Chapitre III. Caractériser la situation d’action concernée par des
III.1. Distinguer systèmes de ressources et biens, régime de propriété et modes de
La mobilisation du cadre d'analyse SES requiert, on l'a vu, de définir quelles sont les
ressources utilisées par des acteurs au sein d'un système socio-écologique. Mais le risque est
alors de se heurter à l'emploi de termes et concepts auxquels les auteurs attachent un sens
variable, comme nous allons le voir. Or, comme l'explique Bromley [1991, p.1] :
« There can be no more important aspect of scholarship than the concern for concepts and
langage. If we use the same words or terms to describe fundamentally different fact
situations, ideas, or phenomena, then progress in understanding is impeded rather than
advanced. »
Nous proposons donc dans cette section une clarification sémantique susceptible de stabiliser
l'axiomatique ostromienne des types de « biens » puis, pour éviter toute confusion, un rappel
de ce qui définit spécifiquement un commun et, de façon plus générale, ce qui distingue un
type de système de ressource et son mode de gestion.
III.1.1. Une typologie des « systèmes de ressources » en fonction de leurs
caractéristiques matérielles
III.1.1.1. L'émergence d'une typologie
A partir des années 1930, émerge aux États-Unis une « théorie des biens publics » [Dardot &
Laval : 2014], qu'il serait plus précis de désigner comme une « théorie des finances
publiques » selon Demarais-Tremblay [2017], théorie qui se consolide à la fin des années
1960. Les économistes néoclassiques s'interrogent alors sur les « biens » dont les qualités
intrinsèques imposeraient que leur production ne puisse être assurée par des agents privés
marchands et donc relève nécessairement de l’État, quand tous les autres biens sont
implicitement produits d'une façon plus efficace (au sens de l'optimum de Pareto) par le
secteur marchand. Ce « naturalisme qui voudrait classer les biens selon leurs caractères
intrinsèques » [Dardot & Laval : 2014, p.157] a donc clairement une portée normative, en
prescrivant les modalités de production et de gestion qui seraient attachées à chaque type de
bien. Dans cette perspective, Bowen énonce dès 1948 des caractéristiques de non-exclusion et
d'indivisibilité dans la consommation d’un bien
148. Mais c'est Samuelson [1954] qui est le
premier à formaliser clairement une distinction entre deux catégories de biens : d'une part des
« biens de consommation ordinairement privée », d'autre part des « biens de consommation
collective » dont la demande a un « caractère conjoint », c'est-à-dire que leur consommation
ou leur usage par un agent économique ne limite pas celle ou celui par un autre agent
149.
Désignée plus tard comme une « non-rivalité » [Musgrave : 1969], cette caractéristique se voit
très vite
150adjoindre celle de non-excluabilité
151(on ne peut exclure personne de leur usage).
Cependant, entre les biens privés (rivaux et excluables) et les biens « publics » ou
« collectifs » (selon la traduction en français qui est faite [Harribey : 2011]), on trouve des
biens qui n'excluent ni ne cumulent simultanément ces deux caractéristiques. Cherchant à
combler ce « vide considérable »
152, Buchanan [1965] propose sa « théorie économique des
clubs » pour certains biens et services fournis à des groupes limités d'individus : sa
démonstration repose sur le constat que, pour nombre de biens, le caractère « public pur » ne
se réalise pas du fait d'une limitation du nombre d'utilisateurs du bien pouvant en bénéficier
simultanément
153.
Puis, pour les cas où l’exclusion n'est pas possible et où il existe une rivalité dans la
consommation du bien, Hardin [1968], qui est biologiste, définit une autre catégorie de
148 « The goods for which price exclusion is impracticable are characterized by the fact that they cannot be
divided up into units which any single individual can be given exclusive possession. They are, in this sense,
indivisible. Such goods have the characteristic that they become part of the general environment—available
to all individuals who live within that environment. They are, in that sense, social rather than strictly
individual goods » [Bowen : 1948, p.173], cité in Demarais-Tremblay [à paraître].
149 « Ordinary private consumption goods which can be parcelled out among different individuals (…) and
collective consumption goods which all enjoy in common in the sense that each individual's consumption of
such a good leads to no subtraction from any other individual's consumption of that good » [Samuelson :
1954, p.387] ; « "jointness of demand" intrinsic to the very concept of collective goods and governmental
activities » [Samuelson : 1954, p.389]
150 Samuelson [1954] ne l’énonce pas clairement, mais sa formalisation implique la consommation par un
groupe d'individus de taille potentiellement infinie. Buchanan [1965, p.13] rappelle qu'on doit à Musgrave
[1959] la formalisation selon laquelle « non-exclusion is a characteristic of public goods supply ».
