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3.)Une)approche)individualisée)et)centrée)sur)les)activitités)de)la)vie) quotidienne)et/ou)professionnelle)

Le réseau collaboratif au sein duquel nous nous inscrivons propose, comme alternative aux types de prises en charge décrites plus haut, d’offrir aux patients une approche individualisée et centrée sur les activités de la vie quotidienne et/ou professionnelle (Larøi et Van der Linden, 2006, 2007 ; Levaux et al., 2009a, b, c, 2011, 2012 ; Offerlin-Meyer et Danion, 2007a ; Offerlin-Meyer et al., 2007b, 2009).

Cette approche consiste à mettre en œuvre des interventions centrées sur les activités spécifiques de la vie quotidienne et/ou professionnelle des sujets. Le but ultime étant l’amélioration du handicap psychique à travers notamment un programme ciblé et une remédiation « sur mesure », qui tiennent compte du profil cognitif propre à chaque patient.

Six étapes clés caractérisent la démarche :

1. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier dans la vie quotidienne et/ou professionnelle des sujets, les difficultés que peuvent rencontrer les personnes.

2. Le second temps est celui de la réalisation du bilan cognitif qui nous permettra d’identifier, de façon individualisée, les fonctions cognitives perturbées, les capacités préservées et d’éventuels facteurs d’optimisation. Le contenu de l’évaluation se doit d’être en liaison avec le projet thérapeutique, plutôt qu’avec une démarche classificatoire.

3. Dans un troisième temps enfin, il s’agit de mettre en perspective les deux types de données recueillies précédemment et d’analyser les processus cognitifs problématiques impliqués dans les situations de la vie quotidienne et/ou professionnelle.

4. Des objectifs concrets, en lien avec les déficits objectivés, seront ensuite définis avec la personne, pour faire l’objet d’une remédiation cognitive.

5. Puis, seront élaborées et mises en œuvre des stratégies de remédiation cognitive qui prennent en compte les capacités préservées et les éventuels facteurs d’optimisation, et qui sont basées sur les hypothèses relatives à la nature des difficultés.

6. Enfin, seront évalués (i) l’efficacité et la spécificité de la prise en charge, (ii) les éventuelles capacités de généralisation et de transfert des acquis à d’autres situations, et (iii) le maintien des bénéfices à long terme.

A l’issue de cette première phase, un contrat de remédiation, qui précise les objectifs, le contenu et les modalités pratiques de l’intervention (p.ex : la durée et la fréquence des séances), sera élaboré en partenariat avec le patient (un exemple de contrat de remédiation est disponible

en Annexe VIII). En outre, une information rigoureuse, faite dans des termes adaptés au patient, illustrée avec des exemples concrets issus de sa vie quotidienne et/ou professionnelle, lui sera proposée afin de lui expliquer avec précisions : (i) les stratégies qui lui sont proposées, (ii) les raisons pour lesquelles ces stratégies ont été sélectionnées, (iii) leur lien avec les difficultés qu’il rencontre, (iv) le bénéfice qu’elles peuvent lui apporter et (v) les différentes situations dans lesquelles il peut les appliquer. La conscience qu’a le patient de ses difficultés, sa compréhension de la situation, son adhésion au projet, sa confiance dans le thérapeute et dans le projet sont autant de clés pour une réussite.

Trois types de mesures seront mis en œuvre :

1. Les mesures d’efficacité sont en lien avec le processus ciblé par la prise en charge et avec les plaintes cognitives et fonctionnelles du sujet ;

2. Les mesures de spécificité sont en lien avec des processus déficitaires qui ne sont pas ciblés par le programme et pour lesquels il n’est attendu aucune amélioration, et

3. Les mesures de généralisation à une autre tâche ou à un autre domaine sont en lien avec un domaine proche de celui ciblé par l’intervention et pour lequel est attendue une certaine amélioration.

Afin de garantir la stabilité des performances, toutes ces mesures sont administrées, à plusieurs reprises, lors des phases de pré- et post-remédiation. Les mesures d’efficacité sont constituées, en plus de l’évaluation cognitive, d’observations directes sur le terrain, d’entretiens avec le patient et/ou des personnes ressources (moniteurs d’atelier, éducateur, proches, etc.) et de questionnaires, afin de cerner au mieux le fonctionnement de la personne dans des situations écologiques de la «vraie vie».

Dans cette approche individualisée, il s’agit de travailler selon la méthodologie du cas unique, ou des cas multiples. Ce type d’approche a permis aux patients qui ont bénéficié de ce type de prise en charge (voir partie expérimentale), non seulement d’améliorer leurs performances, mais également de généraliser cette amélioration à d’autres fonctions, non travaillées spécifiquement lors de la remédiation, et à maintenir le bénéfice de la thérapie sur le long terme.

