Chapitre I. L'état des problèmes et les réponses apportées
I.3. Les dispositifs RSE mis en œuvre
A partir du début des années 2000, les producteurs de banane d'exportation du Cameroun
durent s’adapter aux « normes de production dictées par le marché » [Commission
européenne : 2012, p.1] telles que ISO 14001. Dans un rapport commandé par l’Union
européenne, l’agroéconomiste Jean Raux et l’agronome Philippe Melin évoquaient
notamment le cas de « la certification EUREPGAP (désormais GLOBALGAP), imposée par
la grande distribution européenne, et qui est devenue la condition sine qua-non de l’accès au
marché européen »
84[Raux & Melin : 2008, p.24].
Paul Jeangilles, alors assistant technique et financier de la filière banane pour l'Union
européenne au Cameroun, considérait en 2010 que les certifications liées au respect de
normes privées avaient depuis quelques années un « rôle croissant (…) dans la réglementation
de l’accès au marché (Eurepgap, Tesco Nature Choice, Rainforest Alliance, Max
Havelaar...)»
85[Jeangille : 2010, p. 15]. Plus qu’un aspect « réglementaire », il s’agissait
d’exigences des partenaires commerciaux, la grande distribution (qui représente des parts de
marché considérables) imposant de plus en plus de telles certifications à ses fournisseurs.
Dans une double logique d’adaptation à cette contrainte de marché et de politique de
développement, les subventions de l'Union européenne ont encouragé et accompagné une
évolution des pratiques dans la filière, au travers d’une part de dispositifs RSE liés à l’activité
84 EurepGAP, rebaptisé GlobalGAP, est un label de bonnes pratiques agricoles, basé sur un référentiel à plusieurs niveaux : un cahier des charges concerne toutes les exploitations, d'autres référentiels plus spécialisés concernent des activités plus spécifiques ; ainsi, pour une société productrice de bananes, une certification GlobalGAP implique l'observation des exigences du module applicable à toutes les exploitations, du module applicable à l'ensemble des productions végétales et de celui des fruits et légumes. Et chaque module compile plusieurs dizaines de mesures. Le référentiel est révisé tous les trois ans. Voir http://www.globalgap.orgproductive (sur les volets de la préservation de l’environnement et de la protection des
salariés, et pouvant faire l’objet de certifications) et d’autre part d’actions à destination des
communautés riveraines. Jean Raux et Philippe Melin (qui occupait un poste de directeur
d’exploitation à la PHP quelques années plus tôt
86) détaillent cette adaptation dans leur
Évaluation intégrée, objective et critique, qualitative et quantitative de l’impact à court et
plus long terme du Programme ATF depuis son démarrage effectif au CAMEROUN :
« La pression des grandes chaînes de distribution et l’exigence toujours plus forte des
consommateurs en matière de sécurité alimentaire, de garantie de qualité du produit et des
conditions sociales et environnementales de production ont fait de la certification à
différentes normes reconnues internationalement une condition préalable au
référencement de la banane.
Les sociétés de plantation ont donc été amenées à revoir leurs priorités et à mener de front
les investissements productifs, sociaux et environnementaux dont la mise aux normes des
infrastructures et procédures de production.
Ainsi par exemple, CDC/DM a consacré une bonne partie des ATF 2000 et 2001 (mises
en œuvre respectivement en 2003 et 2004) à des mises à niveau de station d’emballage
d’une part et à certaines infrastructures sociales et environnementales de l’autre. Ces
actions étaient considérées comme prioritaires pour obtenir notamment les certifications
EUREPGAP (devenu depuis GLOBALGAP) et ETI (Ethical Trade Index), qui ont été
obtenues en 2003.
- Sur l’ATF 00, citons : magasins d’engrais, de pesticides, toilettes, réservoir d’eau
potable, balances.
- Sur l’ATF 01 rétroactive, citons : local de mélange pour les herbicides, bureaux,
réfectoire, local de traitement des palettes, etc.
Chez PHP, près de 800 000 € de subventions ont été consommées également sur l’ATF
2000 pour des actions sociales et environnementales liées à la mise aux normes des
stations d’emballage. (magasins engrais et phytos, sanitaires, réfectoires, salles de classe,
etc.
