• Aucun résultat trouvé

Des épreuves de force placées sous l’égide de héros nationaux du passé

3.1 Héros et archétypes masculins du passé comme modèles

3.1.1 Des épreuves de force placées sous l’égide de héros nationaux du passé

Ainsi, de 1967 à 1990, les organisateurs et les journalistes dépeignent la période de Jos Montferrand, de Louis Cyr et des bûcherons traditionnels comme « la belle époque ». Ils expriment leur fierté de voir qu’autant de concurrents perpétuent dans leur région, à leur manière, les exploits de ces « ancêtres ». De leur côté, les hommes forts des festivals aspirent aussi par leurs démonstrations à commémorer leur mémoire. Débutons par un bref portrait des trois figures historiques masculines retenues par les festivals étudiés et des commémorations périodiques auxquelles ils ont donné lieu après leur mort, avant d’exposer la manière dont ils sont mis en scène.

Jos Montferrand

La biographie de Jos Montferrand pose problème aux historiens puisqu’il est difficile de distinguer les éléments réels de ceux qui ont été amplifiés et modifiés par la tradition orale. Joseph Favre, dit Montferrand, est né le 25 octobre 1802 à Montréal, fils de François-Joseph Favre, dit Montferrand et de Marie-Louise Couvret234. Les hommes de la famille Montferrand sont alors réputés dans les

faubourgs montréalais pour leur adresse et leur force physique235. Dès son jeune âge,

Joseph Montferrand apprend de son père à se battre et, ayant atteint sa taille adulte à 16 ans, il aurait gagné plusieurs combats, ce qui lui aurait valu très tôt une réputation d’homme fort. À l’âge de 21 ans, en 1823, il est engagé par la Hudson’s Bay Compagny, mais aucune source ne révèle les tâches qu’il y remplit pendant ses quatre années de service. À partir de 1827, pendant près de trente ans, il travaille comme

234 Gégard Goyer et Jean Hamelin, « Montferrand, dit Favre Joseph », Dictionnaire

biographique du Canada, Vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003,

http://www.biographi.ca/fr/bio/montferrand_joseph_9F.html, page consultée le 11 novembre 2014.

88

contremaître, guide de « cage »236 ou homme de confiance pour certains propriétaires

de chantiers de bois au Bas-Canada et en Outaouais, tout en partageant la vie des bûcherons. Chaque printemps, il guide les draveurs et les flottes de billots sur la rivière Outaouais et le fleuve Saint-Laurent vers le port de Québec. Plusieurs récits détaillent les prouesses de sa carrière d’homme de chantier, affirmant qu’il combattit parfois contre 5, 10, voire 100 hommes237. Comprenons ici qu’il prit part à plusieurs

combats à cause de sa réputation déjà bien établie. En 1840 toutefois, délaissant les travaux des chantiers, il se contente de guider les « cages » vers Québec. Il prend finalement sa retraite en 1857 et s’installe dans sa propriété de Montréal, rue Sanguinet. Il y meurt le 4 octobre 1864 à l’âge de 61 ans.

La réputation de Jos Monteferrand atteignit son apogée alors qu’il travaillait encore dans les chantiers forestiers. Il fut par la suite honoré dans la littérature et fait aujourd’hui partie intégrante de la culture populaire québécoise, et même canadienne. Quelques années à peine après la mort du légendaire bûcheron, alors qu’il faisait déjà partie de la tradition orale folklorique, plusieurs auteurs, surtout journalistes, l’immortalisent dans leurs différents écrits. Prenons ici l’exemple des journalistes Wilfrid Laurier (1868)238, André-Napoléon Montpetit (1884)239 et Benjamin Sulte

(1884)240. Au XXe siècle, l’histoire de ce personnage a été reprise au théâtre (Louis

Cuyon, 1903241) et dans la chanson (Gilles Vigneault, 1958242). Pour eux, Jos

236 La « cage » est un énorme radeau constitué de billots de bois équarris et attachés

ensemble. La cage est manœuvrée sur l’eau par une équipe de 20 à 30 hommes qui habitent sur cette cage, dans des tentes ou des abris sommaires. Ils sont également accompagnés d’un cuisinier. — Lynda Dionne et Georges Pelletier, Des forêts et des

hommes. 1880-1982, Ste-Foy, Les Publications du Québec, 1997, p.90.