Le but de cette démarche, à terme, est (i) la réduction du handicap psychique engendré par les troubles cognitifs et leurs conséquences délétères sur les possibilités d’insertion, (ii) une plus grande autonomie des sujets et (iii) une amélioration de leur qualité de vie et de leur estime de soi afin de leur offrir une possibilité d’intégration et une réhabilitation en tant que sujet à part entière.

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P ARTIE! E XPERIMENTALE !

O BJECTIFS !

L’objectif général de ce travail de thèse a consisté à mettre en œuvre, à partir des plaintes rapportées par nos patients au quotidien, des interventions centrées sur les activités spécifiques de la vie professionnelle et/ou quotidienne mettant en jeu les aspects fonctionnels altérés, afin d’étudier l’efficacité et la spécifité d’une telle prise en charge dans la schizophrénie. Ce travail devait en outre nous fournir des informations sur les possibilités de transfert des acquis de la thérapie à d’autres domaines de la vie quotidienne des sujets et sur le maintien sur le long terme des effets obtenus.

Pour ce faire, nous avons élaboré trois études de remédiation cognitive conçues selon la méthodologie du cas unique pour deux d’entre elles et une approche effectuée selon la méthodologie du cas multiples pour la troisième.

Chacune de ces études s’est appuyée sur les profils spécifiques des personnes en termes de déficits et de capacités préservées, ainsi que sur l’analyse détaillée des difficultés fonctionnelles qu’elles rencontrent au quotidien.

Le but de la première étude (Etude N°1), effectuée selon la méthodologie du cas unique, a été d’explorer les effets d’un programme de remédiation cognitive visant les fonctions de

« Charge Mentale » (CM) et de « Gestion des Interférences » (GI) de la Mémoire de Travail (Duval et al., 2008), sur le fonctionnement professionnel d’un patient (GC) souffrant d’une schizophrénie. La particularité de ce programme implique la mise en place de stratégies cognitives de réorganisation (double codage, travail sériel, adaptation de la vitesse de traitement de l’information), ainsi que deux types d’exercices distincts pour chacune des deux fonctions travaillées : cognitifs et écologiques. Ce programme a été proposé à CG parce qu’il présentait un déficit spécifique des deux fonctions précitées de la Mémoire de Travail, mis en relation avec trois séries de difficultés rencontrées dans sa vie professionnelle, à savoir : (i) la mémorisation simultanée de plusieurs informations, (ii) la réalisation d’une tâche dans un environnement bruyant et (iii) la concentration.

La seconde étude de cas unique (Etude N°2) et l’étude de cas multiples (Etude N°3) se sont focalisées sur les troubles de la Mémoire Episodique Verbale en lien avec les difficultés fonctionnelles rencontrées par les patients dans leur vie quotidienne. Ces difficultés concernaient la rétention et la récupération du contenu d’un livre, d’articles faisant référence au

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sport favori d’un des participants (sujet WL), ou encore au contenu du journal télévisé.

Pour ce faire, nous avons élaboré une intervention focalisée sur l’apprentissage d’une stratégie de structuration de l’encodage, par l’intermédiaire de l’utilisation d’une macrostructure, qui permet de mémoriser un matériel cohérent et significatif comme le contenu d’un livre, ou d’articles de journaux. L’objectif ultime est de promouvoir les opérations de compréhension et de structuration des informations, afin de faciliter la récupération ultérieure des informations.

Caractéristiques des travaux :

• Ils ont été menés au sein de l’Unité INSERM 666 « Physiopathologie et Psychopathologie Cognitive de la Schizophrénie » (Directeur : Prof. Jean-Marie Danion), et du Pôle de Psychiatrie & de Santé Mentale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (Chef de Pôle : Prof. Anne Danion-Grilliat), ainsi que

Au sein de l’Association Route Nouvelle Alsace (Président : Prof. Jean-Marie Danion) dans les structures situées à Strasbourg (Etablissement et Service d’Aide par le Travail - ESAT ; Entreprise Adaptée - EA ; Service d’Insertion en Milieu Ordinaire de Travail - SIMOT), à Haguenau et à Sélestat (SIMOT).

• Ce travail a obtenu un avis favorable du Comité de Protection des Personnes de Strasbourg.

• L’ensemble des participants a été informé de leurs droits et des objectifs de la recherche.

Ils ont été assurés de la confidentialité des données et de leur traitement (entretien individualisé d’en moyenne 1h30).

• Aucun d’entre eux n’est placé sous mesure de protection (curatelle ou tutelle).

• Tous ont signé un consentement éclairé.

• S’agissant d’une recherche à bénéfice direct, les participants n’ont pas été indemnisés pour leur concours à ce travail.

• Les deux premières études ont été élaborées dans le cadre du Projet INTERREG IIIB intitulé « Réinsertion socioprofessionnelle des patients schizophrènes : développement de méthodes d’évaluation et de prise en charge cognitive ».

