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2.2 Le rapport au politique

2.2.3 Les enjeux prioritaires

2.3.3.3 Une génération pragmatique ?

De manière générale, on constate donc que les jeunes se sentent d’abord interpelés par des enjeux qui les touchent plus directement, des enjeux dont ils peuvent sentir l’impact immédiat sur leur vie et dans leur quotidien. La figure 2.2 illustre la répartition des enjeux sélectionnés selon l’échelle où ils se situent. Ce que l’on remarque, c’est que les enjeux situés aux échelles inférieures, donc les enjeux locaux et nationaux québécois, représentent 56% des mentions tandis que les enjeux situés à des échelles supérieures comptent pour 44% des mentions.

Ceci m’amène à affirmer que les jeunes priorisent des enjeux qui sont plus près d’eux ; des enjeux qui ont des impacts dans leur vie quotidienne. Et généralement, mais pas toujours, ces impacts seront d’ordre économique. C’est ainsi, par exemple, que si on veut rembourser la dette nationale, c’est « afin de diminuer nos taxes et impôts » (053-LQ-2) ou parce qu’on « ne veut pas travailler jusqu’à 70 ans » (021-LQ-1). De la même manière, si on veut réduire l’engorgement dans les urgences, c’est parce que « nous payons tous pour ces services, mais [que] l’accès est restreint » (012-LQ-1). Et ainsi de suite.

Toutefois, il est très intéressant de constater qu’au-delà du fait qu’un enjeu les touche plus ou moins personnellement, les jeunes semblent également (surtout ?) prioriser la prise en charge d’enjeux sur lesquels eux-mêmes ont une emprise, en tant que personnes ou en tant que citoyens. C’est ainsi que 080-FX-1 souligne que si elle a choisi l’engorgement des urgences, l’intimidation dans les écoles et la protection du français comme étant des enjeux prioritaires à régler, c’est « parce que ce sont des enjeux qui sont plus près de nous, qui nous touchent

Figure 2.2: Échelle des enjeux jugés prioritaires par les jeunes de Québec, 2012 (n = 169).

plus », mais aussi parce que « nous pouvons faire une différence pour ces enjeux, parce que nous sommes les principaux acteurs ». Ceci nous ramène à la section 2.3.1.2, dans laquelle je constatais que parmi les principales motivations à l’engagement social ou politique des jeunes, le sentiment de réellement pouvoir faire une différence jouait un rôle essentiel. Pour 066-FX-1, « il faut accorder une importance aux enjeux globaux, car ils nous touchent tous. Mais les problèmes des Québécois, comme la corruption en construction, ne peuvent pas être réglés par d’autres, mais [uniquement] par nous ». Ainsi, s’ils peuvent être porteurs d’idéaux humanistes et rêver d’une société globale libre et égalitaire, dans la pratique, les enjeux sur lesquels les jeunes souhaitent que l’on se penche prioritairement sont des enjeux qu’ils estiment possible de prendre en charge de façon concrète. Autrement dit, vouloir lutter contre les inégalités et la pauvreté dans le monde est, certes, un objectif noble. Mais pouvons-nous réellement y changer quelque chose ? Il semble que pour la plupart des jeunes répondants, la réponse soit « non ». C’est pourquoi il vaut mieux, selon eux, se concentrer sur des enjeux pour lesquels leurs actions vont s’avérer beaucoup plus efficaces et pour lesquels ils pourront réellement être utiles. C’est ce qui m’amène à noter, sous toutes réserves et sans chercher à généraliser à outrance, que la jeunesse d’aujourd’hui m’apparaît comme une génération plutôt pragmatique.

J.-C. Lagré (2002) fait la même observation lorsqu’il remarque que les jeunes d’aujourd’hui délaissent les grandes causes et les grandes idéologies pour s’investir davantage envers des

problématiques locales. Il parle d’un engagement pragmatique, au sens où celui-ci vise l’atteinte d’objectifs limités et concrets, ainsi que la réalisation d’actions ayant un effet direct et efficace sur le cours des choses, ici et maintenant. Pour ce qui est du « maintenant », les résultats de mes recherches montrent que les jeunes possèdent néanmoins une bonne capacité à se projeter dans l’avenir et qu’ils sont en mesure d’appréhender les enjeux d’aujourd’hui en considérant ce qui est le mieux à long terme. Plusieurs se disent même prêts à faire des concessions significatives afin d’assurer un avenir meilleur pour les générations futures. Toutefois, en ce qui a trait au « ici », je ne peux qu’abonder dans le sens de Lagré en soulignant qu’il s’agit effectivement d’une préoccupation importante pour les jeunes Québécois d’aujourd’hui. En effet, il semble que ceux-ci préfèrent investir ressources et énergie dans des enjeux qui ne sont peut-être pas aussi lourds et gravissimes que la faim ou la pauvreté dans le monde, mais sur lesquels ils peuvent concrètement sentir l’impact de leurs actions.

Plus spécifiquement, je perçois ce pragmatisme dans le fait que les répondants, lorsqu’ils justifient leur choix d’enjeux, mettent de l’avant des préoccupations qui relèvent beaucoup de l’économique : ce que telle ou telle problématique coûte aux contribuables québécois ou ce que telle ou telle mesure permettrait d’économiser. Bien entendu, il s’agit de questions importantes et elles sont largement discutées dans les médias (ce qui pourrait, d’ailleurs, expliquer l’intérêt des jeunes pour ces questions). Mais venant de jeunes de 18 à 20 ans, on aurait pu s’attendre, me semble-t-il, à davantage d’idéalisme. En effet, ils pourraient souhaiter la paix dans le monde, rêver d’utopie et vouloir faire la révolution, comme plusieurs générations de jeunes l’ont fait avant eux. Pourtant, il apparaît, à travers leurs réponses, qu’ils sont davantage préoccupés par des questions beaucoup plus terre-à-terre comme la gestion du budget du Québec, le remboursement de la dette nationale et l’entretien des routes. En ce sens, les jeunes qui ont participé à l’étude se montrent plutôt raisonnables par rapport à leurs ambitions politiques et leurs projets de transformations de la société.

Voyons maintenant si le fait que les enjeux jugés prioritaires par les jeunes relèvent principa- lement de l’échelle nationale québécoise peut être lié, d’une quelconque façon, aux sentiments d’appartenance qu’ils ont exprimés et à leur manière de structurer leurs identités personnelles et citoyennes.