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CHAPITRE 2 : LA DIASPORA LAOTIENNE, UNE ORGANISATION « CLASSIQUE voire » GENEREE

2.2. LA GENESE DE LA DIASPORA LAOTIENNE

2.2.1. Une histoire typique

2.2.1.1. Les exilés du changement de régime

Kham Vorapheth72 dans son livre sur le Laos contemporain (pp. 346 – 350) sur la question des « exilés du régime et les lao de la diaspora » a soulevé le problème du départ du pays après la victoire du parti communiste dans les années 1970. L'auteur évoque la société

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dénaturée et la perte de « sens des valeurs nationales et morales », l'exode des proches de l’ancien régime, des commerçants, des fonctionnaires, des militaires et des intellectuels qui ont fui des camps de rééducation, par peur d'un danger nourri par le nouveau régime en place. Les exilés de 1975 sont majoritairement des politiciens et leurs familles, des persécutés du communisme, des membres de la classe moyenne aisée, des commerçants laotiens et chinois, des militaires, des policiers, des intellectuels, des hauts fonctionnaires de l’ancien régime, mais également des membres de familles modestes et des agriculteurs. Il estime cet exode à environ 300 000 personnes.

Ces personnes avaient un mode de vie conforme à la société de l'époque. L'arrivée du communisme, une nouvelle pensée axée sur le collectivisme, l'autocritique, l'absence de propriété, la ruralité spartiate, autoritaire et sans liberté personnelle remet en cause la vie de ces personnes. Le nouveau régime a programmé des séminaires de rééducation dans chaque village.

Pour un bulletin de l'association « Lao Houam Phao », nous avons écrit en novembre 1993 (Bulletin N° 2, Conseil Exécutif pour la Libération du Laos) un article sur l'ouvrage d'une jeune fille de 15 ans, Vongsouvanh Souvannavong73 qui racontait le calvaire de sa captivité. En voici le résumé :

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En 1975, âgée de 15 ans, elle se trouve prisonnière du pathet lao, accusée d'être une des responsables du mouvement « Lao houam phao » alors qu'elle n'est qu'une simple bénévole.

Du 17 mars 1976 au 10 Novembre 1978, elle est conduite au camp de Napo dans la province de Phongsaly, incarcérée dans la prison de Samkhé avant d’atterrir au pénitencier de l'île de Done Say Sa At. Elle est ensuite libérée pour avoir compris les « principes et les buts du parti révolutionnaire populaire lao ».

Durant son séjour dans diverses prisons, elle subit les violations de ses droits les plus élémentaires à savoir manger, échanger des idées ou encore faire ses besoins naturels.

Les travaux des champs, l'entretien du potager, ou l'aide bénévole aux paysans voisins fut son lourd tribut. Ces « séminaristes », mal nourris, doivent en outre chaque soir faire leur autocritique ; celle-ci consiste à raconter les fautes qu'ils ont pu commettre et à en apporter les solutions éventuelles devant l'assemblée. Plus les histoires sont aberrantes plus elles retiennent l'attention des bourreaux qui accordent la liberté suivant l'énormité de cette autocritique.

Les plus têtus sont considérés comme des « patikan » (réactionnaires) et connaissent d'autres souffrances. La mort est leur lot commun ainsi que des séjours dans la cabane de punition avec de l’eau issue du lavage du riz pour seule nourriture. Les évadés qui récidivent meurent dans d'atroces souffrances, battus par leurs tortionnaires ou par leurs semblables afin de servir d'exemple, et sont jetés en pâture aux foules. Les femmes ne sont pas à l'abri de ces sévices et connaissent entre autres une atteinte à leur corps.

La jeune captive du pathet lao nous livre ici le lavage de cerveau de nos compatriotes par le nouveau parti.

Le témoignage de Souvannavong Vongsouvanh révèle les conditions de vie en captivité à l'intérieur de la RDPL comme celui de Mothana Mithouna74 sur ses errances et des rencontres faites sur la route N° 9, de sa fuite et comme des milliers de personnes, de la traversée du Mékong puis l'arrivée en Thaïlande.

Le Haut-Commissariat aux Réfugiés a recensé entre 1975 et 1995, l'exode d'Indochine incluant les Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens dans les camps en Thaïlande habilités par le HCR dans les années 1980 et 1990. Sur son site75 figurent des réinstallations et rapatriements, des arrivées de boat people vietnamiens et indochinois selon leur premier pays ou territoire d'asile et, à la page 97, nous trouvons des réfugiés laotiens en Thaïlande principalement à Ban Vinaï, pour les laotiens de montagne comme les Hmong et Na Pho pour ceux des plaines.