(…) Les actions citoyennes et sociales des entreprises ont été très significatives au cours
de la période, avec notamment :
- L’acquisition d’autobus pour le transport du personnel (ATF 2001 chez PHP, ATF 2004
et 2005 chez CDC/DM)
- La construction de passages piétons (CDC, ATF 01 et 03)
- La construction ou l’entretien de pistes (ATF 01 chez CDC)
- La construction d’écoles (ATF 01, 04 et 05 chez PHP)
Certains contrats ATF ont concerné plus particulièrement les investissements à caractère
médical
- Clinique et pharmacie chez CDC (ATF 00 à 03)
- Infirmeries de 03 à 05 chez SPM
Il convient de rappeler par ailleurs que les subventions ATF contribuent indirectement à la
prise en charge des frais médicaux pour l’ensemble des travailleurs et de leurs familles,
ainsi qu’au financement d’hôpitaux. L’ensemble de ces dépenses est évalué à environ 1 M
d’€/an tant chez PHP que chez SPM.
Par ailleurs, au-delà de l’utilisation directe des subventions ATF, les entreprises, en
particulier les deux plus grosses, contribuent également de manière significative au
développement de l’économie locale (réfection de pistes, de ponts, etc.
86 C’est à ce titre qu’un étudiant camerounais de maîtrise en histoire avait réalisé un entretien avec lui pour son mémoire [Assoua Elat N. : 2004]. Voir aussi « Cameroun: Philippe Melin : "La banane camerounaise a besoin d'être protégée" »,
Chez PHP, entre 2002 et 2007, le total des « appuis locaux » est estimé à plus de 400
MFCFA. Par ailleurs, l’entreprise assure un service de ramassage des ordures pour un
coût annuel de plus de 30 MCFA. » [Raux & Melin : 2008, p.40-41]
Ces dispositifs ont plus récemment été présentés comme s’inscrivant dans une démarche de
« Responsabilité sociale et environnementale » : dans le Rapport d’activités 2011 de la PHP à
ce sujet, le premier du genre, son directeur général expliquait :
« Mais il ne suffit pas qu’une entreprise soit rentable ; il faut aussi qu’elle s’inscrive dans
la durée. Pour ce faire, la PHP s’est engagée dans la mise en œuvre d’une politique de
responsabilité sociale et environnementale (RSE) permettant à l’entité PHP d’être
pérenne et durable. Les fondements de cette politique RSE sont anciens, que ce soit pour
des raisons d’implantation géographique, historiques ou éthiques. Depuis la création de la
PHP en 1973, cette politique RSE, menée d’abord de manière empirique, s’est structurée.
Les actionnaires de l’entreprise, ses dirigeants et son personnel se sont engagés avec
détermination et constance pour conjuguer rentabilité et :
• respect du milieu naturel dans lequel l'entreprise déploie son activité,
• amélioration permanente des conditions de travail et des règles sociales en
vigueur en son sein,
• prise en compte des préoccupations des communautés environnantes en termes
d'infrastructures sociales, médicales, éducatives et de communication,
• une forme de cohabitation voire de partage des terres agricoles utilisées par la
PHP quel que soit leur statut foncier,
• soutien au développement d'un nombre croissant d'acteurs économiques via la
sous traitance, l’élaboration de partenariats avec des producteurs tiers, la
promotion des associations d'encadrement des communautés voisines. » [PHP :
2012, p.3]
Dans son introduction, et en contradiction avec les critiques rapportées par les ONG ou la
presse (évoquées supra), la « Stratégie d'assistance pluriannuelle 2012-2013 pour le secteur
de la banane au Cameroun » de l’Union européenne affirmait :
« Les producteurs de banane au Cameroun sont le moteur des améliorations sociales et
environnementales des filières agricoles. Le salaire minimum payé y est de 50 %
supérieur au salaire minimum agricole garanti. Les salariés bénéficient d’une couverture
sociale complète, y compris l’accès aux soins de santé pour eux et leurs familles. »
87Outre les certifications GlobalGAP (sur les « bonnes pratiques agricoles ») et ISO 14001 (sur
le management environnemental), les entreprises de la filière affirment mettre en œuvre des
dispositifs RSE, mais seule la PHP communique précisément à ce sujet, en publiant même
depuis 2012 une estimation des dépenses que cela représente pour le groupe (cf. tableau 2).
