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système de ressource foncière du

territoire bananier du Moungo

L'analyse de la gestion de la ressource foncière utilisée dans la production bananière et des

impacts éventuels de dispositifs RSE sur celle-ci ne peut être menée qu'une fois clarifié le

contexte socio-historique ayant conduit à l'instauration de pratiques usuelles, à partir

desquelles on peut inférer le système de règles qui structurent nos situations d’action (voir

chapitre II). Il est pour cela indispensable d’établir en détails et dans leur historicité les

différentes contraintes qui ont progressivement mené à de telles pratiques d’utilisation du

foncier : après avoir rappelé les séquences historiques d’appropriation de la ressource

foncière, sous ces différentes formes et selon des sources différentes de droit formel

(section IV.1), on s’attachera à exposer les événements qui permettent de mieux comprendre

les modalités actuelles de gestion de cette ressource, en montrant qu’elles sont très différentes

ce qui caractérise un commun (section IV.2.).

IV.1. Les formes historiques d'appropriation foncière pour la

production de banane dessert au Cameroun

Afin de caractériser les situations d’action correspondant à notre objet d’étude, il est d’abord

nécessaire de préciser les modalités de détermination de notre focale (section IV.1.1.), puis de

saisir les bases historiques d’élaboration des règles qui contribuent à structurer les pratiques

actuelles. Nous revenons pour cela sur l'histoire coloniale du développement bananier dans

chacune des deux zones de production camerounaises historiques, le Fako et le Moungo

(section IV.1.2.), avant d’exposer l'enchevêtrement des systèmes de droit foncier écrit et

coutumier qui subsiste encore aujourd’hui (section IV.1.3.).

IV.1.1. Le choix du périmètre d’analyse

Comme on l'a vu au chapitre précédent, notre problématisation de la RSE a établi pourquoi

celle-ci désignait des questions d’ordre politique traitées au niveau de sociétés commerciales,

et notre focale d’analyse se fixe donc à l’échelle du territoire des populations concernées par

les actions de ces sociétés. Il s’agit donc maintenant de délimiter géographiquement ce

territoire pour notre étude, c’est-à-dire à l’échelle duquel s’inscrit la situation d’action des

plantations agro-industrielles de la filière.

La construction de notre terrain démarre d’abord à l’échelle du département – et non de l’Etat

ou à l’inverse du village –, en l’occurrence le Moungo et le Fako (où se concentre la

production actuelle de banane-export) et la Sanaga Maritime (où de nouvelles plantations

étaient en cours de création lors de notre étude de terrain)

188

.

Dans le cas du Moungo, des travaux cartographiques antérieurs (Cf. carte 2) permettent

d'identifier certaines limites qui se sont imposées, de façon matérielle ou idéelle, pour

façonner le territoire de cette zone de production bananière.

188 Les exigences pédoclimatiques de la banane dessert d’exportation, plus strictes que celles de la banane

plantain (vivrière) ou que d’autres cultures d’exportation (cacao, café, hévéa…), ont entraîné une

spécialisation foncière telle qu’on peut parler d’un système agro-industriel de la banane-export (pour

simplifier la lecture, nous écrirons simplement « de la banane » par la suite).

Carte 2. Zone bananière du Moungo en 1971 et 1972

A gauche : « Vocation des sols du Mungo », Ekollo Moundi [1971, p.20a]

A droite : extrait de la carte au 1/50 000 « Buea-Douala 4 a », Institut Géographique

National (IGN), Paris, 1972 (sur la base d'une couverture aérienne verticale de

1963-64). Les zones quadrillées signalent des « plantations », les zones grisées des

« forêts » ou « forêts dégradées » (souvent sur des collines), et les zones claires

parsemées de points des « zones de cultures avec arbres ».

Cette zone de production est ainsi délimitée par des contraintes technico-économiques et

historiques :

- une limitation climatologique du fait de l'altitude (au nord de Manjo dans le Moungo) ;

- une limitation pédologique liée à la présence de sols volcaniques en partie adaptés à la

culture de la banane [Etoga Eily : 1971 ; Ekollo Moundi : 1971] ;

- une limitation historique (frontière entre Cameroun oriental et Cameroun occidental du

temps de la double tutelle française et britannique, pendant laquelle la culture de banane

d'exportation s'est développée de façon indépendante dans les deux entités

administratives, cf. infra) ;

- une contrainte économique pénalisant l'éloignement des infrastructures permettant

l’exportation (voie ferrée puis route Douala-Nkongsamba), puisque les voies

secondaires (notamment les accès au villages environnants) ne sont pas bitumées.

