine Roberge, « Les festivals populaires, atout du développement touristique du

Québec? », Espaces – Cahier Fêtes populaires et tourisme, No. 311 (2013), p.100-107; Martine Roberge, « La fête du mi-carême au Québec : revitalisation d’une tradition et patrimonialisation », L. S. Fournier, Dominique Crozat, Catherine Bernié-Boissard et Claude Chastagner, dir., Patrimoine et valorisation des territoires, Paris, L’Harmattan, 2012, p.167-177; Martine Roberge, « Le carnaval de Québec. Identité urbaine et événement festif », Ethnologie française, Vol. 40, No. 3 (2010), p.487-494.

64 Entre autres le Festival des Hommes forts de Warwick et le Festiforce Louis Cyr de

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nature professionnelle ou amateure, nécessitent une initiation et un entraînement que les compétitions de force des festivals ne requièrent pas.

Plus précisément, nous avons ciblé les festivals populaires québécois à thématique forestière tenus entre 1967 à 1990. Contrairement aux festivals centrés sur d’autres thématiques (musique, alimentation, danse, etc.), les festivals forestiers sont plus susceptibles de comprendre des épreuves de force dans leur programmation. Également, dû au contexte historique du Québec, ces évènements sont nombreux et se déroulent dans diverses régions du territoire. La thématique forestière orchestre ainsi le type d’activités, de soirées et d’épreuves mises à la programmation.

Retenir les festivals populaires comme cadre d’analyse des « hommes forts » et de la masculinité au Québec a déterminé le cadre temporel de cette étude. En effet, la décennie 1960 correspond au début de la période d’expansion du nombre de festivals populaires dans les différentes régions du Québec, et la décennie 1980 coïncide avec l’apogée de leur popularité65. La thématique forestière s’est en fait

imposée d’elle-même lors du choix des festivals qui seraient à l’étude. En effet, la consultation des activités à l’horaire des évènements a mis en évidence les festivals à thématique forestière comme mettant considérablement plus les épreuves de force au centre de la programmation que les autres évènements populaires. En moyenne, celles-ci occupent de 21,0 % à 40,9 % de la programmation selon les festivals à l’étude (voir Annexe 1)66. Les festivals sélectionnés attirent chaque année de

nombreux participants aux concours de force ainsi que des milliers de spectateurs. Ces évènements permettent donc de bien apprécier la mise en scène des « hommes forts » dans le cadre d’épreuves de force.

65 Martine Roberge, « Les festivals populaires », op. cit., p.100.

66 Afin d’obtenir ces données, nous avons consulté les programmations des différents

festivals publiées dans Le Droit (mois de juillet de 1967 à 1973), Le Courrier de

Portneuf (mois de juillet de 1978 à 1990), le Joliette Journal (mois d’avril et de mars

de 1974 à 1985), L’Écho Abitibien (mois de mai et de juin de 1976 à 1987), La

Frontière (mois de mai et de juin de 1976 à 1987), L’Éclaireur-Progrès (mois de

juillet et d’août de 1979 à 1986), ainsi que AFEUL, Fonds Robert Bouthillier, No. 201, Boîte 3, No. 49 – Festival des Sucres.

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Afin d’identifier les festivals qui constitueraient le terrain de cette étude, les bases de données Pistard67, le Fonds Robert Bouthillier des Archives de Folklore et

