Un premier constat partagé est le faible recours aux titres professionnels pour les démarches de VAE11. Des explications sont données du point de vue des entreprises et des individus par un responsable d’entreprise : « cela fait peur aux candidats, les entreprises ne voient pas l’utilité d’une
procédure si compliquée et elles craignent également que les gens revendiquent par la suite un changement de catégorie » ; ou encore, issu des propos d’un autre responsable : « depuis que je travaille, j’ai vu passer un seul salarié visant une VAE par le titre ; actuellement sur les niveaux V et IV, la logique VAE ne passe pas du tout à cause de trop de lourdeur dans le dossier, trop de formalisme à mettre en œuvre… même si l’on précise qu’il y aura un accompagnement ça ne passe pas auprès des gens ». Les idées reçues ont parfois la vie dure ; les réticences à entamer une démarche en VAE sont décrites reposer quelque fois sur des arguments irrationnels, comme le rappelle un DRH : « tout le monde
n'adhère pas à la VAE parce qu'il y a aussi la crainte de " s’il veut me certifier, c’est qu'il veut se débarrasser de moi". C’est ça mais pas forcément. Il y en a qui sont sensibilisés, pour autant ce n'est pas le cas de tout le monde ». D’autres interlocuteurs précisent qu’avec la crise des subprimes, les
sociétés et les salariés de l'intérim, qui ont connus des intermissions plus longues qu’en période de reprise économique, auraient pu mettre à profit cette période pour se lancer dans la certification des acquis professionnels. Or, de leur point de vue, ce n’est pas ce choix‐là qui a été privilégié, la crainte étant de rater une mission compte tenu de leur rareté durant cette phase d’activité au ralenti.
Pour certains secteurs, ce peu d’attrait pour une préparation au titre par la VAE ne dépend pas toujours de la certification elle‐même ; il peut dépendre plus simplement du fait que le dispositif de la VAE n’y est pas très développé, comme dans l’artisanat dont l’un des représentants précise que :
« dans ce secteur, on utilise un peu moins qu'ailleurs le parcours VAE qui est vu comme effectivement un relatif "échec", référence faite aux savoirs scolaires. Dans l’artisanat, la VAE a trouvé un public mais ce n'est pas à hauteur probablement de ce qu'on peut souhaiter pour un dispositif qui a des vertus ».
Du côté des individus, la motivation est déterminante pour vouloir commencer un parcours de VAE ; les personnes susceptibles de l’effectuer sont le plus souvent en activité au sein de l’entreprise. Tant que leur situation dans l’emploi est exempte de tensions, la question de la VAE ne se pose pas vraiment ; elle se pose lorsque l’emploi est menacé par une dégradation du positionnement de 11 DARES Résultats, n°038 juin 2017 : « En 2015, 60 000 dossiers de candidatures à un titre professionnel délivré par un certificateur ministériel ont été jugés recevables à la validation des acquis de l’expérience (VAE). 41 400 candidats seront présentés devant un jury en vue de l’obtention de tout ou partie d’un titre ou d’un diplôme et, parmi eux, plus de 24 600 candidats ont obtenu une validation totale. Ces chiffres sont en baisse depuis 2011. Depuis la mise en place du dispositif en 2002, un peu plus de 330 000 personnes ont obtenu une certification ministérielle par la voie de la validation des acquis de l’expérience. Les femmes (73 %) et les personnes occupant un emploi (74 %) restent majoritaires parmi les candidats à une certification ministérielle. Seules 45 % des certifications disponibles en 2015 hors enseignement supérieur, emploi et culture, ont été présentées. En outre, le choix de la moitié des candidats se concentre sur seulement une dizaine de certifications, principalement dans le domaine de la santé, des affaires sociales et de l’éducation. 58 % des candidats visent un titre ou un diplôme de niveau baccalauréat ou CAP/BEP. La part des candidats visant un diplôme de niveau CAP/BEP a été bien moins élevée en 2015 (40 %) qu’en 2014 (52 %). »
l’entreprise sur le marché. Mais dans ce cas ‐ soulignent les formateurs de l’entreprise ‐ la réflexion arrive trop tard.
Dans une majorité de cas, la lourdeur du dossier administratif et des procédures de validation du titre sont jugées démotivantes pour les candidats au titre ; elles sont cause d’un taux d’abandon élevé en cours de route. Le fait de devoir passer par le même type d’examen visant à donner des « preuves » professionnelles comme un candidat‐apprenant est perçu peu conforme avec l’idée que l’on se peut se faire d’une démarche de validation d’expérience acquise. Cette absence de distinction et de reconnaissance du bagage initial n’est pas en soi un signal très encourageant pour les personnes engagées dans une VAE. Peut‐être y‐aurait‐il là matière à réflexion pour une adaptation des procédures afin de tenir compte des spécificités des publics candidats à la VAE pour un titre ?
