Le cas d’une entreprise de matériaux composites créant un titre de chef de projet d’une valeur de licence professionnelle
5. LE CFA, nouvel acteur des titres ?
5.3. L’image du titre relookée par l’apprentissage, l’apprentissage boosté par le titre ?
Dans la plupart des cas, l’usage des titres en apprentissage est perçu de manière positive par les responsables de CFA. Ils y retrouvent des possibilités d’orientation plus élargies pour leurs apprentis et peut être plus conformes à leurs aspirations par de moindres exigences scolaires et théoriques au profit d’une maîtrise de savoir‐faire opérationnels plus attrayants.
Certains d’entre eux insistent sur le bénéfice de cette diversification des certifications pour la réalisation du parcours du jeune apprenti : « pour certains jeunes qui appréhendent leur métier de
manière plus pragmatique, le titre va leur plaire, aussi pour d'autres qui étaient en délicatesse avec les enseignements généraux par exemple histoire‐géo, ceux‐là vont gagner du temps avec des formations au titre plus courtes que s’ils devaient passer un diplôme ».
Mais le fait de pouvoir préparer un titre professionnel comme on prépare un CAP tout en restant en apprentissage provoque des débats autour d’une définition pouvant être partagée par tous, acteurs de l’éducation et de la formation continue, d’un prérequis commun pour les savoirs généraux qui pour les titres ne sont ni identifiés en tant que tels ni a fortiori prescrits.
C’est la raison probable pour laquelle sur le terrain les avis convergent pour dire qu’un titre ne remplacera jamais un diplôme mais qu’il peut faciliter davantage que celui‐ci l’accès à l’emploi pour certains jeunes. La reconnaissance par les entreprises de la valeur du titre à l’embauche est présentée comme une contrepartie valorisante à la faiblesse de ses contenus en enseignements généraux. Par ailleurs, les acteurs travaillent ensemble à des expérimentations pour conjuguer titre et renforcement des savoirs généraux, comme l’évoque un responsable des services de l’Etat en région : « on est collectivement convaincu que pour des jeunes de niveau V avoir un socle minimum
d'enseignement général, c'est quand même utile sur le marché du travail. C'est pour cela qu'on travaille avec le Conseil régional et cinq CFA partenaires à une expérimentation d’un développement du titre au niveau V de certaines formations en apprentissage incluant un socle commun, sur une durée très courte pour ne pas démotiver le jeune, soit un module CLéA par exemple soit d'autres types de modules de formation complémentaire qui lui permettent d'avoir quand même un socle minimum d'enseignement général à la fin de son titre ». Les personnes enquêtées en région insistent
cependant sur le fait que pour voir le jour, de telles expérimentations, sortant des pratiques courantes et de la routine institutionnelle, nécessitent une conviction et un portage politique affirmés. Sur ce plan, l’engagement du Conseil régional est jugé essentiel, avec sa volonté de
rechercher des complémentarités entre certifications, en abandonnant l’idée du « tout diplôme » pour les formations. Comme l’indique un chargé de la formation en Conseil régional : « plus que les services de la région, si je puis dire, le politique doit être convaincu que le titre c’est l’avenir, sans que cela entre en concurrence avec le diplôme, vraiment en complément, en diversifiant, un titre pour les bas niveaux parce que cela va attirer d’autres jeunes ».
Du côté des branches professionnelles pour lesquelles l’apprentissage tient une place très importante dans la production des compétences sectorielles, les attentes sont tournées vers la réforme à venir. Durant la période où se déroule l’enquête auprès des CFA, le recul est insuffisant pour recueillir des points de vue définitifs sur le sujet. Parmi les acteurs de branche interrogés, certains responsables de fédérations professionnelles évoquent en premier lieu les difficultés de la mixité des publics dans les CFA, jeunes comme adultes désormais candidats au titre au sein de même formations y conduisant : « il y a malgré tout une problématique autour de la question de la mixité :
quand vous avez des élèves de 14‐15 ans, vous pouvez difficilement faire une mixité avec un salarié qui a une trentaine d’années et qui viendra chercher une compétence. Pour moi, les quelques exemples que j’ai pu voir n’étaient pas très positifs, parce que ce n’est pas le même univers ; les intérêts, les choses qui intéressent les uns et les autres sont complètement opposées ; quand vous avez un gars qui est père de famille et les autres entrés dans l’adolescence…».
