Pour ce qui est de la constitution des jurys, un certain nombre de constats sont partagés par les centres agréés. Sans surprise et de manière constante dans le temps, ils expriment leurs difficultés à constituer leurs jurys de session d’examen, faute entre autres de disponibilité chez les professionnels.
Garant de la valeur de la formation et de la certification, la préparation de cette étape de l’examen final est synonyme de difficultés à surmonter. Celles‐ci sont inhérentes à la constitution des jurys mais aussi à la professionnalisation des jurés, les deux aspects étant décrits comme des obstacles réels à l’usage du titre professionnel et à son essor. Même les centres agréés d’entreprise disent en pâtir aussi, en dépit d’être du «milieu» et d’être en proximité quotidienne d’un large vivier d’intervenants possibles.
Les blocages semblent résulter de causes multiples : la disponibilité en temps des professionnels ; les ressources budgétaires pour rembourser leurs déplacements ; mais surtout, les règles déontologiques qui accompagnent l’indemnisation des membres du jury. Cette question de l’indemnisation semble être un « sujet tabou ». Pourtant, les acteurs disent en connaitre la pratique et la dénoncent pour ses effets pervers inégalitaires envers ceux qui ne la pratiquent pas. Problème non tranché, ce sujet crée polémique, accroit les difficultés d’organisation des examens finaux pour les centres de formation qui n’entrevoient pas des propositions de solutions. Par ailleurs, les difficultés de recrutement des jurés ‐ pour le titre au moins un professionnel et un formateur ‐ sont renforcées par le fort turnover des formateurs enregistrés pour de nombreux centres, sauf à l’AFPA est‐il noté. Pour ce qui est des formateurs, les récentes mesures réglementaires concernant leur qualification (arrêté du 22/12/2015 en application en juin 2016) sont jugés être un facteur aggravant : « où va‐t‐on trouver des formateurs s’ils doivent avoir maintenant
au moins trois ans de métier dans le titre et ne pas avoir quitté le métier pendant cinq ans précédant l’habilitation. On ne s’explique pas une telle contrainte… on a des formateurs qui sont formateurs depuis six ou sept ans et qui ont par définition quitté leur métier d’origine, d’autres sont retraités du secteur depuis plusieurs années et enseignent… ».
Au bout du compte, quel que soit le contexte, la constitution du jury est estimée être un moment stressant car jusqu’à l’examen elle reste incertaine, comme le décrit bien un responsable de formations : « les professionnels de l'évaluation ont en général peu de disponibilité ; c'est toujours un casse‐tête pour les centres agréés, jusqu'au matin de l'examen, un des jurés peut très bien téléphoner en disant, mon patron finalement ne me laisse plus partir parce qu'il y a un gros problème au niveau de mon entreprise et je ne peux pas me dégager, ce qui fait que l'examen ne peut pas se tenir ». Des problèmes de cette nature impliquent que pour être assuré de la tenue de l’examen, le centre agréé doit prévoir un deuxième jury, en substitution du premier au cas où. Cette contrainte est considérée lourde à gérer, hormis celle de la rémunération des jurés pour laquelle il faut avoir une capacité financière suffisante. Ces deux points reviennent le plus fréquemment dans l’ordre des préoccupations. L’ensemble de ces problèmes trouvent heureusement quelques solutions. Tout d’abord, les directions de ces organismes de formation reconnaissent unanimement bénéficier d’une aide efficace de la part des services déconcentrés, jamais cités en défaut de disponibilité, pour constituer les jurys. Bien que jugée parfois être une interface lourde d’utilisation, la base VALCE dans cette fonction est perçue comme une ressource utile. Des propos reflètent ce constat : « les
employeurs ne sont pas disponibles peut‐être a‐t‐on eu un problème de calendrier en plaçant nos sessions d’examen en juin13… nos contacts avec la Dirrecte sont bons et facilitateurs, ça a été sportif pour mettre en place nos jurys mais on y est arrivé ; ça demande beaucoup d’énergie. On a constitué tout un vivier de professionnels pour trouver des solutions et on convoque 4 ou 5 d’entre eux pour être assuré d’en avoir 2 le jour dit ». Malgré un accompagnement, l’organisation de l’évaluation reste
un tournant délicat à négocier, chronophage et réclamant une forte mobilisation.
Ensuite, les centres de formation créent leurs propres solutions en développant divers moyens de fidélisation ou en faisant appel à des anciens stagiaires passés par le centre et retournés dans la vie active. Leur présence dans les entreprises fait de celles‐ci des lieux d’accueil pour les stagiaires actuels. Un chargé de formation illustre cette coopération multilatérale, ce « gagnant‐gagnant » pour le centre agréé et pour l’entreprise : « je travaille toujours avec la même dizaine de professionnels,
très impliqués dans les procédures de validation des titres mais aussi ayant fait beaucoup de choses pour notre CAP… les autres entreprises sont celles qui ont une fibre sociale et citoyenne, qui ont une visée d’aider les jeunes ou les moins jeunes d’ailleurs. Cela les sort aussi de leur travail de leur quotidien et les aide à prendre du recul ». Pour la plupart des organismes agréés, la meilleure
protection contre les difficultés de recrutement de jurés reste donc la consolidation d’un réseau stable de partenaires économiques. Le plus souvent, le repérage et la cooptation des jurés d’examen s’effectue lorsque ceux‐ci sont à un moment donné les tuteurs des stagiaires dans l’entreprise. Mais du point de vue de la plupart des personnes enquêtées, ces pratiques n’excluent pas le fait que les services de l’Etat pourraient promouvoir de manière plus active une communication à caractère généraliste, c'est‐à‐dire sans ciblage de métiers ou de secteurs particuliers, à destination des entreprises en les invitant à y participer.
Du coté des employeurs, la participation de leurs professionnels aux jurys est certes peu rentable en termes financiers mais ils n’y voient pas que des inconvénients, loin s’en faut. Pour certains d’entre eux, retirer un bénéfice d’une telle participation est réaliste. Tout d’abord, elle peut venir alimenter la réflexion autour de la politique de RH et de formation de l’entreprise, par le biais des professionnels jurés qui sont parfois multi casquettes, étant aussi formateurs ou ayant une partie de leur activité dans la formation. Ensuite, l’entreprise peut par ce biais ouvrir des pistes de pré embauche d’apprentis ou de salariés ce qui peut la mettre en mouvement sur certains aspects
prévisionnels de gestion des compétences et des emplois. Sur un autre registre, les responsables de centres agréés confirment cette opportunité : « un jury peut être un vivier de première importance et aussi un lieu d’échange de bonnes pratiques ». D’autres responsables‐formation de grande entreprise corroborent ce constat et y ajoutent une dimension supplémentaire : « le jury, c’est un moment de rencontre avec ses pairs, un moment où l’on se remet en question sur la transmission du métier, c’est avant tout une question personnelle pour ses membres ». En conclusion, les entreprises manifestent ce qui à leurs yeux est une marque de lucidité lorsqu’elles disent avoir une reconnaissance « après coup » (après coûts !) plutôt que des attentes de retour sur investissement de leur participation aux jurys.
Mais, la composition des jurys n’est pas seulement une affaire quantitative. Elle est aussi un problème qualitatif à travers la question de la professionnalisation des jurés.