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Limites!des!études!de!groupe!

Très souvent, les études de groupes sélectionnent des patients qui présentent des déficits purs. Or, dans le domaine de la réhabilitation, la plupart des patients présentent une grande variété de problèmes. Non seulement ils peuvent être très différents les uns des autres, mais les résultats même de l'étude du groupe ne représentent que la moyenne des réponses individuelles des participants qui peuvent être très différentes de la moyenne générale.

Une autre limitation réside dans le fait que les résultats des études du groupe peuvent entraîner une confusion entre signification clinique et signification statistique. En effet, un résultat statistiquement significatif ne signifie pas pour autant que les performances et le fonctionnement de chaque personne au sein du groupe se soient améliorés.

Enfin, les études de groupe sont d'une utilité très limitée lorsqu’il s’agit d’évaluer la réponse d'un individu à un traitement (Wilson, 2006). En outre, au cours du traitement, c’est surtout la cause du changement observé qu’il importe d’identifier, ce qui n’est pas évalué dans les études de groupe. Les études de groupe ne permettent pas plus de voir ce qui se passe si la procédure est ajustée, en donnant du temps supplémentaire par exemple. Selon Wilson, (2006) il n’est pas possible d’adapter un traitement à un individu en se contentant de suivre la procédure prévue dans les études de groupe.

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En dépit de ces limites, il subsisterait pourtant une difficulté particulière pour convaincre certains médecins et thérapeutes qu'il est possible d’effectuer une « bonne » recherche à partir des études de cas individuels, ou de petits groupes de sujets (Wilson, 1987, 2006). Il existerait

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en effet une croyance très répandue selon laquelle les conclusions faites à partir d’études de cas unique ou d’études à petits effectifs, dites « N = 1 », ne seraient ni valides, ni généralisables.

Cette croyance peut être retracée à partir des années 1920, au moment où de nouvelles méthodes statistiques qui requiéraient (1) un grand nombre de sujets, (2) l'utilisation de la randomisation pour éliminer les variables secondaires et (3) la mise en œuvre d’un groupe témoin, ont été développées (Fisher, 1925). Ce genre de recherche (étude avec un grand effectif) est dès lors devenue la référence d'une expérimentation scientifique dite «valide ».

La littérature retrace en effet un certain nombre de « malentendus » autour de l’étude de cas unique (Flyvbjerg, 2006) selon lesquels : (1) la connaissance générale et théorique (indépendante du contexte) serait plus précieuse que la connaissance concrète et pratique (dépendante du contexte) ; (2) qu’il ne serait effectivement pas possible de généraliser une situation sur la base d’un cas individuel et que par conséquent l’étude de cas unique ne pourrait pas contribuer au développement scientifique ; (3) qu’il serait souvent difficile de résumer et de développer des propositions générales et des théories sur la base d’études de cas spécifiques enfin, (4) que les études de cas unique contiendraient un biais subjectif en faveur d’une tendance à confirmer les idées préconçues du chercheur.

Selon Flyvbjerg, ces quatre « malentendus » indiqueraient que ce sont la théorie, la fiabilité et la validité qui seraient en cause. En d’autres termes, ce serait le statut même de l’étude de cas comme méthode scientifique qui serait en cause.

Or, comme l’a rappelé Xavier Seron au cours de sa Conférence Plénière, lors des 34ièmes Journées de Printemps de la Société de Neuropsychologie de Langue Française (SNLF) à Paris, le 26 avril 20111, ce sont bien les études de cas unique qui ont initié les grands débats théoriques de notre discipline, la Neuropsychologie, et qui ont alimenté, à un moment ou à un autre, la construction des connaissances actuelles. En effet, en dépit de ce contexte général de scepticisme à l’égard de l’étude de cas unique, il a été tout à fait possible de démontrer dans le domaine de la Neuropsychologie que des études menées à partir du cas d’un seul patient tels que Monsieur Leborgne (patient « Tan »), H.M. et d'autres, ont permis de tester des modèles théoriques du fonctionnement cognitif normal et d’aboutir à des résultats valides et généralisables.

1 Communication orale, non publiée.

Ainsi, la communication faite par Paul Broca à la Société d’Anthropologie de Paris (1861) au sujet de l’étude du cerveau de Monsieur Leborgne a marqué le début de la Neuropsychologie moderne. Assurément, l’observation faite par Broca sur le cerveau de ce patient qui avait souffert d’une lésion neurosyphilitique du lobe frontal gauche, ainsi que sur celui d’autres patients incapables de parler, a permis (1) d’identifier une zone cérébrale précise (pied de F3 gauche) dont l’altération serait responsable d’une incapacité à produire du langage articulé et (2) de démontrer qu’à quelques exceptions près, des atteintes de cette même aire, appelée depuis « aire de Broca », mènent quasi systématiquement à une aphasie expressive.

H.M., le patient amnésique de Scoville et Milner (1957), a probablement alimenté, plus que tout autre « cas », la littérature de la Neuropsychologie. Les études portant sur les troubles spécifiques de la mémoire de H.M. ont en effet considérablement contribué à la compréhension que nous avons aujourd’hui de la mémoire humaine normale.

Les études de cas unique ont également pénétré le domaine de la psychologie du comportement. Watson et Rayner (1920) ainsi que Skinner (1956) ont travaillé avec des particuliers et de petits groupes, rendant compte de lois valides et généralisables du comportement développées à partir de leurs études.

Si la méthodologie du cas unique est largement répandue dans l’étude des patients porteurs de lésions acquises où elle a été utilisée efficacement pour évaluer l'effet de programmes de remédiation cognitive dans le domaine de la mémoire et de l'attention (voir Sohlberg et Mateer, 1987), en psychiatrie, cette expérience est très nettement moins répandue et dès lors qu’il est question du cas unique, l’une des seules études à laquelle on fait référence, est celle de Shallice et ses collaborateurs (Shallice et al., 1991).

Selon Xavier Seron (2011), indépendamment du domaine dans lequel on se situe, quatre raisons président à l’intérêt majeur des études de cas unique : (1) un postulat relativiste basé sur le fait que chaque situation est unique ; (2) l’exemplarité de la situation qui fournit un objectif didactique ; (3) la rareté qui permet de profiter d’une circonstance exceptionnelle et (4) des raisons opérationnelles évidentes qui rendent possible l’analyse en profondeur d’une situation.

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