• Tous les sujets ont eu un retour individualisé sur leur participation et leurs résultats (entretien individualisé d’en moyenne 1h30 à 2h).

P RÉAMBULE !

Notre expérience clinique nous a fréquemment amenée à recueillir les plaintes de patients qui éprouvent d’importantes difficultés pour se préparer un repas, ou pour réchauffer un repas déjà tout prêt, pour prendre soin de leur hygiène, pour gérer un budget, pour être en mesure de se rappeler ce qui vient d’être dit, lu, entendu, vu.

Des difficultés sont également observées et rapportées pour construire une vie de couple, faire des études, emprunter des moyens de transport en commun de façon autonome, aller vers les autres, ou accepter qu’autrui vienne à soi, ou encore, « tout simplement », organiser des activités de loisirs et/ou de vacances. Les personnes en souffrance passent en effet souvent davantage de temps à tenter d’organiser et à maîtriser leur vie, qu’à la vivre.

Toutes ces activités s’inscrivent pour le plus grand nombre des sujets dits « sains » dans une forme de routine, et contribuent tout naturellement à l’autonomie, au sentiment d’identité personnelle, à l’estime de soi, à la considération d’autrui, à un sentiment d’utilité et à une qualité de vie satisfaisante. Dans la schizophrénie, ces valeurs fondamentales sont souvent déficitaires et vécues par les personnes qui en souffrent en termes d’incapacité qui engendre en retour un handicap, le tout devenant synonyme de dépendance, de perte des chances, et de citoyenneté interdite ou confisquée.

Dans l’optique selon laquelle la cognition et les domaines de la vie quotidienne représentent de possibles cibles d’intervention dans le cadre d’une remédiation cognitive, une évaluation des différents aspects de chacun de ces domaines nous semble incontournable.

Davantage encore, en accord avec Bowie et al., (2006), il nous paraît essentiel que la relation entre performances neurocognitives et compétences fonctionnelles soit conceptualisée à la fois en termes de capacités (ce que la personne peut faire dans des conditions optimales), mais aussi de performances (ce que la personne fait vraiment, dans son milieu naturel, dans la

« vraie vie »).

Contrairement aux capacités, les performances fonctionnelles dans la vie quotidienne peuvent être influencées non seulement par la cognition, mais également par nombre d’autres facteurs : motivationnels, environnementaux, expérientiels (heureux ou malheureux), sociétaux, personnels, familiaux, ainsi que par des facteurs de ressources financières, qui peuvent être, ou devenir autant de facteurs limitatifs de l’étendue des habiletés constitutives d’un répertoire

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comportemental classique nécessaire dans la « vraie vie » et des capacités de déployer ce répertoire en situation de vie communautaire.

Les déficits cognitifs sont associés aux altérations observées en conditions de laboratoire (Patterson et al., 2001 ; Twamley et al., 2002) et relèvent davantage des capacités (ce que la personne peut faire dans des conditions optimales). Les mesures basées sur la performance des compétences fonctionnelles sont, elles, liées à des aspects plus pragmatiques et réalistes, et sont celles qui nous intéressent au premier chef, sur lesquelles doit porter notre réflexion, et qui devraient être les cibles des prises en charge proposées aux patients.

L’ampleur et la multiplicité (en termes de domaines notamment) des retentissements fonctionnels que subissent nos patients, font que la finalité de toute prise en charge destinée à limiter ces retentissements et à lever les incapacités qu’ils engendrent, devrait viser la qualité de vie des sujets et leurs capacités d’insertion sociale et professionnelle, pour finalement leur permettre d’accéder à une autonomie et une indépendance qui les restaurent dans leur identité, leur permettent d’assumer leurs choix avec fierté et assurance, et leur rendent un sentiment de dignité, d’égalité et d’utilité.

Partant (i) d’une des plaintes les plus fréquemment recueillies dans notre pratique clinique quotidienne, à savoir la limitation importante que connaissent ces sujets à l’accès à une vie professionnelle, et (ii) du principe que le travail est un espace essentiel de la vie qui fait que nous puissions nous réaliser en tant que sujet pensant et agissant, nous avons décidé de prendre en considération le difficile parcours de nos patients pour accéder à un droit pourtant fondamental : la (ré)insertion professionnelle.

Les études de cas qui vont suivre tentent d’explorer la manière la plus adaptée pour (re)donner accès à ce droit fondamental, mais également pour réduire le handicap psychique qui affecte les personnes souffrant d’une schizophrénie et restaurer la qualité de vie et l’estime de soi des sujets bénéficiaires d’une remédiation cognitive centrée sur leurs préoccupations quotidiennes et/ou professionnelles.

C HAPITRE! 1

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