d’Ethnologie de l’Université Laval (AFEUL) ainsi que le Bottin des fêtes de la Société des festivals populaires du Québec ont été consultés. Cette recherche a permis d’identifier quatre festivals pertinents : le Festival des Raftsmen de Hull en Outaouais (1967-1973), le Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha dans Lanaudière (1974-1984), le Festival du Bûcheron de Normétal en Abitibi-Témiscamingue (1975-1987) et le Festival du Bûcheron de Notre-Dame-de-Lorette au Saguenay-Lac-Saint-Jean (1976-1983). Après la consultation de la Collection nationale de la Grande Bibliothèque de BAnQ cependant, il est devenu vite clair qu’aucun des périodiques régionaux conservés ne permettait de retracer le Festival du Bûcheron de Notre-Dame-de-Lorette. Nous avons alors modifié la stratégie de recherche, sachant que les festivals étaient nombreux dans les années 1970 et 1980 et que la plupart se déroulaient pendant la période estivale, nous avons sélectionné différents journaux de cette époque et cherché la trace d’autres festivals forestiers. Nous avons ainsi identifié deux autres festivals, soit le Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond dans la région de la Capitale-Nationale (1976-1990) et le Festival du Bûcheron de Sainte-Aurélie dans les Chaudière-Appalaches (1979-1986). Le Festival des Raftsmen de Hull s’étend sur une durée de 10 jours. Il a été créé dans la foulée des évènements en lien avec l’Expo 67 afin d’attirer plus de touristes dans la région de l’Outaouais bien qu’il mette en valeur l’histoire de la région. Les épreuves de force mises à la programmation sont principalement regroupées sous deux compétitions distinctes : le Championnat canadien des hommes forts et les compétitions de bûcherons. Pour sa part, le Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha sert à donner une vitrine à l’industrie des produits de l’érable, des produits dérivés de l’industrie forestière. Bien qu’il s’échelonne sur trois semaines, les activités ont principalement lieu les fins de semaine. La programmation est assez changeante, mais offre toujours quelques épreuves de force en l’honneur de Louis Cyr. Les trois autres festivals mettent

67 Programme informatisé servant au traitement des archives et à la recherche

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principalement en scène le bûcheron, son milieu de travail et les techniques utilisées dans celui-ci puisque, dans les années 1970 et 1980, l’industrie forestière demeure un employeur majeur dans ces régions. Leur durée est plus courte que celle des deux autres évènements, soit trois à cinq jours pour le Festival du Bûcheron de Normétal, trois jours pour le Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond et deux à trois jours pour le Festival du Bûcheron de Sainte-Aurélie (voir Annexe 1 pour plus de détails).

Dans cet environnement créé et habité principalement par des hommes, quels sont les modèles de masculinité mis de l’avant par les concours « d’hommes forts »? Nous avons vu que l’historiographie du genre présente plusieurs idéaux masculins, ceux-ci n’étant pas uniques. Dans le cas de cette étude, la masculinité mise de l’avant est évidemment associée à la force physique. Nous verrons que cette force est plus spécifiquement associée à des personnages précis de l’imaginaire collectif, celui notamment du bûcheron traditionnel québécois. Cet idéal incarné par les « hommes forts » des festivals forestiers est également mis de l’avant par les journalistes et les organisateurs. De quelle manière les participants aux compétitions de force sont-ils perçus? Pourquoi ces performances demeurent-elles aussi populaires? L’« homme fort », une figure présente au Québec depuis de nombreuses années, semble être le descendant du coureur des bois, du bûcheron et de l’athlète de spectacles de variétés. Cette figure fut l’un des idéaux traditionnels de la masculinité dans les milieux populaires.

Corpus de sources

Afin d’étudier ce phénomène populaire que sont les épreuves de force qui se tiennent dans les festivals forestiers du Québec de 1967 à 1990, nous avons choisi comme corpus principal les journaux régionaux. Ceux-ci permettent de cerner la couverture médiatique des évènements, mais également l’opinion des médias, celle des organisateurs des évènements et, à l’occasion, celle des « hommes forts » et des spectateurs.