237 Michel Prévost, « Jos. Montferrand, de la légende à la réalité », Histoire Québec,

Vol. 11, No. 1 (2005), p.39.

238 Wilfrid Laurier, « Feuilleton sur la vie de Jos Montferrand », L’indépendance

canadienne, Montréal, 22 et 25 avril 1868.

239 André-Napoléon Montpetit, Nos hommes forts, Québec, C. Darveau, 1890, 196

pages.

240 Benjamin Sulte, Histoire de Montferrand, l’athlète canadien, Montréal, J.-B.

Camyré, 1884, 48 pages. L’ouvrage sera plusieurs fois réédité, en 1896, 1899, 1912 et 1999.

241 Louis Guyon (1853-1933), Montferrand : drame canadien en 4 actes et 9 tableaux,

89

Montferrand symbolise la bravoure, la force, la résistance à la fatigue, etc.243. En

1992, Postes Canada a d’ailleurs émis un timbre à l’effigie de Jos Montferrand244.

242 Jos Montferrand, 1958.

243 Gégard Goyer et Jean Hamelin, op. cit.

244 Michel Prévost, « Joseph (Jos) Montferrand, roi des forêts de l’Outaouais ou pilier

de tavernes? », Cap-aux-Diamants, No. 69 (2002), p.15.

Illustration 7 : Jos Montferrand

90

Un siècle après sa mort, Jos Montferrand devient littéralement la mascotte du Festival des Raftsmen de Hull (1967-1973). Un homme de la région est choisi pour le personnifier et superviser les différentes activités qui se déroulent alors « sous le regard approbatif de Jos Montferrand »245. Cette « mascotte » populaire est ainsi

grandement attendue dans les différents rassemblements du Festival, notamment en 1967 : « leur attente fut de courte durée, puisque bientôt apparaissait le grand Jos [Montferrand], brandissant, tel Paul Bunyan, son homonyme américain, la hache énorme qui le rendit jadis célèbre et respecté »246. Les organisateurs du festival

espèrent ainsi « métamorphoser l’unique Jos Montferrand en un personnage immortel »247. Plusieurs séries d’articles historiques publiées dans le quotidien Le

Droit présentent en outre le personnage (voir Illustration 7), le qualifiant de héros

« légendaire » et énumérant ses qualités physiques et morales : « un homme qui domine ses émules par son énergie, son intelligence, son agilité, sa puissance musculaire et son prestige incontesté »248. Elles en font un modèle à suivre : « pour se

rappeler les Montferrand qu’on aurait pu être, qu’on est, ou qu’on souhaiterait devenir »249. Bien que Jos Montferrand soit un personnage de renommée nationale, il

n’y a qu’au Festival des Raftsmen de Hull qu’on lui rende hommage de 1967 à 1990.

Louis Cyr

De nombreux ouvrages permettent de retracer la vie de Louis Cyr, dont ses mémoires. Né le 10 octobre 1863 à Saint-Cyprien de Napierville sous le nom de Cyprien-Noé Cyr, Louis Cyr est le deuxième de dix-sept enfants. Retiré de l’école à 12 ans, il passe déjà ses hivers dans les camps de bûcherons et le restant de l’année

245 s.a., photographie « Sous le regard approbatif… », Le Droit, 8 juillet 1968, p.13 246 Norman Dugas, « Le Festival des Raftsmen inauguré. C’était fête à Hull, vendredi

soir; Jos Montferrand était de retour », Le Droit, 8 juillet 1967, p.17.

247 Louis Rocque, « L’immortel Jos Montferrand », Le Droit, 4 juillet 1969, p.6. 248 s.a., « Énergie, agilité, puissance musculaire. L’Antiquité aurait élevé un

monument à la mémoire de Joseph Montferrand », Le Droit, 9 juillet 1969, p.25.