Plus précisément, les délimitations des plantations bananières actuelles sont liées d'une part à

des contraintes pédologiques (hétérogénéité des sols [Etoga Eily : 1971 ; Ekollo Moundi :

1971]) ou topologiques (collines ou pentes du Mont Koupé inadaptées à la culture industrielle

de la banane), et d'autre part à l'histoire du contrôle du foncier sur ces parcelles (cf. infra). La

figure 11 schématise notre terrain, pour le cas du territoire du système bananier du Moungo.

Figure 11. Schématisation du territoire du système bananier du

Moungo, correspondant à notre focale d’analyse

A gauche, la zone centrale non hachurée correspond au territoire, déterminé

notamment par une limite altitudinale et une limite administrative historique, ou

encore la proximité des infrastructures de transport sur l'axe Douala-Nkongsamba. A

droite, les tâches sombres schématisent (sans prétention cartographique) les

plantations qui ont pu se développer et se maintenir jusqu'à aujourd’hui. (Source :

auteur.)

Le cas du Fako est relativement similaire à celui du Moungo : le périmètre d’analyse y est

déterminé en fonction d’un développement historique contraint par des caractéristiques

pédo-climatiques (altitude, fertilité et profondeur des sols, pluviométrie...), par les limites

administratives historiques et par la proximité d’infrastructures nécessaires à l’exportation des

bananes.

Il en est de même dans la Sanaga Maritime, où le périmètre de l’extension bananière prévue

lors de notre enquête de terrain (voir infra) peut être déterminé grâce au témoignage d’un

responsable de l'administration qui avait participé à la Commission consultative saisie par le

Préfet du département :

« Il y a la SOCAPALM qui voulait exploiter la zone. Par la suite, la PHP est venue et a

estimé qu'elle pouvait se déployer de ce côté-là, en étant à cheval entre deux

arrondissements : l'arrondissement Edéa 1

er

, du côté de Ongue, et l'arrondissement de

Mouanko, du côté d'Elog-Lom, (…) un hameau d'Olombé. (…) La zone se trouve être

une zone agricole, les terres là-bas sont naturellement fertiles. (…) Et au-delà des

conditions écologiques, la zone se trouve à proximité d'un axe, la route qui peut conduire

au port. Il y a un port du côté de Kribi, en construction, et le port de Douala. (…) Ca

devait s'étendre sur une superficie d'au moins 1000 ha. Donc environ 600 du côté d'Edea

1

er

, et un peu plus de 400 de l'autre côté. [Mais] on a vu qu'il y avait des zones

marécageuses, et qu'on ne pouvait rien faire, malgré tous les grands engins qu'ils vont

apporter. On a donc exclu certaines zones marécageuses, et on a donc élargi pour

atteindre la superficie qu'ils voulaient exploiter »

189

.

La détermination du territoire pertinent (cf. figure 12) est donc cette fois fonction

principalement :

- de la limite administrative entre la région Littoral (du côté d’Elog-Lom et de Ongue, qui

sont dans des cantons distincts mais relèvent de la même administration départementale

et la région Sud (du côté de Dehané, où est aussi prévue la création d’une bananeraie,

mais relevant d’autres administrations que celles que nous avons rencontrées) ;

- de la proximité des axes routiers reliant Edéa à Douala et Kribi ;

- du foncier disponible au-delà de plantations de palmiers à huile existantes.

Figure 12. Schématisation du territoire du (futur) système

bananier de Sanaga Maritime, correspondant à la focale de

l'étude

A gauche, la limite administrative (entre les régions Littoral et Sud), la proximité des

axes routiers vers les ports de Douala ou Kribi ou encore la présence de plantations de

palmiers à huile commencent à délimiter une focalisation possible. A droite, le ciblage

sur les terrains fertiles autour d’Elog-Lom et d’Ongué de façon large pour tenir compte

des parties marécageuses (schématisées ici par les tâches sombres, sans prétention

cartographique), indique le territoire retenu pour notre étude. (Source : auteur.)

IV.1.2. L'origine coloniale de l'appropriation foncière à des fins

d'exportation de bananes

Depuis l’époque coloniale, les enjeux économiques liés à l’exportation de banane dessert à

destination de l’Europe et notamment de la France, ont pesé sur la structuration du foncier des

zones considérées comme les plus adaptées à cette culture. L’histoire de son développement

est indissociable de l’histoire contemporaine du Cameroun.