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Les journaux à large diffusion, tels que La Presse, ne publient pas ou peu d’articles au sujet d’évènements se déroulant « en région », soit à l’extérieur de Montréal et de Québec. Contrairement à ces grands quotidiens, les journaux régionaux consacrent aussi plus d’espace aux informations concernant la vie urbaine, la vie économique, le sport amateur et les vacances68. C’est pourquoi nous nous

sommes tournés vers les périodiques publiés dans les agglomérations où se déroulent les évènements ou dans la région immédiate. Pour sélectionner ces journaux, nous avons consulté le catalogue Iris69 ainsi que L’histoire de la presse hebdomadaire au

Québec70. Un périodique par festival a été sélectionné (voir Tableau 1), soit Le Droit

pour le Festival des Raftsmen de Hull, le Joliette Journal pour le Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha, le Courrier de Portneuf pour le Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond ainsi que L’Éclaireur-Progrès pour le Festival du Bûcheron de Sainte-Aurélie. Il n’y a qu’une exception, le Festival du Bûcheron de Normétal, pour lequel deux périodiques ont été consultés, soit La Frontière et L’Écho Abitibien. En effet, il a été jugé que le premier ne contenait que peu d’informations sur ce festival qui présentait pourtant plusieurs épreuves de force. C’est pourquoi un second périodique a été dépouillé. Il a cependant été décidé de conserver toutes les informations recueillies plutôt que d’en rejeter une partie.

68 Multi-Réso inc., La presse écrite au Québec, Québec, ministère des

Communications, Service des communications, 1977, 277 pages.

69 Outil donnant accès aux descriptions des documents imprimés, audiovisuels et

numériques de BAnQ.

70 Denys Chabot et Sylvain Dupras, Histoire de la presse hebdomadaire au Québec.

Région 8, Abitibi-Témiscamingue, incluant Nord-du-Québec et Région 7, Outaouais,

Vol. 1, Montréal, Hebdos Québec, 2008, 89 pages; Yves Hébert, Histoire de la presse

hebdomadaire au Québec. Région 3, Québec; Région 12, Chaudière-Appalaches,

Vol. 3, Montréal, Hebdos Québec, 2008, 96 pages; Claude Bourguignon et Jean-Pierre Malon, Histoire de la presse hebdomadaire au Québec. Région 15,

Laurentides et Région 14, Lanaudière, Vol. 8, Montréal, Hebdos Québec, 2008, 88

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Tableau 1 – Festivals et périodiques analysés

Nom du Festival Période Municipalité/Région Journal régional Festival des

Raftsmen

1967-1973 Hull – Outaouais Le Droit (1913-2016)

Festival des Sucres 1974-1984 Saint-Jean-de-Matha – Lanaudière Joliette Journal (1947-1985) Festival du Bûcheron 1975-1987 Normétal – Abitibi-Témiscamingue La Frontière (1937-2016) et L’Écho Abitibien (1950-2016) Festival de la Grosse Bûche 1976-1990 Saint-Raymond – Capitale nationale Le Courrier de Portneuf (1977-2016) Festival du Bûcheron 1979-1986 Sainte-Aurélie – Chaudière-Appalaches L’Éclaireur-Progrès (1961-1988) Nous avons consulté chaque périodique sur une période d’un à deux mois par année, selon la durée des festivals. Il a été décidé de débuter la consultation deux semaines avant le début des festivités et de la terminer deux semaines après la clôture du festival. Globalement, nous avons ainsi consulté le journal Le Droit pour la durée du mois de juillet de 1967 à 1973, le Joliette Journal pour les mois d’avril et de mars de 1974 à 1985, L’Écho Abitibien et La Frontière pour les mois de mai et de juin de 1976 à 1987, le Courrier de Portneuf pour le mois de juillet de 1978 à 1990, et enfin

L’Éclaireur-Progrès pour les mois de juillet et d’août de 1979 à 1986. Ceci a permis

de consulter les articles faisant la promotion des festivals à venir, les publicités diffusées par les organisateurs, les articles et photographies publiés pendant le festival ainsi que les comptes rendus et articles récapitulatifs. Le corpus d’analyse était ainsi composé de 109 programmations, 200 articles, 195 photographies et 76 publicités.