151La littérature économique française retient souvent le terme de « exclusif », qui peut être compris comme un
accès ou un usage réservé à une seule personne. Nous utiliserons donc plutôt le néologisme « excluable »,
déjà utilisé dans certaines traductions (par exemple celle de Ostrom [2010] faite par Laurent en 2012), qui
renvoie à la capacité à exclure de l'accès ou de l'usage les non-membres d'un groupe donné (« By exclusion
we mean the power to exclude people other than members of a defined community » [Feeny et al : 1990,
p.7]).
152« This construction allows us to move one step forward in closing the awesome Samuelson gap between the
purely private and the purely public good » [Buchanan : 1965, p.1]
153On peut dès à présent noter que la taille de la ressource considérée est donc une condition de la théorie des
biens de clubs de Buchanan, qui ne s'applique selon ses propres mots que dans les cas où l'exclusion
d'utilisateurs est possible, au sens où elle peut être organisée : « The theory of clubs developed in this paper
applies in the strict sense only to the organization of membership or sharing arrangements where "
exclusion" is possible » [Buchanan : 1965, p.13].
biens
154: les « biens communs », les « communaux » voire les « communs » selon les
traductions [Ostrom : 2011b]. Il prend l'exemple d'un pâturage en accès libre, donc, suivant la
terminologie samuelsonnienne, un bien rival sans exclusion : cet exemple sert le propos de
l’auteur parce qu’il a la caractéristique d'être dépourvu de système de gestion [Ostrom : 1990]
ou, plus exactement, pourvu d'un système de gestion dénué de toute restriction d'exploitation
[Cole et al. : 2014]. Et un nouvel enjeu normatif est ainsi pointé car, pour Hardin, cette
situation conduit nécessairement à une « tragédie » : le « bien commun » est détruit par la
sur-consommation d'individus agissant sans souci de la préservation de la ressource, selon une
logique du passager clandestin empruntée aux travaux d'Olson [1965]
.On obtient ainsi finalement quatre catégories de biens, que Musgrave et Musgrave [1973]
présentent conjointement pour la première fois dans un tableau croisant les critères de
« rivalité » et « d'exclusion » [Demarais-Tremblay : 2017].
En 1977, Ostrom et Ostrom proposent cependant de renouveler partiellement cette double
axiomatique. D'une part, en continuant de se baser sur l'idée d'usage conjoint (plutôt que sur
celle de rivalité), ils introduisent la notion de soustractabilité. D'autre part, chaque critère
devient pour eux graduel (plus ou moins marqué) plutôt que binaire (oui ou non) :
La faisabilité de l'exclusion, qui sera plus tard renommée l'excluabilité : la capacité
(plus ou moins grande) à exclure des utilisateurs potentiels de l'accès au bien (ou au
service) s'ils ne peuvent pas satisfaire les conditions fixées par le fournisseur (le prix,
notamment).
Usage conjoint(plutôt que rivalité) : la capacité (plus ou moins grande) d’un bien ou
service à être utilisé conjointement, c'est-à-dire en s'intéressant à la soustractabilité de
chaque unité par un utilisateur par rapport à un autre utilisateur.
Comme Musgrave et Musgrave [1973], Ostrom et Ostrom [1977] distinguent ainsi
logiquement quatre types de biens (cf. tableau 6), et proposent pour la première fois des
exemples pour chacun des quatre types [Demarais-Tremblay : 2017]. Surtout, ils définissent
de façon claire la quatrième catégorie, celle de « common pool resource », ainsi nommée pour
la démarquer du concept de « common property resource » utilisé depuis les années 1950
[Gordon : 1954 ; Feeny et al. : 1990]. Parler de ‘property’ alimente en effet une confusion
154Hardin ne formalise pas clairement sa proposition en référence aux travaux de Samuelson, son intérêt n'étant
pas heuristique mais plutôt d'alerter sur les menaces qu'il voit dans les politiques démographiques trop
laxistes [Coriat : 2013].
entre leurs spécificités matérielles et la nature du régime de propriété, comme l'expliquera
Bromley quelques années après :
« There is no such thing as a common property resource – there are only natural resources
controlled and managed as common property, or as state property, or as private property.