74 Mithouna M. (2003), La route N° 9, témoignage sur le goulag laotien, L'Harmattan.

75 http://www.unhcr.org/fr-fr/publications/sowr/4ad2f957e/refugies-monde-cinquante-ans-daction-humanitaire-chapitre-4-fuite-lindochine.html?query=refugi%C3%A9s%20laotiens.

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Dès 1978, les camps enregistrent plus de 48 000 entrées. L'impossibilité de réinstallation, la distribution de rations de survie et les services disponibles limités mis en œuvre par les autorités thaïlandaises dissuadent l'exode des laotiens des plaines ; les arrivées chutent de 29 000 à 3 200 en 1982 et la réinstallation des laotiens de 75 000 en 1980 passe à 9 000 en 1982. Mais de nouvelles vagues en 1983 et 1984 amène le gouvernement thaïlandais à procéder à une sélection à la frontière : les nouveaux arrivants se présentent dans les neuf provinces frontalières pour passer un entretien avec les services d'immigration et les conseillers juridiques du HCR. Avant leur rapatriement, le HCR a un droit d'appel avant que les dossiers rejetés aboutissent à ce que les personnes concernées ne soient renvoyées au Laos. En 1986, sur 7 000 laotiens interrogés, 66 % sont acceptés comme réfugiés. De 1985 à 1989, sur 31 000 laotiens interrogés par l'administration thaïlandaise, 90 % voient leur statut de réfugié reconnu.

De 1989 à fin 1996, sur 10 005 interrogés seulement 49 % reçoivent le statut de réfugié et 45 % sont déboutés. La simple présence d'un parent proche dans le pays de réinstallation n'est plus un motif suffisant d'acceptation et les déboutés retournent au pays sans la sécurité et la dignité requises. Ceux qui retournent spontanément reçoivent une aide commune d'environ 120 $, une ration de riz pour dix-huit mois ou des outils agricoles et de menuiserie, des graines de légumineuses, des moustiquaires, un terrain pour construire une maison ainsi que des matériaux de construction. Le HCR finance aussi dans les sites de réinstallation ruraux des systèmes d'irrigation d'eau, des routes et des écoles primaires.

2.2.1.2. Un nouveau départ

Les réfugiés acceptés dans un troisième pays commencent leur vie de réinstallation et leur appartenance à la diaspora dans une nouvelle contrée.

Quelles sont donc les destinations de ces vagues d'exode ?

La première vague d’exilés est celle qui a su que le vent allait tourner dans une autre direction dans tout le royaume notamment avec l'abdication forcée du roi ainsi que la transmission du pouvoir gouvernemental de son premier ministre, le prince Souvanna Phouma à son demi-frère, le prince Souphanouvong surnommé le prince rouge du fait de son attachement au régime communiste. Le prince Mangkra Souvanna Phouma76 témoigne dans son ouvrage, L'autopsie d'une monarchie assassinée, de la prise du pouvoir des Néo Lao Hak Xat retraçant ainsi le début de cette gouvernance.

Dans cette première vague, dont nous faisons partie étant donné que notre père était Procureur du Roi, il était vital de s'échapper du pays avant de se faire incarcérer et conduire dans un

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camp de concentration. La décision avait été prise par nos parents de partir pendant les grandes vacances scolaires dès juillet 1975 pour ne pas nous faire remarquer. Nous avons séjourné quelques jours en Thaïlande chez des proches et amis de nos parents et pris l'avion pour la France ; ce choix était évident car notre père avait fait ses études de droit en France de 1966 à 1970 et notre jeune oncle y avait été envoyé en 1974 dans l’éventualité de départ définitif. Il avait ainsi préparé notre arrivée dans ce pays.

Enfants, nous n'avons donc pas connu la traversée du Mékong douloureuse et mortelle pour beaucoup de compatriotes, la rencontre des pilleurs ou pirates qui détroussaient les réfugiés et violentaient les femmes ou les séjours dans les camps de « séminaristes ». Jeunes et insouciants, nous pensions que ce n'était que des vacances de courte durée.

Mais le fait que nos parents aient pris la décision de prendre un appartement, puis de nous scolariser, et voir l'arrivée de nos jeunes tantes puis de nos grands-parents deux années plus tard, a signifié la fin de l'espoir d'un retour au pays. Tous les membres proches du côté de notre mère se sont retrouvés en France sauf la cinquième de ses neuf fratries qui a été séparée car son dossier a été accepté aux Etats-Unis. Les trois grandes sœurs de notre père sont restées au sud du Laos, dans un village reculé, jusqu'au récent trépas de deux de ses sœurs sur trois. C’est pourquoi notre étude porte sur le terrain de la diaspora laotienne en France.