Bien que nous ayons consulté quelques sources complémentaires provenant de différents fonds d’archives, le dépouillement s’est avéré moins riche que le contenu des divers périodiques. Le fonds Robert Bouthillier de l’AFEUL71 (programmation

d’origine du Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha) ainsi que le Fonds Festival

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des Raftsmen de BAnQ72 (programmation d’origine, photographies, documents

administratifs, fiche d’inscription aux compétitions, coupures de presse) nous ont tout de même permis de confirmer les informations déjà recueillies. En effet, le réseau de BAnQ compte différents fonds touchant des festivals divers, mais très peu concernant spécifiquement les « hommes forts ». Parmi notre sélection, seul le Festival des Raftsmen de Hull bénéficie d’un fonds d’archives spécifique. Sa consultation a permis de corroborer les informations précédemment recueillies dans le journal Le

Droit.

Pour éviter de trop allonger la recherche, nous avons choisi de ne pas inclure d’entrevue dans notre corpus. Nous reconnaissons tout de même que des entrevues menées auprès des participants, des organisateurs ou encore des spectateurs auraient apporté une tout autre vision que celle des médias. La consultation d’un corpus écrit, et numérisé, a cependant ses avantages. La consultation de journaux numérisés, tous disponibles sur bobines à BAnQ, nous a permis d’étudier cinq festivals s’étant déroulés dans différentes régions du Québec. Les journaux permettent également de saisir ce qui était dit de ces compétitions à l’époque même où elles se sont déroulées. Nous regrettons tout de même de ne pas avoir de festival qui couvre les premières années de la décennie 1960. Selon le contexte historique énoncé plus tôt stipulant le moment de l’apogée en popularité des festivals au Québec cependant, il est normal que la plupart des festivals se déroulent dans les années 1970 à 1980. À ce moment, dans un contexte de redéfinition nationale et de déclin de l’agriculture, les régions rurales se tournent vers les ressources forestières en quête d’une revalorisation73. En

pleine période de réajustement étatique face à l’exploitation des forêts tel que mentionné plus tôt, ces populations sont menées à célébrer la figure mythique et symbolique du bûcheron. Ces régions forestières affirment ainsi qu’elles ont participé (et participent toujours) à l’élaboration de la nation québécoise et son entrée dans la modernité.

72 BAnQ, Centre de Gatineau, Fonds Festival des raftmen, Cote P143.

73 Odette Lacasse, « Les rapports urbains-ruraux et la construction de la modernité »,

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Méthodologie

La méthode d’analyse choisie pour ce mémoire est l’analyse de contenu classique, soit une analyse thématique74. Celle-ci nous a permis d’explorer notre

corpus de sources en profondeur et d’y relever les divers éléments nécessaires à la rédaction en retraçant, quantifiant et évaluant les idées et sujets présents dans le corpus75. Afin de répondre à notre problématique, nous avons d’abord identifié et

sélectionné les sources témoignant du discours concernant un idéal masculin présent dans les compétitions de force, soit les journaux régionaux. Ces derniers ont offert plusieurs types d’informations complémentaires sur les épreuves et les personnes y participant. Afin de débuter l’analyse, nous avons créé une grille dans le logiciel File Maker Pro. Chaque fiche permet de trouver rapidement les informations bibliographiques concernant le document, les mots clés pertinents ainsi que les citations les plus parlantes. La grille et la base de données ont été élaborées à la suite de la consultation d’un échantillon tiré du journal Le Droit et composé d’articles, de photographies, de comptes rendus et de programmations. Elles ont ensuite été modifiées et adaptées au fil de la recherche, pour y inclure de nouvelles thématiques qui n’avaient pas été envisagées au départ (par exemple l’aspect ludique des compétitions). Certains thèmes se sont révélés peu concluants et ont ainsi été écartés (beauté masculine, figure paternelle, utilisation d’objets symboliques comme la chemise à carreaux). Ce type d’encodage nous a également permis d’effectuer un traitement statistique rapide de certains éléments pour compléter notre analyse principalement qualitative76.