IV.1.2.1. Les premières plantations coloniales et le partage du pays

Le développement de grandes plantations agricoles fut l'un des motifs mis en avant par la

Chambre de Commerce de Hambourg (CCH) en 1883 pour plaider la création d'un protectorat

allemand au Kamerun :

« l'acquisition de la région concernée s'impose tout particulièrement du fait que celle-ci se

prête fort bien à la création de plantations. Jusqu'à présent, tous les produits de ce pays

n'ont pas été cultivés, mais récoltés à l'état sauvage. La richesse de la brousse en épices,

caoutchouc, etc. fournit un indéniable témoignage de la fertilité des sols et montre

combien ces ressources pourraient être accrues par culture » [rapport CCH du 6 juillet

1883 cité par Etoga Eily : 1971, p.128].

Le traité germano-duala signé en juillet 1884 ouvrit ainsi la voie à la création et au

développement rapide de plantations. Dès 1886, un observateur allemand rapporta :

« [Les pentes du Mont Cameroun pourraient] assurer une vie agréable à 100 000 nègres

travaillant sous la direction de 2 000 allemands, lorsque les seuls terrains dont on est

assuré de la fertilité seraient transformés en plantations » [Etoga Eily : 1971, p.160].

Ainsi, sous le Protectorat allemand (1884-1916), les plantations coloniales se sont très vite

développées « sur les versants fertiles du Mont-Cameroun où, déjà en 1894, la totalité des

terres cultivables avait pratiquement été distribuée à des sociétés d'une certaine importance »

[Etoga Eily : 1971, p.219], principalement pour la culture de cacao. Ekollo Moundi [1971, p.

152] décrit également le rapide développement des cultures d'exportation dans le pays :

« On y cultive la banane, le café, le cacao, l'hévéa. La côte, les pentes du Mont

Cameroun, les rives du Mungo, les forêts du Sud-Est sont occupées, défrichées, couvertes

de plantations nouvelles. On signale dans le secteur du caoutchouc seul plus de 200 000

ouvriers pour une production de 3 000 tonnes en 1913 ».

Etoga Eily [1971], Ekollo Moundi [1971] et Maillard [1991] proposent une chronologie du

développement bananier dans le pays. Les premières plantations de banane furent créées en

1907 par l'Afrikanische Frucht Cie de Hambourg, à partir des variétés trouvées sur place,

avant d'introduire en 1910 la variété Gros-Michel en provenance du Costa Rica. Le transport

des fruits frais jusqu'en Europe étant une difficulté majeure, l'exportation se fit d'abord sous

forme de bananes séchées, avec également des essais en farine de banane. Lorsqu'éclata la

Première guerre mondiale, une intensification des exportations était prévue grâce à

l'affectation de navires vapeurs frigorifiques, pour acheminer à Hambourg la production de

quelque 2 000 ha de culture bananière. Mais rapidement confisqué à l'Allemagne, le

Cameroun passa en 1916 sous contrôle du Royaume-Uni (pour la partie occidentale, dans

laquelle se situent les plantations du Mont Cameroun du futur département du Fako) et de la

France (pour la partie orientale, dont le Moungo). Ce partage, que vint entériner un mandat de

la Société des Nations à partir de 1919, marqua profondément l'histoire des « deux

Camerouns » (l'un dit « britannique » puis « anglophone », l'autre « français » puis

« francophone »), dans lesquels la filière banane et son emprise foncière se structurèrent

différemment.

IV.1.2.2. La prise en main publique des plantations dans le Fako

Lorsque les Britanniques prirent le contrôle du Cameroun occidental, les plantations furent,

comme les autres biens allemands, placées sous séquestre. Elles furent l'objet d'une première

vente aux enchères en 1922, annulée du fait du peu de résultats obtenus. Une seconde vente

fut organisée en 1924, à laquelle les Allemands expropriés une décennie plus tôt furent cette

fois autorisés à participer [Etoga Eily : 1971]. Le développement bananier put reprendre :

« L'année 1926 a vu l'extension de la culture sur d'anciennes plantations d'Hevea et il a

fallu attendre 1930 pour débuter l'exportation des régimes frais avec une quantité modeste

de 10 tonnes en 1931 » [Ekollo Moundi : 1971, p.71].

Les plantations du Mont Cameroun repassèrent ainsi sous le contrôle de sociétés et planteurs

allemands qui, à la fin des années 1930, les contrôlaient toutes à nouveau et avaient largement

développé la production bananière. Ils purent ainsi prospérer jusqu'au début de la Seconde

guerre mondiale, durant laquelle leurs biens furent à nouveau confisqués – et cette fois

définitivement [Etoga Eily : 1971].