(…) I shall urge the abandonment of the term common property resource in favor of the
more correct common property regime » [Bromley : 1991, p.2].
Aussi, pour imposer cette nécessaire distinction entre le type de régime de propriété dont ces
« ressources naturelles » peuvent faire l'objet, et leurs caractéristiques matérielles (i.e. dont
l’usage ou la consommation d'unités ne peuvent être effectués que de façon non conjointe, et
dont il est difficile voire impossible d'exclure l'accès et l'utilisation), Ostrom les désigne
comme des common-pool resources (CPR) :
« The problems resulting from confusing concepts were particularly difficult to overcome
given that the term “common-property resource” was frequently used to describe a type
of economic good that is more appropriately referred to as a “common-pool resource.”
For many scholars, the concept of a property regime and the nature of a good were thus
conflated » [Hess & Ostrom : 2003, p.119].
Ostrom et Ostrom [1977] utilisent par ailleurs l'appellation « toll goods » (littéralement :
« biens à péage ») plutôt que celle de « club goods » de Buchanan [1965] pour les cas où
l'exclusion est faisable et où l'usage de la ressource peut se faire conjointement. Bien que ce
terme nous semble source de confusion (cf. infra), nous conservons ici son emploi, dans un
premier temps.
Tableau 6. Une première version du tableau « Types of goods »
Jointness of Use or Consumption
Alternative Use Joint Use
E
X
C
L
U
S
I
O
N
Feasible
Private Goods : Bread, shoes,
automobiles, haircuts, books,
etc.
Toll Goods : Theaters, night
clubs, telephone service, toll
roads, cable TV, electric power,
library, etc.
Infeasible
Common-pool Resources :
Water pumped from a
ground-water basin, fish taken from
an ocean, crude oil extracted
from an oil pool
Public Goods : Peace and
security of a community,
national defense, mosquito
abatement, air pollution control,
fire protection, streets, weather
forecasts, public TV, etc.
Toutefois, certains des exemples cités dans ce tableau peuvent alimenter une confusion :
mention de l'unité de poisson dans la catégorie CPR, au lieu de parler de la pêcherie ; la
bibliothèque ou le courant électrique comme toll goods, alors que l'usage de chaque livre qui
s'y trouve ou de chaque watt disponible ne peut être conjoint. Ostrom [2005] modifia
ultérieurement la présentation de cette typologie et son axiomatique : le gradient de
soustractabilité d'usage remplace celui, inverse, d'usage conjoint (cf. tableau 7).
Tableau 7. Une version révisée des quatre « types of goods » selon
Ostrom
[degree of] Subtractability of Use
High Low
Difficulty of
Excluding
Potential
Beneficiaries
High
Common-pool resources:
groundwater basins, lakes,
irrigation systems, fisheries,
forests, etc.
Public goods: peace and security
of a community, national
defense, knowledge, fire
protection, weather forecasts, etc.
Low Private goods: food, clothing,automobiles, etc. Toll goods: theaters, private clubs, daycare centers
Source : Ostrom [2010]
III.1.1.2. Les critères d'une typologie stabilisée des systèmes de ressources
Avec le temps, la typologie ostromienne s’est ainsi éloignée de celle des néoclassiques, en
qualifiant des « systèmes de ressources » et en définissant mieux la double axiomatique.
III.1.1.2.1. Des types de « systèmes de ressources » plutôt que de « biens »
La terminologie proposée et utilisée par Ostrom dans ses travaux ultérieurs confirme ce qui ne
semblait être qu'une intuition en 1977 : plutôt que de type de bien, Ostrom parle alors de
« système de ressource » (resource system), par exemple pour définir un CPR comme « un
système de ressource [qui] peut être fourni et/ou produit conjointement par plus d'une
personne ou entreprise. (…) Les unités de ressource, toutefois, ne sont pas sujettes à
l'utilisation ou l'appropriation conjointe. (…) Ce ne sont donc pas les unités de ressources
qui peuvent être utilisées conjointement mais bien les systèmes de ressources
eux-mêmes »
155[Ostrom : 1990, p.46].