L’analyse de contenu regroupe l’analyse du discours qui étudie la production textuelle, qu’elle soit écrite ou orale. Celle-ci « envisage l’écriture et la lecture comme le lieu privilégié d’observation de l’élaboration du sens social »77. Nous

74 Paul Sabourin, « L’analyse de contenu », Benoît Gauthier, dir., Recherche sociale :

de la problématique à la collecte de données, Sainte-Foy, Presses de l’Université du

Québec, 2009, p.417.

75 Christian Leray, L’analyse de contenu : de la théorie à la pratique : la méthode

Morin-Chartier, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2008, p.5.

76 Ibid., p.6-7.

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avons donc porté une attention particulière au discours manifeste (explicite) ainsi qu’au discours latent (implicite). Une analyse contextuelle des articles et des notes accompagnant les photographies et les programmations a aussi été réalisée. Nous avons également confronté les informations recueillies sur les compétitions de force et le contexte historique dans lequel elles ont été produites, soit les évènements populaires ainsi que l’évolution de l’industrie forestière.

Nous avons également envisagé une approche prosopographique du corpus afin de suivre les trajectoires individuelles et globales des hommes forts. Celle-ci aurait permis de réaliser à la fois une biographie collective, une étude statistique des fiches individuelles et une analyse du groupe étudié78. Cependant, trop peu

d’informations de type biographique étaient disponibles au sujet des concurrents. Nous avons tout de même créé une base File Maker Pro, spécifiquement conçue pour le dénombrement et l’identification des différents participants aux épreuves de force, qui s’est avérée fort utile afin de tirer un portrait de l’« homme fort » des festivals forestiers. Pour la majorité des festivals étudiés, nous verrons que les participants proviennent de la région où se déroulent les festivités (Abitibi-Témiscamingue, Lanaudière, Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches). Dans le cas du Festival des Raftsmen de Hull cependant, les compétitions attirent des concurrents locaux, mais parfois aussi des participants venus d’autres provinces (Colombie-Britannique, Alberta et Nouvelle-Écosse) et d’autres pays (États-Unis et Nouvelle-Zélande).

Structure du mémoire

Ce mémoire se divise en trois chapitres. Le premier met la table en présentant les différentes épreuves de force auxquelles les « hommes forts » se soumettent dans les festivals forestiers québécois de 1967 à 1990. Ceci nous permet de les considérer comme une forme d’expression d’un certain modèle de masculinité. L’analyse

78Françoise Autrand, « Y a-t-il une prosopographie de l’État médiéval? », Françoise

Autrand, dir., Prosopographie et genèse de l’État moderne : actes de la table ronde

organisée par le Centre national de la recherche scientifique et l’École normale supérieure de jeunes filles, Paris, École Normale Supérieure de jeunes filles, 1986,

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contextuelle nous a permis d’établir des liens entre les épreuves de force et le métier du travailleur forestier. Nous évaluons également dans ce chapitre l’importance de l’implication de certaines femmes au sein des festivals, que ce soit comme organisatrices ou – plus inédit – comme concurrentes.

Le second chapitre expose les différents objectifs visés par les compétitions de force. Pour ce faire, il identifie les desseins des acteurs concernés par ces évènements, soit les participants aux épreuves de force, les organisateurs, les journalistes et le public. L’analyse permet de montrer que les compétitions poursuivent des visées à la fois ludiques, spectaculaires et, parfois, professionnelles.

Enfin, le dernier chapitre offre une piste pour évaluer la popularité de telles performances. Il explique comment les compétitions de force dans les festivals forestiers deviennent des occasions de célébrer l’histoire et l’identité nationales et régionales à travers les performances des « hommes forts ». Cette section explique ainsi la manière dont on chante les louanges de certains héros du passé dans les festivals et de quelle façon les organisateurs, les journalistes et les « hommes forts » commémorent leur mémoire.

Figure

Tableau 1 – Festivals et périodiques analysés
Illustration 1 : Programmation du Festival des Raftsmen en 1970  s.a., « Programmation », Le Droit, 2 juillet 1970, p.24
Illustration 2 : Coupe à la hache
Illustration 3 : Coupe au godendard
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Références

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