87 « Stratégie d'assistance pluriannuelle 2012-2013 pour le secteur de la banane au Cameroun » (p.1) annexée à la Décision d'exécution de la Commission C (2012) 7431 du 25-10-2012 approuvant la stratégie d'assistance pluriannuelle 2012-2013 en faveur du Cameroun dans le cadre des mesures d'accompagnement aux pays ACP fournisseurs de banane (MAB).
Tableau 2. Estimation par la direction de la PHP des dépenses
engagées en 2012 « au titre de [sa] politique RSE »
Domaine Fonctionnement Investissement Total général
M F CFA k€ M F CFA k€ M F CFA k€
Santé 589 898 - - 589 898
Formation et protection des
employés
180 274 - - 180 274
Transport du personnel et cantine 232 355 62 94 294 449
Aide à l’éducation 87 132 47 72 134 204
Actions vis-à-vis des communautés 186 282 339 517 525 799
Fonctionnement du système RSE 9 13 - - 9 13
Total général 1283 1 954 448 683 1731 2 637
Les montants, indiqués soit en millions de francs CFA, soit en milliers d’euros
(italique), sont ceux de la communication du groupe PHP [2013, p.57]. Ils
représenteraient environ 3,5 % du chiffre d’affaires de la PHP1, mais il n’existe pas de
données permettant d’apprécier l’importance de cette somme comparativement à
d'autres entreprises, d’autant plus que, comme on le verra (chapitre V), les montants
communiqués incluent des coûts dont la comptabilisation comme RSE peut faire débat.
La PHP s’appuie sur d’autres certifications obtenues fin 2006 (celle liée au référentiel du
distributeur britannique Tesco
88), fin 2008 (« Field to Fork » de Mark and Spencer) et début
2013 (« Fairtrade Max Havelaar »
89), ainsi que sur des évaluations telles que Sedex (Supplier
Ethical Data Exchange) en 2009 ou des audits de performance RSE réalisés par Vigéo en
2009 et 2013. On s’intéressera ici principalement aux conclusions de ces deux audits Vigeo,
qui offrent des éléments d’analyse de l’évolution des dispositifs RSE dans une perspective
managériale et une photographie de ce qui était réalisé juste avant notre travail d’enquête sur
le terrain. On présentera successivement les dispositifs liés strictement à l’activité productive,
sur l’impact environnemental ou sur les conditions salariales, puis ceux visant les
communautés riveraines, en termes d’actions sociales ou de réponses spécifiques aux
problèmes causés par les traitements aériens ou la tension foncière.
88 D’abord « Tesco Nature’s Choice », créé en 1992, et rebaptisé depuis « Nurture », voir http://www.tesco.com/nurture/
89 C’est ainsi que le présente la PHP, mais il s’agit du référentiel Fairtrade Labelling Organizations (FLO) International e.V pour les organisations dépendant d’une main d’œuvre salariée. Voir www.fairtrade.net
I.3.1. Dispositifs RSE liés à l’impact environnemental de l’activité
productive
En 2009, les auditeurs Vigéo relèvent que « l’engagement de la PHP en matière de protection
de l’environnement est ancien » puisque « dès 2001, [elle] s’engage dans la mise en place du
système de management environnemental qui s’inscrit dans le cadre de la politique
environnementale et a pour cadre la norme ISO 14001 ». Ils soulignent que des dispositifs
organisationnels ont été mis en place et que la documentation nécessaire est bien compilée,
mais déplorent n’avoir « pas identifié à ce stade de vérifications effectuées par des tiers au
niveau national ou international, relevant de la sphère publique ou parapublique
(gouvernement, organisme de recherche, expert environnemental,...) » [Vigéo : 2009, p.62].
Dans ses rapports RSE publiés à partir de 2012, la PHP insiste notamment sur les actions liées
à la réduction de l’utilisation des intrants et celles relatives à la maîtrise de ses rejets (déchets
et effluents).
I.3.1.1. Réduction des intrants
Dès 2009, cet objectif fait partie de la stratégie RSE identifiée par les auditeurs de Vigéo, mais
ils constatent que « sur le volet relatif à l’agriculture raisonnée, l’engagement reste assez
général, il donne peu d’éléments sur les orientations à moyen et long termes, alors que l’enjeu
est majeur » [Vigéo : 2009, p.61]. De fait, l’évaluation se concentre sur les éléments
déclaratifs disponibles :
« Les indicateurs sous revue permettent de constater une diminution des surfaces traitées.