249 s.a., « Un rendez-vous pour l’an prochain. Les Raftsmen quittent l’Outaouais », Le

91

sur la ferme familiale250. Comme plusieurs Canadiens français de l’époque, la famille

déménage en 1878 à Lowell au Massachusetts pour y travailler dans les usines de coton251. Sa force physique se développe dès son jeune âge et lui donne rapidement

une renommée. C’est vers l’âge de 18 ans qu’il participe à sa première compétition d’hommes forts à Boston, attirant le respect dans ce milieu. En 1882, il se marie à Mélina Comptois, native de Saint-Jean-de-Matha, et débute au courant de l’année suivante sa première tournée organisée en tant qu’homme fort. Cette tournée de quelques mois dans les Maritimes et au Québec ne lui rapporte rien financièrement puisqu’il se fait voler par son organisateur. Au courant de l’année 1883, Louis Cyr travaille comme policier dans la ville de Montréal. Plus tard, il entame avec des membres de sa famille une nouvelle tournée qui remporte un grand succès au Canada et aux États-Unis. En 1891, il se rend en Europe pour défendre son titre d’homme « le plus fort du monde ». Il se produit surtout en Angleterre où divers champions se désistent et ne relèvent pas les défis qu’il leur lance. En 1892, il entre dans le cirque américain des Ringling Brothers. En 1894, il forme son propre cirque, composé d’hommes forts, d’acrobates, d’athlètes et de jongleurs. En 1900, les problèmes de santé de Louis Cyr s’aggravent à cause de son style de vie (embonpoint, excès de table, vie sédentaire). La maladie l’oblige à se retirer des compétitions de force et à s’installer à la campagne, à Saint-Jean-de-Matha où il meurt à l’âge de 49 ans le 10 novembre 1912252.

De son vivant, Louis Cyr a lui aussi reçu de nombreux hommages et dès le lendemain de sa mort, de nombreux journaux québécois et canadiens soulignent l’évènement tragique253. Ils annoncent la « mort du champion » en première page ou

250 Luc Gonthier, op. cit., p.71.

251 Jean-Noël Dion, « Louis Cyr : homme fort et amuseur public », Cap-aux-

Diamants, No. 69 (2002), p.18.

252 Céline Cyr, « Cyr, Louis », Dictionnaire biographique du Canada, Vol. 14,

Université Laval/University of Toronto, 2003, http://www.biographi.ca/fr/bio/cyr_ louis_14F.html, page consultée le 29 juillet 2015.

253 Ibid.; Voir également les articles de presse suivants : s.a., « L’ex-champion des

hommes forts du monde entre dans la légende », La Patrie, 11 novembre 1912, p.11; s.a., « Mort du champion Louis Cyr », La Presse, 11 novembre 1912, page

92

dans la section des sports, tout en retraçant sa carrière. Depuis, plusieurs auteurs se sont penchés sur son histoire : l’homme fort et culturiste George F. Jowett254 en 1927,

Martin Franklin255 (sous la direction de Ben Weider) en 1946, Michel Mougins256 qui

en a fait une adaptation pour la littérature jeunesse en 1958, etc. Mentionnons aussi l’ouvrage plusieurs fois réédité après 1976 de Ben Weider257, homme d’affaires

montréalais, culturiste, historien autodidacte et fondateur d’une entreprise d’équipements de musculation et de la Fédération internationale de culturisme. La force de Louis Cyr fut commémorée amplement au cours du dernier siècle, entre autres à Saint-Jean-de-Matha. On y trouve aujourd’hui le seul musée dédié à la mémoire de l’homme fort (la Maison Louis Cyr258) ainsi qu’une Place Louis-Cyr où

se trouve un buste de l’homme fort. Enfin, un film portant sur la vie de Louis Cyr fut produit au Québec en 2013, réalisé par Daniel Roby.

Pour plusieurs, Louis Cyr fut le « champion du monde des hommes forts », voire même « l’homme le plus fort du monde »259, titres qu’il a défendus tant au

Québec qu’au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Plus d’un demi-siècle après sa mort en 1912, Louis Cyr occupe toujours une place importante dans les différentes

couverture; s.a., « Louis Cyr est mort », Le Devoir, 11 novembre 1912, p.4; s.a., « Mort du champion des hommes forts », Le Soleil, 11 novembre 1912, p.1 et 3

254 George F. Jowett, The Strongest man that ever lived, Philadelphie, Milo

Publishing, 1927, 195 pages.

255 Martin Franklin, Louis Cyr, l’homme le plus fort du monde, Montréal, Your

Physique Pub. Co, 1946, 106 pages.

256 Michel Mougins, La légende de Louis Cyr, Montréal, Éditions Beauchemin, 1958,

101 pages.

