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développement d’une conscience cosmopolitique, mais des

engagements centrés sur le « local ».

Le contexte actuel, marqué par une proximité et une interdépendance croissantes entre les sociétés du monde, est propice au développement d’une perspective cosmopolite. Tel que le souligne Beck (2004), le fait d’être en contact continu avec la diversité et de se laisser toucher par les récits d’autres êtres humains, issus d’autres cultures, rend possible l’émergence de dis- positions morales généralement associées à un cosmopolitisme authentique, notamment l’em- pathie. Les technologies de l’information créent un espace d’expérience simultanée, à l’échelle globale, qui se traduit par une prise de conscience des liens qui nous unissent et qui suscite, chez certains individus, une volonté d’agir en faveur du bien commun de l’humanité (et non seulement de sa communauté immédiate). Cette posture s’observe effectivement chez quelques répondants, mais ceux-ci demeurent minoritaires et on les remarque principalement parce que, justement, ils sortent du lot par rapport aux autres jeunes de l’échantillon.

D’emblée, il faut noter que la plupart des jeunes se savent insérés dans une dynamique sociopo- litique qui s’étend bien au-delà des frontières de leur pays et sont conscients des liens d’inter- dépendance qui unissent les différentes sociétés du monde. Cependant, les résultats d’analyses montrent que cette conscience ne se traduit pas nécessairement par des engagements à l’échelle globale, ni par des sentiments de responsabilité face à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Plutôt, les efforts des jeunes restent principalement concentrés à faire changer les choses ici, chez eux. En soi, cette position n’est pas incompatible avec une perspective cosmopolitique et la théorie des relations denses d’Appiah (2005) explique d’ailleurs fort bien cette propension toute naturelle que nous avons à privilégier les individus qui nous sont proches – parce que nous avons des obligations envers ces personnes et que nos histoires mutuelles sont entremêlées – sans que cela n’empêche de se sentir en phase avec l’humanité, voire de s’identifier et de ressentir de l’empathie pour des gens qui ne partagent pas du tout notre réalité culturelle. Mais pour une majorité de répondants, les enjeux jugés prioritaires sont, dans une large mesure, des enjeux nationaux et, à travers les justifications qu’ils donnent de leurs choix, ils font preuve

d’un degré d’empathie qui s’étend difficilement au-delà de leur cercle de relations immédiates. Tel que je l’ai souligné au chapitre précédent, même pour une problématique aussi globale que le réchauffement climatique, les jeunes de l’échantillon sont davantage concernés par la sauvegarde des ressources au profit aux générations de futurs jeunes Québécois. Autrement dit, la préoccupation pour le genre humain dans son ensemble, qui est fortement associée à une perspective cosmopolitique, a très peu émergé du discours des répondants et c’est ce qui m’amène à affirmer, encore une fois, que sur le spectre du cosmopolitisme, les jeunes se rapprochent davantage de la catégorie « localiste ».

Ces observations sur la priorité accordée à l’échelle « locale » sont, par ailleurs, corroborées par J.-C. Lagré (2002), lorsqu’il constate que l’engagement politique des jeunes d’aujourd’hui est un engagement qui s’effectue de manière beaucoup plus ciblée, circonscrite et ponctuelle. Selon lui, c’est parce que les jeunes veulent voir, dès maintenant, les impacts de leurs actions ; ils veulent sentir qu’ils font une différence pour quelqu’un ou quelque chose. C’est également ce que j’ai relevé dans mes analyses, lorsque les répondants expliquaient que « ce qui mo- tive les jeunes au niveau politique, c’est le dynamisme, l’impact direct de leurs actions sur le monde » (024-LQ-1). Pour eux, l’action locale est une action efficace, contrairement à des en- gagements en faveur de grandes causes planétaires pour lesquels les contributions individuelles ne représentent qu’un grain de sable dans le désert.

Simultanément, les jeunes expriment aussi le sentiment qu’ils ont d’être responsables de leur petit lopin de Terre ; d’être les seuls à pouvoir changer les choses ici, au niveau local. Cette posture n’est pas sans rappeler le fameux slogan « think globally, act locally », issu de la mouvance altermondialiste et caractéristique, jusqu’à un certain point, de la perspective cos- mopolite. Cependant, le rôle que les jeunes se donnent face aux grands enjeux de l’humanité serait, selon moi, mieux résumé si l’on inversait les termes de l’énoncé, pour le lire ainsi : « act locally, think globally ». Cette formulation aurait l’avantage de mettre en évidence que ce que les jeunes veulent, d’abord, c’est une meilleure qualité de vie pour eux et leurs enfants, mais qu’ils ont conscience du fait que pour que cela advienne, les enjeux globaux ne doivent pas être négligés. Autrement dit, les jeunes savent que s’ils veulent jouir d’une meilleure vie, pour eux-mêmes, au niveau local, des solutions globales s’imposent. Ce n’est donc pas tant pour une meilleure société globale qu’ils agissent localement, mais plutôt pour une meilleure communauté locale qu’ils réfléchissent dans des termes globaux.

Donc encore une fois, lorsqu’on tente de déterminer si les jeunes de Québec sont cosmopolites ou non, force est d’admettre que, sur le plan de leur rapport au politique, s’ils le sont, ce n’est que partiellement et, bien souvent, inconsciemment. En fait, la plupart des répondants vont s’intéresser aux grandes problématiques mondiales et vont être conscients qu’à travers certaines de leurs actions, ils sont en mesure d’influencer le cours des choses à une échelle globale. Sur ce point, nous pourrions affirmer qu’ils sont cosmopolites. Mais la plupart du temps, cette conscience ne se traduit ni par des engagements concrets (qui continuent d’être

majoritairement orientés sur le local), ni par une réelle empathie pour des individus issus d’autres sociétés, qui continuent d’être considérés comme des étrangers et dont la différence fondamentale est davantage mise en évidence que l’appartenance à une humanité commune. Dans cette optique, la distinction Eux/Nous reste le modèle de base qui sert à penser le monde et, dans ce cas-ci, le « Nous » représente essentiellement la Nation, définie différemment selon les critères de chacun.