L’introduction d’une nouvelle certification validant les formations par apprentissage pourrait‐elle, comme cela a été dit, offrir aux jeunes d’autres choix d’orientation, d’autres champs des possibles ? Cela ouvrira‐t‐il d’autres parcours vertueux pour ceux qui sont les plus éloignés de l’exigence scolaire ? Cela pourrait‐il combattre efficacement les images collant à l’apprentissage longtemps perçu comme une voie de relégation ?
Bon nombre d’acteurs enquêtés expriment leur incertitude à l’égard de ces questions. Ils pointent la ténacité des représentations sociales et éducatives autour des publics des CFA et de la hiérarchie scolaire qui joue à la négative d’une part pour l’enseignement professionnel par rapport à l’enseignement général et d’autre part pour le titre par rapport au diplôme. Les entretiens témoignent de cela de manière parfois rude : « aux dernières statistiques, les CFA accueillent 17 %
d’enfants illettrés à l’entrée, et ils sortent, normalement, en ayant comblé toutes leurs lacunes, y compris de savoirs généraux, on est très contents que les CFA fassent œuvre sociale, on peut le dire comme ça, on lutte contre les inégalités ; on constate que le CFA remplit tout à fait bien sa mission mais on constate avec un peu d’amertume que les différentes réformes, y compris de l’apprentissage, visent plutôt à favoriser les filières de l’Education nationale ; dans notre beau pays, contrairement à d’autres pays plus à l’Est, la formation professionnelle n’a pas encore atteint vraiment le seuil de reconnaissance qu’elle devrait avoir ; c’est‐à‐dire si on questionne un parent qui a un enfant de 14 ans et qu’on lui dit vers quoi il faut aller, aujourd’hui dans notre pays, un bac S c’est bien, un bac littéraire c’est moins bien, un bac ES c’est moins bien aussi et un bac pro on ne connaît pas ». Au‐delà des visions sociales dévalorisées de l’apprentissage mais plus généralement des
filières de formation professionnelle initiale, le titre en tant que certification alternative au diplôme semble rester dans les esprits associé à une formation « de second ordre » souvent destinée au demandeur d’emploi.
Comme le rappelle un responsable des services de l’Etat « le titre renvoie à l’image de personnes qui
n’ont pas de travail ni de diplôme de l’Education nationale. Alors, est‐ce que l’ouverture des titres à la voie de l’apprentissage va renverser ça ? L’ouverture des titres à la voie de l’apprentissage faisait partie des mesures, pas la seule, mais de l’une des mesures qui pouvaient booster l’apprentissage en France ; la question est de savoir si cela sera le cas ». Inversement, la question pour l’avenir est aussi
de savoir si l’apprentissage aura un effet induit sur la notoriété des titres et dans quel sens il sera.
Au‐delà de ces difficultés, les CFA déclinent néanmoins leur offre de titres articulée à d’autres certifications. Les raisons pour en faire usage diffèrent d’un CFA à l’autre, chacun s’appropriant les certifications en fonction de contraintes de gestion ou pédagogiques particulières.
5.4. Aperçu de la variété d’usages des titres par les CFA
La façon dont les CFA intègrent le cadre règlementaire et développent les titres professionnels par rapport aux autres certifications (diplôme et CQP) dépend en grande partie de leur statut (CFA de branche, consulaire, CFA académique, CFA privé etc.), de leurs modes de constitution et de leur propre histoire. Cela dépend aussi d’une série d’autres paramètres liés à leur place d’offreur sur le marché de la formation et de la certification. Cette variété d’usage renvoie principalement à deux cas de figure, celui des précurseurs et des réfractaires à l’ouverture aux titres. Au‐delà de ces deux catégories, l’échantillon des CFA enquêtés réclamerait surement d’être consolidé pour prétendre représenter de manière plus exhaustive leur réalité actuelle.