257 Ben Weider, Louis Cyr, l’homme le plus fort du monde, Montréal, Éditions

Beauchemin, 1958. Réédité en 1976, 1993, 2006 et 2012.

258 La Maison Louis Cyr se trouve dans l’édifice restauré où Louis Cyr vécut au

village de Saint-Jean-de-Matha. Voir le site http://www.maisonlouiscyr.com/ pour plus d’informations.

259 Ce point de vue est avancé par plusieurs historiens dont Serge Gaudreau, « La

saga des héritiers de Louis Cyr », Sport et Société, 2012, http://www.sportetsociete. com/publications/239/, page consultée le 23 novembre 2013; Ben Weider, Louis Cyr,

l’homme le plus fort du monde, Montréal, Éditions Québécor, 2012, 175 pages; Paul

Ohl, Louis Cyr : une épopée légendaire, Outremont, Libre expression, 2005, 632 pages; voir également Louis Cyr, Mémoires de l’homme le plus fort du monde, Montréal, VBL Éditeurs, 2013, 280 pages.

93

éditions du Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha (1974-1984). La programmation de 1977 consacre même une fin de semaine complète à sa mémoire : « N'oubliez pas que durant le Festival des Sucres une fin de semaine complète sera consacrée aux épreuves de force et d'haltérophilie, et ce pour rendre hommage à Louis Cyr, cet enfant de Saint-Jean-de-Matha passé à la légende »260. La municipalité

s’identifie à ce personnage et l’utilise d’ailleurs comme une marque de commerce, l’expression « au pays de Louis Cyr » se retrouvant sur tous ses dépliants publicitaires avec une photographie de l’homme fort261. Louis Cyr et la force

physique deviennent ainsi de véritables symboles pour Saint-Jean-de-Matha. C’est ce qu’exprime le président du comité lors de la conférence de presse du lancement de la 5e édition du festival en 1978 : « … quand il s'agit de se renouveler d'année en année,

cela devient un tour de force. Nous croyons avoir réussi ce tour de force et cela s'explique peut-être parce que nous vivons justement au pays des hommes forts à Saint-Jean-de-Matha dans la patrie de Louis Cyr »262. Comme Montferrand au

Festival des Raftsmen de Hull, Louis Cyr n’est utilisé comme modèle que pour un seul évènement, le Festival des Sucres de Saint-Jean-de-Matha de 1974 à 1984. Bien que l’homme fort ait travaillé pendant quelques années dans des chantiers forestiers, les organisateurs et journalistes n’y font pas référence. Ils ne semblent conserver en mémoire que ses exploits de force en tant qu’homme de scène.

Le bûcheron traditionnel québécois

La figure du bûcheron correspond dans l’imaginaire québécois à un personnage mythique. Comme l’anthropologue Geneviève Brisson l’explique dans son étude sur les conceptions sociales de la forêt québécoise : « Bon nombre de bûcherons, d’explorateurs ou de coureurs des bois sont des figures plus ambigües qu’on peut le croire : plusieurs sont, à leur façon, des héros, qui ouvrent l’espace

260 Mme Guy Deschamps, « St.J.-de-Matha sera présent aux Coqueluches », Joliette

Journal, 16 mars 1977, p.D-3.

261 AFEUL, Fonds Robert Bouthillier, No. 201, Boîte 3, No. 49 – Festival des Sucres,

Programmation 1980, 1981, 1983, 1984.

262 Mme Guy Deschamps, « Le 5e Festival des Sucres démarre en grand », Joliette

94

social par leur familiarité avec la forêt plutôt que de s’y a-socialiser »263. Le

spécialiste de l’histoire de la littérature canadienne Jack Warwick abonde en ce sens, percevant « une véritable continuité historique »264 entre le coureur des bois et le

bûcheron. À son avis, ces deux figures historiques personnifient la « familiarité avec la nature, force physique et beauté, vigueur, courage, adresse, un certain sens spirituel très aiguisé, la certitude d’être au-dessus de toute morale, et enfin, une sorte de droit naturel de possession du pays »265. Pour plusieurs auteurs du courant littéraire

régionaliste (1846-1945) et par la suite, la forêt représente l’un des lieux qui permettent d’échapper au milieu urbain266. C’est « là qu’habitent les “vrais”

hommes »267. Plusieurs romans ont ainsi présenté « la vie en forêt, soit pour le

bûcheron, soit pour le colon, sous son meilleur jour, insistant sur l’importance de ce travail, mais aussi sur l’agrément de la nature déserte »268.