Pour éviter toute réclamation future, les autorités britanniques, dont la tutelle venait d'être

réaffirmée par la toute jeune Organisation des Nations Unies (ONU), décidèrent en 1946 du

rachat public des terrains aux colons allemands et de la création de la Cameroon Development

Corporation (CDC), qui dès 1947 prit en charge ce foncier et réorganisa la production

agricole. Mais, sur les 20 000 ha ainsi étatisés, faute de moyens, seuls 10 000 ha étaient en

culture au début des années 1950 [Maillard : 1991]. La commercialisation était assurée en

livrant la production au géant britannique de la banane, Elders and Fyffes, qui disposait aussi

d'une petite plantation camerounaise [Tcheptang : 1968], et l'appartenance du Cameroun

occidental au Commonwealth lui garantissait une tarification douanière préférentielle vers le

marché anglais.

Néanmoins, le développement de la fusariose dans les années 1950 et la concurrence

croissante de la production de coopératives camerounaises, notamment le long de l'axe

Victoria-Tombel, fragilisèrent la CDC qui réduisit de moitié ses surfaces bananières durant

cette décennie et se diversifia dans la production d'huile de palme, d'hévéa et de thé. La

production bananière, dans laquelle s'étaient engagées des coopératives telles que la Bakweri

Cooperative Union of Farmers (BCUF), se confronta alors à l'agenda politique : la

réunification des « deux Cameroun » en 1963 entraîna la perte des tarifs préférentiels du

Commonwealth vers le marché britannique, le débouché commercial quasi-unique du

Cameroun occidental, qui dut écouler sa banane avec celle du Cameroun oriental sur le

marché français

190

. Les exploitants durent également faire face au développement de la

fusariose à laquelle était sensible la variété Gros-Michel utilisée jusqu'alors, et s’adapter aux

nouvelles contraintes de marché sur la qualité des fruits et le passage à une exportation sous

forme de mains de bananes (nécessitant d'investir pour pouvoir les emballer dans des cartons,

contrairement aux régimes complets). Ils durent pour cela envisager une reconversion

bananière (replantations en variété Poyo, nouvelles techniques) ou cesser cette production, à

l'instar des membres de la BCUF, encouragés à réinvestir également dans l'hévéa et le palmier

à huile [Konings : 1986]. Les surfaces bananières se réduisirent donc, Elders and Fyffes cessa

toute exportation depuis le Cameroun en 1966 [Bederman : 1966 ; Ekollo Moundi : 1971] et,

en 1970, « la grande zone bananière de l'ancien Cameroun britannique n'était plus de toute

évidence, au terme d'une décennie catastrophique, que l'ombre d'elle-même » [Maillard :

1991, p.244].

Il faut attendre le programme de relance de la fin des années 1980 pour que les surfaces

bananières du Fako se développent à nouveau, sur les terrains de la CDC : auparavant, l'hévéa

et le palmier à huile occupaient encore 94 % des 40 000 ha alors cultivés, sur les 98 000 ha

qu'elle détenait [Konings : 1986].

IV.1.2.3. Premières tensions dans le Moungo : les conditions sociales de

l’expansion coloniale des plantations bananières

Au Cameroun oriental, contrôlé par les Français depuis la Première guerre mondiale, les

plantations de banane se sont étendues notamment dans le Moungo, où les premières études

de prospection concernant cette culture furent menées en 1931. L'histoire de leur

accroissement et de leur développement est émaillée de fortes tensions sociales, et parfois

d'épisodes particulièrement violents, qui continuent de structurer le rapport au foncier dans

cette zone.

Les plantations bananières se développèrent le long de la voie ferrée construite par les

Allemands de 1907 à 1911 entre Douala et Nkongsamba (ville au cœur de la zone caféière).