Cependant, nous ne disposons pas de données quantitatives de matière active par famille
de produits qui nous permettent de constater la diminution effective de l’utilisation de
pesticides. Des données sur le premier semestre 2009, communiquées oralement, font
apparaître une diminution significative de la consommation d’herbicides.
De manière générale, il est encore trop tôt pour pouvoir mesurer (apprécier) l’impact réel
des nouvelles pratiques agricoles mises en place. » [Vigéo : 2009, p.66]
En 2013, la PHP a mieux structuré sa démarche :
« L’élaboration de la Charte sur l’agriculture raisonnée en 2012 qui précise les
orientations et améliore sa visibilité :
• Ses 6 parties portent sur des thématiques telles que l’insertion dans l’espace
géographique, la préservation des sols, la consommation d’eau, l’énergie et
l’utilisation des engrais et des pesticides
• Les pratiques ont été développées avec des parties prenantes telles que le CIRAD
et le CARBAP
• La mise en place d’un tableau de bord des indicateurs de suivi des articles de la
Charte permettra de mesurer l’efficacité de l’application de la Charte » [Vigéo :
2013, p.28]
« Nous notons également que les stratégies concrètes de réduction de l’utilisation de
produits chimiques sont en cours de déploiement :
• Le développement d’alternatives aux produits chimiques : des applications
mécaniques et biologiques qui ont donné des résultats tangibles qui seront
diffusés plus largement
• La rotation des cultures a été mise en place ce qui permet de briser les cycles
parasitaires, et donc un usage moindre de produits de traitements » [Vigéo : 2013,
p.29]
Les auditeurs ne citent cependant aucun indicateur chiffré de résultat, contrairement aux
dispositifs relatifs à la maîtrise des rejets.
La certification FLO comporte quelques critères environnementaux, mais plutôt relatifs à
l’interdiction stricte ou aux modalités de stockage et de manutention de certains produits,
quelle que soit la réglementation en vigueur dans le pays, qu’aux pratiques agricoles. Lors du
pré-audit de 2011, les auditeurs relèvent parmi les non-conformités majeures l’utilisation de
produits non autorisés par les standards FLO : Oxamyl et Terbufos [FLO-CERT : 2011]. Un
an plus tard, l’auditeur précise dans son rapport de clôture d’audit que seul l’Oxamyl est
utilisé, pour lequel une dérogation a été obtenue jusqu'en juin 2014 [FLO-CERT : 2012].
I.3.1.2. Maîtrise des effluents et des déchets
La PHP affirme avoir déployé des actions relatives à la réduction de ses rejets liquides ou de
ses déchets, tels que la réutilisation de l'eau de lavage dans les stations de conditionnement ou
encore le traitement des plastiques de protection des régimes de banane et des emballages de
produits phytosanitaires.
Ainsi, les auditeurs constatent en 2009 :
« Les eaux usées de 17 stations d’emballage (sur un total de 20) sont recyclées pour
l’irrigation des plantations. » [Vigéo : 2009, p.66]
« Des installations de récupération et de traitement des effluents ont été mises en place
sur la quasi-totalité des stations. En revanche, seule la DCO est traitée. Une technique de
traitement, à base de coco, est actuellement à l’étude pour éliminer le latex (sève) des
effluents.(…)
Des campagnes de mesures sur la qualité des eaux des rivières sont effectuées 3 à 4 fois
par an pour s’assurer que la PHP ne contribue pas, par ses activités à une détérioration de
la qualité des eaux des cours d’eau aux abords de la PHP. »
90[Vigéo : 2009, p.69]
« En 2008, 96% des structures étaient équipées d’installations de récupération et de
traitement des effluents. Les eaux récupérées dans les stations d’emballage sont utilisées
pour l’irrigation. D’après le rapport B et R. Louvet les caractéristiques physicochimiques
des rejets de la PHP sont dans l’ensemble conformes à la réglementation. Les indicateurs
relatifs à la qualité des effluents ne figurent pas dans le reporting environnemental ce qui
ne permet pas d’apprécier l’évolution dans le temps.
90 La Demande chimique en oxygène (DCO) évalue la quantité de substances oxydables (organiques et minérales) contenues dans les effluents.