Outre ses dimensions légendaires, l’archétype du bûcheron évoque aussi un métier masculin suffisamment répandu pour avoir marqué la mémoire populaire. Nombreux sont les Canadiens français ayant quitté aux XIXe et XXe siècles le milieu

familial pendant quelques hivers afin de monter au chantier pour « bûcher ». Si la quête d’aventure animait certains jeunes, la majorité d’entre eux étaient motivés par la paie, qui constituait un salaire d’appoint permettant de compléter les revenus des travaux agricoles d’été269.

Des décennies plus tard, alors que le travail forestier s’est profondément transformé et mécanisé, les festivals étudiés véhiculent toujours une image positive

263 Geneviève Brisson, « L’homme des bois d’Anticosti : la figure du guide de chasse

et les conceptions sociales de la forêt québécoise », Revue d’histoire de l’Amérique

française, Vol. 60, No. 1-2 (2006), p.168.

264 Jack Warwick, « Les « pays d’en haut » dans l’imagination canadienne-

française », Études françaises, Vol. 2, No.3 (1966), p.279.

265 Ibid., p.280.

266 Roger Lemelin, Pierre le Magnifique, Québec, Institut littéraire du Québec, 1952,

277 pages.

267 Ibid., p.289.

268 Maurice Lemire, Le mouvement régionaliste dans la littérature québécoise (1902-

1940), Québec, Éditions Nota Bene, 2007, p.188.

95

des bûcherons traditionnels. En 1970, les organisateurs du Festival des Raftsmen de Hull encouragent d’ailleurs la population à se vêtir « à la manière des pionniers, portant des chemises à carreaux, “blue jeans” et cet étrange bonnet, la catuque, qui ornait la tête des bûcherons autour des années 1875 »270. Les vêtements ne sont pas le

seul moyen utilisé pour tenter de recréer l’ambiance de camps de bûcherons du XIXe

siècle. Par exemple, des hommes font une démonstration de la technique de l’équarrissage271 du bois lors du Festival de la Grosse Bûche de Saint-Raymond en

1980 alors qu’elle n’est plus pratiquée dans les chantiers depuis 1960 à cause de la mécanisation du travail. C’est toujours « en l'honneur de ces pionniers de la forêt que les organisateurs du Festival du Bûcheron [de Normétal] »272 organisent en 1983

diverses épreuves de force. Ils en font des héros de la nation canadienne-française, puis québécoise, qui ont construit le pays à coups de hache, de sueur et de travail : « le bûcheron, le héros de la fête, a une fois de plus su montrer son ardeur à l'ouvrage tellement il a mis du cœur aux différentes épreuves »273. De la même manière, le

Festival du Bûcheron de Sainte-Aurélie propose durant son édition de 1985 un camp de bûcherons à l’ancienne reconstitué « avec tout ce que cela comporte, soit lits superposés, vieux poêle, etc. »274.

À plusieurs occasions, les organisateurs des festivals forestiers proposent ainsi une reconstitution de l’époque des chantiers traditionnels. Bien que plusieurs des participants aux épreuves travaillent toujours dans le milieu forestier moderne, les organisateurs profitent de l’occasion pour évoquer le passé forestier de la région : « l'exploitation forestière se faisait au siècle passé en fonction d'étapes bien précises

270 Germain Dion, « Hull s’apprête à célébrer son Festival des Raftsmen », Le Droit,

2 juillet 1970, p.21.

271 L’équarrissage est la technique utilisée pour façonner les billots de bois et leur

donner une forme carrée ou rectangulaire.

272 s.a, « Au Festival du Bûcheron de Normétal : De sport pour les bûcherons »,

L’Écho Abitibien, 25 mai 1983, p.71.

273 Michel Poirier, « Toute une fin de semaine à Normétal! Plus de 10,000 personnes

ont participé au Festival du bûcheron », La Frontière, 27 mai 1981, p.17.

274 Charles-Édouard Parent, « Ste-Aurélie, un festival du bûcheron sans machinerie »,

96

qu'il importe de rappeler si l'on veut se fixer raisonnablement sur le type maintenant légendaire du forestier »275.

3.1.2 Une rupture dans le processus d’héroïsation des vainqueurs des concours de