Plus largement, pour les autres actifs ou les demandeurs d’emploi, la question posée est celle de pouvoir mixer l’accompagnement à la VAE à une formation au titre dans la visée d’une (ré) orientation tout au long de la vie. Les dérogations aux procédures ordinaires d’obtention du titre pour être adaptées à ce type de parcours mixte ‐ formation et reconnaissance des acquis de l’expérience ‐ n’est pas une mince affaire à mener en pratique. Des expérimentations de terrain conduites par Pôle emploi ont permis, par exemple, de mettre au point une démarche VAE ayant fait l’objet d’une dérogation pour la délivrance du titre d’agent de propreté et d’hygiène. Cela s’adressait à des personnes ayant une expérience confirmée dans ce domaine, souvent en activité réduite, mais qui ne pouvaient pas postuler à des emplois de nettoyage auprès de prestataires sous‐traitants parce que ces derniers avaient recours au nettoyage mécanisé avec utilisation de machines spécialisées. Ce titre d’agent de propreté et d’hygiène du ministère du Travail contient un CCP centré sur le nettoyage mécanisé. Les personnes à former, qui par ailleurs avaient déjà une expérience suffisante sur un certain nombre de CCP, les ont ainsi obtenus par dérogation. Pour ce qui est de l’obtention du CCP « nettoyage mécanisé », constitutif du titre pour lequel elles n’étaient pas exercées, un module de formation à ce certificat Ieur a permis de l’acquérir ; dans ce cas, le jury évalue à la fois la partie VAE mais également la partie formation. La moitié des candidats au titre par la VAE l’a ainsi décrochée et a pu postuler pour des emplois auxquels elle n’aurait pas pu prétendre auparavant.
Des tentatives d’articuler ces parcours VAE à des formations au titre ont été menées en particulier dans le cadre du plan « 10 000 VAE » porté par l’AFPA et Pole emploi sur une quinzaine de titres du ministère du Travail de niveau V. D’autres expérimentations encore ont eu lieu en région, en identifiant d’un côté les demandeurs d’emploi susceptibles d’entrer dans un processus VAE pour l’obtention d’un titre et de l’autre les besoins des entreprises, de telle sorte qu’en bout de parcours, les personnes en recherche d’emploi en retrouvent un directement. Toutefois, force est de constater que dans l’un et l’autre des cas, ces initiatives ont eu une portée très restreinte. La mobilisation des titres professionnels pour la construction de parcours mixtes formation‐VAE ne s’est pas révélée toujours probante. Néanmoins, les parties prenantes en soulignent le potentiel qui pourrait être intensifié si des conditions adaptées étaient envisagées pour la validation des acquis.
2.6. La complexité de la gouvernance et du pilotage de la politique du titre en
région
Les avancées et les contraintes s’opposant au développement des certifications du ministère du Travail se comprennent aussi à la lumière des politiques publiques, des réformes et de la régulation institutionnelle. Au fil des entretiens, se dévoilent les représentations qu’ont les acteurs du système de certification. Une majorité des personnes enquêtées disent le trouver complexe et enchâssé dans de nombreux dispositifs publics d’emploi ou de formation. En preuve à l’appui de cette complexité, les dispositifs conduisant aux titres sont égrenés au fil des interviews : contrats de
professionnalisation ; contrat d'insertion professionnelle intérimaire (CIPI) ; contrat développement des professions intermédiaires intérim (CDPI) ; dispositifs de Pôle emploi, dont les préparation opérationnelle à l’emploi (POE) dans leur double forme, individuelle (POEI) initiée par l’entreprise et collective (POEC) initiée par la branche, jugée d’ailleurs par certains voisin des CQP ; apprentissage.
En outre, le mode de gouvernance et de pilotage de la politique de certification, plus particulièrement de la politique des titres, ne va pas sans poser question. Cela est énoncé comme une source de complexité supplémentaire depuis les actes successifs de décentralisation qui ont fait et défait la répartition des compétences entre Etat, Régions et partenaires sociaux.
Les points de vue expriment le doute que la séparation formelle entre formation et certification ‐ politique de formation professionnelle aux Régions et politique de certification à l’Etat ‐ ait abouti au final à une plus grande transparence du système ou à un pilotage plus cohérent. Les acteurs indiquent que leur propre perception du fonctionnement d’ensemble a été rythmée par les réformes. Ces moments‐clé cités sont la loi de décentralisation d’août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, la loi de 2008 instaurant l’ouverture à la concurrence du marché de la formation et la fin du monopole de l’AFPA, élaborée à la suite d’un arrêt du Conseil européen de la concurrence saisi par la Fédération française de la formation professionnelle ; des circulaires qui en ont découlé ont modifié les conditions de l’agrément des organismes préparant aux titres professionnels, les Direccte étant désignées pour cette tâche en substitution de l’AFPA. Les services de l’Etat deviennent le garant de la fluidité du marché et de sa régulation. Interrogés sur ce point, les décideurs de la politique du titre soulignent la volonté de faire en sorte que l’action entre Etat et Régions ne soit pas redondante. Pour les titres, il est rappelé par plusieurs acteurs que la compétence de l’Etat n’est pas sur la formation qui est décentralisée mais sur le contenu des référentiels de certifications avec à cet effet une délégation de service public attribuée à l’AFPA.
La préoccupation de l’Etat est également d’éviter la redondance de l’action entre ministères ; un exemple de concertation interministérielle est donné, celui de la rénovation récente du titre d’assistant(e) de vie aux familles, qui touche plusieurs publics et qui reste la certification‐phare de la politique du titre. Des équivalences partielles ont été construites entre ce titre du ministère du Travail et celui d’auxiliaire de vie sociale de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).