Le cas d’une entreprise de matériaux composites créant un titre de chef de projet d’une valeur de licence professionnelle
4.5. Ecarter le titre et s’engager dans l’alternance, l’apprentissage et le diplôme
Le dernier cas de la typologie est bâti sur une stratégie opposée au cas précédent. Le choix de l’entreprise est de ne pas développer les titres au profit d’un partenariat avec l’Education nationale pour promouvoir l’alternance et l’apprentissage conduisant au diplôme. Un exemple d’entreprise est ici donné en illustration de ce choix. Spécialisé dans la gestion des ressources (eau, énergies, traitement des déchets), le groupe EléaNet compte plus de cent mille salariés dans le monde. Il y a vingt ans, l’entreprise fondait un centre de formation pour ses besoins internes. Par la suite, le centre a pris de l’ampleur et s’est ouvert à tous, notamment aux jeunes en scolarité. Fondé initialement sur les métiers de quatre secteurs, un recentrage est opéré sur les formations des secteurs de l’eau et de la propreté. La place du centre de formation au sein de l’entreprise EléaNet transcende ses activités formatrices ; il est en quelque sorte vécu comme le porte‐drapeau de l’entreprise citoyenne impliquée dans l’éducation.
Comme le souligne Maxime, directeur de l’un des sites historiques de formation : « notre centre est
une vitrine de l’engagement social de l’entreprise dans l’éducation et la formation ; c’est aussi un moyen de véhiculer une communication socialement responsable ». Dans cet ensemble, les titres
professionnels ne sont donc pas particulièrement développés. La préparation au titre d’agent technique de déchetterie de niveau V a été initiée un peu par hasard, à l’occasion d’une réponse à un appel d’offre de la Métropole L. qui en prescrivait l’usage pour certifier la formation. Ayant remporté le marché, le centre n’a que deux candidats en interne motivés pour s’y inscrire. Il y a donc nécessité d’ouvrir la formation aux candidats extérieurs pour la maintenir viable. EléaNet propose alors à ses concurrents de porter candidature de leurs propres salariés. La concurrence devient ainsi un partenaire.
Les années suivantes, cette formation agréée pour le titre d’agent technique de déchetterie acquiert une solide notoriété auprès des municipalités qui voient croitre leurs besoins en personnel qualifié dans ce domaine. Cette notoriété s’explique en grande partie par la qualité des installations pour les exercices pratiques puisque l’entreprise dispose de ses propres sites de déchetterie mobilisables comme lieux techniques pour ses formations. Maxime précise en outre que « cette formation fédère
les acteurs qui se mettent à coopérer au plan territorial, certes sous la pression de recevoir des pénalités s’ils ne forment pas leur personnel, toujours au regard des normes fixées par la Métropole ; nos concurrents ont donc vu leur intérêt à prendre des marchés par la voie de la formation des agents techniques ; il y a eu en parallèle une vraie volonté politique de professionnaliser les personnes de niveau V qui doivent monter en compétences. C’est par exemple le cas du gardien de la déchetterie qui avant ouvrait et fermait la barrière ; aujourd’hui, il s’avère qu’il y a des produits dangereux, du recyclage etc. ils doivent écrire des bons pour ces produits (on découvre l’illettrisme), tenir des registres de leurs mouvements ».
Ces évolutions de métier conduisent les responsables du centre de formation à réfléchir à de nouveaux parcours. Dans ce processus, l’AFPA n’est pas choisie comme partenaire ; leur jugement est négatif tant sur son image et sur ses capacités à intervenir en dehors de la formation théorique car l’AFPA ne dispose pas en effet de l’outil de production. Concernant les parcours VAE imaginés au départ, l’idée se heurte aux mêmes difficultés citées par d’autres précédemment, ce qui amène à écarter les titres comme moyen pour valider les acquis de l’expérience. Ici, les raisons explicitées restent identiques à celles déjà évoquées, à savoir l’inadéquation de l’examen du titre par rapport au passé professionnel des personnes présentant un dossier VAE qui doivent de justifier de leur maitrise du métier. Maxime s’exprime sur le sujet : « la VAE est une démarche individuelle et pour les
font preuve dans le quotidien de leur travail de la maitrise des savoir‐faire ; ils doivent repasser tous les modules ; cela est surprenant et c’est mal vécu ; cela n’a rien à voir avec la procédure VAE visant un diplôme où l’on peut s’en soustraire, on ne repasse pas tout et l’on peut jouer une stratégie de coefficient dans les matières ; je ne comprends pas l’intérêt du titre pour la VAE qu’il faudrait réétudier ». Il rappelle enfin que l’attractivité des diplômes à ses yeux tient au fait de disposer de
référentiels de formation, à l’inverse de ce qui existe pour le titre, dont le seul référentiel de certification laisse le centre agréé seul face à l’exigence de produire un contenu de formation, sans lignes directrices. Cet exercice imposé est jugé parfois fastidieux mais surtout coûteux.
Hormis l’usage isolé du titre d’agent technique de déchetterie, le diplôme reste prépondérant car il a l’avantage de pouvoir être préparé par apprentissage, ce qui n’est pas encore le cas du titre20. Avec le recul, les commentaires de Maxime sur le fait de ne pas pouvoir (encore) préparer le titre par apprentissage témoigne des enjeux de l’époque : « c’est dommage que les titres ne peuvent se
réaliser par apprentissage, il va s’ouvrir et pour ma part j’y suis très favorable et indéniablement il y aura concurrence entre les deux, quand les formations pour le titre sont de 300 heures là où pour un CAP il en faut trois fois plus ; malgré ce moindre coût pour le titre, pour ma part je trouve qu’il occulte la partie que je considère importante qui est la partie culture professionnelle et ouverture d’esprit ; néanmoins, cela permet de cibler des populations ayant rencontré des difficultés scolaires que le diplôme ne peut plus motiver ». L’aspect financier explique également le choix. Les entreprises qui
versent la taxe d’apprentissage et qui rationnellement ont intérêt à la récupérer optent plus volontiers pour l’embauche d’apprentis visant par conséquent un diplôme. La logique de recrutement d’EléaNet est que le diplôme sera recherché si le but est de capter une main d’œuvre jeune ; le titre sera recherché si les personnes à embaucher ne sont pas en sortie du système scolaire.
Mais ces raisonnements sont appelés à évoluer. Les nouvelles dispositions règlementaires des titres, dont leur ouverture à l’apprentissage, sont susceptibles d’être des facteurs de changement de l’offre de formation et de certification. A l’instar des Greta, les sections d’apprentissage et les CFA sont de « nouveaux » arrivants sur le marché de la délivrance des titres du ministère du travail. De quelle façon les CFA se positionnent‐ils sur ce marché et quelles relations entretiennent‐ils avec les autres segments préexistants ? Peut‐on observer d’ores et déjà des changements significatifs à la suite des évolutions du cadre ?
20
L’entretien avec EléaNet se déroule lorsque l’ouverture de l’apprentissage aux titres n’est pas encore effective.