Avec Cole, elle précise même que les systèmes de ressources de type CPR génèrent des
biens
156, qui y sont prélevés ou utilisés – « biens » désignant ainsi les unités de ressources
[Cole & Ostrom : 2012]. La typologie s'écarte ainsi nettement de la notion de « bien », qui en
économie mainstream renvoie à quelque chose de suffisamment individualisable (dans la
production et dans l’usage ou la consommation…) pour être échangeable de façon bilatérale
privative : a contrario, la typologie de Bloomington se concentre sur la notion de « système
de ressource », ensemble plus ou moins délimité d'unités soustractibles
157ou non. Ostrom
[1990, p.44] invite d'ailleurs à se représenter les systèmes de ressources en les comparant « à
des variables de stock (...) capables de produire [des] variables de flux », ces dernières étant
les unités de ressources .
Dans son glossaire de l'IAD, McGinnis clarifie encore les définitions :
« Resource System (RS). The biophysical system from which resource units are extracted
and through which the levels of the focal resource are regenerated by natural dynamic
processes. (…)
Resource Units (RU). Characteristics of the units extracted from a resource system, which
can then be consumed or used as an input in production or exchanged for other goods or
services. » [McGinnis : 2011b, p.181]
Ainsi l'École de Bloomington peut qualifier de façons différentes, selon le stock considéré,
une « ressource » alors que celle-ci serait, selon les critères standard, toujours caractérisée du
même « type ». Prenons l'exemple de « l'eau » comme « ressource » : le système de ressource
(ou le stock) ne sera pas nécessairement considéré de la même façon dans la typologie
ostromienne selon qu'il s'agit d'un océan, d'une mare, ou du contenu d'une bouteille d'eau.
McGinnis [2011a]
158prend aussi l'exemple des poissons, qui peuvent être considérés comme
« private goods » si l'on s'intéresse aux animaux pêchés (comme unités) avant d’être vendus
ou consommés, tandis que le stock de poissons dans lequel ils ont été prélevés doit être
analysé comme un CPR. Autrement dit, le type de système de ressource est défini (ici, un
poisson seul comme « private good » ou un stock halieutique comme CPR) indépendamment
156 « Common-pool resources are large enough that it is costly to exclude potential beneficiaries, and they
generate goods (resource units) whose extraction reduces the quantity of goods available to others (V.
Ostrom and E. Ostrom 1977). » [Cole & Ostrom : 2012, p.40]
157 Que de nouvelles unités soient produites (comme les poissons qui se reproduisent au sein d'un stock
halieutique) ou non (comme des parcelles de foncier, qui peuvent en revanche être remises en jeu ; cf. infra).
158« In applications of the IAD framework, allowance must be made for the possibility that a particular good or
service activity may have the properties of different types of goods under different institutional settings. In
addition, different components of a good or service may simultaneously express properties of different types
of goods. For example, a fish taken from a common-pool fishery may be consumed as a private good or used
in the production of a club/toll or public good » [McGinnis : 2011a, p.12].
des règles et usages qui détermineront par ailleurs la nature du régime de propriété et du mode
de gestion de ce système de ressource
159(cf. infra).
III.1.1.2.2. Gradient d'excluabilité et critère de soustractabilité
Lors de sa conférence « Nobel » à Stockholm en décembre 2009, Ostrom [2010] avait précisé
que la typologie que son mari et elle avaient proposé 32 ans auparavant permettait de :
« (i) remplacer le terme "rivalité dans la consommation" par soustractabilité d'utilisation"
;
(ii) conceptualiser les notions de "soustractabilité d'utilisation" et d’"excluabilité" pour les
faire varier de "faible" à "élevée", plutôt que de les considérer simplement comme
présente ou absente ;
(iii) ajouter explicitement un quatrième type de bien très important – les ressources
communes
160– qui partage avec les biens privés l'attribut de la soustractabilité et la
difficulté d'exclusion avec les biens publics [Ostrom & Ostrom : 1977]. Les forêts, les
systèmes d'eau, les pêcheries, et l’atmosphère de la planète sont tous des ressources
communes d'une immense importance pour la survie des êtres humains sur cette terre »
[Ostrom : 2012, p.23]
Or, les catégories de l’axiomatique (soustractabilité et excluabilité) se différencient sur la
notion de gradient. Pour la soustractabilité, il s'agissait en 1977 de la capacité plus ou moins
grande d'utiliser conjointement un système de ressource, et non explicitement d'un gradient
de soustractabilité des unités de ressource elles-mêmes (concept introduit à l'époque, mais pas
dans le tableau évoquant le gradient). Or, comme on va le voir, il apparaît qu'il s'agit
davantage d'un critère (oui/non) que d'un gradient (plus/moins) de soustractabilité des unités,
et que seule l'excluabilité se conceptualise en terme de gradient (capacité plus ou moins
grande à exclure de l'accès au système de ressource).