Cette infrastructure, créée pour relier les plantations au port [Champaud : 1972] et qui fut

doublée dans les années 1950 d'une route bituminée [Champaud : 1983], traversait à cet

endroit des zones aux sols volcaniques assez profonds et fertiles :

« Toutes ces conditions écologiques et économiques favorables ont incité le démarrage

décisif dès 1936, des exploitations dites industrielles à l'expérience de la Compagnie des

Bananes, dans des concessions d'une superficie optimale de 100 hectares dans des cas

individuels et entre 200 et plus de 1000 hectares pour des sociétés agricoles. Ces

emplacements sont choisis en bordure de la voie ferrée et de la route nationale

Douala-Nkongsamba, dans le secteur de Mbanga à Manjo » [Ekollo Moundi : 1971, p.73]

Comme dans tout le Cameroun, mais en particulier dans le Moungo, l'époque était à

l'expansion de l'agriculture d'exportation, fortement dépendante de la main-d’œuvre salariée :

les concessions de terres accordées aux Blancs passèrent de 15 000 à 74 000 ha de 1926 à

1936, dont 20 000 ha pour le seul Moungo qui, selon une estimation de l'administration

coloniale, comptait 10 000 des 21 000 ouvriers agricoles du Cameroun sous mandat français

en 1935 [Joseph : 1977].

A côté de cette agriculture d'exportation « européenne » (café, banane, etc.), des plantations

« indigènes » commerciales commencèrent à se multiplier dans le Cameroun oriental : d'abord

du fait des autochtones ou des Dualas, dont beaucoup possédaient des plantations dans le

Moungo ; puis par des Bamilékés venus de leur région, voisine du Moungo et beaucoup plus

densément peuplée. Comme l'explique Joseph [1977, p.139] :

« depuis que la crise économique des années trente s'était estompée, de nombreux

métayers dans les rangs des propriétaires fonciers et les travailleurs bamiléké avaient

maintenant une autre possibilité qu'un travail sans débouché sur les plantations des

Blancs : ils pouvaient se faire embaucher chez un Bamiléké ou un planteur camerounais

local dans l'espoir de devenir finalement eux-mêmes planteurs à part entière ».

Philippe Gaillard[1989, p.143], journaliste et auteur d’un ouvrage de synthèse sur l’histoire

contemporaine du Cameroun, précise, dans un commentaire aux accents ethnicistes :

« Les voici de retour dans la vallée fertile du Mungo, où les Allemands les avaient enrôlés

de force. Cette fois, ils s'engagent de leur plein gré au service des colons et à celui des

Mbos et Bakossis, moins prompts à percevoir l'intérêt du changement. Laborieusement,

ils se mettent à épargner pour investir. Ils ne s'arrêteront plus jamais. Même la crise leur

est bénéfique : les planteurs européens et, surtout, autochtones n'ont pas d'argent pour les

payer ; qu'à cela ne tienne, les ouvriers acceptent d'être rémunérés en terrains. Colons à

leur tour

191

, ils s'établissent en force, à la barbe des premiers occupants, qui, se trouvant

soudain dépossédés, crient à l'escroquerie, prétendant n'avoir cédé que l'usufruit de leurs

terres. Mais la loi foncière coloniale donne raison aux nouveaux venus

192

».

Le lien historique entre migration économique de la force de travail et modification des

structures politiques et sociales de contrôle de la ressource foncière locale implique de

191 Gaillard confond ici immigration économique (dans un cadre contraint) et colonisation (qui fixe son propre

cadre, ses propres règles, le plus souvent en bouleversant brutalement celles qui prévalaient auparavant).

192 L'auteur fait ici référence à une contradiction potentielle entre le droit coutumier des autochtones et le droit

préciser les conditions dans lesquelles la main-d’œuvre fut mobilisée au bénéfice du

développement des plantations. En effet, l’engagement « de plein gré » au service des colons

dont parle Gaillard doit être nuancé, car bien que relevant théoriquement des règles du mandat

de la Société des Nations, le Cameroun oriental n'échappait pas au travail forcé mis en place

par les Français dans leurs colonies :

« le système, baptisé "prestation" pour échapper à la qualification de "travail forcé" –

interdit par la SDN-, est le suivant : chaque Camerounais "doit" dix jours de travail par an

sans rémunération ; à l'expiration de cette période, le travailleur reste sur le chantier en

échange d'une rémunération dérisoire » [Deltombe et al. : 2011, p.53].

Or, comme Joseph [1977, p.139] le précise :

« la majorité des travailleurs soumis à la conscription provenaient de la région bamiléké,

qui était une réserve de bras avec sa population de 400 000 personnes contre 70 000 dans

la région du Mungo. (…) Quand P. Boisson arriva au Cameroun en janvier 1937 en

qualité de gouverneur, il fut immédiatement saisi d'une demande d'assistance des

agriculteurs blancs pour le recrutement des travailleurs camerounais. Une telle demande

signifiait, bien sûr, une intensification du travail forcé. (…) Boisson se rendait bien

compte que la seule manière de perpétrer la colonisation blanche au Cameroun serait de