Prendre en compte la difficulté graduelle à exclure des bénéficiaires potentiels (autrement dit,
le degré d'excluabilité) d'une ressource permet d'introduire un critère de taille : on s'intéresse
à un système de ressource qui est un ensembledélimité, c'est-à-dire en quantité limitée (par
exemple un stock halieutique, et non pas ‘le poisson’ comme terme générique pour désigner la
ressource produite ou consommée) ou dans un espace limité (par exemple la salle dans
laquelle on écoute un concert, plutôt que ‘la musique’) ou un mix des deux (par exemple une
forêt identifiée, plutôt que ‘le bois’ comme type générique de ressource naturelle). Les
catégories de deux systèmes d'une même ressource peuvent donc être différentes en termes
d'excluabilité en fonction de leur taille respective (un bosquet ou un étang poissonneux
159Et inversement, comme nous le verrons, il n’y a pas de correspondance univoque entre type de système de
ressource et régime de propriété.
160 Le texte original, en anglais, parle de « common-pool resources », traduit par Éloi Laurent par « ressources
communes » en français.
peuvent facilement être clôturés et gardés pour en interdire l'utilisation, la forêt amazonienne
ou le lac Victoria beaucoup plus difficilement), et possiblement des capacités techniques
[Cole & Ostrom : 2012]
161de l'époque (l'invention du fil de fer barbelé ayant facilité
l'exclusion d'accès à des parcelles de foncier ou de bois).
La catégorisation d'un système de ressource en fonction du critère de soustractabilité
d'utilisation est en revanche liée à des caractéristiques physiques de la ressource, qui ne sont
pas progressives : ses unités peuvent être utilisées ou appropriées conjointement par plusieurs
utilisateurs (par exemple un morceau de musique diffusé sur un haut-parleur ; un programme
sur une chaîne TV câblée ; la paix ou la sécurité publique ; des connaissances ; la stabilité
climatique ; etc.) ou non (ex. un poisson pêché, un m³ d'eau prélevé, un tronc d'arbre abattu,
un vêtement, un aliment, etc.). En d'autres termes, lors de son utilisation, le stock de ressource
est, ou n’est pas, impacté par un flux sortant d’unités.
162Cette notion de soustractabilité est donc plus opérationnelle que celle de rivalité de Musgrave
[1969] ou « d'usage conjoint » initialement utilisée par Ostrom, en se centrant clairement sur
l'unité tirée d’un système de ressource, et sur la soustraction de chaque unité à l'usage des
autres utilisateurs par l'un d'eux. En effet, on évite alors toute confusion avec la rivalité
d'accès au système de ressource (qui peut induire une confusion avec l'excluabilité), et surtout
avec la possibilité que plusieurs utilisateurs potentiels accèdent conjointement au stock de
ressource (deux agriculteurs irrigants peuvent pomper conjointement dans un lac, mais ce
n'est pas la même situation analytique que deux auditeurs écoutant la même radio). Ainsi,
pour un spectacle de théâtre, même s'il peut y avoir une situation de rivalité pour entrer dans
le bâtiment ‘théâtre’, une fois à l'intérieur le public utilise conjointement la ressource
‘spectacle de théâtre’ (situation de « club/toll good »). Par contre, une bibliothèque
municipale, bien qu’elle ait été présentée comme un exemple de « club/toll good » par Ostrom
et Ostrom en 1977 (cf. tableau 6, supra), devrait aussi, si on suit cette logique, être considérée
comme une CPR : les lecteurs, une fois à l'intérieur, ne peuvent pas utiliser conjointement
chaque unité de ressource (à la différence du théâtre) puisque ces unités sont des livres
différenciés et spécifiques. Chaque livre est donc soustrait temporairement à l'usage des autres
lecteurs, comme un poisson pêché est soustrait aux autres pêcheurs qui doivent parfois
161 « whether it is difficult or costly to develop physical or institutional means to exclude non beneficiaries
depends both on the availability and cost of technical and institutional solutions to the problem of exclusion
Dans le document
Analyse multi-niveaux de l’économie de la RSE : le cas des entreprises de la filière banane au Cameroun
(Page 136-164)